Boris Vian – Triste Azor

Un chien vivait fort chichement
Dans une niche en bois de chêne.
Retenu sans cesse à la chaîne,
Il connaissait plus d’un tourment.
Mais le pire désagrément,
C’était la faim. Nourri de faines
Dont les malfaisantes akènes
Lui laissaient le nez tout saignant,
Il eût aimé jouir d’une table
Satisfaisante et confortable,
Lécher des assiettes, le soir…
Mais, pauvre, il mourut de la peste,
Et l’on grava sur le sol noir :
— Il est mort sans laper des restes.
extrait du recueil de B Vian ‘ sans sonnets »
Boris Vian – Ils cassent le monde
Ils cassent le monde
En petits morceaux
Ils cassent le monde
A coups de marteau
Mais ça m’est égal
Ça m’est bien égal
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez
Il suffit que j’aime
Une plume bleue
Un chemin de sable
Un oiseau peureux
Il suffit que j’aime
Un brin d’herbe mince
Une goutte de rosée
Un grillon de bois
Ils peuvent casser le monde
En petits morceaux
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez
J’aurais toujours un peu d’air
Un petit filet de vie
Dans l’oeil un peu de lumière
Et le vent dans les orties
Et même, et même
S’ils me mettent en prison
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez
Il suffit que j’aime
Cette pierre corrodée
Ces crochets de fer
Où s’attarde un peu de sang
Je l’aime, je l’aime
La planche usée de mon lit
La paillasse et le châlit
La poussière de soleil
J’aime le judas qui s’ouvre
Les hommes qui sont entrés
Qui s’avancent, qui m’emmènent
Retrouver la vie du monde
Et retrouver la couleur
J’aime ces deux longs montants
Ce couteau triangulaire
Ces messieurs vêtus de noir
C’est ma fête et je suis fier
Je l’aime, je l’aime
Ce panier rempli de son
Où je vais poser ma tête
Oh, je l’aime pour de bon
Il suffit que j’aime
Un petit brin d’herbe bleue
Une goutte de rosée
Un amour d’oiseau peureux
Ils cassent le monde
Avec leurs marteaux pesants
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez, mon coeur
–
Boris Vian
D’autres écrits de grands auteurs, Eluard, Marceline Desbordes-Valmore, sont visibles sur lireouimais quoi…
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Boris Vian – la rue traversière

photo Venise de nuit
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Dans la rue Traversière
Il y poussait des roses
Et tout un tas d’aut’ choses
Que personne ne voyait.
Dans la rue Traversière
Y avait un vieux bébé
Qui pleurait à la f’ntre
Pac’ qu’il allait tomber.
Dans la rue Traversière
Y avait un’ grand’maman
Qui montrait son derrière
Pour deux cent trente-cinq francs.
Dans la rue Traversière
Silencieux près d’une borne
Y avait un militaire
Les pieds dans son bicorne
Dans la rue Traversière
Y avait un inventeur
Qui f’sait des montgolfières
En noir et en couleurs.
Dans la rue Traversière
Y avait une guillotine
Qui coupait des cigares
Pour le papa d’Aline
Dans la rue Traversière
Y avait des amoureux
Sous les portes cochères
Qui se comptaient les yeux
Dans la rue Traversière
Y avait des lions féroces
Habillés en cosaques
Pour aller à la noce.
Dans la rue Traversière
On n’y passait jamais
C’était pas une vraie rue
Et tout l’monde était mort…
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