Métaphore d’un confinement – ( RC )

Le temps languit, étiré
en toute liberté,
croit-on…
Il n’y a pas de barreaux à nos fenêtres,
le cœur profane de la ville
est encore vide
et la pensée ne s’encombre plus
d’une pluie battante
les voix du monde
se sont arrêtées
sur une muraille de verre
car même l’orage est confiné
derrière une grande barrière :
il ne reste plus qu’à compter les jours,
détacher les brins de laine
pris dans la peine et les barbelés
de nos chemins.
Eux s’en vont bien quelque part,
retrouver les sommets,
les cheveux des fougères :
( peut-être qu’ailleurs coulent les rivières,
comme se rassemblent les larmes
d’une multitude de ruisseaux
à la suite d’un crime métaphorique )
emportant avec lui l’espoir
et les désirs avec le temps.
Le temps est toujours innocent.
Il ne connaît pas l’enfermement,
les murs de l’appartement.
Puisque tu es immobilisé…
tu peux toujours sortir de ta tanière
par la voie de l’imaginaire…

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09/22/2022 | Catégories: actualités, photographie, self creation | Tags: appartement, barbelés, barreaux, brins de laine, confiné, crimes, enfermement, fougères, imaginaire, immobilisé, liberté, muraille, rivières, sommets, temps, verre, vide, ville | Poster un commentaire
Objets trouvés – ( RC )
L’heure n’est pas à la lumière,
ce sont ces années amères
qui ne font qu’attendre
le corps en cendres .
On peut offrir à mes enfants
ce qu’on ne peut ensevelir
– ces drôles de « souvenirs » –
un éclat d’obus, quelques dents
éparpillées dans le champ
( qualifié d’honneur ) – cette aire
maintenant déserte, témoin d’une guerre
où se sont mêlés les sangs
comme les barbelés
les vies arrachées
que l’on retrouverait
si on le voulait ,
profondément enfouis dans la terre.
Elle recouvre l’amnésie des lendemains
où les restes humains
peuplent ce cimetière .
–
RC – janv 2020
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02/13/2020 | Catégories: self creation | Tags: barbelés, cendres, cimetière, guerre, obus, restes, souvenirs | Poster un commentaire
Des bleuets et des coquelicots – ( RC )
Je ne sais pas quel temps il faisait,
sans doute lourd et humide,
quelque part dans les Ardennes,
quand l’orage sortait de la bouche des canons ,
broyant les arbres , et les hommes .
La terre est traversée de taupinières,
de tranchées remplies de boue,
de barbelés enchevêtrés,
d’éclats d’obus et de poisons
( et les rats sont gras ) .
Le sol garde en son sein
des morceaux de corps
dont on ne sait plus,
à quelle nation ils appartiennent ,
et cela n’a finalement pas d’importance .
L’oubli, comme un manteau noir,
viendra recouvrir les champs de bataille
d’une guerre inutile
où l’Alsace et la Lorraine en étaient les prétextes,
et la végétation , depuis, a repris ses droits.
On a vu fleurir autour des trous d’obus
quantité de bleuets , et de coquelicots
ce bleu horizon marquerait le renouveau,
et le vermillon des fleurs fragiles ,
rend ainsi, – sans discours revanchards –
le plus bel hommage à ceux
qui ont versé leur sang
et traversé la fureur des temps .
Aucune célébration, aucune stèle
n’en restituera les souffrances endurées .
–
RC – nov 2018
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11/11/2018 | Catégories: photography, self creation | Tags: Alsace, Ardennes, barbelés, bataille, bleu-horizon, bleuets, boue, canon, coquelicots, guerre, hommage, Lorraine, manteau, nation, obus, souffrances, végétation, vermillon | 6 Commentaires
Joseph Brodsky – lettre à un archéologue
Citoyen, ennemi, fils à maman, ventouse, prononçant
Ordures, mendiants, porcs, « réfujuifs » , gens de mépris ;
Un cuir chevelu si souvent écorché avec de l’eau bouillante
Que le cerveau insignifiant se sent complètement cuisiné.
Oui, nous avons habité ici: dans ce béton, ces briques , ce bois
des décombres où vous arrivez maintenant pour les tamiser.
Tous nos fils ont été croisés, barbelés, enchevêtrés ou entrelacés.
Aussi: nous n’avons pas aimé nos femmes, mais elles ont conçu.
le son de pique-paille qui heurte le fer mort est tranchant;
Encore, c’est plus doux que ce qu’on nous a dit ou que nous nous sommes dit.
