Gustave Roud – frontière du temps

Chaque nuit,
chaque jour
j’atteins vivant cette frontière du temps
que nul pourtant ne passe
avant son dernier battement de cœur,
nappe de neige trouée à chaque pas,
toujours plus mince,
sa frange extrême enfin fondue
à ce banc de brume ou d’absence
qui est Ailleurs.
Sommeil de la déraison – ( RC )
–
Du sommeil de la déraison,
des rêves chavirent ,
fruits de la passion …
Faut-il s’appesantir ,
sur l’aube du réveil
ou laisser le miroir décider à sa place ?
Prolonge indéfiniment le sommeil ,
si ton image s’extrait de la glace ,
sans que tu t’en rendes compte ,
et qu’avec ton corps ,
tu affrontes
d’autres volutes, et un décor ,
qui partage celui de mes rêves .
Ils sont toujours en partance ,
et parfois la brume se soulève
assez pour qu’ils s’élancent
à travers le miroir,
( il suffit, pour cela, d’y croire )
–
RC – sept 2018
Pas d’épaisseur, de celle des pierres – ( RC )
image – montage perso
Je te verrai,
Image présente,
A travers les murs,
Tournant mon regard
Vers où je te sais.
Il n’y a pas d’épaisseur,
De celles des pierres,
A jouer la distance
Avaler les espaces,
Les collines et les villes,
Redessinant tes gestes,
Comme si la barque des songes,
Ouvrait aux portes du jour,
Ta silhouette indécise
Se découpant dans la brume.
–
RC – juin 2014
Joseph Brodsky – Dédicace à Gleb Gorbovski
Quitter l’amour, dans le soleil de midi, sans retour,
et le chuchotement de l’herbe sur les pelouses qui s’enfuient.
Dans le nuage brûlant du jour, dans le crépuscule assoupi
l’aboiement des chiens de la nuit traverse les allées obliques.
Il faut résister à notre époque sombre et courir au-delà de ces années,
il faut oublier à chaque souffrance nouvelle l’infortune d’hier,
accepter à chaque instant la blessure et la douleur,
pour entrer paisible dans la brume des aurores vierges.
L’automne et impétueux en cette année de voyages,
les processions silencieuses du rouge et du noir longent le ciel,
près des arbres nus les feuilles s’envolent et trébuchent
contre les fenêtres et les pierres
Joseph Brodsky
Matin (Susanne Derève)
CHUTA KIMURA, Landscape
Se réveiller heureux un matin blanc
Il y a si peu de vent
Les arbres se diluent
dans un semblant de brume
comme une estampe japonaise
un vert grisé
où vacille un halo de lumière incertaine
Un brouillard qui s’étend jusqu’aux franges
de l’être
un demain dont on ne saisirait pas le contour
dont on se dit que l’amour peut s’y glisser
peut-être ou bien s’en évader
aux premières vendanges
par la fenêtre
L’oiseau qui se pose, replie ses ailes et s’ébroue,
le sait-il, où le mèneront les transhumances
En perd-il pour autant l’insouciance
du jour
Se rendormir heureux un matin blanc
Attendre que le rideau se lève
Faire semblant
Presque bleue – ( RC )
dessin: Albert Dürer
presque bleu, c’était le vent
presque bleue il y avait l’eau
presque bleu le ciel encore
– celui qui se reflète
avant qu’il ne se brume,
dans l’oeil du cerf abattu .
Comme s’il regardait au-delà :
sans regard pourtant ,
le presque bleu des choses promises .
Le corps est encore fumant,
chaude aussi est la terre,
avant qu’elle ne se brume de neige
presque bleue dans le froid
qui la saisit.
–
RC – sept 2017
( écho à Sylvie-E. Saliceti )
Gabriela Mistral – L’attente inutile
sculpture en bronze représentant une fille tenant un cadran solaire, au jardin botanique de Brooklyn
—
J’avais oublié qu’était devenu
rendre ton pied léger,
et comme aux jours heureux
Je suis sortie à ta rencontre sur le sentier.
J’ai passé vallée, plaine, fleuve,
et mon chant se fit triste.
Le soir renversa son vase
de lumière, et tu n’es pas venu !
Le soleil s’effilocha,
coquelicot mort consumé;
des franges de brume tremblèrent
sur la campagne. J’étais seule!
Au vent automnal craqua
d’un arbre le bras blanchi.
