Gustave Roud – Neige, bataille des anges
peinture: Armand Guillaumin – neige à Crozant
Au-delà des fenêtres, hier,
cette bataille d’anges !
Purs blancheurs par myriades épaissies
noircissaient le ciel de fausses ténèbres:
une ruée silencieuse,
un désarroi de feuilles mortes,
ces corps jusqu’à la vraie nuit précipités
sans fin sur le jardin terrassé ..
Et les voici qui dorment au matin,
lutteurs légers roulés dans leur grande aile
de sel étincelante,
les membres déjà troués de tiges et de fleurs vives,
neige de l’absolu, charnier de givre,
neige des signes
trop tôt descendue,
fondue en pluie grasse
et bue âprement par les racines aux abois.
Norbert Paganelli – Quien eres
Quien eres ( qui es-tu ? )
peinture:
Nicolas Cotton
Moi je n’aurai jamais voulu cela :
cette profusion de chaleur et ces éclats de guerre.
Les affres de la bataille que se livrent les éléments
n’ont jamais acquis ma sympathie profonde.
Je connais, certes, les bruits rapportés des combats
et les plumes recouvrant les casques ciselés.
Ainsi que les armes dont les couleurs de feu m’avaient jadis envouté
mais jamais je n’ai succombé à l’or des trophées
On m’avait dit que le miel était ailleurs et j’ai fait comme si,
comme si cela devait durer
dans l’éclat sobre d’une grande quiétude.
Il m’est arrivé de ne pas suivre ma propre trace,
ce n’est pas une raison suffisante
pour m’exiler loin de mon serment.
Dans l’éclat sombre d’une grande quiétude
je n’ai trouvé qu’une goutte de miel
pour refléter le monde et sa solitude :
point de sympathie pour le fracas des armes
et les couleurs de feu.
Personne ne partage l’or des trophées.
C’est un domaine lointain de civilisations englouties
où les casques ciselés d’argent
sont depuis longtemps enfouis
dans les tombes ou les musées.
Rien ne dure,
et l’intensité du feu décroît,
à mesure que s’installe le froid,
et que les raisons même de la guerre
se diluent dans l’oubli.
Le feu d’artifice envoie ses étincelles
dans un éclat éphémère…
Tu ne pourras suivre
que tes propres traces,
avant que la mort ne les efface .
RC – mars 2022
L’abandon des cuirasses – ( RC )
Des décombres et poutres fumantes,
les restes des samouraïs
que l’on voit après la bataille
et, contre toute attente
perdus au milieu de champs magnétiques .
Le masque de quelqu’un a occupé la place,
et se cache derrière leur face
– un sourire énigmatique – .
De quelle espèce, de quelle famille … ?
une trace que l’existence imprime,
le regard indécis de l’anonyme,
comme dans la roche, un fossile .
Ainsi, des tenues de protection
les mineurs au corps absent …
Il en reste l’habit pesant,
devenu, au musée, pièce à conviction .
L’activité est suspendue ,
faute de rentabilité ;
les mines ont périclité,
des fantômes d’ouvriers, semblables à des pendus .
Des êtres vidés de leur substance
ont abandonné leurs cuirasses :
le passé est voué à la casse ,
à mesure que l’on avance….
–
RC – juin 2017
- cet écrit a rapport à un précédent » musée de la mine »… qui évoque celui de St Etienne.
Jean-Baptiste Tati-Loutard – Congo

peinture Antoni Tapiès: Llencol
Congo
Le silence debout parmi nous atteint le ciel :
Un poète a vécu…
C’était un nègre d’Amérique : un précipité noir
Au fond d’un mélange d’azur et de Yankees.
Les soleils futurs chercheront longtemps son visage
Par les chemins du monde et les champs de bataille.
Son corps de terre cuite s’est brisé dans la lumière :
La cassure est là toute fraîche et toute franche,
Cristal d’une étoile coupée à ras d’azur ;
Et la vie gravite encore autour de l’astre mal éteint.
C’est sûr, ô poète, l’herbe ne poussera pas
Autour de ton nom :
Ton verbe est la source qui nous fournit en eau vive,
Et les âmes de tous les braves en reverdissent.