Étranger! Passez prudemment dans notre charogne :
Ce qui vous semble être la libération pour nos cellules.
Laissez nos noms seuls. Ne reconstruisez pas ces voyelles,
Consonnes, et ainsi de suite: ils ne ressembleront pas à des alouettes
Mais un limier dément dont la gueule dévore
Ses propres traces, les excréments et les écorces et les écorces.
—-
Citizen, enemy, mama’s boy, sucker, utter
garbage, panhandler, swine, refujew, verrucht;
a scalp so often scalded with boiling water
that the puny brain feels completely cooked.
Yes, we have dwelt here: in this concrete, brick, wooden
rubble which you now arrive to sift.
All our wires were crossed, barbed, tangled, or interwoven.
Also: we didn’t love our women, but they conceived.
Sharp is the sound of pickax that hurts dead iron;
still, it’s gentler than what we’ve been told or have said ourselves.
Stranger! move carefully through our carrion:
what seems carrion to you is freedom to our cells.
Leave our names alone. Don’t reconstruct those vowels,
consonants, and so forth: they won’t resemble larks
but a demented bloodhound whose maw devours
its own traces, feces, and barks, and barks.
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08/06/2017 | Catégories: auteurs étrangers, english translation, photography | Tags: alouettes, écorces, barbelés, cellules, charogne, citoyen, cuir chevelu, Joseph Brodsky, mépris, mendiants, tranchant | 2 Commentaires
Cimetière militaire – ( RC )
On ne voit plus qu’un pré tout vert
où pourrait paître le bétail.
Pourtant, c’est un champ de bataille
habillé de blanc, comme en hiver.
On distingue des croix anonymes,
comme autant de noms effacés :
> c’est la plaine des trépassés :
on n’en compte plus les victimes :
Elles sont tombées au champ d’honneur,
sous les obus, les mitrailleuses,
– …. et la plaine argileuse
ne saurait désigner les vainqueurs
les vaincus, tant les corps se sont mêlés
durant les assauts.
On en a retrouvé des morceaux ,
accrochés aux barbelés .
Pour les reconnaître, on renonce :
C’est un grand cimetière
qui nous parle de naguère :
Les croix sont en quinconce ,
régulièrement espacées :
le « champ du repos »
comme si l’ordre pouvait remplacer
de l’horreur, son tableau .
Suivant les directives :
les stèles règlementaires
émergent de la terre,
en impeccable perspective
Ainsi, à perte de vue
ce sont comme des ossements,
peuplés des silences blancs
des vies perdues :
Ils ont obéi aux ordres.
( Laisser la terre saccagée,
le témoignage de combats enragés,
aurait plutôt fait désordre ).
Sous le feu des batteries,
affrontant le péril,
il aurait été plus difficile,
de jouer, comme ici, de géométrie…
On ne peut espérer de miracle:
Aucune de ces plantations ne va fleurir :
Voyez-vous comme il est beau de mourir !
Une fois la guerre passée, c’est un beau spectacle…
–
RC – dec 2016
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05/20/2017 | Catégories: actualités, photography, self creation | Tags: barbelés, bataille, bétail, blanc, chabriere, combats, croix, désordre, fleurir, géométrie, guerre, hiver, horreur, miracle, mitrailleuses, mourir, ossements, perspective, quinconce, spectacle, tableau, trépassés, vaincus, vainqueurs, victimes | Poster un commentaire
Papier, une ombre blanche opposée à la nuit – ( RC )
Je suis loin du pays de la connaissance.
Il est de l’autre côté du continent,
dont j’ai perdu, quelque part,
le fil : un sentier qui pourrait m’y conduire .
Certains parlent ainsi d’inspiration …
Il y a le jour.
Mais celui-ci est caché derrière la terre.
Une moitié est soumise à l’épreuve de l’ombre.
Comme un poumon qui se relâche,
– ce serait plutôt expiration…
Ce qui est , demeure ; – bien entendu – ,
mais tout est indistinct .
Je ne saurais pas reconnaître les arbres entre eux,
sans voir leur feuillage, et le port des branches :
Il faudrait que je tâte leurs troncs,
que je colle mon oreille sur l’écorce pour écouter leur message.
