Il faut en reprendre l’habitude l’hiver a couché sa saison sur le Léman ; les bateaux ne sont plus que des coques givrées. Il fait un froid terrible.
Dans la petite pièce du quai de Miremont, tu guettes le passage des enfants au retour de l’école alors que le courrier est en cheminement.
D’ici ne te parviennent que des images de télévision, des coups de feu d’une ville en émeute. Un désordre sans inventaire possible, un temps de chien.
Ici l’on dit qu’un temps de chien est aussi un sale temps pour les hommes. Ces hommes comme des vagues qui viennent se briser indéfiniment et meurent dans l’écume de l’habitude.
A Genève tu feuillettes ce qu’il reste de moi dans les tiroirs ; ce qu’il reste de regards sur les photos diseuses de bonne aventure. Le vide est là, au bord de tes paupières de tulle blanc.
Déjà j’ai ordonné au téléphoniste de ne plus rien passer. Mourir est un silence à impulsions discrètes, une falaise d’illusions, alors que rien ne prouve l’inexistence d’une suite.
Sur Genève il fait froid, tu me disais encore dormir dans le brouillard retrouver les traces de mes doigts sur ton ventre ; là où toutes choses naissent, là où toutes les douleurs s’enferment.
Un passage d’avions dans le ciel quelques impacts étoilent la façade d’en face et je suis en instance de silence. De l’autre côté les mêmes voiliers inquiéteront le vent, traverseront le soleil et diront que le monde n’est pas universel.
Quand un immeuble s’écroule à Beyrouth, la mer tire la couverture et les enfants continuent à courir, sur les plages minées.
Les rires sont des oiseaux de passage
la mémoire une éponge
la nuit une dissidente
tangue la vie des fuites lentes
mascarades sans limites
comme un filin d’acier au dessus du vide
je revois l’olivier des allées
la maison rose sous les cyprès
les grands peupliers jaunes d’octobre
précipice sans fond
sabordage des illusions
danse macabre aux sons des tamtams
le cri vient du ventre friable et déchiqueté
attirances des bleus voilés d’or sur la mer qui balance
la forêt d’endort aux silences des pins
chagrin parfumé d’oranges
imaginons cette vague sur le sable doré
lancinante passion des mains qui passent sur ton dos l’huile frémissante
la colline des horizons
sables mouvants de l’enfance
mon chevalier foudroyé d’ignorance
dragon frissonnant de flammes
la lune échappe aux brouillards
élève toi élève toi vers les neiges des cimes mon cœur brisé
l’azur pur tourmente l’épée qui s’agite …
Ignorant que tes hautes étoiles
avaient tremblé leur dû.
Pas un autre sanglot. Pas une brise
pour effleurer les branches,
susciter la présence des prés et des collines.
Avec courage tes lampes dans la tempête
auront lutté comme là-bas hublots et feux
du vaisseau qui oscille, se couche et sombre
fort de sa morgue et de ses cheminées.
Maintenant si je me tourne vers l’arrière
c’est pour te voir périr dans le brouillard
avec ma vie, sans un reproche.
J’aimais ces maisons qui m’ont quitté
et ces vignes qui tordaient les poignets
maigres de la douleur. La hache
qui tout à coup tranche le nœud de cordes
est plus aiguë que le croc du lion.
Aussi intraitable fut à l’entrée du désert Alexandre,
qui ignorait doute et détresse. Mais mon empire,
je le construis en soustrayant, en dispersant
les ombres et les morts.
Bientôt j’ausculterai les lignes
gravées sur la cire des paumes
pour réfuter l’arrêt sévère des destins.
Rivières et forêts, vitraux et pierres,
écoles et maisons, les sons ancrés aux souvenirs
avaient donné très tôt l’exemple.
Les oiseaux libres nous quittent dès l’automne
pour de lointains soleils que rien ne saurait abolir.
Seuls les visages sont restés dans le cadre des noms
– des cadres propres, certes, mais sans dorure.
(Infinis brefs avec leurs ombres).
Sa robe tombante Un souffle de brouillard et de rosée L’entre-laçage de la forêt, Nue elle se promène alors L’eau bleue de l’aube, Dans le baiser de sa peau Le lever du soleil du matin.
Dans d’innombrables corniches Le feu de son parfum Remplit mon encrier, Hors de la dureté de la pierre Persuadant ma volonté de monter Et faire face au monde à nouveau, Façonner le renouveau du monde Hors de la profondeur De mon amour et de ma passion, La maturité de ma virilité, La vigueur rajeunissante de sa présence Floraison dans mon coeur, Imprégnant mon être À la lumière de l’éternité.
