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Boris Pasternak – Une aube encore plus suffocante-


John Constable – Cloud Sudy – 1922

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Tout le matin, le pigeon a roucoulé
Sous vos fenêtres.
Sur les chéneaux j’ai vu
Les branches engourdies
Comme des manches de chemises mouillées.
Il commençait de pleuvoir. A la légère
Passaient les nuages sur la poussière du marché.

Ils berçaient, je le crains, mon angoisse
Sur un éventaire de colporteur…
Je les ai suppliés de cesser.
N’allaient-ils pas cesser ?
L’aube était grise comme une querelle au milieu des buissons,
Grise comme une rumeur de bagnards.

Je les ai suppliés d’avancer l’heure
Où, derrière vos fenêtres,
Comme un glacier des montagnes,
Tempête la poterie sonore de votre toilette.
L’heure qui, dans le verre plus brûlant que la glace,

Sur la console, verse des morceaux de chanson pilée
Et qui offre au miroir
La chaleur du sommeil
S’échappant de votre joue, de votre front.

Mais là-haut, nul n’a entendu
Ma prière à cause de tout le bruit
Que font les nuages en parlant.
Et en marchant sous leurs bannières,
Dans le silence plein de poussière,
Trempé comme une capote,
Résonnant comme le frémissement poussiéreux du battage des blés,

Comme l’éclat des disputes au milieu des arbustes,
Je les ai suppliés : « Ne me torturez plus !
Laissez-moi donc dormir ! »
Mais il bruinait, et les nuages
En piétinant, fumaient sur le marché poussiéreux,
Comme, au petit matin les recrues derrière la métairie.
Ils se traînaient des heures, des siècles.
Comme des prisonniers autrichiens,
Comme ce râle sourd ;
O ce râle :  » Sœur, à boire ! « 

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((Trad. Emmanuel Rais et Jacques Robert.)

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Boris Pasternak Poètes d’aujourd’hui
par Yves Berger
Pierre SEGHERS Editeur

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Boris Pasternak – Peinture fraîche –


Photomontage RC

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« Peinture fraîche. Ne pas toucher. »
Ame, vous n’avez pas pris garde !
Et voici ma mémoire pleine des taches de ses jambes,
De ses joues, de ses bras, de ses lèvres, de ses yeux.

Plus que toutes mes joies, plus que tous mes malheurs.
Je t’aimais, toi qui fais
La jaune lumière du jour
Plus blanche que la céruse.

Et je te jure, mon amie, ô ma brume !
Il lui arrivera de devenir une fois
Plus blanche que le délire, que l’abat-jour,
Plus blanche qu’un blanc pansement sur un front.

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Trad. Emmanuel Rais et Jacques Robert.)

Boris Pasternak Poètes d’aujourd’hui
par Yves Berger
Pierre SEGHERS Editeur