Au-delà des fenêtres – ( RC )

Peinture Andrew Wyeth
Personne ne convoite l’hiver.
Lui se cantonne sous tes fenêtres,
et ton royaume est étanche.
Il y a de ces frontières
qui dépassent les saisons,
amidonnées de givre et de silence.
Il faudra bien cependant un jour
sortir de ta bulle
pour affronter l’avenir.
L’enfance s’est rétrécie toute seule,
et tu l’a perdue de vue,
pourtant tu n’as pas froid
Car insensiblement tout s’est transformé,
et la vie, dans son royaume , s’étend
bien au-delà des fenêtres .
Tirer de l’eau du puits – ( RC )

Se pencher par dessus la margelle,
tirer sur la ficelle,
au milieu même du petit oeil rond
– découpe du ciel tout au fond -.
Lui, renvoie mon reflet,
jamais je ne ferai
taire cet éclat de lumière,
même en lui jetant une pierre.
Un reflet minuscule
tout au fond du noir
d’où je crois voir
crever quelques bulles
Il faut hisser le seau
du puits le plus profond.
Remonterai-je quelques poissons
voulant voir à quoi ressemble en-haut ?
Que ce seau est donc lourd !
est-ce seulement de l’eau
ou un chargement de lingots,
qui me vient en retour ?
une eau si précieuse
valant son pesant d’or,
comme un trésor
tapi dans l’ombre ténébreuse.
… Se pencher par dessus la margelle,
mais voilà qu’une main invisible
me fait perdre l’équilibre :
je bats des bras et chancelle ,
chute brusquement dans l’obscur,
à toute allure .
… au fond du puits
me saisissent soudain, les griffes de la nuit.
Le musée dans la piscine – ( RC )

C’est un endroit curieux
( généralement le cas des musées
que l’on fréquente encore habillé )
où l’on voit des demi-dieux
interrompant leur mouvement ,
bien conscients du danger,
avant d’aller plonger
avec leur accoutrement
dans la piscine
évoquant de très loin
la mer qui se souvient
des marées ( et ici, piétine ).
C’est une eau stagnante
où personne ne se risque
car la vie se confisque
dans une mort lente .
Quelques émanations perfides
auxquelles on ne s’attendait guère
ont changé ces héros en pierre,
( à tout jamais rigides
semblerait-il, pour l’éternité ):
on ne s’attend pas à les voir courir
ou les voir s’enfuir ,
condamnés à l’immobilité .
Peut-être est-ce préférable
à un autre destin tragique:
ces personnages de l’antique
retournant en sable
ou bien des anges
à qui on aurait coupé les ailes,
transformés en statues de sel…
le Moïse de Michel-Ange
souffrant d’insomnies
soumis à rude épreuve
retrouvé au fond d’un fleuve
ou au large d’Alexandrie…
Alors, mieux vaut patienter
( contre mauvaise fortune, bon coeur )
sous l’oeil des connaisseurs
fréquentant le musée…
L’éternité est pour eux,
rien ne presse :
ils attendront que le charme disparaisse:
il faut voir le côté avantageux,
d’être quand même à l’abri,
rassemblés ici
dans cet endroit incongru
plutôt que d’errer dans les rues .
Je ne vois qu’une solution :
c’est ce que je pense et estime –
Pour que ces statues s’animent,
proposons l’absolution,
et que des génies
changent l’eau en vin
( ou plutôt en eau de vie…)
il faut aider son prochain,
faire que le sang
de nouveau circule,
que les dieux fassent des bulles,
ils nous en seront reconnaissants –
Christian Hubin – L’auréole veuve
De l’horizon arrive la division en perles, l’intelligence inhumée.
L’auréole veuve, le glas dans la base opaque du soleil.
A ceux que son rivage éveille, l’eau de la nuit rappelle que rien n’est achevé.
Au bord de la mer, elle-même face à elle, à sa fin réfléchie.
Qu’est-ce qui revient avec les vagues ?
Qu’avons-nous fait pour à ce point avoir oublié, n’être plus ?
Bulles blanches qui s’envolent de la roche tabulaire.
L’éponge de l’air, les stries dans la lumière totalisante.
le livre est trop pesant – ( RC )
–
Si le livre est trop pesant,
et la lumière faible,
alors, je ferme les yeux
sur le défilé des pages.
Ce qui se passe dedans ?
j’ignore encore
ce que réservent
les détours de l’histoire.
Elle se déroule sans moi.
Ce sont des récits secrets
auxquels d’autres
pourront accéder.
En attendant me voila reparti
derrière le rempart du sommeil,
avec l’âme qui s’invente
tout un parcours.
C’est comme un insecte
prisonnier dans une boîte
dont les elytres
heurtent les bords.
Il en cherche la sortie,
et le rêve, de même
voudrait repousser les remparts,
en écarter les limites
pour vivre sa vie aventureuse,
détachée du corps,
et des cieux intérieurs
pour s’élancer au-dehors
hors de la conscience,
avec beaucoup de choses
encore inconnues ici :
de la musique, des odeurs
et une couleur de l’arc-en-ciel
qu’il faudrait inventer,
car on ne peut pas la saisir :
elle s’échappe comme le temps
elle est toujours en fuite,
traversant le noir
avec ses propres images
que l’on retrouve en désordre
quand par quelque hasard
on en trouve des traces,
éparpillées au petit bonheur
lorsque le réveil sonne.
Le livre est fermé,
tout à côté,
et on pourrait penser
que des idées ont filtré
dans l’espace nocturne,
comme un joute silencieuse,
une sarabande où les astres
se combattent
et rusent avec l’esprit :
la logique est abolie,
tout est alors possible,
et juste quelques bribes
se retrouvent au matin.
Il faut faire attention
car ces traces fragiles
disparaissent rapidement
– ainsi des bulles éphémères,
lorsque la lumière
commence à filtrer
à travers les volets .
–
RC – oct 2016
Le sentiment d’appartenir à une même espèce – ( RC )