Et chacun me murmure une chose différente ,
une histoire soumise à l’épreuve des saisons,
du bois qui se tend, gémit sous le vent,
se rompt parfois sous le poids de la neige,
résiste comme il le peut aux tempêtes
et à la morsure des flammes .
Ils ont été la patience , ont abandonné
des parties de corps aux tronçonneuses,
pansé malgré tout leurs blessures,
et développé leurs cernes,
Jusqu’à digérer les barbelés,
et infiltrer leurs racines entre les fissures des rochers,
jusqu’à se nourrir des charniers
pour les ressusciter en âmes végétales.
Je vais me réfugier parmi eux.
J’enduirai mon corps de leur sève
et danserai dans leur chanson.
Ils me prêtent déjà, pour écrire,
le papier qui est leur ombre portée,
une ombre blanche, opposée à la nuit ,
et mon écriture pourra peut-être,
avec le récit retrouvé,
refaire naître d’une certaine façon,
le jour.
–
RC – avr 2016
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09/07/2016 | Catégories: photography, self creation | Tags: âmes, écriture, barbelés, blessures, cernes, chabriere, charniers, connaissance, expiration, jour, murmure, neige, nuit, ombre, papier, patience, poumon, sève, tronçonneuses | 3 Commentaires
Passer par le mur de l’eau ( les migrants ) – ( RC )

photo: naufragés maliens sur les côtes italiennes. Provenance Maliactu.net
–
C’est sec, épineux, et ici on mange des pierres .
On survit comme on peut .
Et puis ceux qui ne peuvent pas,
Mangent leur désespoir.
–
Ils se décident alors, à franchir le mur.
Un mur différent des autres.
Pas de béton, ni de barbelés.
Il s’étend à l’horizontale, liquide.
–
Tes frères ont embarqué
Dans des bateaux si lourdement chargés,
Qu’ils penchent de leur poids de misère .
La mer, puisque c’est elle,
–
Se termine dans les esprits, quelque part,
Bien au-delà de l’horizon ,
Par des pays que l’on dit riches .
C’est ce que dit la télévision,
–
Le rêve est à portée de mer.
On ne sait ce qui est vrai,
( Ceux qui sont partis ne sont pas revenus ) ,
Le rêve entretient l’illusion,
–
Nombreux sont les candidats,
Ils ont misé leur vie pour un voyage
qui n’a rien d’une croisière :
Ils ont chèrement payé les passeurs
–
Comme en jouant à la roulette :
Faire confiance au destin, aveugle
Sans savoir où il mène.
Les dés jetés sur le tapis bleu :
–
Avec la question
« Coulera, coulera pas ? »
Cela ne dépend plus de toi
Le mur d’eau reste à franchir :
–
C’est un espace sauvage,
Avec tous ses dangers
La progression est lente ;
Elle n’en finit pas
–
On dit qu’il y eut de nombreux naufrages,
On dit, ( car les morts ne parlent pas ) ,
Mais les cris, avec le gémissement du vent,
Ou les vagues hostiles,
–
Qui se lancent avec fracas
Contre la frêle coque .
Si tu vois un jour les îles,
Des pays étrangers,
–
Tu auras eu la chance, beaucoup de chance,
– remercie les dieux –
De voir de tes yeux
Cette carte postale ! –
–
Que tu pourrais envoyer,
– Si tu survis,-
Une fois arrivé ,
A ceux de ton pays natal.
–
Maintenant, il te faut plonger,
Nager, nager jusqu’à épuisement
Car la traversée ne comprend
pas de canots pour les naufragés.
–
Après cette épreuve redoutable,
Migrant, si ton corps
T’as permis d’arriver à bon port,
Te voilà sur le sable .
–
Mendiant de la vie
Avec une dizaine de rescapés.
Ils ont eu comme toi la chance,
Que le hasard leur ait souri,
–
Touristes malgré eux, arrivés
Dans un club de vacances .
D’autres se sont échoués,
Dans la nuit, dans ce havre.
–
Mais ils sont immobiles,
Sur la plage lisse.
Ce sont des cadavres,
Que vient compter la police.
–
Au concert des nations,
Le mur de la mer,
Est aussi une frontière ,
D’où suinte la misère,
–
Celle des pays en guerre.
Un mur des lamentations .
