Suzanne Tanella Boni – Gorée, île baobab
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“Gorée Île Baobab” (quatre poèmes)
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peut-être le bonheur est-il si loin
invisible dans les feuilles de tamarinier
quand ma main effleure les fruits
à partager avec les génies riant des cruautés
faites à l’homme par l’homme
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peut-être l’espérance dans mes yeux traîne-t-elle
l’avenir en nuages de poussières où je cherche
étincelles et dignité des âmes en sursis
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quand l’horizon au petit matin
dessine images et silhouettes entre soleil et mer
tu n’es pas là pour voir mes yeux
où tu n’a jamais vu l’humeur du monde
. . .
avec la bénédiction des habitants
invisibles de l’île ici je revis
car ton regard n’est pas un poème
mais toute la mer qui coule à mes pieds
des pages infinies
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ici aussi j’ai bu à la source
des mots couverts de moisissures
comme murs suintant de tous les malheurs
gravés aux portes du temps
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j’ai bu la source vive
qui nous donne mémoire et chemin majuscule
des jours à venir
j’ai bu je ne sais combien de gorgées élixir
“…pour la survie du poème
qui hante mes pas depuis toujours”
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demain je reviendrai
entendre ta voix qui me parle
encore de toi et de moi
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ici aussi les draps où l’histoire fait la sieste
sont blancs et vides
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seule la couverture du temps
est verte comme dernière parole du monde
quand le vent tourbillonne
nuit et jour à la porte du chaos
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alors je m’enroule dans les mots de ton regard horizon
par-delà la mer nous séparant infiniment.
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Suzanne Tanella Boni née en 1954 est une auteure de Côte d’Ivoire.
“Gorée Baobab Island” (four poems)
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perhaps happiness is so far away
invisible among the tamarind leaves
when my hand brushes the fruit
to share them with spirits laughing at man’s
cruelty to man
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perhaps the hope in my eyes drags
the future in clouds of dust where I seek
sparks and the dignity of condemned souls
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when the horizon in the early hours
creates images and silhouettes between sun and sea
you are not here to see my eyes
where you have never seen the humour of the world
. . .
with the blessing of the island’s
invisible inhabitants I become alive again
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as your look is not a poem
but the vast sea that pours infinite pages
at my feet
. . .
here too I drank at the source
words covered with mildew
like walls oozing all the sorrows
carved on the doors of time
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I drank the life source
that gives us memory and the capped path
of days to come
I lost count of the mouthfuls of elixir I drank
so that the poem
that has forever haunted my steps survives
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tomorrow I will return
to hear you talk to me
again of you and me
. . .
here too the sheets where history snoozed
are white and empty
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the covers of time alone
are green like the last word in the world
when the wind howls
day and night at the gates of chaos
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then I wrap myself in the words of your look faraway
beyond the sea that separates us infinitely.
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L’île de Gorée est célèbre pour La Maison des Esclaves et La porte du Voyage sans Retour, d’où partaient pour l’ultime voyage les esclaves acheminés vers les plantations d’Amérique.
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Jean Baptiste Tati-Loutard – Nouvelles de ma mère
NOUVELLES DE MA MÈRE
Je suis maintenant très haut dans l’arbre des saisons ;
En bas je contemple la terre ferme du passé.
Quand les champs s’ouvraient aux semailles,
Avant que le baobab n’épaule quelques oiseaux
Au premier signal du soleil,
Ce sont tes pas qui chantaient autour de moi :
Grains de clochettes rythmant mes ablutions.
Je suis maintenant très haut dans l’arbre des saisons.
Apprends par ce quinzième jour de lune,
Que ce sont les larmes ― jusqu’ici ―
Qui comblent ton absence,
Allègent goutte à goutte ton image
Trop lourde sur ma pupille ;
Le soir sur ma natte je veille toute trempée de toi
Comme si tu m’habitais une seconde fois.
Janvier 1965
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Jean-Baptiste Tati Loutard, Poèmes de la mer, C.L.É., Yaoundé, 1968 in Poésie africaine, Anthologie, Six poètes d’Afrique francophone, Éditions Points, 2010