photo et création Mickaëlle Delamé
–
Plutôt qu’insérer sa tête,
Dans une photographie,
et l’ovale découpé,
pour y placer son visage
il faut punaiser sur le mur
une feuille de papier kraft,
se dessiner en taille réelle,
toi debout, toi assis,
et parfois tourner la tête,
pour que les gens
puissent se regarder,
se mettre en couleurs,
s’échanger quelques paroles,
en bulles phylactères,
animer un bras, un torse,
puis les jambes ….
L’habit qu’on a choisi,
ne fait pas son moine ;
D’ailleurs il n’y
en a pas ( de moines)
chacun alors,
sort à sa manière
de son rôle, et du dessin,
devient lui-même,
sorti du regard de l’autre,
se côtoient,
les personnages
trouvant leur auteur,
décalés d’ombres chinoises,
et quelque chose de commun,
le sentiment d’appartenir,
sans doute
à une même espèce .
–
RC –
nov 2014
Les mots s’en vont, comme bulles de savon. ( RC )
–
Les mots s’en vont
Comme bulles de savon,
Vois comme elles s’enfuient,
Et les mots aussi.
Tu étais là,…. tu étais elle,
Dans ma vision, bien réelle,
Les bras ouverts, la peau de pêche,
Ma plume hésitante, et l’encre qui sèche…
Les glaïeuls disposés dans le vase,
Je n’arrive pas à finir mes phrases,
Oui, – j’étais sans doute ébloui,
Après cette journée de pluie….
Hanté par ton souvenir..
– Comment pourrais-je l’écrire ?
Réfugié dans ces fleurs écarlates,
A la cambrure délicate.
Leur couleur en est saveur,
Et précipite les heures…
Les mots , toujours, s’en vont
Comme bulles de savon,
Ils forment des phrases plates,
Qui se heurtent entre elles et éclatent,
Et disparaissent sans bruit,
Quand ta vision me poursuit.
> Je ne pourrai jamais décrire,
La courbe de ton sourire…
–
RC – 18 octobre 2013
–
Apnée des attentes – (RC )

photo: Andreas Franke
–
–
Je ne vois plus qu’un vert uniforme
Ces créatures éloignées du soleil
Suspendues, sans d’autre lumière halo,
Que celle qu’elles émettent,
–
Les danseurs de l’immobile,
Ludions
Portant leurs ampoules vacillantes,
Quelque part au-dessus,
–
Si aucune brillance,
Ne vient indiquer,
L’extrémité close,
Le mur de verre,
–
Tout un monde flottant,
Apnée des attentes,
Caresse molle des algues,
Et peu à peu s’incrustent,
–
Au bastingage métallique,
Ancre, cordage enroulés,
L’épopée coquillages
D’embuscade sédimentaire.
–
Elle vient sceller le destin,
Quand se referme le piège,
– Silence liquide.
Du gîte de l’épave,
–
Déposée de biais,
Sur le sable trouble,
S’échappent encore des bulles,
Qui vont suivre, verticales
–
L’histoire de l’air,
Pesant de son couvercle,
> D’atmosphères,
Loin , bien loin, au-dessus.
–
RC – 15 septembre 2013
–
Le rêve efface la logique ( RC )
–
Les trains n’arrivent pas à l’heure
Au rebrousse-sommeil du dormeur
Ce sont les images élastiques
Qui proposent leur ombre gratuite
Piquetées d’étoiles folles,
Emballées, sans frein, en course-poursuite
Au-dessus des boules de pins-parasol
Flottant à quelque distance de la terre
Ouvrent leur grande bouche et leurs dents en or
A avaler le ciel et ses grands mystères
Le jour qui dépasse et dort encore
Je regarde mon rêve, et reste coi.
Ainsi, dans ma tête se multiplient les fleurs.
Question.
Pourquoi, la rose est-elle sans pourquoi ?
Allons vite chercher médecins et docteurs
Même au repos, les pensées font des bulles,
N’obéissant pas aux mathématiques,
Ni à aucun calcul
Le rêve efface la logique.
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RC – 27 mars 2013
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Jean-Pierre Duprey – Sommeil dont j’ai peur
–
Un jour je dormirai du sommeil dont j’ai peur
Pour ne plus m’éveiller
Je descendrai au fond de ces temps oubliés
Où les sirènes pleurent.
Et les très longs voyages repliés dans ma tête
Seront chiffons de rêve
L’archange qui nous garde et sans nous ne s’élève
Sera l’ange de la fête
Puisse durer longtemps le phare du vaisseau
Qui nous porte sur terre
L’abri que se construisent les marins sous les flots
Me semble bien précaire
Allégés de leur poids ils sont bulles de verre
Portés par les anges
Un rêve qui les cogne claque comme une orange
Entre deux bras de mer.
Jean-Pierre Duprey
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