–
RC – juin 2015
Au sujet des touristes « malgré eux »…on pourra se reporter au film de Costa-Gavras, « Eden à l’Ouest »
ainsi qu’à cet article tout récent relatant la juxtaposition des « vrais » touristes, aux migrants, sur l’île de Kos ( Grèce )
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06/26/2015 | Catégories: actualités, photography, self creation | Tags: îles, barbelés, carte postale, chabriere, chance, coque, croisière, frontière, guerre, hasard, horizontale, illusion, lamentations, liquide, misère, mur, naufrages, passeurs, port, roulette, sable, tapis, télévision, vacances, vagues, voyage | Poster un commentaire
Javier Vicedo Alós – distances
–
Distances
Seule une distance est terrible : la distance entre deux corps. Ces quelques centimètres qui nous séparent des formes anonymes dans les rues, les magasins, les bureaux, les cafés ou notre propre lit. Si proche son pouls du mien, sa faim ancienne et mes mains de pain, et si loin cependant, quelle épaisseur de barbelés dans l’air.
Javier Vicedo Alós, ( né en 1985 ).
–
Distancias
Sóló una distancia es terrible : la distancia entre dos cuerpos. Esos escasos centímentros que nos separan de los bultos anónimos en las calles, las tiendas, las oficinas, los cafés o nuestra propia cama. Qué cerca su pulso y el mío, su hambre antigua y mis manos de pan, y qué lejanía sin embargo, qué tupida alambrada de aire.
—
Traduit par Edouard Pons, Poésie/première n° 59, septembre 2014.
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11/20/2014 | Catégories: Art, auteurs étrangers, d'images, fine arts, sculpture | Tags: barbelés, bureau, café, distance, Javier Vicedo Alós, lit, main, pain, pouls | 1 commentaire
Une partie de brouillard, en eux – ( RC )
PHOTOMONTAGE JULIEN CHUNG, LA PRESSE-
Il y a cet espace
-….vain –
( enfin, on pourrait le deviner,
-
Ouvert devant soi ),
mais sa durée est bouchée
Mais enveloppée de brouillard …
Les sons y deviennent mats,
Et retombent au sol,
–
Aussitôt absorbés, prisonniers
Contre des mois d’immobilité.
–
On ne savait donc rien
De ce qui se passait ailleurs …
Seul l’espoir d’en sortir,
–
Maintenait une étincelle,
Eteinte pour beaucoup,
–
A coups de sévices,
Simples numéros matricules,
Anonymes en tenue rayée,
–
Que plus rien, presque, ne distinguait
Derrière les barbelés du camp.
–
Se nourrissant d’absurdité,
Et de vermine.
A redouter d’être parmi les humains….
–
…Après la longue, longue nuit,
Un matin pâle, s’est levé enfin ,
Ils seraient bien peu,
–
A quitter ces plaines mornes,
Pour un retour au pays
–
Dont ils étaient arrivés à douter
Même , encore, de l’existence,
Emportés si loin,
–
Au-delà du descriptible, avec
Une partie de brouillard, en eux.
–
–
RC – janvier 2014
–
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04/07/2014 | Catégories: actualités, photography, self creation | Tags: absurdité, étincelle, barbelés, brouillard, chabriere, espace, existence, immobilité, loin, matin, matricules, morne, nuit, prisonniers, vain | Poster un commentaire
Denis Heudré – bleu fondu
« Bleu fondu », est paru sur le blog de Denis Heudré
j’écris
derrière mes paupières
des soleils éconduits
des clairières refusées
ma plume barbelée
m’enferme
et rancit
mon encre
je secrets
derrière les mots
au fond du bleu
un bleu fondu
–
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02/03/2013 | Catégories: auteurs à découvrir, d'images, inspiré de bloggers, photography | Tags: barbelés, Denis Heudré, encre, paupères, secrets, soleil, soleils | Poster un commentaire
Martin Ritman – notre monde commence
notre monde commence

dessin – en provenance du spectacle de Gorky ( Frederic Pradal)…
« est ce que on peut voir vos papiers s’il vous plait? »
Les Polices ils m’emmènent dans le commissariat et il me met à côté lui pour bien me garder à la vue.
Dans l’intérieur c’est le couloir avec la lumière forte.
il m’emmène dans le bureau et l’homme il est là, il est grand même assis, il me fait le sourire et… il est beau.
Il me dit tu es qui ? Je dis Gorky. Et tu viens d’où ? Alors Moi je lui dis ma vie.
Et c’est bien parce que il écoute bien.
Je dis quand je suis le bébé, tu sais le bébé j’ai pas les parents alors c’est la famille elle me prend ,
elle fait le voyage des fois un autre pays.
