Jean Tardieu – au conditionnel

Si je savais écrire je saurais dessiner
Si j’avais un verre d’eau je le ferais geler
et je le conserverais sous verre
Si on me donnait une motte de beurre je
la ferais couler en bronze
Si j’avais trois mains je ne saurais où
donner de la tête
Si les plumes s’envolaient si la neige fondait
si les regards se perdaient, je
leur mettrais du plomb dans l’aile
Si je marchais toujours tout droit devant
moi, au lieu de faire le tour du
globe j’irais jusqu’à Sirius et
au-delà
Si je mangeais trop de pommes de terre je
les ferais germer sur mon cadavre
Si je sortais par la porte je rentrerais
par la fenêtre
Si j’avalais un sabre je demanderais
un grand bol de Rouge
Si j’avais une poignée de clous je les
enfoncerais dans ma main
gauche avec ma main
droite et vice versa.
Si je partais sans me retourner, je
me perdrais bientôt de vue.
Jorge Carrera Andrade – poussière , cadavre du temps
(Polvo, cadàver del tiempo)

Tu es esprit de la terre : poussière impalpable.
Omniprésente, impondérable, tu chevauches le vent,
tu franchis des milles marins, de terrestres distances
avec ta charge de visages effacés et de larves.
Oh des appartements visiteuse subtile !
Les armoires closes te connaissent.
Dépouille innombrable ou cadavre du temps
ta ruine s’écroule comme un chien.
Avare universelle, en des trous et des caves
sans répit tu entasses ton or léger et vain,
folle collectionneuse de vestiges et de formes,
tu prends des feuilles l’empreinte digitale.
Sur les meubles, les coins, les portes condamnées,
les pianos, les chapeaux vides et la vaisselle,
ton ombre ou vague mortelle
étend son morne drapeau de victoire.
Tu campes en maître sur la terre
avec les pâles légions de ton empire dispersé.
Oh rongeur, tes dents infimes dévorent la couleur,
la présence des choses.
La lumière elle-même se vêt de silence
en ton fourreau gris, tailleuse des miroirs,
Ultime héritière des choses défuntes,
tu gardes tout en ton tombeau errant.
extrait de l’anthologie J C Andrade coll Seghers poètes d’aujourd’hui
Nizzar Qabbani – tout livre traitant des prophètes
13

J’essaie -depuis mon enfance- de lire tout livre traitant des prophètes des Arabes,
Des sages des Arabes… des poètes des Arabes…
Mais je ne vois que des poèmes léchant les bottes du Khalife
pour une poignée de riz… et cinquante dirhams…
Quelle horreur!!
Et je ne vois que des tribus qui ne font pas la différence entre la chair des femmes…
Et les dattes mûres…
Quelle horreur!!
Je ne vois que des journaux qui ôtent leurs vêtements intimes…
Devant tout président venant de l’inconnu..
Devant tout colonel marchant sur le cadavre du peuple…
Devant tout usurier entassant entre ses mains des montagnes d’or…
Quelle horreur!!
en savoir un peu plus sur l »Nizzar Qabbani
Rituel – ( RC )
Le poids de l’histoire
se referme dans un soir
où son corps s’offre au sacrifice,
bientôt, tas d’immondices.
Le prêtre accomplit sa fonction,
après quelques génuflexions
pointe son couteau
à la jonction des peaux .
Une rapide entaille,
une fontaine ruisselante,
( pendant que tout le monde chante ) ;
> recueillons le sang avant qu’il ne caille…!
Elle a le temps d’ imaginer son cadavre
ouvert en son milieu,
révélant des secrets inavouables,
dans ce cimetière graisseux .
Quelques livres de chair,
qui se lisent à l’envers,
ouvert, le sachet de viande animale
– un nu on ne peut plus intégral –
où tout apparaît à découvert:
les muscles et leurs attaches,
la viande qui se relâche
les cartilages bleutés, les os et les viscères.
Le rituel ne tolère aucun remords
l’action s’est déroulée sans repentir,
on pourra bientôt lire l’avenir
à travers la mort !
Fi du corps et de ces éléments inutiles ! ;
——–> il faut aller à l’essentiel,
c’est un instant de grâce subtile
( on bénit son âme montée au ciel ).
Célébrons la Puissance Divine !
que Sa volonté s’accomplisse !
soit béni aussi, son sang pour la fertilité
les récoltes abondantes, et la fécondité !
D’habitude ce sont des animaux
sacrifiés pour la science :
là, elle a donné son corps en pleine conscience,
il n’est pas l’heure d’états d’âme sentimentaux…
Allons ! Allons ! le temps presse!