J’eus peur et je t’appelai ;
Bien aimé, presse le pas!”
J’ai peur et j’ai amour,
presse le pas, bien-aimé!
Mais la nuit s’épaississait
et croissait ma folie.
La espéra inûtil.
—
J’avais oublié qu’on t’avait
rendu sourd à mes cris;
j’avais oublié ton silence,
ta blancheur violacée;
ta main inerte, malhabile
désormais pour chercher ma main,
tes yeux dilatés
sur la question suprême!
La nuit agrandit sa flaque
de bitume; augure maléfique,
le hibou, de l’horrible soie de son aile,
griffa le sentier.
Je ne t’appellerai plus
car tu ne parcours plus ton étape;
mon pied nu poursuit sa route,
le tien est au repos.
C’est en vain que j ’accours au rendez-vous
par les chemins déserts.
Ton fantôme ne prendra plus corps
entre mes bras ouverts!
Tomas Tranströmer – Novembre aux reflets de nobles fourrures
C’est parce que le ciel est gris
que la terre s’est mise à briller :
les prairies et leur verdure timide,
le sol labouré et noir comme du sang caillé.
Il y a là les murs rouges d’une grange.
Et des terres submergées
comme les rizières lustrées d’une certaine Asie —
où les mouettes s’arrêtent et se souviennent.
Des creux de brume au milieu de la forêt
qui doucement s’entrechoquent.
L’inspiration qui vit cachée
et s’enfuit dans les bois comme Nils Dacke.
Tomas Tranströmer, Baltiques. Œuvres complètes 1954-2004. Poésie/Gallimard
Jacques Ancet – N’importe où
Installation : United Visual Artists
—
N’importe où une salle d’attente
par exemple les chaises rangées
le froissement des pages l’ennui
sur les visages ou n’importe quand
la porte s’ouvre grince se referme
celui qui entre dit messieurs-dames
bonjour les yeux se lèvent se baissent
on pense que c’est peut-être là
tout près on ne sait pas ce que c’est
*
Là aussi devant le soir qui tombe
collines bleues brume etc
les mots peu à peu deviennent sombres
on croit deviner que c’est à cause
de ce qui s’en va du noir qui vient
pourtant c’est autre chose la lampe
fait de l’ombre les murs se resserrent
on écoute le bruit de la voix
elle s’approche on la reconnaît
N’importe où – 1998
Un encrier versé sur le vide – ( RC )
Il y a un ciel d’orage en été,
Mais toi-seule peut le voir,
et cet encrier versé
sur le vide et la vie
dont tu pétris
la vaste esquisse…
Des nuages aux contours noirs,
Des bêtes étranges, les dents acérées,
Se bousculent et se développent
Dans l’esprit de brume
où tu navigues seule ,
bien au-delà
– on ne peut plus te suivre –
D’ailleurs le dessin au fusain,
retourne à la poussière,
et toi, à ton destin.
Il n’y a sur la page,
que les traces de tes doigts ,
mêlées aux premières gouttes
d’un ciel qui bascule .
–
RC – avr 2016
Denise Jallais – Les Couleurs de la Mer
photo d’actualité modifiée RC
Assise sur la dune
Je regarde les feux du carrefour
Rouges pour arrêter ton cœur
Jaunes pour t’ensoleiller
Verts pour te permettre
Et les voitures roulent sous la pluie
Comme dans une brume jaillissante
Vers l’odeur mêlée de la plage et des chênes verts
Je regarde les feux du carrefour
Sages comme des phares de mer
Et ton ombre changeante
Qui grandit lentement
Du fond de la route .
Denise JALLAIS « Les Couleurs de la Mer » (Seghers, 1956)
Le périmètre, qui maintient l’étranger à distance – ( RC )
photo: junipergallery.com
Je m’installe à une table.
Elle est très longue
il y a des traînées de bière qui brillent ;
les bancs sont des barres revêches,
sous des néons verdâtres;
c’est dans un quartier populaire de Prague ;
un groupe d’ouvriers, aux vestes matelassées,
s’assoit.
il fait froid dehors ;
des trams fatigués scindent un espace de brume,
on voit jusqu’au terre-plein au centre de l’avenue,
avec des herbes roussies qui s’obstinent .
Ici, le carrelage s’essaie à la géométrie
sombrant dans des zones où le ciment le nivelle.