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07/12/2012 | Catégories: d'images, les arts nous parlent, peinture, poètes connus | Tags: automne, bagages, barbelés, commissariat, cri, discours, Gorky, guerre, Martin Ritman, no man's land, nuit, page, papiers, pays, rétention, sanglots, silence, violons | Poster un commentaire
Léopold Sédar-Senghor – Lettre à un prisonnier
Lettre à un prisonnier
Léopold Sédar SENGHOR Recueil : « Hosties noires »
Ngom ! champion de Tyâné !
C’est moi qui te salue, moi ton voisin de village et de cœur.
Je te lance mon salut blanc comme le cri blanc de l’aurore, par dessus les barbelés
De la haine et de la sottise, et je nomme par ton nom et ton honneur.
Mon salut au Tamsir Dargui Ndyâye qui se nourrit de parchemins
Qui lui font la langue subtile et les doigts plus fins et plus longs
A Samba Dyouma le poète, et sa voix est couleur de flamme, et son front porte les marques du destin
A Nyaoutt Mbodye, à Koli Ngom ton frère de nom
A tous ceux qui, à l’heure où les grands bras sont tristes comme des branches battues de soleil
Le soir, se groupent frissonnants autour du plat de l’amitié.
Je t’écris dans la solitude de ma résidence surveillée – et chère – de ma peau noire.
Heureux amis, qui ignorez les murs de glace et les appartements trop clairs qui stérilisent
Toute graine sur les masques d’ancêtres et les souvenirs mêmes de l’amour.
Vous ignorez le bon pain blanc et le lait et le sel, et les mets substantiels qui ne nourrissent, qui divisent les civils
Et la foule des boulevards, les somnambules qui ont renié leur identité d’homme
Caméléons sourds de la métamorphose, et leur honte vous fixe dans votre cage de solitude.
Vous ignorez les restaurants et les piscines, et la noblesse au sang noir interdite
Et la Science et l’Humanité, dressant leurs cordons de police aux frontières de la négritude.
Faut-il crier plus fort ? ou m’entendez-vous, dites ?
Je ne reconnais plus les hommes blancs, mes frères
Comme ce soir au cinéma, perdus qu’ils étaient au-delà du vide fait autour de ma peau.
Je t’écris parce que mes livres sont blancs comme l’ennui, comme la misère et comme la mort.
Faites-moi place autour du poêle, que je reprenne ma place encore tiède.
Que nos mains se touchent en puisant dans le riz fumant de l’amitié
Que les vieux mots sérères de bouches en bouche passent comme une pipe amicale.
Que Dargui nous partage ses fruits succulents – foin de toute sécheresse parfumée !
Toi, sers-nous tes bons mots, énormes comme le nombril de l’Afrique prodigieuse.
Quel chanteur ce soir convoquera tous les ancêtres autour de nous
Autour de nous le troupeau pacifique des bêtes de la brousse ?
Qui logera nos rêves sous les paupières des étoiles ?
Ngom ! réponds-moi par le courrier de la lune nouvelle.
Au détour du chemin, j’irai au devant de tes mots nus qui hésitent. C’est l’oiselet au sortir de sa cage
Tes mots si naïvement assemblés ; et les doctes en rient, et ils ne restituent le surréel
Et le lait m’en rejaillit au visage.
J’attends ta lettre à l’heure ou le matin terrasse la mort.
Je la recevrai pieusement comme l’ablution matinale, comme la rosée de l’aurore.
—————
A lire aussi de L S Senghor; son élégie à Martin Luther-King
–
Paris, juin 1942
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05/26/2012 | Catégories: Afrique, auteurs étrangers, d'images, les arts nous parlent, poètes connus | Tags: Afrique, amour, ancêtres, étoiles, barbelés, brousse, caméléon, destin, flamme, haine, identité, Leopold Sédar Senghor, masques, misère, mort, négritude, paupières, police, sottise | 1 commentaire
Laurent Gaudé – Eldorado -petit extrait
ELDORADO est un roman de Laurent Gaudé ( auteur de Ouragan, et du Soleil des Scorta ( prix Goncourt 2004), qui, ici , nous relate des récits d’exils, de contrôles frontaliers ( en mer ), d’émigration clandestine)… sujet d’actualité

couverture du livre, paru chez Actes/sud
—
voila un court extrait, des Pages 186 –193
J’ai compris que je ne passerais pas ma journée contre un mur, qu’il n’y aurait pas de charité aujourd’hui ni de bénédiction sur le Coran. Ils sont de retour. Je les observe. Ils viennent d’arriver. Nous avons peut-être encore quelques jours. Le temps qu’ils se posent, qu’ils élaborent un plan. Le temps qu’ils reçoivent leurs ordres. Demain, sûrement, ils nettoieront les rues de la ville. Après-demain ce seront les collines. Je dois retourner au camp. Prévenir Boubakar.
