Des rêves qui s’effacent – ( comme au fond d’un encrier ) – ( RC )

Nos rêves se plient,
se frottent à la cendre,
aux cartes du ciel
qui bascule
un jour d’automne
- pour mettre le vent
dans sa poche.
Ils seraient semblables
à ces moissons du ciel,
qui couchent les blés
après la canicule
d’un été de soif ;
Que chantent ils ?
Des ailleurs où jamais
nous ne sommes ?
Nos traces sur la page
qui s’effacent
au fond d’un encrier.
L’ombre de nos paroles
n’en est jamais sortie :
autant boire au goulot
de la bière tiède
et regarder la mer,
qui, toujours indolente
sommeille
sous un quartier de lune.
Jamais nous ne pourrons l’attraper,
et nos rêves dérivent
à sa surface, chimériques,
comme une rose qui s’éteint,
dans leurs reflets changeants.
La tombe de l’écrivain – ( RC )
provenance photo: philippocock.net
Il y aura un cube de grès rose,
dressé en lisière des bois,
une borne, à priori des plus banales,
( qui n’est pas kilométrique ).
En effet on s’y repose,
aussi bien on s’y assoit,
quoi de plus normal,
après la gymnastique.
Certains y laissent
quelques souvenirs,
de petits cailloux,
une canette de bière.
Les amoureux s’y pressent,
en mains et en soupirs .
C’est le lieu du rendez-vous,
plus que de la prière.
La mousse s’y incruste,
le lierre prolifère,
Pourtant ce volume ne porte
pas de date , mais des noms gravés.
Ce n’est pas un buste,
Mais une simple pierre,
posée de la sorte,
juste au bout de l’allée.
Entourée d’herbe verte,
et de pins qui penchent,
elle marquerait le dernier lit,
du célèbre écrivain :
une tombe offerte
comme une page blanche
qui attendrait encore des écrits,
confiés à d’autres mains .
Echappée de l’enclos
étroit du cimetière
on viendrait comme dans la supplique
de Brassens, y faire d’affectueuses révérences
Entre le ciel et l’eau
A moitié enfouie dans la terre
discrète et monolithique ,
prolongeant dans le temps, son acte de silence .
–
RC – fev 2016
Roberta Hill Whiteman – Les étoiles du coeur de l’hiver.
Les arbres d’en face dans la rue m’ont aimée
pendant ton absence.
L’étoile polaire prise dans les branches
de l’orme de la cour se brouille
quand je la regarde directement et traverse
le coeur de l’hiver plus lentement que les autres étoiles.
Chaque fois que tu passais par ici, la forêt
s’emplissait de signes. Un creux dans l’herbe tendre
signifiait qu’un cerf avait dormi.
Des traces de sabot dans le sable
conduisent à travers les buissons et les feuilles mortes
jusqu’aux pistes effacées. je regardais les ombres
indigo devenir grises.
Comme d’autre obsessions, cela changera,
mon bras était encore heureux, engourdi
par ton poids. J’apprenais les signes faciles :
connaître les nuages, pister dans la neige.
Je tombais avec chaque flocon et voulais recouvrir
les arbres, les immeubles,
les coins où tu achetais de la bière,
les voitures et les ponts
ces lieux synonymes de désespoir.
Il y a des endroits où je ne me suis jamais sentie à l’aise,
où quelque chose tapote contre la vitre,
le nerf de boeuf d’un flic ou l’amertume de la vie.
Qui est le chasseur ? qui est chassé ? qui survit ?
Ce cercle froid vacille sans cesse.
Je ne pourrais jamais accepter ni le début ni la fin.
Tu trouveras de l’autre côté de l’hiver
des crocus tremblant dans une aube bienfaisante.
Je projette de rejoindre le cerf
car dans l’obscurité, les arbres barrent ma fenêtre
et pas une seule ombre ne bouge.
