Julian Tuwin – pensif dans une ville étrangère

Dans ce petit café du coin,
Contre le mur frais et intime,
Très étranger, très anonyme,
Je fredonne des airs anciens.
Privé de paroles, de sons,
Du seul regard, dans le jour gris,
Un homme solitaire prie
Pour d’éternelles questions.
J’ignore demain et hier,
Là tout finit, là tout commence,
Ici et partout, tremble et danse
Une miette de l’univers.
Sortons. il n’y a pas de voie
A mon silence et à mon chant.
Pour vous, pierres, et pour toi, vent,
Je chante, homme aux abois !
Jean- Claude Pirotte – vesper –

la douceur c’est le passage des péniches dans le soir puis les berges de la nuit et les vallées du sommeil on voit s’allumer l’enseigne du Café de la Marine les bateliers se saluent d’Anseremme à Rotterdam ils ont transporté le sel le ciment le manganèse ils boivent des bières noires le genièvre de Hasselt et sur le marbre des tables ils frappent leurs paumes larges et parlent toutes les langues dont les fleuves sont l’écho
Ardennes
Le promenoir magique et autres poèmes
Ed La table ronde
entre les pages collées – (RC )

Ton texte reste hors champ,
dans la nudité du cahier
aux pages trop usées
d’avoir été feuilletées.
Tant de jours ont coulé
depuis ce soir d’hiver,
où même les joies se sont dissoutes :
l’encre a débordé, puis s’est enfuie .
Entre les pages ainsi collées,
il se pourrait
que la parole demeure, indéchiffrable:
qui saura donc la lire ?
Une tasse de café
s’est renversée,
tu as contourné les taches
avec un crayon,
ajouté de la couleur
et quelques traits ;
on ne saura jamais
ce que le carnet dit
il est muet désormais,
enfermé sur lui-même
comme un poème
dont on a oublié la chanson .
Guy Goffette – Premier rendez-vous avec la lumière
Il aime cette attente et ce geste de verser l’eau bouillante,
tandis que l’eau du temps coule sur les toits où seuls encore,
tels des cris de coqs, percent les cous rouges des cheminées.
Le café passe lentement, noir comme un coup de poing :
la nuit est morte.
Pierre, qu’il soit ou non amoureux, se lève tôt.
De peur de manquer ce premier rendez-vous avec la lumière, quand l’œil,
encore mal débarbouillé des songes,
n’est qu’un œuf sous la paille des cils.
Murièle Modely – le bouquet
j’ai mis le bouquet dans le vase
le vase sur la table, j’ai ouvert la fenêtre
j’ai regardé dehors, le jardin en désordre
notre fouillis d’herbes et d’orties
j’ai coupé les tiges des roses
j’ai mis une cuillère à café
de bicarbonate de soude
pour que les fleurs tiennent
puis j’ai posé le vase
sur la table, bien au milieu
face à la fenêtre, je me suis assise
je t’ai regardé
j’ai posé le vase il y a des années
devant la fenêtre, notre nature folle
tes yeux fatigués, ma bouche fripée
l’odeur de charogne du bouquet fané
Richard Brautigan – 3 novembre
papier peint Rob Wynne
Me voilà assis dans un café
en train de boire un Coca.
Une mouche s’est endormie
sur la serviette en papier.
Il faut que je la réveille
pour essuyer mes lunettes.
Il y a une jolie fille
que j’ai envie de regarder.
.
Anna Niarakis – Une minute
photo: image extraite du film « Henri », de Yolande Moreau
Heure 20:37.
Je ripe mes chairs, la mémoire
l’innocence oubliée.
Seul, nue , j’erre
A six dimensions
avec les six sens.
Je regarde le labyrinthe de côté
formé par ton oreille.
Puis je plonge et disparais.
Je subis l’électrocution,
par les neurones
de ton cerveau.
Electrochoc.
Je me réveille pleine de sang
sur le ventricule gauche de ton cœur.
Je respire et vibre à un rythme étranger.
Ta pulsation.
Quelque chose te dérange.
Je deviens une glaire qui se plante dans tes poumons.
Tu tousses et tu me craches sur le tapis
Je me lève, je fais mes cheveux et je m’assieds.
Tu m’offres du café et me demandes ce que c’ était
J’allume une cigarette, la fumée m’enroule
Et je disparais.
Jorge-Luis Borgès – Insomnie
photo: montage perso
–
Légendairement petit et lointain est désormais ce moment où les horloges versèrent un minuit absolu.
Ces six murs étroits emplis d’une éternité étroite me suffoquent.
Et dans mon crâne vibre encore cette pitoyable flamme d’alcool qui ne veut pas s’éteindre.
Qui ne peut pas s’éteindre.
Réduction à l’absurde du problème de l’immortalité de l’âme.
Trop de couchants m’ont rendu exsangue.
La fenêtre synthétise le geste solitaire de la lanterne.
Film cinématique plausible et parcheminé.
La fenêtre aimante toutes les oeillades inquiètes.
Combien m’étranglent les cordes de l’horizon.
Pleut-il? Quelle morphine ces aiguilles injecteront-elles aux rues?
Non.
Ce sont de vagues lambeaux de siècles qui gouttent, isochrones, du plafond.
C’est la lente litanie du sang.
Ce sont les dents de l’obscurité qui rongent les murs.
Sous les paupières ondoient et s’éteignent à nouveau les tempêtes brisées.
Les jours sont tous de papier bleu, minutieusement découpés par les mêmes ciseaux sur le trou inexistant du Cosmos.
Le souvenir allume une lampe:
Une fois de plus nous traînons avec nous cette rue si joyeusement pavoisée de linge tendu.
Le piano luxuriant du Tupi s’est évanoui au loin.
Le soleil, ventilateur vertigineux, élague les demeures décaties.
En nous voyant tanguer en tant de spirales les portes rient aux éclats.
Pedro-Luis me confie: – Je suis un homme bon, Jorge.
Tu es un homme bon, Jorge… ça nous passera avec une petite tasse de café.
Les yeux éclatent quand les frappent les pales du soleil.
Quel hangar abritera à jamais les émotions?
Il existe à n’en pas douter une dimension ultra-spatiale où toutes sont des formes d’une force disponible et soumise.
Comme l’eau et l’électricité dans notre dimension.
Colère. Anarchisme. Faim sexuelle.
Artifice pour nous faire vibrer sous la magie.
Aucune pierre ne brise la nuit.
Aucune main n’avive les cendres du bûcher de tous les étendards.
–
.
Camille Loty Malebranche – Le café

