Philippe Delaveau – Instants d’éternité faillible
Ignorant que tes hautes étoiles
avaient tremblé leur dû.
Pas un autre sanglot. Pas une brise
pour effleurer les branches,
susciter la présence des prés et des collines.
Avec courage tes lampes dans la tempête
auront lutté comme là-bas hublots et feux
du vaisseau qui oscille, se couche et sombre
fort de sa morgue et de ses cheminées.
Maintenant si je me tourne vers l’arrière
c’est pour te voir périr dans le brouillard
avec ma vie, sans un reproche.
J’aimais ces maisons qui m’ont quitté
et ces vignes qui tordaient les poignets
maigres de la douleur. La hache
qui tout à coup tranche le nœud de cordes
est plus aiguë que le croc du lion.
Aussi intraitable fut à l’entrée du désert Alexandre,
qui ignorait doute et détresse. Mais mon empire,
je le construis en soustrayant, en dispersant
les ombres et les morts.
Bientôt j’ausculterai les lignes
gravées sur la cire des paumes
pour réfuter l’arrêt sévère des destins.
Rivières et forêts, vitraux et pierres,
écoles et maisons, les sons ancrés aux souvenirs
avaient donné très tôt l’exemple.
Les oiseaux libres nous quittent dès l’automne
pour de lointains soleils que rien ne saurait abolir.
Seuls les visages sont restés dans le cadre des noms
– des cadres propres, certes, mais sans dorure.
(Infinis brefs avec leurs ombres).
Anna Niarakis – Dans une chambre d’un autre continent ( Quantum )
–
Tu es quelque part ,ailleurs.
Dans une chambre d’un autre continent.
Murs décorés avec des cadres trouvés dans des poubelles
Il y a quelque part mes lettres, cachées .
Pour moi, ici, quelque part .
Dans une autre chambre.
Ornée de photos de bébé.
Il y a quelque part cachées
tes lettres.
Nous ne pourrons jamais nous répondre, tu as dit.
Chacun portant sa propre solitude.
Nous ne nous écrirons plus
Les murs et les étagères ne pouvaient supporter,
d’autre décoration.
–
Moins que des natures mortes – ( RC )
–
Un jour, – que je m’aventurais
A visiter les salles des musées,
Suivant les galeries des portraits,
Les enfilades de parquets cirés,
Princes et généraux,
Ducs et cardinaux,
Chacun en habits d’époque,
Qui de sa toque,
Qui de son manteau de renard,
Ou de son pourpoint,
Toisant l’assistance d’un regard,
Pour la postérité – avec dédain…
–
Pourtant l’histoire oscille,
Au rythme des années,
…. Ce sont des objets futiles,
Que l’on a conservés.
C’est une triste cohorte,
Figée derrière son vernis
Ce sont moins que des natures mortes,
Leur vie s’est évanouie…
… – Et recroquevillée…
Ils ne représentent plus rien,
Ils ont été oubliés,
( on a perdu le lien )
–
Un peu comme ces papillons,
Du musée d’histoire naturelle,
Faisant partie de la collection,
– couleurs , élégance des ailes –
Epinglés sur leur support ,
Avec dessous un nom latin ,
Ce n’est que celui d’un mort…
En habits de satin .
Les natures mortes, elles,
» Still living » , in english,
D’où la lumière ruisselle,
Associent aux fruits, une fraîche miche.
–
Au bal des coquilles vides,
Les musées fourmillent,
De portraits insipides,
De vieilles familles,
Il fallait orner les demeures,
Attester de l’origine, de la lignée,
La comtesse et sa belle-soeur,
Leurs descendants, tous alignés,
Sous les perruques poudrées …
Le peintre ayant posé une lumière,
Subtilement cendrée …
Maintenant avalée par la poussière.

portraits au château de Bussy-Rabutin
–
Ces familles satisfaites ,
A l’attitude altière,
En habits de fête,
Ruban à la boutonnière
Chapeaux de plume , ou armures…
– Les couches de peinture jaunie,
Enfermées sous cadres et dorures,
Sont maintenant ternies.
Des symboles de pouvoir,
Ces objets désuets,
Ne sauraient nous émouvoir….
– Ils sont maintenant muets .
–
RC – février 2014