Retour – ( Susanne Derève ) –

L'hiver nous pose sur la rive dans un coin du foyer , - bleus vestiges du voyage -, nous voguons désormais à l'amble d'un feu de bois vaguement ivres encore de la traversée. Je cherche un mot pour nommer le navire que la lame porta sur la plage, le chemin harassé du retour, l'échine grise de notre toit à l'horizon. Ta main dresse à présent le bois de cheminée, et de ton souffle naît le feu. Chuchote-moi les mots : antre, abri, vaisseau, la bûche est un bras mort, un bardeau de lumière qui sombre au fond de l'âtre, aisselle noire d'où jaillit plus vive la flamme, la lame rouge du tison par ta bouche avivée qu'enfante l'étincelle, fleur avide, lèvre dévorante, l'encre de son masque fiévreux sur nos peaux, dans nos verres sa figure riante, son ombre affamée sur les murs, elle, qui fut doigt divin, poussière, silex, cendre où couve sous la pierre jusqu'au matin la rouge braise.
Jacques Roman – lettera amorosa – 04

Sa parole n’a de légitimité qu’à ne jamais te passer sous silence,
qu’à jeter encore ta pierre dans le jardin de la loi.
Je l’avoue : terrorisé devant qui te renie.
Une telle terreur que toute ma chair se fait l’écho d’un hurlement à la vie à la fin duquel…
est-ce laissé pour mort ? Terreur encore quand, le proférant à haute voix,
ton nom lui-même me précipite dans ma bouche : si l’imposture y
était éternellement tapie ? Si ma langue ne travaillait qu’à embaumer une charogne ?
Non ! Je l’entends ce corps aimant infernal comme forcené qui là-haut agite ma langue et dit que son corps est ton corps. Malheur à qui n’a pu voir le cul de son dieu !
C’est d’être pénétrés de toi jusqu’à la moelle que les amants se crient je t’aime
et c’est lancer de poignards sur la cible du temps tandis que la roue tourne.
Sur le plancher d’un bal de campagne dressé au soleil, un jour d’été, près d’un
étang, à mes yeux un être a pris tes traits. Je ne quitterai pas le bal sans fin.
Tandis que là-bas la mort seule reste au bord de la piste, quelqu’un rit
aux larmes d’aimer dans le brouillard, amour, ton ombre même.
Il est temps que j’expédie cette lettre. Il fait nuit et jour à la fois.
Je prononce ton nom. J’ouvre la bouche, s’unissent un instant mes lèvres
et s’élance le souffle aux entrailles du silence. Au secret de la fièvre,
braise m’offre un temps brûlant. Je recommence, je recommence.
LETTERA AMOROSA
Gaston Miron – La braise et l’humus

Rien n’est changé de mon destin ma mère mes camarades
le chagrin luit toujours d’une mouche à feu à l’autre
je suis taché de mon amour comme on est taché de sang
mon amour mon errance mes murs à perpétuité
un goût d’années d’humus aborde à mes lèvres
je suis malheureux plein ma carrure, je saccage
la rage que je suis, l’amertume que je suis
avec ce bœuf de douleurs qui souffle dans mes côtes
c’est moi maintenant mes yeux gris dans la braise
c’est mon cœur obus dans les champs de tourmente
c’est ma langue dans les étapes des nuits de ruche
c’est moi cet homme au galop d’âme et de poitrine
je vais mourir comme je n’ai pas voulu finir
mourir seul comme les eaux mortes au loin
dans les têtes flambées de ma tête, à la bouche
les mots corbeaux de poèmes qui croassent
je vais mourir vivant dans notre empois de mort
extrait de « la vie agonique »
Passagers de la nuit – (Susanne Dereve)

La nuit dérivait lentement
pas une nuit d’argile ni de mousse
ni de la froide clarté des constellations de Juillet
ni de l’ombre des pins , noire , où balançait le vent
ni du roulement des vagues ou de celui du temps
perdu , éperdu , amassé
– telles ces piécettes d’or miroitant
sous l’eau des fontaines –
Une nuit d’étreintes et de baisers
du lourd parfum des pluies d’été
saturé d’humus et de braise
– sait-on jamais ce que pèse
le poids des mots et des regrets –
La lune s’était levée ,
paupières closes , lèvres scellées ,
et ses lançons d’argent vibraient sur l’eau
épousant le flot incertain du courant ,
la gravant en nous comme un sceau
Passagers de la nuit arpentant les étoiles ,
nous étions deux amants …
Nicolas Rouzet – le cercle et la parole
photo: Ernst Haas
Il y a le cercle et la parole
et l’heure où chaque naissance
annonce l’aube rageuse
l’attente du regard
Une main aveugle
dure à tâtons
devance le jour
dessine comme par jeu
la frontière qui sépare
le silence de la parole
le geste du murmure
De son pouce
se traverse la brèche
s’effleure le néant
d’où l’on sauve
la braise
et la brindille
Et que l’oreille
se tende
vers ce soupirail
qu’elle entende
que nos fantômes
n’ont pas changé de nom
que tous se croient encore vivants
dans l’espace ouvert
par l’éclat
le mirage
de nos âmes !
Esther Tellermann – Choucas
photo perso fresque de l’église de JANAILHAC
Ils sont tiens
les choucas
les Dieux peints
les tissus refroidis
la sueur
et la grille
Ils sont tiens
les lits durs
les goûts de paille
l’usure
des soulèvements
***
Car
rien ne donne la réponse
ni dômes surgis
ni masques de terre
Pistes s’égrènent en copeaux
en nuits balayées par les torches
Etions accoutrés d’os
faisant commerce de braise
***
Claude Saguet – Détour

photo provenance; chinadaily
–
Détour
Barbare,
je marche pieds nus
sur la braise.
Je provoque le moment,
la forme et la voix,
Et je nie jusqu’à l’abolir
ce lieu aigu qui m’égratigne
Pour écrire le voyage
infligé par le feu.
Alain Fabre-Catalan – Où demeurent les sources

peinture: Zoran Music, paysage dalmate, gouache sur papier,1953
J’ai lancé ma pierre dans l’inconnu
contre les vitres de la nuit, dans le jardin des mots
plus affûtés que l’herbe sous la rosée des larmes
offertes au néant. J’ai connu la parade des corps amoureux
et caressé la vague claire qui dépose à brassée
ses paroles légères comme braise d’un feu
qui n’en finit pas de s’éteindre à l’approche des matins.
J’ai vu le dos luisant des rêves échoués comme blocs
erratiques dans le courant qui marque le passage
de la nuit au jour, sitôt dispersées les eaux profondes
du sommeil dans un flot d’images muettes.
Du site « recours au poème »
–
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Jean-Claude Pirotte – blues ( suite )
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Je vais dormir ni ce soir,
ni demain ni jamais peut-être,
pendant que le blues est dans ma tête,
les douze temps du désespoir
Si futiles si dérisoires
Les balais sur la vieille caisse
Et les mots que la nuit tresse
et qu’inspire le soleil noir
—
c’est le dernier signal
l’ultime éclat de braise
on se voit disparaître
au coude du canal
et l’écluse est fermée
immobile à jamais
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nous avions reconnu
la péniche des morts
mais elle était au loin
si lente que la nuit
nous la perdions de vue
or chaque lendemain
elle approchait du port
désert que nous quittions