Kate Tempest – Ballade pour un heros – ( War music )

peinture M Gromaire
Ton papa est soldat, mon petit
Ton papa est parti à la guerre,
Ses mains fermes tiennent son arme,
Il vise précis et sûr.
.
Ton papa est dans le désert maintenant,
L’obscurité et la poussière,
Il se bat pour son pays, oui,
Il le fait pour nous.
.
Mais ton papa va bientôt rentrer à la maison,
Dans pas longtemps il sera là,
Je te mettrai ta plus belle chemise
Pour aller le chercher sur le quai.
.
Il te portera sur ses épaules et
Tu chanteras, tu applaudiras, tu riras,
Je le tiendrai par la taille,
Et je l’aurai enfin tout près de moi.
.
Ton père n’a plus quitté la maison,
Ton père ne se brosse pas les dents,
Ton père est toujours en colère,
Et la nuit, il ne dort pas.
.
Il fait sans cesse des cauchemars,
Et il semble faible et épuisé,
Oui, j’ai tenté de le soutenir, mais
On se parle à peine.
.
Il ne sait pas quoi me dire,
Il ne sait pas comment le dire,
Toutes ses médailles pour sa bravoure,
Il veut juste les oublier.
.
Il boit plus que jamais, mon fils,
Avant, il ne pleurait jamais. Mais maintenant,
Je me réveille la nuit et je le sens
Qui tremble à côté de moi.
.
Il m’a enfin parlé mon fils !
Il s’est tourné vers moi en larmes,
Je l’ai serré contre moi et j’ai embrassé son visage
J’ai demandé ce qu’il craignait.
.
Il a dit qu’il fait toujours plus sombre,
Quelque chose n’a pas disparu,
Il dit qu’il le comprend bien mieux
Maintenant que sable et fumée se sont dissipés.
.
Il y avait ce gosse qu’il avait appris à connaître,
Un jeune d’à peine dix-huit ans,
Brillant et gentil, il s’appelait Joe,
Il tenait son fusil bien propre.
.
Sa petite amie attendait un bébé,
Joe aimait plaisanter et rire,
Joe marchait devant ton paternel,
En patrouille sur un chemin.
.
Tout était calme jusqu’à
ce qu’ils entendent l’explosion.
L’homme qui a marché devant Joe
A été complètement soufflé.
.
Des éclats d’obus ont frappé Joe au visage,
Arraché les deux yeux à la fois,
La dernière chose qu’ils aient vue
C’est l’homme qui était devant :
.
Membres et chair et os et sang,
Déchiquetés, éparpillés,
Et après cela – juste la nuit.
Le goût, la puanteur, le bruit.
.
Je te dis ça mon fils parce que
Je sais comment tu seras,
Dès que tu seras assez grand
Tu voudras aller te battre
.
Qu’importe la bataille où tu t’engageras,
Tu donneras ton sang, tes os,
Pas au nom du bien ou du mal –
Mais au nom de ta patrie.
.
Ton père croit au combat.
Il se bat pour toi et moi,
Mais les hommes qui envoient les armées
Ne l’entendront jamais pleurer.
.
Je ne soutiens pas la guerre mon fils,
Je ne crois pas que ce soit juste,
Mais je soutiens les soldats qui
Partent en guerre pour combattre.
.
Des troupes comme ton papa, mon fils,
Des soldats jusqu’au fond de l’âme,
Portant fièrement leur uniforme,
Et faisant ce qu’on leur commande.
.
Quand tu seras grand, ma petit, mon amour,
S’il te plaît, ne pars pas à la guerre,
Mais combats les hommes qui les décident
Ou combats une cause qui est la tienne.
.
Cela semble si plein d’honneur, oui,
Si vaillant, si courageux,
Mais les hommes qui envoient à la guerre
Le font au nom de l’or
.
Ou vous envoie pour du pétrole,
Et nous raconte que c’est pour notre pays
Mais les hommes rentrent comme papa,
Et passent leurs journées à boire.
