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Vague à l’âme – Susanne Derève –


Photo RC – Brest , port de commerce

Vague à l’âme, baguenaude,
le frisson d’une flaque au milieu du pavé :

se peut-il que le grand vent rugissant
de la mer agonise à mes pieds
comme un marin à quai
qui tournerait le dos au vieux rêve du large ?


La petite robe rose – (Susanne Derève) –


Fontaines de Marta Pan , Rue de Siam , Brest – Photo Danièle Nguyen Duc Long –      
Brest, Siam, et le pavé nu à présent, 
souviens-toi,
comme on suivait les rails
du tram par tous les temps,
nos pas mêlés,
épaule contre épaule,
toi et ta moue boudeuse,
le tintement des rames,
les passants frileux
qui se pressaient sans un regard
pour les fontaines vides de Marta Pan
et les devantures mornes.

Soudain, ton visage s'éclairait                                                   
pour une petite robe rose nichée
dans un coin de vitrine
qui t’allait comme un gant,                                                                                      
et te faisait au retour un sourire                                                       
triomphant de madone.
 
               *

C'était toujours « scènes de la vie ordinaire » :
ta chambre, le soleil à flots par la fenêtre, 
et sur le mur
les ombres serpentines du feuillage
le grand corps vivant de l'érable sous le vent                                       
ses frondaisons légères
On tutoyait le ciel,
et toi, dans ta robe d'un rose
à faire pâlir les roses du jardin,
ta moue boudeuse encore,
tournant obstinément le dos                                                      
à la lumière.

Photos Danièle Nguyen Duc Long voir : https://latribudanaximandre.com/tag/fontaines-de-marta-pan/        

.

 


Croiseurs – (Susanne Derève) –


Photo-montage RC

Croiseurs
Les lignes d’horizon sont froides

Ciel grues filins jetée
et les filets du jour au pied du môle,

ses rêts de nuages plombés emprisonnant 
l’arête d’un rayon pâle, 
le dos de métal luisant d’un squale à demi
immergé:

Terrible *, Suffren *,
parfum de guerre voilé
de sel, de belliqueux embruns,
ballet martial,                                                                 

parade silencieuse,   

à quelques encablures 
de quai de nos vies insouciantes, 

proche, si proche
que les chroniques des journaux 
du matin en paraissent innocentes

le café plus amer … 

l’insoutenable boucherie de la guerre, 
la lointaine frontière d’Ukraine, 
soudain palpable, glaçante, 
familière. 

* sous-marins nucléaires français. Le Suffren, a été
mis en service le 3 Juin 2022 dans la rade de Brest.

Au jardin des explorateurs – (Susanne Derève)


Brest – Jardins des Explorateurs –
Au jardin des explorateurs
le  parfum de miel 
des genêts,les pierres noires,        
trois cloches ailées sonnant midi.   

Longeant le môle,
une voile blanche ploie sous le vent,  
telle Boudeuse,qui prit la mer vers l'Amérique 
et que suivit son Etoile. 

Terre, avaient-ils crié, 
Nassauvias,Bougainvillées !
Est-ce un souffle dans les feuillées  
ou bien leur voix qu’on croit surprendre 
et qui se tait ? 

Jardin des explorateurs


Christine Lapostolle – Brest (Temps permettant -extrait) –


Brest la Blanche : Safari – Daniel Molinier –

Dans cette opacification blanchâtre, grisâtre
et même vaguement jaune de tout
alors que le jour devrait se lever, la lumière inonder la radio vient de dire « ciel magnifique sur tout le pays,
un temps splendide nous attend aujourd’hui » –
ici on ne voit même pas la mer
Les bâtiments industriels, les cheminées ressemblent
aux vieux poèmes qui célébraient autrefois le monde
moderne et l’espoir des usines
Ce sont des mots du Nord, des Flandres, qu’il faudrait pour dire ce qu’on voit depuis les fenêtres aujourd’hui
Écrans de brume crue, steamers charbonneux qui
mugissent et fument en appelant le soir
Petite pluie finasse, verticale qui larmoie, faufile l’air,
tisse de l’eau
Le verbe pluviner, l’oiseau pris dans un filet mouillé
Ignorant ces réalités blêmes, un spécialiste de l’amour
inonde les ondes de ses propos sentencieux
Un chien s’arrête pour pisser au pied d’un platane
Toute la mer va vers la ville

Christine Lapostolle

Temps permettant

Editions MF Inventions Janvier 2022

.

