A ceux qui s’enivrent des vapeurs d’essence, je dédie un murmure qui s’élève au-dessus des buildings.
Dans les replis de la ville, on ne compte plus les étages, et ceux qui montent vers les sommets se désaltèrent d’illusions. Ils pensent ainsi dominer une partie de la planète, jouissent d’un capharnaüm de luxe, ponctué de dentelles de néons, du trafic des automobiles sur les bretelles d’autoroute, de leur grondement continu , qui passerait pour la pulsation du monde.
Sans doute aimeront ils voir s’allumer une à une, les lumières des façades, plain-chant d’un anonymat qui se voudrait feu d’artifice. Mais c’est parce que la nuit favorise les contrastes, le jour enlève les fards, révèle la laideur du béton, les puits d’ombre entre les bâtiments où végètent d’insalubres masures.
Dans les grandes métropoles, on perd toute mesure : l’empilement vertical s’étire avec prétention ; vertige de puissance des multinationales jusqu’à l’outrance des écrans géants et lettres lumineuses . ( on nous ferait croire qu’on se nourrit de parfums et de billets de banque ).
La voiture y est maître, rutilants cafards errant dans les avenues. Le piéton paraît incongru dans un monde qui n’est pensé que pour elle, à moins de sortir du centre, et de retrouver peut-être une vie à dimension plus humaine, moins saturée d’imagerie consumériste tapageuse…
A ceux qui s’enivrent des vapeurs d’essence, je dédie ce murmure…
Pourquoi m’arrêterais-je, pourquoi? Les oiseaux sont partis en quête d’une direction bleue L’horizon est vertical L’horizon est vertical, le mouvement une fontaine Et dans les limites de la vision Les planètes tournoient lumineuses Dans les hauteurs la terre accède à la répétition Et des puits d’air Se transforment en tunnels de liaison. Le jour est une étendue, Qui ne peut être contenue Dans l’imagination du vers qui ronge un journal
Pourquoi m’arrêterais-je? Le mystère traverse les vaisseaux de la vie
L’atmosphère matricielle de la lune, Sa qualité, tuera les cellules pourries Et dans l’espace alchimique après le lever du soleil Seule la voix Sera absorbée par les particules du temps Pourquoi m’arrêterais-je? Que peut être le marécage, sinon le lieu de pondaison des insectes de pourriture Les pensées de la morgue sont écrites par les cadavres gonflés L’homme faux dans la noirceur A dissimulé sa virilité défaillante Et les cafards…ah Quand les cafards parlent! Pourquoi m’arrêterais-je? Tout le labeur des lettres de plomb est inutile, Tout le labeur des lettres de plomb, Ne sauvera pas une pensée mesquine Je suis de la lignée des arbres Respirer l’air stagnant m’ennuie Un oiseau mort m’a conseillé de garder en mémoire le vol La finalité de toutes les forces est de s’unir, de s’unir, À l’origine du soleil Et de se déverser dans l’esprit de la lumière Il est naturel que les moulins à vent pourrissent Pourquoi m’arrêterais-je? Je tiens l’épi vert du blé sous mon sein La voix, la voix, seulement la voix La voix du désir de l’eau de couler La voix de l’écoulement de la lumière sur la féminité de la terre La voix de la formation d’un embryon de sens Et l’expression de la mémoire commune de l’amour La voix, la voix, la voix, il n’y a que la voix qui reste Au pays des lilliputiens, Les repères de la mesure d’un voyage ne quittent pas l’orbite du zéro Pourquoi m’arrêterais-je? J’obéis aux quatre éléments Rédiger les lois de mon cœur, N’est pas l’affaire du gouvernement des aveugles local Qu’ai-je à faire avec le long hurlement de sauvagerie? De l’organe sexuel animal Qu’ai-je à faire avec le frémissement des vers dans le vide de la viande? C’est la lignée du sang des fleurs qui m’a engagée à vivre La race du sang des fleurs savez-vous?