–
traduction M Bertoncini dans « jeudi des mots »
une musique lancinante qui a quelque chose à dire…et qui retrouve une certaine actualité ( en faisant le pont entre le souvenir de la guerre de 14, finalement assez peu évoquée ces derniers temps juste après le 11 novembre…, et l’actualité ukrainienne…………………………….sans parler des autres… )
Pierre Seghers – le bon vin

Ah le bon vin ! de la bouteille rousse
On y buvait le repentir doré
On y buvait la ciguë des forêts
Le vent d’Avril et le diable à ses trousses
Ah le bon vin ! que sa chair était douce
Enlevait-il ses habits de velours
Qu’on l’embrassait comme soleil le jour
Il vous glissait comme un que le vent pousse
Ah le bon vin ! de-ci de-là chantant
Le souvenir des amours impossibles
Le devenir des amours pris pour cibles
Il en riait ou pleurait plus souvent
Ah le bon vin ! mais c’est Yseult la blonde
Avec Tristan qui le boit tout à coup,
Sa main de feu qui leur brûle le cou
Leur incendie qui dévore leur monde !
Ah le bon vin ! c’est la torche et la flamme
Si haut montées que la peur les saisit,
Si haut domptées que la mort les choisit,
Folie se meurt et se meurent leurs âmes…
Ah le bon vin ! que dit le fossoyeur,
Ces deux roussis n’avaient qu’à le point boire…
Et l’oiseleur qui met des ailes à l’histoire
Avec elle s’envole ailleurs
texte extrait du recueil des poètes d’aujourd’hui ( ed seghers)
Else Lasker-Schüler – Écoute
peinture : Constant Detré : Kiki de Montparnasse ( années 20 )
Écoute
je vole dans les nuits
les roses de ta bouche,
afin qu’aucune femelle ne puisse y boire.
Celle qui t’enlace
me dépouille de mes frissons,
ceux que j’avais peint sur tes membres.
je suis la bordure de route
qui t’effleure,
te jette à terre.
Sens-tu ma vie autour
partout
comme un bord lointain ?
Alain Paire – images d’un fleuve
Lignes rompues par rien que poussière,
captives sans rêve, les voix.
Pareilles à des corps de mendiants
(la nuit, on les voit sur les quais,
ils cherchent le sommeil).
Derrière les vitres jaunies de l’atelier
le peintre reste silencieux.
Courbées leurs silhouettes de voyageurs
font le geste de boire.
(Les dieux gardent muettes leurs images,
des écritures se défont
dans les prières de l’aube.)
Tandis que l’homme redescendait au plus près de la rive,
la cendre grise s’allégeait.
Fraîcheur d’un reflet sur l’eau,
sur son chemin les frondaisons bougeaient doucement ,
tout semblait pouvoir être absous.
Antoine Mou los – Où vont ceux qui t’en vont ?
il s’aperçoit soudain
que partout où il allait
il y avait quelqu’un
qu’à chaque fois
qu’il a fui
il n a rien laissé pour mort
qu’à chaque fois qu’il pleuvait
il tirait la langue pour boire
un peu de pluie
il tombe des nues
des routes de goudron blanc
crèvent les montagnes
et s’élèvent en hurlant
vers le soleil
Raymond Carver- Boire au volant
jeu simulateur de conduite
Nous sommes en août et je n’ ai pas
Lu un livre en six mois
sauf celui qui s’ appelle: la retraite de Moscou
par Caulaincourt
Néanmoins, je suis heureux
de monter avec mon frère en voiture
et de boire une pinte de Old Crow.
Nous n’avons plus de place pour l’esprit ,
nous sommes en train de conduire .
Si je fermais les yeux pendant une minute
Je serais perdu, encore
Je pourrais volontiers me coucher et dormir pour toujours
à côté de cette route
Mon frère me pousse du coude.
D’une minute à l’autre, quelque chose va arriver.
It's August and I have not Read a book in six months except something called The Retreat from Moscow by Caulaincourt Nevertheless, I am happy Riding in a car with my brother and drinking from a pint of Old Crow. We do not have any place in mind to go, we are just driving. If I closed my eyes for a minute I would be lost, yet I could gladly lie down and sleep forever beside this road My brother nudges me. Any minute now, something will happen.