Que celui qui l’ignore aujourd’hui en soit heurté
Par un jour de grand vent,
Car désormais, il navigue à la proue de l’orage
–
Jorge Luis Borgès – Tankas

peinture: Max Beckman: le rêve du soldat 1942
Tankas
.
.
1
.
En haut sur la cime
Le jardin entier est lune,
Lune d’or.
Plus précieux le frôlement
De ta bouche dans l’ombre
.
2
.
La voix de l’oiseau
Que la pénombre recouvre
On ne l’entend plus.
Tu marches dans ton jardin
Quelque chose, oui, te manque.
.
3
.
La coupe d’un autre,
L’épée qui fut une épée
Dans une autre main,
La lune de cette rue,
Dis-moi, n’est-ce pas assez ?
.
4
.
Il est sous la lune
Le tigre fait d’or et d’ombre
Il fixe ses griffes
Il ne sait pas qu’au matin
Elles ont tué un homme.
.
5
.
Triste cette pluie
Qui sur le marbre s’égoutte,
Triste d’être terre.
Triste, n’être pas les jours
De l’homme, le rêve, l’aube.
.
6
.
N’être pas tombé
Comme d’autres de ma race,
Au champ de bataille.
Être dans la vaine nuit
Seul à compter les syllabes.
.
.
Emily Dickinson – la Terre est brève
–
Je me dis : la Terre est brève –
L’Angoisse – absolue –
Nombreux les meurtris,
Et puis après ?
Je me dis : on pourrait mourir –
La Meilleure Vitalité
Ne peut surpasser la Pourriture,
Et puis après ?
Je me dis qu’au Ciel, d’une façon
Il y aura compensation –
Don, d’une nouvelle équation –
Et puis après ?
On apprend l’eau – par la soif
La terre – par les mers qu’on passe
L’exaltation – par l’angoisse –
La paix – en comptant ses batailles –
L’amour – par une image qu’on garde
Et les oiseaux – par la neige
I reason, Earth is short—
And Anguish—absolute—
And many hurt,
But, what of that?
I reason, we could die—
The best Vitality
Cannot excel Decay,
But, what of that?
I reason, that in Heaven—
Somehow, it will be even—
Some new Equation, given—
But, what of that?
–
Émily Dickinson
–
Curieusement ayant cherché « l’original », je n’ai trouvé que trois strophes…
Cribas – (J.I 72)

installation- objet: Rebecca Horn
Cribas, encore, avec un de ses publications anciennes.. et toujours une utilisation des mots, très particulière et attachante…
voir son site
Tout ce qu’on a dit de bruyant
Même le silence retrouvé
Ne nous le pardonnera pas tant
Que nos combats seront ébruités
Se battre contre qui
Se débattre pourquoi ?
Quelle farce cette vie
Qui trace des petites croix
Dépressions au dessous
De l’art ceinturé
Les petites fleurs d’été
N’ont pas vu le jour
Il entend un cri qui vient de tout en bas. Il saute le pont. Il fait le mauvais pas. L’air vole une dernière fois, sans faire le bruit du mur.
La vie ne sait pas le bruit. Le silence est une poche d’existence.
Tout ce qu’on a rit en fuyant
Pour abrutir le clown
Lui sur sa balustrade d’argent
Trois fois rien dans les fouilles
Se combattre pour qui
S’abattre pourquoi ?
Quelle force cet ennui
Qui passe pour qui sait quoi
Des torsions de fou
Vomies des remparts
L’embolie des dessous
Les réveils sans hasard
Il prétend être déjà mort dix fois. De maux de tête et de mauvaise foi. Les poètes en colère et leurs pas de travers, bruyants.
Le mauvais poète sourit, et d’un coup de baguette magique fait retentir sa pauvre cloche.
Ça lui fait mal au nœud dans sa tête.
C’est l’heure du baptême
Avec du feu dans l’air
Un souffle sur ses batailles
Chuinté par ceux qui l’aiment
Dépressions au dessus
Des ceintures noires d’aubépines
L’homme s’élève à l’insu
Des coups bas de la rime
Il descend les étages
De sa tour quatre à quatre
Souriant sa victoire
Aux lucarnes des nuages

Installation-volume: Rebecca Horn "Simone de Beauvoir"
Il s’entend revivre pour une fois, le poète, juste avant de mourir comme une dernière phase. Le temps poisse et la caravane de tête se prélasse. On ne les reconnaît pas, même s’ils sont las ils se lassent en cachette, les poètes au rez de chaussée avec les clowns !