Daniel Molinier photo –

https://brestlablanche.com/


Vue mer – (Susanne Derève)


Brest – Port de commerce – photo perso –

 

Vois-tu ,

la digue au loin, le bras amoureux des terres     

enlaçant  le rivage,

et sur le blanc corsage des vagues,  

la loupe étincelante  du soleil quand cède                                

le brouillard ,

son scintillement  de perle noire .

 

Le port baigne encore dans la brume,                                               

emprisonnant des effluves de colza et de souffre,                                     

écharpes blanches pour rouges squelettes

   – de ces épaves agonisantes qui gisent à quai

     dans l’odeur rance  d’huile et de fiente 

     comme de vieux lampions brisés –

 

Au long  de la Criée veillent  les mouettes nonchalantes ,

un bécasseau becquette ,

     indifférent

au soleil qui déverse soudain ses cuillères d’argent

sur les cafés crème en terrasse, 

ses dentelles de baptiste sur l’eau,

et tire un instant de l’insondable oubli

la rouille brune  des  cargos. 

 


Le premier train – (Susanne Derève ) –


Photo RC (port de Brest)

Le premier train part à cinq heures.

La nuit tapine encore

que déjà monte la clameur des rails,

ébranlant de ses wagons sonores  l’année nouvelle.   

 

Voyageur solitaire, tu guettes la naissance

de l’aube et tu regardes défiler la mer ,

les derniers bateaux à l’ancre , le port désert ,

 le ruban incertain de la plage ,

 

puis tu t’enfonces,  bercé par l’amble  monotone ,                         

dans le vaste cœur des futaies qu’ensevelit  la  bruine,

comme une vague fouillant  le sein lourd des terres ,   

                                                       

avant de t’endormir  serrant contre ton corps ta mince gabardine,                                              

indifférent à la  nuit qui se retire bredouille,          

loin de la foule et des lumières.


Pontaniou – (Susanne Derève )-


 

.

En longeant les murs délabrés de l’ancienne prison

de Pontaniou  sous le fil bleu des grues

je me disais, suspendue à ton bras :

«  Te retrouver est comme aimer une première fois,

     et la vie une fleur vagabonde ».

De sa corolle ouverte  renaissait ton sourire.  

Que serions-nous demain ?

En ce joyeux Dimanche d’automne 

les enfants babillaient  sous les claires verrières

de l’ancien Arsenal.

La rue de Saint-Malo retentissait de rires.

Verrions-nous  un jour des rideaux aux fenêtres 

de l’austère prison , 

et des roses y fleurir ?

voir expositions/anciennes/prisons/pontaniou-ombres-et-lumieres/

                                 


La mer – ( Susanne Derève) –


Arkhip Kuindzhi – Pêche sur la mer noire

.

Tapie , retranchée dans la nuit
je la devine à son long battement
de métronome ,
à la fulgurance de ses phares ,
à leur éclat – deux rouges un vert –
marquant l’entrée du port

Je la devine mordant la plage 
où la vague prend son essor
tutoie le ciel ,
dérobe un éclat de silence ,
et se saborde sur le sable ,
le sable froid des nuits d’été

La mer …
Je la devine essuyant les rochers
d’un blanc suaire d’écume
sous le vol lourd des goélands,
à son chant de cloche brisée
lorsque forcit le vent .


Il rêva ce cor nu – (Susanne Derève)


Photo SD – Pancarte de rue – Recouvrance – Brest

Il rêva ce cor nu
l’olifant
un cerf filant sous la ramée
une tendre biche aux abois
et leur fuite éperdue
les orgues du couchant
la mise à mort la curée

Il rêva d’un corps nu
plus pur qu’un corps d’enfant
de la douceur des draps
sur sa peau de son rire ingénu
Il rêva d’être amant

Il rêva d’un cor nu
rêve de concertiste
dans une symphonie
portée par les hautbois
si fervente et si tendre

qu’il s’éveilla tremblant
se demandant
qui de la mort
ou de l’amour
viendrait le prendre

(inspiré d’une des pancartes de rue de Recouvrance )


Départ – ( Susanne Derève)


BREST – PHOTOMONTAGE RC

 

 

Un ciel de nuit

mais les nuages à l’horizon blanchissent déjà

Tu pars

les lanternes des grues rougissent comme des phares

 

silence   ensommeillé

qui sonne doucement de l’ébranlement des trains

du chuintement régulier des essieux  

de leur halètement sourd 

 

du chant atone des sirènes 

– voix de basse des cornes de brume

émergeant du brouillard

du claquement des toiles   au  vent

 

sonne d’un au revoir  et   d’un baiser mouillé

d’une écharpe qu’on noue

et d’un bonnet serré autour des yeux

 

Sous la  pluie qui noie les lumières de l’aube

Tu pars

 

 


C’est difficile de peindre une ville la nuit – (Susanne Derève)


 

 

pont de Recouvrance

                          Brest – pont de Recouvrance

 

 

 

C’est difficile de peindre une ville la nuit

avec ses coulées de lumières qui tremblent

dans le vent      une ville d’hiver

avec ses  guirlandes d’arbres nus  et le bruit

de la mer comme une chanson

 

 

Nuit de métal  danseuse en robe noire            

au bras raide  des grues     la lune

ouvrait le bal             T’en souviens-tu ?