–
( tentative de traduction: RC )
–
Her falling dress a breath of fog and dew lacing the forest, naked she then wades the blue water of dawn, in the kiss of her skin the morning sun rising.
In countless streamlets the fire of her fragrance replenishes my inkwell, out of the hardness of stone coaxing my will to rise and face the world again, shape the world anew out of the depth of my love and passion, the maturity of my manhood, the rejuvenating vigor of her presence flowering in my heart, pervading my being with the light of eternity.
J’ai prélevé dans le vocabulaire que je connaissais, quelques mots . Ils se sont disposés, dociles, sur la page blanche, comme surgis d’un brouillard épais, où la conscience s’est perdue, et le décor endormi .
Oh ! Rien de bien extraordinaire… … presque rien… Quelques essais jetés sur le papier : une ou deux expressions qui sonnent , accompagnées du silence , me déportant vers le jour, qu’ils dissimulaient.
Il faut croire que les phrases banales, ne sont que des fenêtres grises, occultant les pensées. Tant de gris où tout se brouille, et les étoiles quelque part, au-delà,
qui répondent seulement si un chant parvient à s’extraire d’entre les lignes, pour donner assez d’élan à ma plume,
( et que cela soit aussi un peu de moi. )
Nous vivons ici-bas une main serrée sur la gorge. Que rien ne soit possible était chose connue de ceux qui inventaient des pluies et tissaient des mots avec la torture de l’absence.
C’est pourquoi il y avait dans leurs prières un son de mains éprises du brouillard.
Tu as souvent navigué dans ce navire démantelé à la dérive. Tu connais la coque de bois oscillante le mascaron au front fendu et le spectre des voiles aboyant dans le brouillard lorsque tu reviens chez toi du fond de la mer aveuglé par les vagues miraculeuses dans le désordre de la houle. Lorsque tu reviens en titubant les bras ouvert accrochés aux fils de la lune. Lorsque tu montes de la mer à ta maison à l’aube couvert d’étoiles de mer. …
( par rapport au document image Luis Mizón est aussi de nationalité chilienne)
J’ai fait la connaissance d’un cerisier du Japon,
(un sakura autrement nommé prunus serrulata),
planté sur la terrasse
au sommet de la Tour Périscope
avenue d’Italie
dans le treizième arrondissement.
Assis dans la salle de réception du dernier étage
nous sommes entourés de baies vitrées qui dominent Paris,
Paris qui se cache tout en bas
dans un brouillard gris et doré
comme si le monde entier
souffrait de cataracte.
A côté de nous, une piscine
à l’œil bleu et clair, dort,
transparente et tranquille,
sans une vague.
Nous sommes loin du tsunami,
loin du tremblement de terre
et de l’accident nucléaire…
Pendant la lecture de poésie,
je regarde le prunus à travers la vitre épaisse.
Ses branches lourdes de fleurs roses en grappes serrées,
que bousculent les bourrasques et les giboulées…
Le prunus tient bon
au milieu des courants d’air contraires, dans le vent des hauteurs.
Ambassadeur, malgré lui, d’un pays qu’il ne connaît pas.
Et je me dis, même si certains le nient,
que nous sommes bien sur le même bateau,
chahuté par la tempête.
La planète comme la barque de bois clair
que nous porte le serveur du restaurant de sushis
et nous,
qui nous serrons à bord.
.
.
.
La vérité n’existe que dans l’expérience de chacun,
et même dans ce cas, dés qu’elle est rapportée, elle devient histoire.
Il est impossible de démontrer la vérité des faits et il ne faut pas le faire.
Laissons les habiles dialecticiens débattre sur la vérité de la vie.
Ce qui est important, c’est la vie elle-même.
Ce qui est réel, c’est que je suis assis à côté de ce feu dans cette pièce noircie
par la fumée de l’huile, que je vois ces flammes dansant dans ses yeux,
ce qui est vrai, c’est moi-même,
c’est la sensation fugitive que je viens d’éprouver,
impossible à transmettre à autrui.
Dehors, le brouillard est tombé,
les montagnes sombres se sont estompées,
le son de la rivière rapide résonne en toi et cela suffit.