Cribas 08.10.2007
Pablo Neruda – Le pied
Le pied
Le pied d’un enfant ne sait pas qu’il est pied
il pense être pomme ou papillon
Ce sont les choses familières
vitres, pavés, rues, escaliers,
chemins de terre battue
qui lui apprennent qu’il ne peut pas voler
ou qu’il pas un fruit rond sur une branche.
Très vite la bataille est perdue
il est vaincu
fait prisonnier
et condamné à vivre dans une chaussure.
Petit à petit, il découvre le monde
sans lumière
sans connaître l’autre pied,
lui aussi incarcéré,
explorant la vie comme un aveugle.
Ses ongles sont des grappes de quartz
qui durcissent et deviennent
matière opaque, cornue
et les petits pétales d’enfants
s’aplatissent et prennent la forme
de reptile sans yeux
têtes triangulaires du ver-de-terre.
Se couvrent de cals
de minuscules volcans de la mort
d’inacceptables cors.
Mais cet aveugle continue de marcher
sans trève, sans halte
heure après heure
un pied après l’autre
devenu la propriété d’un homme
ou d’une femme
en haut
en bas
dans les champs, les mines
les grands magasins, les ministères
devant
derrière
dehors
dedans
à peine le temps d’être nu
dans un moment d’amour
ou de rêve
le pied et sa chaussure
marche, marchent
jusqu’à ce que l’homme entier s’arrête.
Maintenant il est en terre
mais il ne le sait pas
parce que tout est obscur
dans cet endroit
il n’a jamais su qu’il n’était plus pied
et si on l’enterrait pour qu’il devienne pomme
ou pour qu’il puisse voler.
(traduit de Estravagario)
sculpture: - H Matisse Pied ( étude)
Jean-Luc Lagarce – j-etais-dans-ma-maison-et-j-attendais-que-la-pluie-vienne-
Jean-Luc Lagarce, écrivain, auteur d’un journal conséquent, et auteur de nombreuses pièces de théâtre, dont celle-ci , entendue en lecture, récemment, en extrait.,par des comédiens de la compagnie « Nocturne » – troupe de Clermont l’Hérault (34).,et qui présentera bientôt à Mende ( le 7 février)– « Le pays Lointain »,– du même auteur.
voila le « scénario ».de « j’étais dans ma maison »
J’étais-dans-ma-maison-et-j-attendais-que-la-pluie-vienne-
Cinq femmes dans la maison, vers la fin de l’été, de la fin de l’après-midi au matin du lendemain, lorsque la fraîcheur sera revenue et que la nuit et ses démons se seront éloignés.
Cinq femmes et un jeune homme, revenu de tout, revenu de ses guerres et de ses batailles, enfin rentré à la maison, maintenant, épuisé par la route et la vie … revenu à son point de départ.
Elles tournent autour de ce jeune homme, elles le protègent et se rassurent aussi les unes et les autres.
Elles marchent à pas lents, elles chuchotent leur propre histoire, cette absence d’histoire qu’elles vivent depuis qu’il les quitta, et son histoire à lui, sa longue ballade à travers le monde, sa fuite sans but et sans raison.
C’est une lente pavane des femmes autour d’un jeune homme endormi. On lutte une fois encore, la dernière, à se partager les dépouilles de l’amour, on s’arrache la tendresse exclusive.
On voudrait bien savoir.
Les soeurs et les épouses et les mères encore, et les amantes qu’on oublia et celles qu’on ne voulait pas voir, dont on ne voulait pas comprendre le désir et qui attendent, qui promirent d’attendre et qui le firent, au-delà du raisonnable, qui détruisirent leurs vies, leurs pauvres vies inutiles, à ne rien faire d’autre qu’attendre, en vain, sans autre raison que surveiller la vallée, la route qui descend vers la vallée et dont on perd peu à peu la trace, …