–
Roberta Hill Whiteman
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Sans choisir forcément la couleur – ( en évoquant Bukowski ) – ( RC )

photo: Guillaume Gaudet voir son site
–
Sans choisir forcément la couleur,
Tu serais là, au volant d’une vieille Chevy,
Avançant – comme il se doit –
Sur l’asphalte, qui n’en finit pas.
Sans choisir forcément la couleur,
Il se trouve que tu es né blanc,
C’est un bon choix aux ZétatsZunis,
> En dehors des imprévus.
Ainsi va la vie, ça roule,
Ca cahote aussi, la route,
Elle a ses trous, la carrosserie aussi,
Elle tient la distance – jusqu’à quand ? –
Toi aussi, dans ta vieille Chevy.
> Il s’avère que t’es poète,
La poésie l’a signé, toi, désigné,
– Charles Bukowski.
Bon, ok, tu vas comme tu picoles,
Dans la caisse dont tu ignores la couleur,
( la Chevy, plusieurs packs de bière ),et seul
– Tout ce qu’il faut d’alcool
Pour tenir la route,—- qui n’en finit pas,
Enumérer les états: Ohio, Idaho, Oklahoma
> Tous ces noms rappelant
Ceux des peaux-rouges
– Y en a plus beaucoup d’ailleurs,
Très gênants pour la ruée vers l’or
Sans avoir là, la bonne couleur,
Mais , leurs noms marquant le décor,
Tandis que se déroule,
Sur l’horizon, le ruban des heures,
Eteignant progressivement ses couleurs,
Des bouteilles, on distingue à peine … les étiquettes.
–
RC – 10 août 2013
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Sirène du comptoir ( RC )
Elle, sirène du comptoir
Essuie les verres
Et frotte ses mains sur son tablier.
Elle, sirène, n’a pas un regard
Sur le soleil au dehors,
Il rebondit sur les flaques
Lui, repose sa bière et se lève, lourd
Glisse une pièce dans le juke-box
Un temps – et l’appareil s’anime.
Le bar se remplit de la voix
D’un Fats Domino, qui parle de fruits noirs…
Lui, revenu à sa table, l’oeil ailleurs…
Associe fraises et néons jaunes
Entraînés par le slow, avec une sirène brune,
Elle sirène, a laissé sa queue au vestiaire
Et maudit ses pieds lourds
Surveillant l’heure , reflétée à l’envers
Dans la glace du fond ( celle aux néons jaunes)
Les fraises se sont envolées, — et la chanson éteinte…
–
RC -26 mars 2013
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Philippe Delaveau – Bistrots de Paris
BISTROTS DE PARIS
On est debout devant le zinc et sous l’œil simple
et bleu du patron qui s’active il arbore
une moustache artistique en balai-brosse
tandis que l’ivresse égare un monde incertain
qu’alimente la truelle d’un monologue à son propre rythme
lent parfois pâteux de bâtisseur de mondes ce sont les vignes
venues à Paris déverser leurs vendanges vers le métal
des tubes et des sièges les glaces réfléchissent les visages blancs
la sueur au front qui perle chez ceux qui reconstruisent
patiemment mais le poème est mort et les murs s’écroulent
éclairant par gouttes les fronts rien ne visite les solitudes
ni la bière barbue ni le petit rouge qui danse sur son ballon
ni le blanc sec en renversant la tête ou le café dans son corset d’ébène
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On n’invente plus la pluie (a) – (RC)
On n’invente plus la pluie
Au seuil d’une progression lente
Ne donnant de notre passage
Que l’assentiment des fleurs
Marquant l’aujourd’hui,
D’une fin de journée en descente,
Des soleils rebondissent encore aux étages
Posés en équilibre de hauteur
La journée s’est faite poussière
A mesure qu’elle décline,
Aux portes de la ville
Derrière les panneaux de la route
Les publicités vantant la bière
Aux couleurs alcalines
Quand les ombres s’effilent
Et filent, vers le troupeau qui broute
RC – 18 août 2012