… on attend que les suivants
arrivent , modestes et resplendissants
( une dizaine suffira avant la Messe ! ).
–
RC- dec 2019
Un prince au froid – ( RC )
C’est une promenade infinie,
où l’on prend toutes précautions,
pour que l’être se conserve
en l’état :
Il n’a pas été nécessaire,
comme le faisaient les Egyptiens,
de prévoir le voyage dans l’au-delà
par un subtil embaumement.
Il suffit de promener ton cadavre
avec ce siège à roulettes
dans une galerie climatisée,
quelques degrés en-dessous de zéro.
( Tu parcours donc un circuit
– variations forcément limitées –
propice à ton ennui,
prévu pour l’éternité ).
Notons l’élégance
un peu raide de la mise,
mais sans les épaisses fourrures
que l’on revêt par grand froid …
Ton regard quelque peu absent:
on pourrait le dire « glacé »,
et les pensées immobiles,
figées, comme tes membres ,
dans une position définitive .
D’aucuns la disent hautaine.
> Mais une certaine raideur ,
assortie à tes fonctions .
–
RC – sept 2016
Salah Garmadi – Conseils aux miens pour après ma mort
photographe non identifié
Si parmi vous un jour je mourais
mais mourrai-je jamais
ne récitez pas sur mon cadavre
des versets coraniques
mais laissez-les à ceux qui en font commerce
ne me promettez pas deux arpents de terre
ne consommez pas le troisième jour après ma mort le couscous traditionnel
ce fut là en effet mon plat préféré
ne saupoudrez pas ma tombe de graines de figue
pour que les picorent les petits oiseaux du ciel
les êtres humains en ont plus besoin
n’empêchez pas les chats d’uriner sur ma tombe
ils avaient coutume de pisser sur le pas de ma porte tous les jeudis
et jamais la terre n’en trembla
ne venez pas me visiter deux fois par an au cimetière
je n’ai absolument rien pour vous recevoir
ne jurez pas sur la paix de mon âme en disant la vérité
ni même en mentant
votre vérité et vos mensonges me sont chose égale
quant à la paix de mon âme ce n’est point votre affaire
ne prononcez pas le jour de mes obsèques la formule rituelle :
« il nous a devancés dans la mort mais un jour nous l’y rejoindrons »
ce genre de course n’est pas mon sport favori
si parmi vous un jour je mourais
mais mourrai-je jamais
placez-moi au plus haut point de votre terre
et enviez-moi pour ma sécurité
Bassam Hajjar – S’il faut parler de lui ( le conteur )
S’il faut parler de lui
Evidemment,
je ne suis pas le conteur
je ne suis pas le loup
ni la porte du jardin,
je ne sais pas avant la fin
comment vous mourez
avec la déception de celui qui manque le train
et attend le train d’une heure et demie.
Evidemment,
ce n’est pas moi qui attends
car je n’ai pas même écrit une lettre
pour qu’elle m’arrive dans un an
et que je m’en réjouisse
car j’aurai attendu
que cette fois je ne serai pas déçu,
que je m’en réjouisse car le temps passe,
et que ce n’est pas moi qui fabrique les aiguilles
ni qui frappe l’émail de la montre
pour savoir combien le temps passe.
Tout comme je n’ai pas de temps
pour jeter ce qui reste par la fenêtre ou sous la table
sans que les chiens n’y fassent attention, ni les marchands,
les écoliers.
Evidemment,
ce n’est pas moi le conteur
ce n’est pas moi qui tisse dans l’ombre
la toile d’araignée de mon âme
pour raconter comme qui a peur de voir,
pour voir comme qui a peur de raconter,
pour savoir comment réveiller vos esprits silencieux
et faire de vos rires un musée
pour les échos lointains,
ce vase !
Quand vous déterrez ma main
et que vous dites : que c’est beau
ce chandelier !
Quand vous déterrez mon cadavre
et que vous dites : voilà le conteur.
Mais ce n’est pas moi le conteur,
et je ne vois pas,
à présent,
l’utilité de ces paroles.