L’anonyme se confond avec les murs
Une brume flottante envahit la scène
Tout est opaque, les sons de portent pas
A plus de cinq mètres, et les tentatives
de distinguer , du brouillard, au-delà du rideau
Se heurtent à un voile dense et ouaté
C’est l’instant où la lumière est bue
Où, même la cloche de Big-Ben est « tue »
Où se tourne le film de toutes les terreurs
Et qui peut surgir alors ? C’est Jack the Ripper…
Je suis un anonyme, que rien ne distingue
Dans la foule, je suis gris,
et porte peut-être , un parapluie
Je suis en kaki, au milieu de la soldatesque
Matricule numéroté, élément casqué
Se fondant dans la masse, je suis l’automate
Sans sentiments, lisse et hors de l’ âge
Pas besoin de tenue de camouflage
Sans aucun avis, et rien ne dépasse
Je suis mon destin, celui de ma race
Ne maîtrisant rien, – et l’avenir m’embrasse
Flottant dans un fleuve, des petits points, des faces
Ne choisissant pas , la courbe , les trajectoires
Au p’tit bonheur la chance, et gardez bon espoir
De revoir un jour, un peu de lumière
Devenir quelqu’un , sortir de l’hier
Les amants sont partis, par la porte arrière. Il n’y a plus ni deltaplanes ni montgolfières dans leur ciel si fier. Il n’y a plus que l’océan bleu et ses vagues de nuages au-dessus de notre ville sans chef et sans bagages.
Les amants sont partis sans emmener les enfants. Ceux-ci sont assis dans les écoles, sur les bancs. Seuls au monde et seuls à souffrir sans le savoir, ils existent encore, sans mots, sans jeux, dans leur doux brouillard.
Les amants sont partis sans prévenir personne. Les cuisines laissées en plan exhalent les casseroles qui frissonnent. Plus rien n’a lieu aux alentours. Si l’amour est une trahison, la ville a mis ses beaux atours pour subir le vide et l’abandon.
Les amants sont partis hier avant midi. Ils ont assassiné leurs époux et n’ont rien dit aux enfants. Enfuis sur des machines volantes, ils ne reviendront plus. Je reste mère adoptive, ange gardien, soeur nourricière, du peuple des enfants perdus.
Tu es venue le feu s’est alors ranimé
L’ombre a cédé le froid d’en bas s’est étoile
Et la terre s’est recouverte
De ta chair claire et je me suis senti léger
Tu es venue la solitude était vaincue
J’avais un guide sur la terre je savais
Me diriger je me savais démesuré
J’avançais je gagnais de l’espace et du temps
J’allais vers toi j’allais sans fin vers la lumière
Là vie avait un corps l’espoir tendait sa voile
Le sommeil ruisselait de rêves et la nuit
Promettait à l’aurore des regards confiants
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard
Ta bouche était mouillée des premières rosées
Le repos ébloui remplaçait la fatigue
Et j’adorais l’amour comme à mes premiers jours.
Le mardi 17 mai 1980, le train Antofagasta-Oruro quitta la gare pour un voyage de routine. Le convoi comptait un wagon postal, un de marchandises et deux de voyageurs, première et seconde classe.
Il y avait peu de voyageurs et la plupart descendirent à Calama, à mi-chemin de la frontière bolivienne. Ceux qui restaient, quatre dans le wagon de première et huit dans celui de seconde, s’installèrent pour dormir allongés sur les sièges, agréablement bercés par le roulis du train qui gravirait péniblement les trois mille et quelques mètres jusqu’au pied du volcan Ollagùe et à la bourgade du même nom.
Là, les voyageurs qui voudraient continuer jusqu’à Oruro devraient prendre un train bolivien, tandis que l’express Antofagasta-Oruro poursuivrait sa route une centaine de kilomètres en territoire chilien jusqu’à Ujina, la fin du trajet.
Pourquoi l’express s’appelait-il Antofagasta-Oruro, et pas! tout simplement Antofagasta-Ujina, personne ne l’a jamais compris et il en est encore ainsi. c’était un voyage ennuyeux. La pampa du- salpêtre était morte depuis trop longtemps et les villages abandonnés,
jusque par les fantômes des mineurs, n’offraient aucun spectacle digne d’intérêt. Même les guanacos languissants qui regardaient parfois passer le train avec une expression idiote, s’ennuyaient- II suffisait d’en voir un pour les avoir tous vus
.
Si bien que dormir à poings fermés, une fois épuisés le vin et la conversation, était ce qu’il y avait de mieux à faire.
Dans le wagon de première voyageaient un couple de jeunes mariés qui désiraient connaître la Bolivie – ils prévoyaient d’aller à Tiahuanaco -, un représentant en lingerie qui avait des affaires en cours à Oruro, et un apprenti coiffeur qui avait gagné un billet aller-retour à Ujina lors d’un concours radiophonique. Le futur coiffeur n’était pas très convaincu qu’un tel prix récompensât justement ses bonnes réponses au vingt questions du concours « Le cinéma et vous ».