La tante Maritsa, la tante Katina avec leurs petits chapeaux, avec leurs broches en or, avec leurs meubles entassés l’un sur l’autre, avec les coffrets peints, les paires de draps brodés, avec les mille cuivres de cuisine. A quoi bon avoir amassé tout cela – disaient-elles – nous n’avons même plus où nous asseoir. Et pourtant elles continuaient à amasser bouts de ficelle, sacs en papier, pinces à linge. Les cafards et les mites, cricricri, à l’ouvrage. Jusqu’à une nuit où leur maison a pris feu.
Les deux vieilles filles maigres ont couru, déchaussées, à moitié nues dans la rue avec leurs longues chemises de nuit blanches, et elles sont restées ainsi abasourdies, tremblantes à regarder le feu, gardant chacune à la main seulement un petit chapeau noir.
J´ suis l´homme moderne, élevé aux plateaux télé
Génération micro-onde et plats surgelés
Collectionneur d´objets sans utilité
Nostalgique d´un passé qui n´a jamais existé
J´ suis l´homme high-tech, discothèque, internet
Pas d´ bibliothèque comme en avaient mes ancêtres
Ou peut-être pour la décoration du living
Avec d´authentiques objets d´arts fabriqués en usine
J´aime cette vie urbaine
Les réparties à l´américaine, le câble, les chaînes
J´ suis l´homme-western, un amas cellulaire
Le porte-parole du néant, paumé sans son cellulaire
J´ suis l´homme sans fil, relié par satellite
J´évolue sous un ciel bleu électrique
J´aime l´odeur de l´essence, les horizons cimentés
Symétriques, supermarchés, musique électronique
J´ suis l´homme-pub, l´homme dernier cri
Appartement insalubre, vêtements hors de prix
Un look industriel, des clones à chaque coin de rue, fringués pareil
Un uniforme original reste quand même un uniforme
J´ suis l´homme poupée Barbie
Version barbue, bien entretenu
Si j´ prends soin de moi, c´est pas pour vivre centenaire
J´ai juste envie d´avoir l´air d´une affiche publicitaire
J´ suis l´homme à tout faire, j´ai pas d´ vocation, pas d´ chemin
J´ trime par intérim, prends les transports en commun
Le week-end, j´ vais en boîte, on s´y ennuie en commun
J´ suis l´homme personne, on a des points en commun!
On a les mêmes apparts, on a les mêmes cafards
Les mêmes grand-mères mourantes qu´on prend pas l´ temps d´aller voir
Les mêmes boulots à la chaîne
Les mêmes défonces pour oublier les mêmes problèmes
J´ suis juste l´homme moderne
J´ suis l´homme moderne, posé là comme un meuble
Témoin oculaire d´une justice aveugle
À l´étroit dans mon immeuble, un mammifère de trop
Un danger pour la planète, un régal pour les asticots
J´ suis l´homme-voiture, auto, toutes options
L´air conditionné, l´airbag, et même l´air con
J´ pousse le son à fond, baisse ma vitre
Persuadé d´avoir bon goût et qu´ tout le monde aime ma musique
J´ suis l´homme vite, môme des années quatre-vingts
Qui s´approche de la trentaine et qui s´ sent vieux soudain
Je m´ souviens des génériques des vieux dessins animés
J´ connais par cœur tous les slogans des vieilles publicités
Génération Betamax, k7 audio, baladeurs
Je m´ suis senti à la pointe avec les premiers bipeurs
J´ suis l´homme spectateur du temps qui passe
Qui efface tout et qui détruis tout quoi que je fasse
J´ suis l´homme moderne, l´avenir de mes parents
Ces hommes des cavernes, aux principes étonnants
Luttant encore, s´indignant haut et fort
Comme des dinosaures qui n´ont pas compris qu´ils étaient déjà morts
J´ suis l´homme engagé
La rébellion déclinée en produit dérivé
Un peu artiste, un peu escroc, un peu confus
Prisonnier d´une image qui ne le reflète plus
J´ suis l´homme muscu, jogging, régime, club de gym
