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Alexandre Vialatte – Lapin


extrait de son recueil  » bestiaire »

Il est en pain d’épices.
Sur une affiche voyante. Il chante la gloire du pain d’épices.
Jamais on n’a vu tel lapin ; plus entraînant, plus décidé, plus franchement parti pour la gloire.

Il passe en trombe, il défile en fanfare, il vous gifle du vent de sa marche exaltée.
On quitte son chemin, on le suit, il électrise, les promeneurs lui emboîtent le pas.
On ne sait où il va, le sait-il ?
En tout cas il y va si vite que ça doit être extrêmement pressé.

Sous le bras gauche, il porte un pain d’épice, et de l’autre il joue de la trompette.
Le nez au vent, « la tête aux deux dressée » comme Josué autour de Jéricho.
Jamais personne n’a cru au pain d’épices avec une conviction si purement exclusive de tout ce qui n’est pas pain d’épices, avec une hâte si fébrile, avec une foi si claironnante, avec une fierté si hardie.
Ne nous trouvons pas sur son chemin, nous tomberions dans le vent de sa trompette.
Dépêchons-nous, quelqu’un a dû lui dire où se cachait le vrai secret du pain d’épices. Il court, il vole, c’est un chasseur à pied, c’est un zouave de Déroulède.

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Ménagerie de papier – ( RC )


( un hommage  à Tennessee Williams, et  Chr Boltanski )

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installation:  Chr Boltanski

 

 


             Petit zoo miniature,
de la ménagerie …
objets de prix,
en villégiature
     deux par deux
se suivent à la queue leu-leu,
sur les étagères…
petites choses en verre…

          Vous auriez pu choisir,
pour parader à loisir
entre deux pots de bière,
une autre matière:
       celle un peu plus malléable
que l’on trouve sur la table,
juste des morceaux de papier,
que je pourrais plier.

         Trente millions d’amis,
tous en origami,
certifiés d’origine,
occupant la vitine,
en état de marche:
            tout le bestiaire,
à l’abri des courants d’air :
–      une nouvelle arche.

         Comment s’est-elle échouée là
à côté de la penderie,
la vitrine de la ménagerie
où se reflète le matelas
et deux ou trois caisses ?
les restes d’un naufrage:
l’arche après l’orage
( et toute la chambre en détresse ).

         En fait, vous avez compris,
j’occupe mes nuits
à transformer les légendes,
en une sorte de sarabande,
où l’hiver se tient au chaud,
quand je découpe aux ciseaux
tout un parc arboré, et un zoo,
pour tous ces animaux.

         Ce sont des rêves fragiles,
qui dérivent comme les îles
que je prélève dans un cahier
en faisant des bandes de papier :
promis à la déchirure,
où la part de l’écrit se disloque elle-même
on dira que les poèmes
trouvent une seconde nature.

       Mais les rêves refusent de se faire attraper,
dragons et tigres de papier
ont pris leur indépendance
( quand le chat n’est pas là, les souris dansent ! ),
          si on regarde toutes ces bêtes,
la nuit leurs ombres se projettent
sur le plafond
et comme il se doit, le manège tourne en rond.

Les corbeaux et les canards
partagent le cauchemar,
du cahier sur la table:
          le château sera de sable
un souffle, une petite averse,
et tout se renverse,
sans même un cri,
         ( rêves en confettis ).

        C’est la fin de la procession :
cela tourne à l’obsession:
le manège occupe maintenant la malle,
et tout ce petit monde s’emballe,
aussi,    le matin,        de bonne heure,
quand tout le monde semble dormir
je me transforme en inquisiteur,
et décide de l’avenir .

         Ce sera bien un drame
quand je livrerai aux flammes
pieds et poings liés
ce monde de papier…
       Souhaitons qu’une autre matière
puisse échapper à l’enfer:
Choisissons-la moins éphémère
–        une ménagerie de verre fera l’affaire         –


RC – août 2017

 


Le bestiaire – ( RC )


P1310617.jpg

Tu ne les as jamais vus
mais tu t’en fais une idée
à ce qu’on t’a colporté :
        Ils ont tendance, à leur insu
à se cristalliser
pour prendre consistance,
se construire une existence,
et se matérialiser.