Dans le wagon de deuxième classe tentaient de dormir un boxeur poids welter qui devait affronter trois jours plus tard, à Oruro, le champion amateur bolivien dans la même catégorie, son manager, son masseur et cinq petites sœurs de la Charité. Les nonnes n’appartenaient pas à la délégation sportive et resteraient à Ollagûe pour se consacrer à des exercices de retraite spirituelle.
Le train comptait deux mécaniciens, le responsable du wagon postal et un contrôleur.
La locomotive diesel traînait le convoi sans contretemps. Ils avaient quitté Antofagasta depuis dix-huit heures et longeaient les premiers escarpements qui protègent le volcan San Pedro et ses presque six mille mètres d’altitude. Encore cinq heures de voyage et ils entreraient à Ollagûe en affolant les chauve-souris des clochers.
Le mécanicien aux commandes vit subitement apparaître un banc de brouillard et n’y prêta guère attention. Le brouillard est chose courante dans la région, mais, sait-on jamais, il réduisit l’allure.
L’autre mécanicien somnolait assis. Il perçut le ralentissement et ouvrit les yeux.
— Qu’est-ce qui se passe ? Encore les guanacos ?
— Du brouillard. Très épais.
— T’occupe.
La locomotive s’enfonça comme un dard dans le banc de brouillard et le mécanicien remarqua alors quelque chose d’inhabituel. Le faisceau lumineux du phare ne perçait pas
i brouillard. Il s’arrondissait, comme projeté sur un mur ans et humide. Instinctivement l’homme réduisit la vitesse au minimum et son compagnon rouvrit les yeux.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Le brouillard. On ne voit rien. Je n’ai jamais vu un brouillard aussi épais.
— Tu l’as dit. Il vaudrait mieux arrêter la machine.
Ce qu’ils firent. Le train recula de quelques centimètres et s’immobilisa.
Le conducteur ouvrit une fenêtre et se pencha au-dehors en regardant vers l’avant, mais il ne vit pas le faisceau lumineux. De fait, il ne vit absolument rien et, alarmé, rentra la tête. Le phare ne semblait pas allumé.
— Merde, la bougie a fondu.
— Que diable, on va la changer.
Ils prirent une bougie neuve et sortirent sur la passerelle avec une caisse à outils. Les deux hommes tenaient une lanterne à la main. Le premier fit deux pas et s’arrêta. Il pensa que sa lanterne s’éteignait, mais en la levant il constata qu’elle était allumée. La lumière ne parvenait pas à percer le brouillard, elle se projetait quelques millimètres au-delà du verre et mourait.
— Collègue, tu es là ?
— Oui, derrière toi. Mais je ne te vois pas.
— Je commence à avoir la trouille. Donne-moi la main. Ils tâtonnèrent dans une obscurité totale et se prirent par la main, puis le corps collé à la rampe de la passerelle ils avancèrent jusqu’au phare. Il était allumé. Quand ils passaient la main devant le verre protecteur la puissante lumière la rendait transparente, mais ne parvenait pas à pénétrer d’un centimètre dans le brouillard. « — Rentrons. Il faut attendre, c’est tout.
—De retour à la cabine, le second mécanicien brancha la fadio afin d’informer de l’arrêt du train et de son retard Probable à la gare d’Ollagùe.
~~ Putain de putain !
— Qu’est-ce qu’il y a maintenant ?
— La radio. Morte. Elle ne marche plus.
— Il ne manquait plus que ça. Qu’est-ce qu’on fait ?
— Attendre. Et avec patience.
Les heures s’écoulèrent lentement comme dans toutes lp situations d’incertitude. Quatre heures du matin, six heures
— l’heure d’arrivée à Ollagùe -, sept heures, et bientôt vingt-quatre heures depuis le départ d’Antofagasta. Le brouillard ne se dissipait pas. Il était tellement dense qu’il ne laissait
pas passer la lumière du Jour, cette lacérante luminosité des aubes andines.
— Il faudrait informer les voyageurs.
— D’accord. Mais on y va ensemble.
Se tenant par la main, les deux mécaniciens descendirent de la locomotive et longèrent le train jusqu’au wagon postal. Le responsable fut heureux de les entendre et les suivit vers le wagon de première.
Ils montèrent. Le contrôleur, qui s’égosillait à fournir des
explications au représentant en lingerie, les accueillit avec soulagement.