La dernière fois, ils avaient fondu sur nous comme des abeilles voraces. En pleine nuit. Les phares de leurs voitures s’étaient allumés en même temps et ils avaient sauté de leurs jeeps en hurlant, matraquant tous les corps qu’ils trouvaient sur leur passage. En un instant, la panique s’était emparée de nous. Tout le monde cherchait son sac, sa couverture, un abri où se protéger des coups. Mais ils étaient venus nombreux. Ils frappaient et lançaient leurs chiens pour nous débusquer comme du gibier. Puis ils mirent le feu. Ils ne l’avaient jamais fait auparavant. Ils aspergèrent d’essence les sacs qu’ils trouvaient, les arbustes. Ils brûlèrent tout. Nos pauvres affaires sur lesquelles nous veillions jour et nuit avec jalousie ont disparu dans une odeur écœurante d’essence. C’est Boubakar qui m’a sauvé. Il a insisté pour que nous quittions la forêt. Cela me paraissait aberrant. Mais il avait raison. C’est la forêt, justement, qui les intéressait. Nous avons couru comme des rats dans la nuit. Et lorsque la forêt fut dans notre dos, le silence nous enveloppa à nouveau. Nous étions allongés, face contre terre. Là-bas, ils frappaient encore.
Là-bas, des sacs de couchage brûlaient et les chiens mordaient les hommes aux mollets. Là-bas, ils faisaient monter dans des camions ceux qu’ils avaient matraqués. Entassés comme du bétail. Sans se soucier de qui saignait, de qui avait un enfant ou ne pouvait plus marcher.
La dernière fois, ils sont venus avec des chiens et de l’essence.
Dieu sait ce qu’ils vont amener cette fois-ci.
Je dois remonter au plus vite. Prévenir tout le monde.
Il va falloir fuir, se cacher, attendre, craindre le pire. A nouveau ne compter que sur ses propres forces. Je resterai avec Boubakar quoi qu’il advienne. Jai plus confiance en lui qu’en quiconque. Les litres l’appellent « le tordu ». Pour moi, c’est Boubakar et je n’irai nulle part sans lui. Il ne court pas vite mais il connaît tous les trucs. Sept années de survie. Il faut que je le prévienne. Il saura que faire pour échapper aux policiers. Il ne sait pas courir, mais il est obstiné. Qui sait si j’aurais tenu sept ans, moi, alors qu’au bout de huit mois je me sens déjà épuisé ?
Lorsque je suis arrivé au camp, d’autres que moi, déjà, avaient donné l’alarme. La nouvelle était sur toutes les lèvres : « Les Marocains sont de retour. » L’agitation régnait partout. Certains faisaient leurs paquets, prêts à partir. D’autres se demandaient où ils allaient pouvoir se cacher.
Une réunion des chefs fut décidée. Nous sommes plus de cinq cents, entassés ici, au milieu des arbres et des couvertures. Il y a un chef par nationalité. Les Maliens, les Camerounais, les Nigérians, les Togolais, les Guinéens, les Libériens, chaque communauté a désigné un chef pour prendre les décisions qui concernent le camp tout entier. Boubakar est parmi eux. Ce n’est pas un chef mais son avis est écouté. Il est le doyen d’entre nous. On respecte la longueur de son errance et la force dont il a fait preuve pour ne pas plier face à tant d’adversité.
