Rues d’anciens habitants – ( RC )
On se demandera quelle carte consulter,
ou plutôt, à quelle époque,
et si on peut retourner dans la géographie intime
des rues de la ville .
Il y a d’anciennes inscriptions,
qui cohabitent avec les plaques émaillées
et qui disent d’anciens lieux,
des noms qui n’évoquent pas ceux d’hommes célèbres,
mais l’activité pratiquée, ou ce qui marquait
visuellement l’endroit .
La ville est un continent , dont une part est englouutie
dans les épaisseurs de l’histoire .
On peut revoir des cartes anciennes ,
l’écriture penchée, et appliquée pour les noms,
toucher les vieux papiers ,
ignorant l’aspect plastifié d’aujourd’hui
mais rien ne vaut autant,
que pénétrer plus avant dans son ventre,
là où il serait impossible de se repérer ,
dans le sous-sol , où l’ombre règne.
Ce sont des gouffres qui ont englouti les rues,
dirait-on,
un double du quadrillage aérien,
qui court, à la manière d’une autre ville,
cachée dessous, à l’instar d’un arbre,
où les racines se développent dans l’ombre,
comme les branches, dans l’air.
Ou bien la partie cachée de l’iceberg ,
dévoilant , pour qui en a entrepris l’exploration,
la face inconnue des choses.
Une partie ignorée, et qui peut le demeurer :
tout un dédale de souterrains se développe,
juste sous nos pieds .
Il y a des artères principales ,
des croisements , bifurcations ,
impasses, et cavités,
qu’on prendrait presque pour des boutiques,
( comme celles situées au-dessus de la surface ),
des chapelles, le tout rempli jusqu’à ras-bord,
des ossements d’anciens habitants.
L’imagination aidant, les catacombes
sont le continent du sous-sol .
Il revit peut-être avec ses spectres:
les squelettes se réveillent, et se promènent :
Ils n’ont pas besoin de leurs yeux défunts,
de toute façon inutiles dans l’obscurité totale .
Mais pour ceux qui n’y voient pas ,
on a privilégié le sens du toucher,
et c’est peut-être pour cela , que le nom des rues
reste indiqué, à chaque carrefour,
Avec ces lettres profondément creusées dans la pierre .
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RC – dec 2017
Cendres de baltique – ( RC )
photo Greg Clouzeau
Je n’ai pas vu de désert de pierres vers la mer baltique,
mais des étendues plates
et des marécages
d’où s’envolaient les cigognes,
De ces lointains horizons, mutiques,
on a dissimulé les stigmates
sous l’oubli : ( un habillage ) .
La nature a fait sa besogne
Des forêts ont développé
leurs racines et frondaisons
sur des cadavres enfouis
et font corps avec les charniers .
Du sol détrempé,
du passage des saisons,
les arbres se sont épanouis,
se nourrissent des prisonniers.
Allez donc voir
du côté de Vilnius :
il y a des terres acides,
et des forêts de bouleaux
en retournant une terre noire,
il ne serait pas improbable de trouver des dents dans l’ humus ,
témoignage de génocide ,
ossements et pauvres oripeaux ,
( plus rarement des bijoux ).
Dans ces pays de baltique
il y a de l’ivoire
et de l’ambre
Vous pourrez en parer votre cou,
en visitant les boutiques;
mais qui vous parlera du désespoir,
et des cendres ?
–
RC – mai 2017
Luis Cernuda – Cimetière dans la ville

photo: H Cartier-Bresson, 1934 – Mexique
Derrière la grille ouverte entre les murs,
la terre noire sans arbres, sans une herbe,
les bancs de bois où vers le soir
s’assoient quelques vieillards silencieux.
Autour sont les maisons, pas loin quelques boutiques,
des rues où jouent les enfants, et les trains
passent tout près des tombes. C’est un quartier pauvre.
Comme des raccommodages aux façades grises,
le linge humide de pluie pend aux fenêtres.
Les inscriptions sont déjà effacées
sur les dalles aux morts d’il y a deux siècles,
sans amis pour les oublier, aux morts
clandestins. Mais quand le soleil paraît,
car le soleil brille quelques jours vers le mois de juin,
dans leur trou les vieux os le sentent, peut-être.
Pas une feuille, pas un oiseau. La pierre seulement. La terre.
L’enfer est-il ainsi. La douleur y est sans oubli,
dans le bruit, la misère, le froid interminable et sans espoir.
Ici n’existe pas le sommeil silencieux
de la mort, car la vie encore
poursuit son commerce sous la nuit immobile.
Quand l’ombre descend du ciel nuageux
et que la fumée des usines s’apaise
en poussière grise, du bistrot sortent des voix,
puis un train qui passe
agite de longs échos tel un bronze en colère.
Ce n’est pas encore le jugement, morts anonymes.
Dormez en paix, dormez si vous le pouvez.
Peut-être Dieu lui-même vous a-t-il oubliés.
Tras la reja abierta entre los muros,
La tierra negra sin árboles ni hierba,
Con bancos de madera donde allá a la tarde
Se sientan silenciosos unos viejos.
En torno están las casas, cerca hay tiendas,
Calles por las que juegan niños, y los trenes
Pasan al lado de las tumbas. Es un barrio pobre.
Tal remiendosde las fachadas grises,
Cuelgan en las ventanas trapos húmedos de lluvia.
Borradas están ya las inscripciones
De las losas con muertos de dos siglos,
Sin amigos que les olviden, muertos
Clandestinos. Mas cuando el sol despierta,
Porque el sol brilla algunos dias hacia junio,
En lo hondo algo deben sentir los huesos viejos.
Ni una hoja ni un pájaro. La piedra nada más. La tierra.
Es el infierno así ? Hay dolor sin olvido,
Con ruido y miseria, frío largo y sin esperanza.
Aquí no existe el sueño silencioso
De la muerte, que todavia la vida
Se agita entre estas tumbas, como una prostituta
Prosigue su negocio bajo la noche inmóvil.
Cuando la sombra cae desde el cielo nublado
Y del humo de las fábricas se aquieta,
En polvo gris, vienen de la taberna voces,
Y luego un tren que pasa
Agita largos ecos como un bronce iracundo.
No es el juicio aún, muertos anónimos.
Sosegaos, dormid ; dormid si es que podéis.
Acaso Dios también se olvida de vosotros.
Luis Cernuda, La Réalité et le Désir (La Realidad y el Deseo)
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