Ce sont des récits épiques
avec des animaux hors norme
aux curieuses formes :
          des bêtes fantastiques…
que l’on dessine
et dont aucun dictionnaire
ne comporte d’exemplaire ,
               car tu l’imagines

aussi bien que je te vois :
un griffon sanguinaire ,
un aigle t’emportant dans ses serres,
des reptiles à trente doigts …
             Ils sèment l’inquiétude
dans les récits bibliques ,
( sans précision anatomique
ni grande exactitude ) .

Autun Cathedral Choir Capital - The First Temptation of Christ 12265096776.jpg

 

 

Cela remonte au plus profond des âges :
ce dragon a une mauvaise haleine   :
          compter neuf têtes à l’hydre de Lerne :
les légendes demeurent et voyagent .
Et si on parle d’animal,
on voit dans les fresques comme à travers le temps :
               ainsi ces figures d’éléphants
de l’armée d’Hannibal .

Ils nous semblent bien bizarres,
eux qu’on trouve sculptés dans les chapiteaux ,
par rapport à ceux qu’on voit en photo :
                l’imaginaire nourrissant l’art.
La comparaison n’est pas de mise :
Si on les reconnait pourtant
c’est bien que des éléments
rappelent leur présence grise…

Ce n’est pas un corps de libellule ,
et de grands yeux étonnés
côtoient une trompe ressemblant davantage à un nez
avec des oreilles minuscules .
               Les hommes les représentant
ne l’ont fait           que par ouï-dire
un vague récit pour les décrire ;
un souvenir persistant

de légendes terribles :
de ces récits rapportés,
                il a suffi de les interpréter
et de les rendre plus visibles
( et donc plus concrets
dans leur apparence ):
de quoi nourrir les croyances,
les faisant passer pour des faits .

Toutes les variations étant permises ,
il n’est pas étonnant que l’imaginaire
abonde dans le bestiaire ,
et qu’on l’utilise
souvent dans la religion :
               la bête,          opposée à l’humain
( et à plus forte raison aux saints )
est objet de suspiscions

et de hantise
pour l’inconscient collectif ,
             voila donc le motif
qui les place en dehors de l’église
souvent agressifs
et symboles de terreur ,
beaucoup plus rares à l’intérieur.
Des moutons, et autres inoffensifs

accompagnent les humains .
Ce sont des animaux domestiques
beaucoup plus pacifiques
qui occupent le terrain
            Pas de vautours
ni oiseaux de proie
autour de la croix
ce serait plutôt basse-cour.

On voit bien , avec les rois mages
             l’âne et le boeuf,
avec un petit Jésus ( tout neuf ),
réunis pour une belle image
             comme une photo de groupe
par contre pas de loup , ni de renard :
ce n’est pas pas hasard
qu’ils ne sont pas dans la troupe !

Il fallait bien faire une sélection :
on ne pouvait pas rassembler tout le monde
à des kilomètres à la ronde :
            ne sont venus à la réunion
que les animaux familiers
qui accompagnent
les paysans de nos campagnes
( pas les fourmiliers

ni les dromadaires
pourtant sympathiques ):
          les exotiques
du bout de la terre
pouvant rester chez eux ,
car ceux des tropiques
ne correspondent pas à la symbolique
décidée par les dieux

et puis de toute façon
on a beau faire des prouesses,
on ne peut y mettre toutes les espèces :
        —- il y en a à foison  !
– on a choisi les plus communs
>          les résultats de cette élection
mènent bien à une discrimination:
on en prend       quelques uns

que chacun peut identifier :
               entre les allégoriques
            les fantastiques,
        les carnassiers
    et herbivores,
il y a abondance
et même concurrence :
          une vision multicolore

A l’instar des papillons ,
on pourrait en dresser un catalogue ;
           ce ne sont pas nos homologues
– il y en a des millions –
les bêtes des antipodes
ou des profondeurs
ont aussi leurs admirateurs
( comme les scarabées et gastéropodes ) .

RC – juin 2017

 

Elephant and Castle (Fresco in San Baudelio, Spain) - Art mozarabe — Wikipédia