Les chefs se sont mis à l’écart, pour ne pas être importunés par nos commentaires. Nous avons attendu, avec inquiétude, leur délibération. Et puis ils sont revenus vers nous, et Abdou nous a dit qu’ils avaient décidé d’essayer de passer. Nous sommes restés interdits. Quand ? Comment ? Abdou a expliqué que nous avions peut-être encore une journée et une nuit avant que les policiers n’attaquent. Il fallait les prendre de vitesse. Tenter notre chance demain soir. Djouma, un Malien, a demandé comment nous nous y prendrions. Abdou a répondu en parlant fort pour que tous entendent :
— Si nous nous ruons sur les barrières de Ceuta, de nuit, si nous sommes aussi nombreux à courir avec rage, ils ne pourront pas tous nous arrêter. C’est à cela qu’il faut travailler désormais. La barrière qui sépare Ceuta du Maroc fait six mètres de haut. Mais il est des endroits où elle n’en fait que trois. C’est là que nous attaquerons. Nous avons la nuit et la journée de demain pour construire des échelles. Il faut partir à l’assaut de Ceuta comme d’une citadelle. Si nous passons de l’autre côté, nous sommes sauvés. Une fois passés, nous ne pouvons plus être renvoyés. Une fois passés, nous sommes riches. Il suffit d’un pied posé sur la terre derrière les barbelés, un petit pied pour connaître la liberté.
Les explications d’Abdou provoquent une vaste rumeur dans nos rangs. C’est la première fois que nous entendons parler d’une chose pareille. D’ordinaire, ceux qui tentent leur chance le font par petits groupes. Là, nous sommes cinq cents. J’essaie de retrouver Boubakar dans la foule. Il me sourit lorsqu’il me voit venir à lui. Je n’ai pas cessé de penser à lui depuis qu’Abdou nous a annoncé la nouvelle. Je suis mortifié. « Que vas-tu faire, Boubakar ? » Il ne répond pas tout de suite. Il me sourit. Puis il dit doucement : « Je vais courir. » Je pense alors à sa jambe tordue. Je pense à cette malédiction qui le rendra trop lent, trop maladroit. Je pense qu’il n’a aucune chance et qu’il le sait certainement.
— Tu n’as pas essayé de les convaincre de faire autrement ?
— C’est la seule idée qui vaille, me répond-il avec douceur.
Je veux être sûr qu’il a conscience de la folie de son entreprise, alors j’insiste :
— Tu vas courir ?
Il répond sans hésiter :
— Oui, avec l’aide de Dieu.
Sa voix est ferme et tranquille. Je vois dans ses yeux qu’il ne dit pas cela pour me rassurer. Il va courir. De toutes ses forces. En claudiquant. Mais il y mettra sa rage. La détermination de Boubakar me fait baisser les yeux. Il le voit. Il ajoute : « Ne perdons pas de temps. Il faut construire les échelles. » Alors, dans la forêt de notre clandestinité, commence un immense chantier. Nous coupons les branches, taillons, clouons. Des échelles de fortune naissent au creux de nos bras. Il faut les faire solides et hautes. C’est sur elles que nous prendrons appui pour le grand saut. C’est de leur solidité que va dépendre notre vie à venir. Si elles craquent, nous sommes condamnés à nouveau à l’attente et au désert. Si elles tiennent, nous foulerons la terre de nos rêves. Nous mettons toute notre attention et notre art dans la construction de ces échelles. Il en pousse de partout. Chacun veut la sienne. Il faut que nous puissions en tapisser les barbelés.
Je travaille avec acharnement. Et je me sens fort. Nous allons courir. Oui. Et même Boubakar le tordu sera plus rapide qu’un jaguar. Nous allons courir et rien ne nous résistera. Nous ne sentirons pas les barbelés. Nous laisserons des traînées de feu sous nos pieds. Et au petit matin, lorsque les forces de police marocaines viendront incendier notre campement, elles ne trouveront qu’une forêt vide – et quelques oiseaux qui riront de leur inutilité.
Nous sommes allongés dans les hautes herbes depuis plus de deux heures. Immobiles. Scrutant la frontière à nos pieds. La colline est pleine d’hommes qui épient la nuit avec inquiétude. Cinq cents corps qui essaient de ne pas tousser. De ne pas parier. Cinq cents hommes qui voudraient être plats comme des serpents. Nous attendons. C’est Abdou qui doit donner le signal. Il est à peu près deux heures du matin. Peut-être plus. A nos pieds, nous distinguons les hauts barbelés. Il y a deux enceintes. Entre les deux, un chemin de terre où patrouillent les policiers espagnols. Il va falloir escalader deux fois. Chacun scrute ces fils entortillés en essayant de repérer un endroit plus propice à l’assaut. C’est si près. Nous sommes à quelques mètres de notre vie rêvée. Un oiseau ne mettrait pas une minute à franchir la frontière. C’est là. A portée de main.
