Les doigts gourds – ( RC ) – le clavier tempéré ( SD )

variation réponse à SD, dont le texte suit
J’ai en mémoire
le buffet noir
qu’a peint Picasso,
et qui me rappelle
ce sévère piano droit,
où l’on devait faire les gammes,
faire courir les doigts
sur un clavier
qui restait froid
( et n’avait rien de tempéré ).
Faire que les mains
parcourent les touches d’ivoire,
prenant les blanches pour les noires,
en suivant la Méthode Rose
( on n’espère pas encore devenir virtuose )
on imaginerait qu’elles dansent,
chacune devant
faire preuve d’indépendance
dans le mouvement…
Mais je vois bien le tableau :
montée sur le tabouret haut
ma petite sœur,
tes pieds ne touchant pas terre
sous le regard sévère
de ton professeur :
encore et toujours
faire ces gammes,
alors que tu rêvais déjà d’amour :
( tout ce qu’il faut
pour te rendre allergique
à la musique ) :
tu préférais le chant des oiseaux.
RC
–
Petite fille aux doigts gourds
toi qu’on pressait de faire des gammes
quand tu rêvais déjà d’amour
et qui disais Bonjour Madame
docilement
Toi qui tempérais le clavier
quand te tendait les bras l’infâme
piano droit et l’œil distrait
innocemment
par un oiseau dans l’or du soir
prenais les blanches pour des noires
Susanne Derève
Philippe Delaveau – Leçon d’automne
LEÇON D’AUTOMNE
–
« Les oiseaux sur les peupliers de la plaine des notes dispersées, liquides, vagabondes.
Pourtant la symphonie d’un bel après-midi sous les violons des feuilles
qui tigrent d’ombre leurs arpèges. Pont de pierre bombé, contrebasse.
Altiers violons de verts. La partition repose
Avec la longue élévation de ses sillons jusqu’au sommet de la colline.
Les blanches s’envolent en lançant leurs cris de mer au retour du tracteur puis s’agglutinent, fouillant la terre avec la même obstination. Venues de l’océan, remontant les rivières.
«Semailles» serait le titre du morceau, avec les trilles d’un clavecin sous les doigts de Rameau.
Leçon d’automne et vieil ivoire rouillé, sombre.
Les deux claviers sous la dextérité de l’attaque joyeuse. »
–
Le poing crispé sur les cartes – ( RC )
–
Tu tiens dans tes mains
Les cartes des jours,
Et disposes des atouts,
Des as et des figures.
Je ne sais encore aujourd’hui,
Ce qui compose ton jeu.
Nous n’avons pas voyagé ensemble
Assez longtemps pour que je devine,
Quelles étaient ces cartes.
Serrées dans tes mains closes.
On y lisait peut-être mon destin.
Tu t’es endormie des années,
Et, mon bateau abordant d’autres rivages,
Tu t’es réveillée sans ton image,
Oubliée quelque part,
Par inadvertance.
C’est alors que , desserrant ton poing,
Toujours crispé sur les cartes,
Tu t’es aperçue
Qu’elles étaient blanches,
Et qu’elles ne parlaient plus d’avenir.
–
RC – sept 2014

peinture: Lukas Van Leyden