Li-Po – Seul et buvant sous la lune
–
Seul et buvant sous la lune
Parmi les fleurs, je suis seul avec mon pichet de vin
en buvant tout seul, puis en soulevant ma tasse
J’ai demandé à la lune de boire avec moi,
son reflet et le mien dans la coupe de vin, juste nous trois ,
puis je soupire : la lune ne peut pas boire,
et mon ombre va, se vidant avec moi , sans jamais dire un mot;
N’ayant pas d’autres amis ici, je peux en utiliser deux pour me tenir compagnie
dans un moment de bonheur,
je dois aussi être être heureux avec tout le monde autour de moi,
je m’assois et chante et c’est comme si la lune m’accompagne,
puis si je danse, c’est comme si mon ombre danse avec ,
bien que je ne sois toujours pas ivre, je suis heureux
de faire de la lune et mon ombre des amis,
mais quand j’ai trop bu, nous nous séparons,
et pourtant ce sont des amis
je peux toujours compter sur ceux-ci
qui sont pourtant insensibles,
j’espère qu’un jour nous trois
nous nous retrouverons,
au plus profond dans la Voie Lactée.
–
( trad RC )
–
Alone And Drinking Under The Moon
Amongst the flowers I
am alone with my pot of wine
drinking by myself; then lifting
my cup I asked the moon
to drink with me, its reflection
and mine in the wine cup, just
the three of us; then I sigh
for the moon cannot drink,
and my shadow goes emptily along
with me never saying a word;
with no other friends here, I can
but use these two for company;
in the time of happiness, I
too must be happy with all
around me; I sit and sing
and it is as if the moon
accompanies me; then if I
dance, it is my shadow that
dances along with me; while
still not drunk, I am glad
to make the moon and my shadow
into friends, but then when
I have drunk too much, we
all part; yet these are
friends I can always count on
these who have no emotion
whatsoever; I hope that one day
we three will meet again,
deep in the Milky Way.
Tomas Tranströmer – Voyez cet arbre gris
–
Voyez cet arbre gris.
Le ciel a pénétré par ses fibres jusque dans le sol –
il ne reste qu’un nuage ridé quand la terre a fini de boire.
L’espace dérobé se tord dans les tresses des racines, s’entortille en verdure.
– De courts instants de liberté viennent éclore dans nos corps,
tourbillonnent dans le sang des Parques et plus loin encore.
——————————
Boire à la même source ( RC )
–
Nous buvons à la même source,
Lisons, à quelques dizaines d’années d’écart,
Les mêmes livres,
Caressons la même lumière,
Et pourtant, nous n’arrivons pas à boire la même eau.
Est toujours présente, notre culture commune,.
Qui pourra dire qu’ elle s’est transformée,
Que les pages ont pris une autre couleur ?
Une génération d’écart a pourtant modifié son aspect,
Nous buvons à la même source,
Mais, comme on dit, « l’eau a coulé sous les ponts »
— Il est possible qu’elle n’ait pas le même goût.
–
RC – 26 juin 2013
–
Marie Bauthias – l’ombre des leurres ( extrait 03 )
le
printemps reste à boire
luire sans mots des bouches
de ceux qui partent
la plupart du temps
reviennent
le regard à la main des hautes fougères
Raôul Duguay – La mer à boire
La mer à boire
J’étais l’enfant d’un siècle fou
J’avais la tête pleine d’oiseaux
Je construisais de beaux châteaux
Je vidais la mer dans un trou
La mer était belle à mourir
J’étais une fleur à cueillir
La vie était un jeu d’enfant
Je prenais vraiment tout mon temps
J’avais pour moi l’éternité
Pour vider la mer dans un trou
Je me soûlais de liberté
Et je réinventais la roue
J’étais l’enfant d’un siècle chaud
Dans ma petite tête il faisait beau
Mes châteaux se tenaient debout
Et mon royaume était partout
Et je suis devenu un homme
Les mots sont mes plus beaux châteaux
Mais comme une image vaut mille mots
Mes beaux châteaux vont prendre l’eau
Les mots deviennent des numéros
Un plus un égale zéro
Plus on a de zéros plus on vaut