Les policiers espagnols ne sont pas très nombreux. Une vingtaine à peine. Mais, le long de la première barrière, il y a aussi des postes marocains. Combien d’entre nous vont passer ? Qui réussira et qui échouera ? Nous n’osons pas nous regarder les uns les autres, mais nous savons bien que tout se joue maintenant. Et que tout le monde ne passera pas. Cela fait partie du plan. Il faut que certains échouent pour que les autres passent.
Il faut que les policiers soient occupés à maîtriser des corps, pour que le reste de notre bande soit libre de courir. Je me demande ce que je vais devenir. Dans quelques heures, peut-être, je serai en Espagne. Le voyage prendra fin. J’aurai réussi. Je suis à quelques heures, à quelques mètres du bonheur, tendu dans l’attente comme un chien aux aguets.
Tout à coup, j’entends Boubakar s’approcher de moi et me murmurer à l’oreille : « Quand nous courrons, Soleiman, promets-moi de courir le plus vite possible. Ne t’occupe que de toi. Promets-le-moi. » Je ne réponds pas. Je comprends ce que me dit Boubakar. Il me demande de ne pas me soucier de lui. De ne pas l’attendre ou l’aider. D’oublier sa jambe tordue qui l’empêchera d’avancer. Boubakar me demande de ne pas regarder ceux qui courent à mes côtés. De ne penser qu’à moi.
Et tant pis pour ceux qui chutent. Tant pis pour ceux qu’on attrape. Je dois me concentrer sur mon souffle. C’est cela que veut Boubakar. Comme je n’ai toujours pas répondu, il me pince dans la nuit en répétant avec insistance : « Promets-le-moi, Soleiman. Il n’y a que comme ça que tu passeras. » Je ne veux pas répondre à Boubakar.
Nous allons courir comme des bêtes et cela me répugne. Nous allons oublier les visages de ceux avec qui nous avons partagé nos nuits et nos repas depuis six mois. Nous allons devenir durs et aveugles. Je ne veux pas répondre à Boubakar, mais il continue à parler et à me serrer le bras. « Si tu tombes, Soleiman, ne compte pas sur moi pour revenir sur mes pas. C’est fini. Chacun court. Nous sommes seuls, tu m’entends. Tu dois courir seul. Promets-le-moi. » Alors je cède. Et je promets à Boubakar. Je lui promets de le laisser s’effondrer dans la poussière, de ne pas l’aider si un chien lui fait saigner les mollets. Je lui promets d’oublier qui je suis.
D’oublier que cela fait huit mois qu’il veille sur moi. Le temps de l’assaut, nous allons devenir des bêtes. Et cela, peut-être, fait partie du voyage. Nous éprouverons la violence et la cécité. La fraternité est restée dans le bois. Nous lui tournons le dos. C’est l’heure de la vitesse et de la solitude.
« Si Dieu le veut, nous nous retrouverons là-bas », murmure Boubakar en me tapotant l’épaule. Et il reprend sa position dans l’herbe. Nous nous en remettons à Dieu parce que nous savons que nous ne pouvons pas compter sur nous. Nous serons sourds aux cris de nos camarades, et nous prions que Dieu ne le soit pas. Il me semble que ces instants passés dans l’herbe à attendre l’assaut me font vieillir davantage que le voyage à travers le désert. Il n’y a pas que les difficultés que nous rencontrons, l’argent à trouver, les passeurs, les policiers marocains, la faim et le froid. Il n’y a pas que cela, il y a ce que nous devenons. Je voudrais demander à Boubakar ce que nous ferons si, une fois passés de l’autre côté, nous nous apercevons que nous sommes devenus laids. Boubakar veut que je coure et je courrai. Et s’il m’appelle, s’il me supplie, je ne me retournerai pas. Je n’entendrai même pas ses cris. Je vais me fermer aux visages qui m’entourent. Je vais me concentrer sur mon corps. Le souffle. L’endurance. Je serai fort. C’est l’heure de l’être. Une fois pour toutes. Mais je me pose cette question : si je réussis à passer, qui sera l’homme de l’autre côté ? Et est-ce que je le reconnaîtrai ?

photo: clandestin du Zimbabue. Photo Geo
L’évènement dont il est question ici n’a rien d’une fiction, le reportage visible sur dailymotion, relate exactement les mêmes faits…
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04/16/2012 | Catégories: photography | Tags: assaut, échelle, barbelés, chiens, feu, frontière, gibier, incendie, Laurent Gaudé, nuit, policier | 3 Commentaires