L’ordonnance des panneaux où les spécialités
locales, sont alignées en colonnes,
est contredite, par un nuage échappé
d’une huile de friture, quelque part dans la cuisine .
Je pense à d’autres endroits ;
L’ailleurs des quartiers des ports,
l’odeur persistante du mazout,
et toujours le périmètre,
qui maintient l’étranger à distance .
Il faut du temps ,pour secouer
le manteau de solitude,
au milieu de quelques plantes maigres,
qui, elles aussi,
ne semblent pas à leur place.
–
RC – janv 2015
Soleils des gongs – ( RC )

photo: commémoration de l’anniversaire du Bouddha – Indonésie
–
Le frisson, soudain prend de l’amplitude,
Le soleil des gongs, s’élargit .
Proche. On pourrait presque le palper.
Ses rayons fusent dans l’espace
Et se posent sur les ors des Bouddhas.
–
Le temple est sérénité…
Même l’encens est immobile .
Il plane, comme brume d’automne,
Sur l’assemblée agenouillée,
Qui médite …. – orange .
–
RC- juin 2015
Jusqu’au silence blanc – ( RC )

photo: studio16mmjackinthebooks
–
Les pages jaunies des hiers,
Ont gardé la mémoire,
Intacte.
Les rives ont beau être lointaines,
Elles s’inscrivent,
Sans frontière
Au pays où le présent
ne faisait aucun doute.
Peut-on dire qu’il dérive ?
Qu’il sombrera dans l’oubli,
ou la brume,
qui, avec le lointain,
recouvre toute chose ?
Ce sont plutôt les hiers,
qui s’étiolent en notre mémoire,
comme les rides,
creusant un peu plus nos corps,
Jusqu’au silence blanc.
–
RC- dec 2014
d’après un texte d’Isabelle Debiève » Présent désarticulé «
Béatrice Douvre – Ce matin
–
Ce matin…
Ce matin est plein de brume
Où des oiseaux se mêlent à des feuilles
Des oiseaux froids se suivent
À peine si l’on distingue
Tant c’est l’aube
Leurs jeux du peu de nuit
Restée au sol d’automne
Les troncs penchent
Où nous avions marché
Par degré dans l’eau de la lumière
Comme un corps enchevêtré qui a mémoire
Et le temps pour œuvre.
–
Béatrice Douvre
Habillé de ton portrait – ( RC )

– photographe non identifié
–
Habillée de brume,
Elle enveloppe l’air,
Qu’une lueur allume,
C’est tout un mystère,
Si tu fuis le noir,
Et navigues, en puissance,
Dans le laboratoire,
Avec tes expériences…
Finissons en du tragique,
Voilà ce qu’il faut que tu crées ,
D’un coup de baguette magique,
En ouvrant le tiroir aux secrets.
Et qu’ensuite, je m’endorme,
Habillé de ton portrait,
( tu vois, j’ai changé de forme ),
En empruntant tes traits.
Il n’est pas besoin d’une messe,
Ni de prier la Vierge
Pour la caresse d’une déesse,
Encore moins, de brûler des cierges .
Juste la promesse,
De ton sourire,
Me redonne une jeunesse,
Que rien ne peut ternir.
–
RC- avril 2014

masque « sourire du jaguar » art traditionnel mexicain.
Au sujet des masques mexicains, que je trouve souvent exceptionnel, grâce à leur inventivité, une page synthétique de pinterest en donne une bonne idée…
–
Luis Cernuda – Je dirai la naissance
–
Je dirai la naissance
Je dirai la naissance des plaisirs interdits,
Comme un désir qui naît sur des tours d’épouvante,
Barreaux menaçants, fiel décoloré,
Nuit pétrifiée sous la force des poings,
Devant vous tous, même le plus rebelle,
Qui ne s’épanouir que dans la vie sans murs.
Cuirasse impénétrable, lances ou poignards,
Tout peut servir à déformer un corps ;
Ton désir est de boire à ces feuilles lascives,
Ou dormir dans cette eau caressante.
Qu’importe;
On l’a proclamé : ton esprit est impur.
La pureté, qu’importe, les dons que le destin a portés jusqu’au ciel, de ses mains immortelles ;
Qu’importe la Jeunesse, un rêve plutôt qu’un homme,
Au sourire aussi noble, plage de soie dans le déchaînement
Ces plaisirs interdits, ces planètes terrestres ,
Membres de marbre à la saveur d’été,
Suc des éponges abandonnées par la mer,
Fleurs de métal, sonores comme la poitrine d’un homme.
