Armand Dupuy – Un avant-goût de ne rien dire

image-collage Jane Cornwell
Un avant-goût de ne rien dire, ce temps friable autour.
Les images n’apaisent plus, les aplats stagnent.
On repousse les bords, aussi fort que possible, on s’entasse sur ses pieds.
On cherche un espace où loger son charabia, loger l’écume, mais pas d’issue — chut!
Flot ferme, fermé – on écoute ce peu, petit ciel sale et bas, son air déjà lu, même usé.
La brume s’est levée dans la forme, dis-tu, soudain moins étroite.
Alors on cherche ce fantôme, immobile et loin – les restes d’une courbe en tête.
Avec le tissu rayé du sommier, son odeur de paille et de ferraille.
Il reste cette lumière sur les pages et les tempes plus claires.
–
texte extrait de « Chut! » – recueil « sans franchir » éditions Faï Fioc 2014
Else Lasker-Schüler – Écoute
peinture : Constant Detré : Kiki de Montparnasse ( années 20 )
Écoute
je vole dans les nuits
les roses de ta bouche,
afin qu’aucune femelle ne puisse y boire.
Celle qui t’enlace
me dépouille de mes frissons,
ceux que j’avais peint sur tes membres.
je suis la bordure de route
qui t’effleure,
te jette à terre.
Sens-tu ma vie autour
partout
comme un bord lointain ?
A pertes de vues – ( RC )
– Qui connaît le milieu
d’une mer ? : elle se referme sur mes yeux,
> Je n’en situe pas le centre,
ni ce qui les hante…
bien étanches à des sensations…
autres que celle du glissement de l’eau..
C’est peut-être que ceux-ci deviennent poissons,
et se cachent comme ils peuvent sous les flots,
en fuyant mon visage,
( comme si j’écrivais : fuyant le rivage… )
La peau en serait la surface,
Elle se ramollit et s’efface,
On n’en saisit plus les bords
Les yeux fuient bien plus au nord :
On voit bien qu’ils plongent
à mesure que les jours s’allongent,
et le regard se fait plus flou,
en échappant aux remous,
et aux mouvements de l’onde :
> on dirait qu’ils fondent
ils se dissolvent dans le liquide
en délaissant les rides
accrochées aux paupières :
il y a de moins en moins de lumière
quand on s’écarte du soleil :
> C’est la porte du sommeil :
Plus rien ne les anime,
au plus profond de l’abîme:
l’eau ruisselle et glisse,
mais sur une face, désormais lisse :
il n’est pas sûr qu’ils émergent de l’océan :
désormais perdus dans le néant:
Il n’y a plus d’ailleurs
que pour le regard intérieur
comme s’il s’en était allé
dans une immensité d’eau salée…
C’est ainsi que du lointain se dilue
ce que l’on imagine » à pertes de vues « .
–
RC – fev 2016
Puits de la mémoire – ( RC )
–
Voila que je me penche
Sur le bord de ce qui entaille
La mémoire.
Ici le soleil ne se reflète pas,
Car le miroir des eaux,
Est si loin de la surface,
Que même se perdent les traces,
De notre enfance, de nos premiers pas.
– L’envers de notre destin.
J’ai beau tester la distance,
En lançant quelque objet,
Le bruit de l’impact s’absente,
Comme si le temps même
Se perdait dans l’écart
Des défaites de la conscience.
Me penchant au-dessus
De ce puits de mémoire,
Que rien n’éclaire,
Et dont je ne peux percevoir que la nuit,
….. Aux rives de l’oubli,
Elle prend possession de tout .
– Il faut que j’invente le jour, et
La matière dont je serai fait, peut-être
Demain.
–
RC- 8 novembre 2013
–
avec une citation qui rejoint le sens du texte ci-dessus;
« Ce n’est pas tout de naître, il faut encore naître une seconde fois à soi-même et au monde »——— Le ravissement : in Le cantique des cantiques
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Sous les yeux fertiles du temps ( RC )
A tous les rivages et au murmure des vagues
Les paroles croisées, le bonheur d’une inspiration
Ainsi, le ressac régulier, et l’écume
Qui prend et donne, reprend encore
L’appel des sirènes s’est perdu dans la brume
———Personne n’en propose de traduction.
Le pays s’est usé de son voisinage,
Pour tatouer la mer de rochers,
C’est une lente métamorphose,
Qui transporte les éléments
Sous les yeux fertiles du temps
Au-delà du plein chant du soleil
Les falaises parait-il reculent
Et cèdent au liquide des arpents de prés,
Les remparts de la ville s’approchent du bord
Et seront un jour emportés,
Comme le sont les siècles
Aux haleines des brises et tempêtes.
Faute d’apprivoiser le temps
Il faut faire avec son souffle
Et le berger pousse ses troupeaux sur la plaine
Puis les plateaux, qui offrent
A toutes les transhumances, leurs drailles séculaires
D’un parcours recommencé, au cycle des saisons.
RC – 14 octobre 2012
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Future friche industrielle – ( RC )
Avançons, avançons jusqu’au bord
Au delà commencent les rêves
Trève de la nature
Gros plan, et fondu au noir,
Il n’y a plus de repères,
La perspective est en fuite
Les mots sont partout, en suspension
Il suffit de les rendre…
Tranchons, découpons
Les maux se fondent lentement
Dans la confiture des jours…
Il n’y a plus de certain;
Que la nuit,
Poussée par le train
Que regardent passer
Les ouvriers les mains vides.
Avançons, avançons jusqu’au bord
C’est alors que bascule l’avenir,
Où tout se fond en brouillard
Rien à donner, si ce n’est le passé.
Le présent est parti, vers d’autres contrées;
Le ciel n’a plus de fumées,
Que des cheminées vides,
Retournées à la friche.
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Rc – 1er octobre 2012
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