Dominique Le Buhan – l’histoire continue des saisons

peinture Arkhip Kuindzhi
Le gris du jour, de la nuit le clair-obscur
s’unissent en l’histoire continue des saisons :
au revers de l’action, c’est être patience
que d’éprouver des heures durant leur cours :
c’est attendre de l’objet l’ombre au soleil,
savoir qu’à ce moment la chair aura l’éclat —
c’est espérer de la flamme la crue des couleurs
liées à des textures perçues sans les toucher.
Ce feu sécrète en nous le ductile espace
par les jeux du bois sec et de la cendre —
et déjà la rose d’hiver donne le blanc,
blanc repris par fleurs qui percent la neige,
puis la tulipe à son tour est la fraîcheur,
la rose avive la brique et le bleu de l’ardoise,
enfin la pivoine de son rouge touche le vert —
et le bruit de nos mots est un murmure sonore.
–
extrait des « heures inégales » ed Fata Morgana
Je suis parti pour un voyage ( RC )
–
Je pars un peu, laisser derrière moi hautes collines et ravins d’ombre,
A compter la distance, je suis les flèches blanches,
–
Elles scandent les espaces, les forêts sombres…
Laissent place aux prairies, aux cultures, et enfin aux villes,
Le long de la route qui penche,
Virevolte, agile ,
–
S’élance et voltige,
Viaducs et ponts d’audace,
Défiant le vertige,
S’appuient sur monts et terrasses,
–
Avant de connaître la plaine,
Voisine d’une rivière serpente,
Sous le soleil, sereine…
… on en oublie le souvenir des pentes.
–
Le miroir d’eau accompagne,
Sur les kilomètres parcourus,
La route de campagne,
La traversée des villages, bientôt disparus,
–
Ils changent peu à peu de style,
La pierre cédant à la brique,
L’ardoise à la tuile,
Répondant, en toute logique
–
Aux régions qui se succèdent,
Au fil des heures interprétées
Que la lumière encore possède,
D’entre les nuages… c’est l’été.
–
J’approche de chez toi,
Les maisons aux façades vives,
Le chant de ses toits,
La tour de l’église et ses ogives,
–
Je laisse sur la droite,
Le vieux village,
Et ses voies étroites,
Magasins et étalages…
–
Quelques rues encore,
La barre des bureaux
Après le drugstore,
Et puis le château d’eau…
–
Coupant le moteur,
J’ouvrirai enfin,
Le havre de fraîcheur,
L’abri de ton jardin,
–
Il y a toujours,
La porte bleue ouverte,
Sur la salle de séjour,
Le bassin aux lentilles vertes,
–
Et les chaises anciennes,
Laissées au vent,
– Attendant que tu reviennes,
Je m’assois lentement
–
A côté des plantes
Les pieds dans les lentilles,
Et pousses verdoyantes,
Je ne vois plus mes chevilles
–
Mais le reflet du saule
Et puis ton visage,
Qui me frôle l’épaule,
Les seins sous le corsage,
–
Les mots s’enroulent dans les violettes, *
Ta peau a la couleur de blondes prunes
Prêtes à d’autres cueillettes,
Je vais te retrouver sous la lune,
–
Je suis parti pour un voyage – dans tes bras.
–
RC 19 août 2013
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la belle expression « Les mots s’enroulent dans les violettes » est de Nath
Thomas Duranteau – Le vent pilleur de tombes
–
Le vent pilleur de tombes
a retourné les murs
sac vidé au sol
laissant des mots de brique
à demi envolés
et de la lumière
excisée par le semblant
d’une promesse
*
Quand rien ne parle
quand rien ne bouge
quand le silence même
thésaurise mes pas
Thomas Duranteau
–
Leon Felipe – Le mot
LE MOT
Mais que disent-ils du mot, ces poètes, là ?
Toujours dans des discussions de modiste :
sans ceinture, peut-être… ou serré, plutôt…
pourquoi pas la tunique… ou bien la casaque…
ça suffit ! Le mot est un pavé, une brique. Vous m’entendez ?…
Vous m’avez entendu, Monseigneur ?
Une brique. Une brique pour élever la Tour… il faut que la Tour soit haute… haute… haute…
jusqu’à ne plus pouvoir être plus haute.
Jusqu’à ce qu’elle arrive à la dernière corniche
de la dernière fenêtre
du dernier soleil
et qu’elle ne puisse pas être plus haute.
Jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une seule brique, un seul mot… l’ultime brique… le mot ultime
qu’on lance alors sur Dieu à toute volée
avec la force du blasphème ou de la supplique…
et qu’on lui défonce le front… pour voir si, dans son crâne,
se trouve la Lumière… ou se trouve le Néant.
–
Walk on the wild side ( RC)
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Marchant sur la suite des pavés, en jour de glace
Sous le dôme clair, balayé par le vent
Le sac de légumes à la main, regard devant
Pour ne pas glisser, – pieds bien en place –
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Aux échos des marchands, parlant de l’hiver
Celui, de la semaine commerciale
Hauts-parleurs, accrochés aux façades glaciales
La voix de Lou Reed, le long des murs de pierre
–
Walk on the wild side… c’est un conseil avisé
Le côté sauvage, est toujours ailleurs
Pourtant difficile à dessiner comme meilleur
L’appel des filles en couleurs, bien tamisé
–
Comme les lumières – du dehors de l’ailleurs
Sugar- Candy sur ses grandes jambes , la séductrice
M’appelle de mon ptit nom, voix tentatrice
C’est le décor ouaté dla boîte du ferrailleur
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Se voyant Miss James Dean, pour une journée
Soudain en quête de nourriture spirituelle
Porte des boîtes de Coca ( avec une ficelle )
Pour en donner à chacun, … c’est donc sa tournée…
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Candy ,- sucre glace – débarqua un jour de son île
Quitta soudainement les rêves de Brooklyn
N’essayant plus d’se prendre pour Marylin
En image un peu passée, des murs de ville
–
La banlieue crade , les trains en retard
Affiches lacérées sur les murs de briques
Lambeaux d’une histoire un peu pathétique
La place du marché, déserte et sans pétards…
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L’hiver a eu raison , des lumières de Noël
La fête s’est éteinte dans le blizzard
A aller s’abriter dans les halls de gare
Et cacher sous un carton les étincelles
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Les sans-abri au visage livide
Ont dans la tête Sugar-Candy, en bas résille
Et les hauts-parleurs de la place, qui grésillent
“Walk on the wild side”, ( mister Lou Reed )
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Comme dit Lou: » le ptit Joe ne fait pas d’cadeaux »
Dans la grande salle – aux dalles sales
Pas de bal ici, pour la vie, glaciale
Remisant en poussière, les rêves d’ados.
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Juste quelques seringues qui traînent
A oublier, le temps d’un voyage
Le côté sauvage, cet autre paysage
Où la musique de ce temps t’emmène.
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RC – 4 février 2012
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Ce texte mêle des impressions personnelles, avec la traduction de la chanson de Lou Reed, à ma façon…