Solitudes hautaines, couronnes renversées,
Libertés mémorables manteau de jeunesses;
Qui insulte ces fruits, ténèbres sur la langue.
Est aussi vil qu’un roi, ou qu’une ombre de roi
Qui se traînerait aux pieds de la terre
Pour ne quémander qu’un lambeau de vie.
Il ignorait les limites dictées.
Limites de métal ou de papier,
Car le hasard lui fit ouvrir les yeux sous un jour si intense
Que n’atteignent pas des réalités vides,
D’immondes lois, des codes, des rues de paysages en ruines,
et si l’on tend alors la main,
On se heurte à des montagnes d’interdits.
Des bois impénétrables qui disent non,
Une mer qui dévore des adolescents rebelles.
Mais si l’opprobre et la mort , la colère et l’outrage ,
Ces dents avides qui attendent leur proie,
Menacent de déchaîner leurs torrents,
Vous autres, en revanche, mes plaisirs interdits,
Orgueil d’airain, ou blasphème qui ne renverse rien,
Vous offrez dans vos mains le mystère.
Un goût qui n’est souillé par nulle amertume,
Un ciel, un ciel chargé d’éclairs dévastateurs.
A bas. statues anonymes,
Ombre de l’ombre, misère, préceptes de brume
Une étincelle de ces plaisirs
Brille en cette heure vengeresse.
Son éclat peut détruire votre monde.
——
extrait de » Plaisirs interdits »
–
Verre de thé – ( RC )
Le verre dans ta main,
Lentement de vert, se teint.
Je vois ton visage inversé,
Derrière le verre de thé,
Une infusion lente,
Conjuguée de menthe.
Une vapeur, une brume,
T’enveloppe et te parfume
Tu bois doucement, tu sirotes,
Quelques feuilles flottent
Encore dans le liquide,
Que peu à peu tu vides,
La chaleur passe du verre à tes yeux,
Plus sombres qu’un grand feu,
Des rêves bleus de notre histoire,
Ont viré au noir,
Au fond du verre quelques feuilles,
Se recroquevillent dans leur deuil,
Expirant leur saveur, leur arôme,
Du bonheur, reste leur fantôme,
Une forme molle, sans utilité
Que tu vas bientôt pouvoir jeter.
–
RC – 1er novembre 2013
–
Photo – Eric Wyllie
Farah Willem – La brume et les insectes bruns

photo de l’auteure
Une pensée semble
s’ouvrir
comme une fleur de lotus dans l’eau, le rideau de verdure découvrant, chevauchant les heures, si fines, si fines, lésions et longues, élongées, entourées de molécules invisibles, une expérience, de nouvelles lois, étendues détendues, fragment du jour, errent les premiers sphinx de liseron, les voix transparentes qui se dilatent dans le jour, élytre du silence, faire entendre ce silence, dans une vérité éphémère cette distension, contre toute saison, l’esprit nage l’huile sur la brume, vers le temps qui ne peut s’empêcher, je sens le vent et ton nom, l’eau et les insectes bruns, le biseau des heures promptes, le sentiment de la boussole, l’acte des heures, je suis enracinée, la pudeur des feuilles froissées, le désœuvrement se concentre, une palette de feuilles égarées à l’abondance d’une musique lisse, ces nœuds de bois sur des substances de détails qui grouillent, je suis dupe, le couloir de la pensée sur des lignes, l’inaction mais ta voix, la voix qui me manque, le croc, ton ventre liquide, le temps se dépose, tes bras de l’éternité, des lueurs minuscules, cet infini qu’on ne peut éteindre, cet infini qu’on ne peut étreindre, et nous perdons la faculté d’être, et nous perdons la faculté d’être libres, je ressens la pensée jusqu’à l’excès des coïncidences, je n’ai rien que l’orifice, la grotte pour polir ma pensée en pensant, à travers des anneaux, des maillures, le point de la voix, les couloirs viennent d’ailleurs, l’élargissement de toi. Et mon cœur entre les seins ?
Et ensuite ? Le ciel cyclopéen.
_
Transe-plantée
Suspendu à ton regard ( RC )

photo: Lewis Wickes Hine (1931)
–
Suspendu dans le vide,
Quelque part sur les hauteurs,
J’entends crier la voix du vent,
Sous le regard étonné des nuages
— Ne reconnaissent pas mes mots
Au delà des précipices…
Ravins obscurs d’où monte une brume
Qui déjà m’enveloppe .
