A l’heure où reflue la marée – (Susanne Derève)

Henri Moret – Lande bretonne
Il me reste à brûler quelques roses flétries
et les hampes rouillées des acanthes
à tailler de grandes coupes dans les blés
pour rejoindre les prairies rases de Juillet
la lande rouge les bruyères
jusqu’à l’estran à l’heure où reflue la marée
Il me reste à sonder le ciel sans espérer
y distinguer rien d’autre qu’un fin brouillard d’été
– il tient lieu ici de beau temps –
Que le soleil darde enfin un rayon blanc
alors le voile se déchire
et la renverse du courant dessine des moires
tremblantes où chavirent les bois flottés
Il me reste la nuit tombée à suivre l’oblique
faisceau des phares dans le reflet laiteux
des vagues pour franchir la dune où zigzague
blafard un dernier rai de lune
et sonner le départ
Naître le paysage ( RC )
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De pas en pas, je t’assure,
Naît le paysage,
Où se bousculent les pierres,
Sur la page.
Juste des traits qui s’aventurent
Quand la main voyage,
Et qu’elle invite la lumière,
Ou l’orage,
Il faut suivre lignes et hachures,
Elles disent ressac, et plage,
Landes et bruyères,
Et marécages…
Le dessin, l’épure,
S’élance au passage,
Traverse la rivière,
Avec pour tout bagage,
Le crayon dans la main.
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RC – 25 août 2013
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En pensant, comme le montre le dessin qui l’accompagne, aux créations de Jacques Hemery,
voir aussi son compte rendu d’expo » Le jardin propice «
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Françoise Ascal – 1
1
Au loin la rivière roule d’obscures promesses.
Le sapin tutélaire veille,
ancêtre tenace gardant sous son aile les âmes innombrables des lapins d’autrefois, bouquet d’âmes innocentes ayant connu l’effroi sous la lame agile en ce lieu précis, misérables créatures liées aux misérables paysans, les unes et les autres aujourd’hui confondues dans l’absence, dans la radiation de tout ce ce qui fut, une fois, une unique fois présence, atomes de chair pareillement broyés sous la meule qui jamais ne crisse, jamais ne grince, terreau de misère faisant croître le sapin haut et ferme, à l’ombre duquel j’écris ce jour, traversée d’une calme joie — légère puisque sans fondement, sans raisons, sans réponses. Sans consolation.
Là -haut, le vent souffle.
Là-haut, un busard trace de grands cercles dans le bleu du ciel avant de rejoindre son poste de guet , au sommet d’un frêne.
Sous la terre et le grès rose, sous les étangs , les bouleaux, les bruyères, les anciens n’en finissent pas de se décomposer.
Le vent tourmente la peau des vivants,
attise les signes.
Au vif de l’été la plante du pied s’impatiente.