— On va rester longtemps à l’arrêt ? J’ai des affaires importantes qui m’attendent à Oruro, déclara l’homme.
— Vous avez regardé par la fenêtre ? Vous ne voyez pas ce brouillard ? répondit un des mécaniciens.
— Et alors ? Les rails continuent, non ?
— Soyez raisonnable. Les mécaniciens savent ce qu’ils font, intervint la Jeune mariée.
— Collègue, va chercher les passagers de seconde. Il vaut mieux regrouper tout le monde.
L’homme traversa le wagon et les premiers à se présenter
furent le boxeur et son équipe. Il tint la porte ouverte pour laisser passer les nonnes.
Après une brève discussion, qui révéla que les Jeunes mariés et l’apprenti coiffeur étaient les seuls dotés de patience, une stratégie fut adoptée.
Selon les calculs des mécaniciens, ils se trouvaient tout près du volcan San Pedro, sur un tronçon de virages en épingles à cheveux qui dissuadaient de faire avancer le train dans un tel brouillard, mais il était possible que ce banc de brouillard ne soit pas très étendu. Peut-être se dissipait-il à la courbe suivante et si tel était le cas, les conducteurs étaient disposés à repartir. Mais il fallait en être sûr et envover un volontaire accompagné d’un mécanicien pour explorer la voie- Le boxeur se proposa aussitôt en disant qu’un peu de mouvement lui ferait du bien.
Afin de ne pas se voir obligés à marcher main dans la main, le boxeur et le second mécanicien s’attachèrent une corde autour de la taille, comme les alpinistes, et se mirent en marche. Ils n’avaient pas fait un pas que les passagers penchés à la portière les avaient déjà perdus de vue. Mais leur absence ne dura pas longtemps. Traînant le boxeur, qui ne comprenait pas la décision de rebrousser chemin, le mécanicien rejoignit le groupe.
— On est sur un pont, dit le cheminot.
— Quoi ? Mais il n’y a pas un seul pont sur tout le trajet, répliqua son collègue.
— Je le sais aussi bien que toi. Pourtant on est bien sur un pont. Viens avec moi.
Le boxeur fut détaché et les deux mécaniciens s’encordèrent. Ils ne se voyaient même pas. L’humidité du brouillard rendait la respiration pénible.
— Marche sur les traverses. On va faire deux pas. Prêt ? Maintenant, essaie de poser le pied entre les traverses.
L’autre fut sur le point de perdre l’équilibre. Son pied traversa le brouillard sans rencontrer de résistance.
— Saloperie ! C’est vrai. Où est-ce qu’on est ?
— Tu as quelque chose de lourd ? Je voudrais savoir s’il y a de l’eau en bas.
— Compris. Écoute bien. Je vais jeter la lanterne. Ils retinrent leur respiration aussi longtemps qu’ils le purent, mais n’entendirent pas le bruit espéré. Il n’entendirent rien.
On dirait que c’est haut
Mais où est-ce qu’on peut bien être ? Ils retournèrent au wagon et leur visage perplexe rendit les voyageurs muets.
Les nonnes distribuèrent le café qui restait dans leur th mos, le représentant en lingerie compulsa son agenda ,les jeunes mariés se prirent par la main, le boxeur se mit ‘à arpenter nerveusement le wagon d’un bout à l’autre tandis que le manager jouait aux dames avec le masseur, et l’apprem’ coiffeur sortit timidement un transistor de son sac.
— Bonne idée ! Il y a peut-être des informations sur le temps. Il est sept heures du matin, c’est l’heure du journal s’exclama un mécanicien.
Ils se pressèrent autour du garçon et, en effet, ils écoutèrent le journal, d’abord avec incrédulité, puis avec malaise, et finalement avec résignation.
Le présentateur avait parlé du tragique déraillement du train Antofagasta-Oruro survenu la nuit précédente à proximité du volcan San Pedro. Le convoi, probablement à cause d’une défaillance du système de freinage, était sorti des voies et tombé dans un précipice. Il n’y avait pas de survivants et parmi les victimes se trouvait l’éminent sportif …
Ils se regardèrent en silence. Aucun d’eux ne mènerait à bien ses projets ni ne respecterait ses rendez-vous. Une autre invitation, inexplicable celle-là, et indifférente à la marche du temps les convoquait à passer de l’autre côté du pont quand le brouillard se lèverait.
Nouvelle extraite du livre » Rendez-vous d’amour dans un pays en guerre » paru chez Métailié.en 1997 livre dont j’ai déjà « posé » « Pour tuer un souvenir » ( le recueil comporte presque une trentaine de courtes nouvelles)