Ce n’est pas une corde
Qui serait le fil me reliant à la vie
Entre deux rochers
Mais juste ton cou que j’entoure,
Suspendu à ton regard,
Au-delà du vertige.
–
RC – 18 avril 2013
–

photo Lewis Wickes Hine – Icare
Femme de brume, femme de neige ( RC )
Femme d’Automne s’accroche
Fête, que la brume enivre,
C’est peut-être qu’arrive
L’hiver , qui s’approche
Et recouvre de feuilles
Le manteau de l’été
Des saisons reportées
…Fin de l’année – le deuil
Femme d’hiver arrive
Et d’un coup de manche
Peint la province blanche,
Pentes et perspectives
Et referme son piège
De silence et de velours
Même au coeur de l’amour,
Sous son habit de neige.
–
RC -16 janvier 2013
–
Pierre Seghers – Une maison où je vais seul
Un nom que le silence et les murs me renvoient
Une étrange maison qui se tient dans ma voix
Et qu’habite le vent
Un bateau de grand ciel au-dessus des forêts
Une brume qui se dissipe et disparaît
Comme au jeu des images
Luis Cernuda – La gloire du poète
La gloire du poète
Invocations (1934-1935)
La gloire du poète
Démon, ô toi mon frère, mon semblable,
Je t’ai vu pâlir, suspendu comme la lune du matin,
Caché sous un nuage dans le ciel,
Parmi les horribles montagnes,
Une flamme en guise de fleur derrière ta petite oreille tentatrice,
Et tu blasphémais plein d’un ignorant bonheur,
Pareil à un enfant quand il entonne sa prière,
Et tu te moquais, cruel, en contemplant ma lassitude de la terre.
Mais ce n’est pas à toi,
Mon amour devenu éternité,
À rire de ce rêve, de cette impuissance, de cette chute,
Car nous sommes étincelles d’un même feu
Et un même souffle nous a lancés sur les ondes ténébreuses
D’une étrange création, où les hommes
Se consument comme l’allumette en gravissant les pénibles années de leur vie.
Ta chair comme la mienne
Désire après l’eau et le soleil le frôlement de l’ombre ;
Notre parole cherche
Le jeune homme semblable à la branche fleurie
Qui courbe la grâce de son arôme et de sa couleur dans l’air tiède de mai ;
Notre regard, la mer monotone et diverse,
Habitée par le cri des oiseaux tristes dans l’orage,
Notre main de beaux vers à livrer au mépris des hommes.
Les hommes, tu les connais, toi mon frère;
Vois-les comme ils redressent leur couronne invisible
Tandis qu’ils s’effacent dans l’ombre avec leurs femmes au bras,
Fardeau d’inconsciente suffisance,
Portant à distance respectueuse de leur poitrine,
Tels des prêtres catholiques la forme de leur triste dieu,
Les enfants engendrés en ces quelques minutes dérobées au sommeil,
Pour les vouer à la promiscuité dans les lourdes ténèbres conjugales
De leurs tanières, amoncelées les unes sur les autres.
Vois-les perdus dans la nature,
Comme ils dépérissent parmi les gracieux châtaigniers ou les platanes taciturnes,
Comme ils lèvent le menton avec mesquinerie,
En sentant une peur obscure leur mordre les talons ;
Vois-les comme ils désertent leur travail au septième jour autorisé,
Tandis que la caisse, le comptoir, la clinique, l’étude, le bureau officiel
Laissent passer l’air et sa rumeur silencieuse dans leur espace solitaire.
Écoute-les vomir d’interminables phrases
Aromatisées de facile violence,
Réclamant un abri pour l’enfant enchaîné sous le divin soleil,
Une boisson tiède, qui épargne de son velours
Le climat de leur gosier,
Que pourrait meurtrir le froid excessif de l’eau naturelle.
Écoute leurs préceptes de marbre
Sur l’utilité, la norme, le beau ;
Écoute-les dicter leur loi au monde, délimiter l’amour, fixer un canon à l’inexprimable
beauté,
Tout en charmant leurs sens de haut-parleurs délirants ;
Contemple leurs étranges cerveaux
Appliqués à dresser, fils après fils, un difficile château de sable
Qui d’un front livide et torve puisse nier la paix resplendissante des étoiles.