(Février 1983)
extrait de « Tu me survivras » ( actes/Sud )
–
Mohammed Fatha – Je m’en vais la tête haute
Je m’en vais la tête haute
Absorber la misère
Moi l’ami des exilés
Mes dessins animés
Pour maintes évasions
Millénaires
Les regards assassinés
La veille des morts
A toi l’honneur
Monsieur l’Ermite
Dépuceler la sagesse
Les pistes dépeuplées
Nos vierges se complaisent
Dans les couleurs nocturnes
Nos sentiers n’ont jamais été
Impasses
Jamais indiscrets
De minables camarades
Les caravanes anonymes
Les poisons qui se crispent
En dehors des malaises
A long terme l’Exil
Tant de cimetières
Déjà au feu des croisades
AILLEURS
Offre-moi des strapontins
Je suis l’Exil
Et j’ai honte
Car j’ai vécu
Le désarroi des douars
L’enterrement des mille et une nuits
La chasse aux kasbahs
A plat-ventre
Dans mon pays
Il y a des régions oubliées
Dans les bas-fonds des mémoires
Ecartelés sans musique
Sans lecture
Des coupoles de thé
Vert. Non des fraîcheurs
Comme a dit l’Autre
Toute la ville a souffert
De lagunes par toi
Et les miettes à fond noir
Les tombeaux tuberculeux
A même le sol. Hélas
Le ciel pour une fois
S’est effondré dans ma coupe
Je suis sec
Car c’est moi ce prisonnier
Des fantômes à venir
Et non cet homme nu
Là-bas
Qui se cramponne à la foudre
Qui ne sait que pleuvoir
Sur la mer
Une pluie mordue de châtaignes
Et de figues sèches
Moi l’ami des Exilés
Millénaires
Parmi tous ces regards
Assassinés
La veille des morts
J’ai maintes fois dépassé
Les abreuvoirs à tortures
Et je viens vous offrir
Maintenant
Mon cadavre
Non ma pitié
Jamais inerte
Une charogne dérobée
A l’heure sacrilège
Voici les vautours.
–
Tachée, la mémoire du printemps ( RC )
Photo: Barb Unger Thiaumont, vers Douaumont
L’indifférence ensoleillée du paysage
…………. où l’herbe repousse
—————– Tout ce qui était mélangé,
les troncs d’arbres brisés, les larges pointillés en traces
de chenilles des chars, les cadavres des chevaux,
les tranchées inondées,
une main ou un bras seul, sortant de la boue,
les restes d’uniformes bleu horizon projetés dans les branches…
…………. tout ceci est maintenant du passé,
de l’histoire, un terreau qu’on imagine fertile
de cultures grasses
—————- l’occasion d’en faire des sujets
de disserter – indécence-
d’engagement, de patrie, d’honneur – sur fond de gaz moutarde
de soldats saoûlés de gnôle , pour donner l’assaut
et oublier l’instant présent.
L’indifférence ensoleillée du paysage,
les surfaces offertes au vent, coupées de lignes absurdes
Un sol lunaire de terre, bouleversé de cratères,
ensemble de silences, vaguement circulaires.
Les racines de jeunes bouleaux ne craignent pas d’embrasser l’archéologie
d’un siècle d’obus endormis.
Le sang disparu, tache la mémoire du printemps
…………….. et celle des hommes.
–
RC – 15 septembre 2012
–
que je complète par cet écrit trouvé aujourd’hui ( poème « de circonstance », écrit en 1914, par Marcel Martinet )
Tu vas te battre.
Quittant
L’atelier, le bureau, le chantier, l’usine,
Quittant, paysan,
La charrue, soc en l’air, dans le sillon,
La moisson sur pied, les grappes sur les ceps,
Et les bœufs vers toi beuglant du fond du pré,
Employé, quittant les madames,
Leurs gants, leurs flacons, leurs jupons,
Leurs insolences, leurs belles façons,
Quittant ton si charmant sourire,
Mineur, quittant la mine
Où tu craches tes poumons
En noire salive,
Verrier, quittant la fournaise
Qui guettait tes yeux fous,
Et toi, soldat, quittant la caserne, soldat,
Et la cour bête où l’on paresse,
Et la vie bête où l’on apprend
À bien oublier son métier,
Quittant la rue des bastringues,
La cantine et les fillasses,
Tu vas te battre.
Tu vas te battre ?
Tu quittes ta livrée, tu quittes ta misère,
Tu quittes l’outil complice du maître ?
Tu vas te battre .
Contre ce beau fils ton bourgeois
Qui vient te voir dans ton terrier,
Garçon de charrue, métayer,
Et qui te donne des conseils
En faisant à son rejeton
Un petit cours de charité ?
Contre le monsieur et la dame
Qui payait ton charmant sourire
De vendeur à cent francs par mois
En payant les robes soldées
Qu’on fabrique dans les mansardes ?
Contre l’actionnaire de mines
Et contre le patron verrier ?
Contre le jeune homme en smoking
Né pour insulter les garçons
Des cabinets particuliers
Et se saouler avec tes filles,
En buvant ton vin, vigneron,
Dans ton verre, ouvrier verrier ?