Protéine et cure de L-carnitine
Tenté par le bouddhisme, la médecine parallèle
Dont les bonnes résolutions finissent toutes à la poubelle
J´ suis l´homme-puzzle, en pièces détachées
Le résultat de millions d´êtres et de millions d´années
Mes ancêtres étaient des guerriers, des grands bâtisseurs
Pas moi, mais j´ai un portable 3G et d´ailleurs
Bluetoothe ton numéro, qu´on s´appelle pour rien s´ dire
Envoie-moi des textos et des photos bien délire
Prends cette mini vidéo, tu vas voir elle est fatale
Dedans, y a cette nana qui s´ fait déboîter par un cheval
J´ suis l´homme-travail, j´ai besoin d´ vacances
Parqué sur un camping sale dans le sud de la France
Après quinze heures de bagnole, péages et embouteillages
Les HLM de bord de plage me gâchent le paysage
J´ suis l´homme dommage, l´homme désolé
L´homme pas de bol, pas de chance, moi j´ peux pas vous aider
Assis derrière son bureau, devant son ordinateur
Finissant sa réussite, en attendant qu´il soit l´heure
J´ suis l´homme, l´homme-cheminée, l´homme-cigarette
J´ suis l´homme déterminé, demain j´arrête
Mais pour l´instant j´ suis qu´un smicard banal
Qui dépense toutes ses thunes dans un suicide légal
J´ suis l´homme j´ sais pas, ça m´est égal, j´ m´en fous
J´ vote pas, la gauche, la droite, c´est la même chose partout
J´ vais quand même pas perdre une heure pour l´avenir de c´ pays
Par contre j´ai voté pour l´autre con à la Star Academy
J´ suis l´homme tout est permis, ouais, j´ me dis que c´est pas d´ ma faute
Je m´ dis… Je m´ dis qu´ si c´est pas moi, ce sera juste quelqu´un d´autre
J´ai fait un paquet de saloperies dans ma vie mais, tu sais,
J´ai toujours une excuse pour avoir la conscience en paix
J´ suis l´homme des villes, l´individualiste
L´esprit léger, engagé dans un combat égoïste
Quand j´ regarde par la fenêtre, j´ vois pas d´ gens à l´extérieur
Je vois qu´ mon reflet dans la glace et je m´ trouve beau d´ailleurs
J´ suis l´homme-mouton
Celui à qui on a appris à aimer sa prison
J´ pourrais m´évader, mais non, j´ le ferai pas
J´ suis mon propre maton et j´ai peur de moi
J´ m´ennuie, j´ suis l´homme blasé
J´ m´ennuie comme un soldat en période de paix
En attendant de trouver une vraie raison d´exister
Je fais comme tout le monde, j´allume la télé
J´ suis l´homme paumé, sans réaction
J´ai pas d´esprit à part l´esprit d´ contradiction
Polémiques à la con, avis interchangeables
Comment se faire remarquer quand on n´est pas remarquable?
J´ suis l´homme blanc, descendant d´un colon
Le subconscient honteux de toutes ses persécutions
Démagogue de gauche, le profil du mec bien
Politiquement correct, mais qui n´en pense pas moins
J´ suis l´homme-doute, c´est ma seule certitude
Un visage perdu dans la multitude
Où sont passées toutes ces odeurs familières
Tous ces visages rassurants, la sérénité d´hier?
J´ suis l´homme moderne, j´ voudrais t´ dire que j´ t´aime, c´est tout
J´ voudrais t´ serrer dans mes bras, mais tu m´ prendrais pour un fou
J´ voudrais parler à cette petite fille qui joue dans l´ square
Mais j´ veux pas passer pour un pervers, alors j´ me barre
J´ peux pas sourire aux femmes, y a trop d´histoires de viols
Porter le sac des vieilles dames, y a trop d´histoires de vols
J´ai peur de passer pour ce que je n´ suis pas
Et puis, j´ai aussi un peu peur de ce que je suis
Rester soi-même c´est important, il paraît
Mais comment rester soi-même quand on ne sait pas qui on est?
Je fuis l´amour, je fuis la haine, je fuis les conflits
J´ai si peur de frôler la mort que je ne fais que frôler la vie