Tels sont, mon frère,
Les êtres auprès de qui je meurs solitaire,
Fantômes d’où surgira un jour
L’érudit solennel, oracle de ces mots, les miens, devant des élèves étrangers,
Gagnant ainsi la renommée,
Plus une petite maison de campagne dans les inquiétantes montagnes proches de la
capitale ;
Pendant que toi, caché sous la brume irisée,
Tu caresses les boucles de ta chevelure
Et contemples d’en haut, d’un air distrait,
ce monde sale où le poète étouffe.
Tu sais pourtant que ma voix est la tienne,
Que mon amour est le tien ;
Laisse, oh, laisse pour une longue nuit
Glisser ton corps chaud et obscur,
Léger comme un fouet,
Sous le mien, momie d’ennui enfouie dans une tombe anonyme,
Et que tes baisers, cette source intarissable,
Versent en moi la fièvre d’une passion à mort entre nous deux ;
Car je suis las du vain labeur des mots,
Comme l’enfant est las des doux petits cailloux
Qu’il jette dans le lac pour voir son calme frissonner
Et le reflet d’une grande aile mystérieuse.
Il est l’heure à présent, il est grand temps
Que tes mains cèdent à ma vie
L’amer poignard convoité du poète;
Que tu le plonges d’un seul coup précis
Dans cette poitrine sonore et vibrante, pareille à un luth,
Où la mort elle seule,
La mort elle seule,
Peut faire résonner la mélodie promise.
Luis Cernuda
(Traductions inédites de Jacques Ancet)

photo: Matt Black travailleurs immigrés Fresno, California
Corne de brume ( RC )
–
A l’écoute indécise,
Tu entends les vagues,
En tendant l’oreille
A la conque de soleil
Et la vie s’enroule,
Se love sur elle-même,
Aux ressacs, sur les rochers,
Elle donne son écume…
Ainsi mes doigts joints
Autour de ton attente
Qui forment la coquille
Portée dans ta main.
Tu es sur le sable
Etendu sous la lune
Les algues enroulées sur tes pieds
Intensément, tu m’écoutes
En corne de brume
–
RC – 1er nov 2012
Charing Cross, au matin ( RC )
Je vois une large avenue en arc, verte
Où balbutient des branches sans feuilles,
Et de vielles autos bleues
Le long d’un quai de Tamise
C’est un Londres , au matin
Encore sous l’émotion de sa brume changeante,
En touches suspendues
D’ors d’ocres et verts incertains,
Charing Cross, dans un tableau de Derain
Devant les barres bleues d’ombre
Ces bâtiments vides
Je ne distingue plus les voix,
Seulement le murmure, d’une ville
Qui s’éveille et s’étire aux heures,
Et la patience immobile
Des statues sur leur socle
Encombrées de mousse,
Au charme des squares,
Encore à l’ombre, à cet instant.
Une nappe de vapeur s’étale
Et glisse , nonchalante
Des péniches lourdes,
Jusqu’aux berges lasses.
Les verticales des réverbères
Sont, aux quais, des signes bleutés
Qui attendent,
La musique du jour
Et les cris des marchands de journaux
En décalquant l’invisible
–
RC – 24 octobre 2012
–
A thought seems
open
like a lotus flower in the water, the curtain of greenery discovering, riding hours, so fine, so fine, and long lesions, élongated surrounded by invisible molecules, an experience, new laws, extended relaxed, fragment of the day , wander the first sphinx buckwheat, transparent voice which expand in the day, scissor silence, to make heard the silence, in an ephemeral truth this distension, against any season, the mind swims oil on mist, towards time that can not prevent, I feel the wind and your name, water and brown insects, bevel prompt hours, the feeling of the compass, the act of hours
I am rooted, the modesty of crushed leaves, idleness concentrates, a range of leaves lost in the abundance of smooth music, these nodes wood among substances details that swarming, I fooled, the corridor thinking on the lines, inaction but your voice, the voice that I miss, the hook, your stomach fluid, time deposits, your eternity arms, tiny lights, the infinite that can not be extinguished, this infinity we can not hug, and we lose the ability to be, and we lose the ability to be free, I feel thought to excess coincidences, I have nothing but the orifice, the cave to polish my mind thinking, through rings, silver grains, the point of your voice, corridors come from elsewhere, enlargement of you. And my heart between breasts ?
And then ? Cyclopean sky.
_
Trance-planted
–
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