Contre ceux qui dans leurs casernes
Te dressèrent à protéger
Leurs peaux et leurs propriétés
Des maigres ombres de révolte
Que dans la mine ou l’atelier
Ou le chantier auraient tentées
Tes frères, tes frères, ouvrier ?
Pauvre, tu vas te battre ?
Contre les riches, contre les maîtres,
Contre ceux qui mangent ta part,
Contre ceux qui mangent ta vie,
Contre les bien nourris qui mangent
La part et la vie de tes fils,
Contre ceux qui ont des autos,
Et des larbins et des châteaux,
Des autos de leur boue éclaboussant ta blouse,
Des châteaux qu’à travers leurs grilles tu admires,
Des larbins ricanant devant ton bourgeron,
Tu vas te battre pour ton pain,
Pour ta pensée et pour ton cœur,
Pour tes petits, pour leur maman,
Contre ceux qui t’ont dépouillé
Et contre ceux qui t’ont raillé
Et contre ceux qui t’ont souillé
De leur pitié, de leur injure,
Pauvre courbé, pauvre déchu,
Pauvre insurgé, tu vas te battre
Contre ceux qui t’ont fait une âme de misère,
Ce cœur de résigné et ce cœur de vaincu… ?
Pauvre, paysan, ouvrier,
Avec ceux qui t’ont fait une âme de misère,
Avec le riche, avec le maître,
Avec ceux qui t’ayant fusillé dans tes grèves
T’ont rationné ton salaire,
Pour ceux qui t’ont construit autour de leurs usines
Des temples et des assommoirs
Et qui ont fait pleurer devant le buffet vide
Ta femme et vos petits sans pain,
Pour que ceux qui t’ont fait une âme de misère
Restent seuls à vivre de toi
Et pour que leurs grands cœurs ne soient point assombris
Par les larmes de leur patrie,
Pour te bien enivrer de l’oubli de toi-même,
Pauvre, paysan, ouvrier,
Avec le riche, avec le maître,
Contre les dépouillés, contre les asservis,
Contre ton frère, contre toi-même,
Tu vas te battre, tu vas te battre !
Va donc !
Dans vos congrès vous vous serriez les mains,
Camarades. Un seul sang coulait dans un seul corps.
Berlin, Londres, Paris, Vienne, Moscou, Bruxelles,
Vous étiez là ; le peuple entier des travailleurs
Était là ; le vieux monde oppresseur et barbare
Sentant déjà sur soi peser vos mains unies,
Frémissait, entendant obscurément monter
Sous ses iniquités et sous ses tyrannies
Les voix de la justice et de la liberté,
Hier.
Constructeurs de cités, âmes libres et fières,
Cœurs francs, vous étiez là, frères d’armes, debout,
Et confondus devant un ennemi commun,
Hier.
Et aujourd’hui ? Aujourd’hui comme hier
Berlin, Londres, Paris, Vienne, Moscou, Bruxelles,
Vous êtes là ; le peuple entier des travailleurs
Est là. Il est bien là, le peuple des esclaves,
Le peuple des hâbleurs et des frères parjures.
Ces mains que tu serrais,
Elles tiennent bien des fusils,
Des lances, des sabres,
Elles manœuvrent des canons,
Des obusiers, des mitrailleuses,
Contre toi ;
Et toi, toi aussi, tu as des mitrailleuses,
Toi aussi tu as un bon fusil,
Contre ton frère.
Travaille, travailleur.
Fondeur du Creusot, devant toi
Il y a un fondeur d’Essen,
Tue-le.
Mineur de Saxe, devant toi
Il y a un mineur de Lens,
Tue-le.
Docker du Havre, devant toi
Il y a un docker de Brême,
Tue et tue, tue-le, tuez-vous,
Travaille, travailleur.
Oh ! Regarde tes mains.
Ô pauvre, ouvrier, paysan,
Regarde tes lourdes mains noires,
De tous tes yeux, usés, rougis,
Regarde tes filles, leurs joues blêmes,
Regarde tes fils, leurs bras maigres,
Regarde leurs cœurs avilis,
Et ta vieille compagne, regarde son visage,
Celui de vos vingt ans,
Et son corps misérable et son âme flétrie,
Et ceci encor, devant toi,
Regarde la fosse commune,
Tes compagnons, tes père et mère…
Et maintenant, et maintenant,
Va te battre.