Quand on signe son nom à l’endos
Je suis l’enfant d’un siècle de fous
Les riches creusent aux pauvres un trou noir
Donnez-moi donc un peu à boire
Et tant qu’à y être : versez-moi la mer
Et je rêve encore de boire l’eau de la rivière
Quand j’étais petit je m’y baignais dans la lumière
Ah mais aujourd’hui les rivières prennent l’eau
Et je rêve encore au jour où dans les dictionnaires
On ne trouvera plus le mot guerre qui crée la misère
Et qu’enfin les mots ne prendront plus l’eau
Il reste encore quelques oiseaux
Qui ne chantent pas encore faux
Je vide la mer dans mon verre
–
extrait d’une chanson de l’auteur
Paroles et musique : Raôul Duguay
–
–
Les chercheurs d’or (RC)

photo extraite du site eco-volontaire.com
–
C’est une vision de l’enfer
Qui prend pour décor une mer
Qui sentirait forge et vapeurs d’essences
Feux, supplices et tourments des sens
Ainsi se précipitant sur le « matériel « du bonheur
C’est une marée humaine, – cette ruée sur l’or
Précipitant dans le gouffre toutes ces mains avides
Pour quelques paillettes, mais de soif, pas de liquide
—
Et quand l’océan n’aura de souvenirs que vidé
De sa vie… il faudra sur sa surface sèche, nous guider
Aux poissons, plaques de sel, le musée des ossements
L’amer des ors et cristaux brillants, comme firmament
C’est ce qu’il nous restera à voir
De la lumière, passée au noir
Des reliques comme pourboire
Et d’eaux polluées — plus rien à boire
–
RC – 17 mars 2012
—
( cette ruée vers l’or, bien connue pour un des moments clefs de la conquète de l’amérique, est encore d’actualité, notamment dans les pays pauvres, par exemple de l’Afrique sub-Sahélienne, où des dégâts écologiques, suite aux exploitations minières, par exemple l’utilisation du mercure sont d’autant plus marqués, par la pénurie en eau… voir sur le même sujet, le film « Altiplano », qui se situe au Pérou, et le bel article de ballinicreation )
–
Christophe Bousquet – Le dit et le non-dit
Le dit et le non-dit
Le dit et le non-dit
Je pousse des soupirs le long des longues nuits
Dans lesquelles j’erre comme un damné depuis
L’explosion totale d’une joie éphémère.
Elle s’est évadée, me laissant mon désert :
Un grand marasme plat où l’ennui s’éternise
Sur des sables mouvants dans lesquels je m’enlise.
Pas d’oasis en vue. Depuis longtemps déjà
Le vent désespérant a effacé ses pas !
La soif implacable m’empêche de bouger
– Et ne pouvant boire, ça va pas s’arranger ! –
Je rêve désormais par hallucinations
– Tout est délirant, même l’imagination –
Malgré ce que j’en dis, j’encaisse mal le coup :
La ligne d’horizon est devenue bien floue.
ce que nous « dit » Christophe Bousquet..
est varié et interessant, mais sur son blog la pose de commentaires semble faire problème…
Louis Rocher – Errances
–
Errances
Les grands cargos multicolores dans le port ont des fourmis à la carène
un bel arc-en-ciel de cargos arlequins.
Les hublots décorent les songes au port de l’âme ;
des matelots jouent leur voyage aux dés. Une cargaison de soleil
roule sur le bateau couleur d’orange mûre une fille à la jupe rouge
porte à boire des regards frais.
Voici le temps d’appareiller
– les fourmis sont à la carène – pour le côté clair de soi-même.
—
Louis ROCHER, Un chardon si évident,
1956, Affrontement.
Aux années de plomb (RC)
Entre mon sourire,
je crois percevoir,
le grain de ta peau.
Aux années de plomb
A la fontaine scellée
Esprit retiré
Au baiser du crapaud
Aux contes de Perrault
La belle endormie
Maîtresse du temps
De plomb fera plume
Les mots jailliront
Captive libérée
Oppression dégelée
Pensée désentravée
Aux sources sans larmes
Fontaine je boirai de ton eau
Et encore boire tes pages.
—
ce texte est un écho à celui d’Arthémisia: voir son post:
Entre les larmes
Je crois encore voir
Les pages de ta peau.
Photo: Imogen Cunningham