Les feux des arsenaux brillaient sur la Penfeld

et le pavé des rues 

le bandeau trichrome des LED                                                        

ceignait  le béton comme un voile

 

 Berceau semé d’étoiles   nuit d’arches  silencieuses 

murailles obscures  aux bouches muettes

les lampes vacillaient  la nuit envahissait

le cadre des fenêtres

le brouillard mouchait   doucement les lanternes

l’ombre y engloutissait   la dernière taverne

                                                    Te souviens-tu ?

 

 

C’est difficile de peindre une ville la nuit

on n’en tire jamais qu’une pâle photographie

qu’on rêve en négatif      – un rêve solitaire –

Sans  nuances de gris

 

 

 


Pierre McOrlan – Escales des matins argentines et fraîches


 

Des raisons que la mer n’ignore pas…*

 

Si l’on débarque un matin, au petit jour,
dans la gare de Brest, on constate que c’est bien
une gare de fin de terre européenne, une gare d’extrémité un peu mortifiée,
une gare qui donne accès à toutes les choses
qui n’ont plus rien à voir avec la terre, ses routes conquises
par les automobiles et ses voies ferrées
qui laissent des traces brillantes dans la nuit.
L’Europe de l’Est à l’Ouest aboutit à cette gare discrète, calme,
créée pour un seul train, un convoi peu peuplé, mais toujours habité
par des figures attachantes. On ne vient pas à Brest pour jouir de la vie,
montrer l’élégance d’une robe ou refaire du sang, au soleil.
Des raisons, que la mer n’ignore pas, conduisent hommes et femmes
vers cette ville sans paquebots, sans départs.
C’est ici que l’aventure se mêle au vent de la mer.

Pierre MAC ORLAN « Brest »


Escale – (Susanne Derève)


 

1929 Charles Sheeler Pont Supérieur Upper Deck

    Charles Sheeler – Upper Deck

 

 

C’est ici que les grands navires font escale

monstres abandonnés au long des quais déserts

après avoir largué les miasmes délétères

de pétrole et de suif, qu’ils traînent à fond de cale

 

Parfois accompagnés de grands oiseaux de mer

ils fendent l’horizon, navires en cavale

émergeant de la brume, tandis que les haleurs

se préparent au bal pour les mener à terre

 

On croirait voir au loin de blanches cathédrales

érigeant vers le ciel leurs cheminées de fer

coupoles que la nuit habille de lumières,

saltimbanques parés pour le grand festival

 

avant d’aller rejoindre les débarcadères

pour y mourir un jour dans le bruit infernal

des chignoles et des grues et le cri du métal

insensibles et sourds au refrain de la mer

 

 

                            


A l’aplomb de l’enclume (Susanne Derève)


 

 

image peron

Pierre Péron – Brest 

 

 

Miroir de brume

soleil voilé

exactement à l’aplomb de l’enclume

doux reflet du métal

et le bruit sourd que fait le marteau

sur l’étal

 

Le clapotis de l’eau

dans les soutes

le pas des hommes et le pavé

qui claque

un air de jazz abandonné au vent

et le vent qui  l’emporte

 

et  l’emporte le temps

comme le son volé

à la corne de brume

son voilé   sitôt dissout

 

dans la pluie fine  froide  

je serre sur mes épaules

mon  imperméable

 

j’écoute

la musique de la nuit

au fond des cales

 

le chant des hommes

celui des gouttes d’eau

dans les flaques

 

celui du jour qui se lève

avec le long mugissement

de la ville

qui répond

à celui de la mer

 

à celui des bateaux qui rentrent

au port

à la criée

au jasement  des  mouettes rieuses

qui tournent tournent longtemps

avant de fondre sur leur proie

leurs ailes battant l’air

 

j’écoute

la voix de l’homme qui les disperse

et  ceux là-bas

qui embarquent

sans repères

 

passé le dernier fanal

dans le fracas

de la haute mer