Le 30 juillet 1914
Marcel Martinet; « les temps maudits »
—
et ce texte de Thomas Vinau
–
Ce noir qui remonte
Les trous d’obus les fosses
les tranchées et les tombes
sont les lieux de naissance privilégiés
du coquelicot
de même que les blessures les non-dits
les plaies et les silences
sont les nurseries habituelles
du poème …
Samih al-Qassim -Testament d’un homme qui meurt en exil

peinture " fire painting" Yves Klein
–
( extrait d’une anthologie du poème arabe moderne, de A. K. El Janabi et Mona Huerta—-> suivre ce lien)
Testament d’un homme qui meurt en exil
Allumez le feu
Pour qu’au miroir des flammes
Je voie la cour de la maison, le pont
Et les champs dorés.
Allumez le feu pour que je voie mes larmes
La nuit du massacre
Que je voie votre soeur, cadavre
Au coeur déchiqueté comme un oiseau
Par les langues et les vents métis
Allumez le feu pour que je voie
Votre soeur comme un cadavre,
Le jasmin comme un linceul
Et la lune comme un encensoir
La nuit du massacre
Allumez le feu pour que je me voie mourir
Mon soupir désespéré sera votre héritage,
Mon soupir désespéré
avant que le jasmin ne devienne témoin
Que la lune ne devienne témoin
Allumez le feu pour que vous puissiez voir
Allumez le feu…
–
Edith de Cornulier – Atone
Almasoror ( l’âme soeur) si j’ai bien lu... est un site que je qualifierai de « multi-disciplinaire », … il y a une foule de liens, et d’articles , et en patience il va me falloir, du temps pour en avoir une petite idée…
mais je me suis dirigé de suite vers la section « poésie », où des photographies sont « accompagnées », ici de textes de Edith de Cornulier-Lucinère, – voir son blog perso –
qu’elle abrège sous E CL…
j’ai navigué sur quelques uns et tout ce que j’ai lu a capté mon attention, voici d’un d’entre eux:
ATONE
–
Ma voix coule dans le soir
Mais mon cœur demeure aphone
Je respire dans ce bar
Des vapeurs d’alcool atone
Nous traversons les saisons
Main dans la main bien trop sages
Je n’observe à l’horizon
Aucun feu, aucun mirage
La vie et ses expériences,
Je les traverse en apnée
Puisque aucune délivrance
Ne nous est jamais donnée
Mais ce soir, dans la lumière
Du bar où flotte un suspense,
Ce soir je veux le salaire
Des années d’obéissance.
Que les lois et la morale
S’effacent de mon karma ;
De se courber sous leur pâle
Mensonge, mon crâne est las.
Dans ce corps où tout s’éteint
Pour jamais n’être fécond,
Que la passion prenne enfin,
S’il reste des braises au fond.
Que le désir se rallume,
Qu’il fasse briller mes yeux,
Pour qu’ils se désaccoutument
De leur rideau vertueux.
J’en appelle aux dieux païens
Ceux qui boivent et ceux qui chantent,
Qu’ils déchargent mon destin
De la ration, de l’attente.
J’en appelle même au stupre,
Si lui seul peut délivrer
Du convenable sans sucre
Un cadavre articulé.
Et toi, frère et faux-amour,
Co-victime et co-coupable,
Vas-tu taire pour toujours
L’hypocrisie impalpable ?
Nous traversons les saisons
Main dans la main bien trop sages
Et rien dans notre prison
Ne présage un grand orage.
Mais ma voix coule ce soir,
Et mon cœur te téléphone,
Je respire dans le bar
Des instances qui frissonnent.
Et si tu ne réponds pas,
Si rien en toi ne s’éveille,
Parce que mon cœur est las
Des jours aux autres pareils,
Tu prendras tout seul le train,
Et dans la nuit qui appelle,
Coupable de ton chagrin,
Je chercherai l’étincelle.
–
Hubert Haddad – une rumeur d’immortalité 01
I
vie lointaine, jour d’avant Ulysse agonise au bord du murmure
je me souviens d’une lutte légendaire et du long sacrilège des statues
mainte source rêve le grand large seule odyssée dans la cécité pure du diamant
âme errante à peine émue d’un mouvement d’algues au fond des mers
nuque rase et poignets tendus j’attends l’heure perdue d’aimer
mais nul n’approche la solitude je suis l’absence et le tombeau
rien ne s’élève à moi que les mouches d’un cadavre
l’oubli mélodieux berce l’antique mémoire corps que la mort baigne aux îles infortunées
je meurs je meurs, ami du temps paroles d’élytres entre les dents
que m’efface la musique la neige m’enseignera doucement le sommeil
—
texte paru dans « propos de campagne », revue poétique