photo: Tom Arndt
Il boit, frissonne au fantasme fumant, matinier,
Sable la source d’aube en sa tasse-rosée
Voyage sur la vague d’un nectar
Et se fout du foutre des ivresses de sang de la terre violée, soleil scalpé où hiberne le ciel,
Se moque des hommes-fauves et chapeaux de fer !
Il vide sa tasse ! Le café est son coin, sa boisson !
Et il en offre à tout venant ; si vous avez le cœur dans la lumière du chant,
La grande tasse de café torréfié, liquéfié, est offerte à vos lèvres !
Il boit et offre le pur café noir du percolateur,
Sirote l’amour, se désaltère d’amitié
Le café est son coin favori, sa boisson favorite !
Et avec ses amis, il se tonifie du café du matin qui réveille pour le jour et pour l’action,
Il vide, vide des tasses d’entrain, laissant aux sans cœur, le marc du superflu,
Mésalliances des vices et des vertus ! Car sur la chair vive, personne sans personnages,
De l’amitié rouge dans le vrai, belle à la vie, perçante dans la vigie, blanche en la pureté, emmétrope en ses diaprures d’Argos et d’âme
Il s’excite du philtre, au filtre du coeur en ses azurs, et par le pur café tonique qui garde éveillé le veilleur,
Puisqu’il aime le fort et le pur,
Il dédaigne les cafés crème !
Laura – Prélude, comme une attente

dessin: Aloïse, musée de Lausanne
–
J’ai entendu le mot prélude,
c’est comme une attente,
un prélude à la nuit,
un prélude à l’aurore,
mais comme je ne suis pas sûr,
je préfère m’arrêter là.
Un alphabet de saveurs,
il faudrait donc les classer et pourquoi ?
Toutes les saveurs, comme tous
les malheurs et tous les bonheurs
n’ont pas d’alphabet.
Tout est mélangé, une larme de cannelle,
un piment de douleur.
On goûte à tout, café torréfié pour
se réveiller et pièces montées
pour les mariés.
Ne vous embêtez pas surtout
pour faire cet alphabet de saveurs,
elles viennent à notre bouche
et vous les reconnaissez sans erreur.
–
Laura
La personne qui a écrit ceci l’a fait à travers un atelier d’écriture organisé dans un hôpital psychiatrique, et publié dans « mots de passe » ( ville de Martigues)
–
Philippe Delaveau – Bistrots de Paris
BISTROTS DE PARIS
On est debout devant le zinc et sous l’œil simple
et bleu du patron qui s’active il arbore
une moustache artistique en balai-brosse
tandis que l’ivresse égare un monde incertain
qu’alimente la truelle d’un monologue à son propre rythme
lent parfois pâteux de bâtisseur de mondes ce sont les vignes
venues à Paris déverser leurs vendanges vers le métal
des tubes et des sièges les glaces réfléchissent les visages blancs
la sueur au front qui perle chez ceux qui reconstruisent
patiemment mais le poème est mort et les murs s’écroulent
éclairant par gouttes les fronts rien ne visite les solitudes
ni la bière barbue ni le petit rouge qui danse sur son ballon
ni le blanc sec en renversant la tête ou le café dans son corset d’ébène
–
Café noir – ( RC )

photo: Giacomelli – Lucio Fontana
Le café tinte plus noir qu’un prêtre,
La soutane donne une corolle sombre,
Sur la place, les pavés blancs ordonnés
Se déplace, l’envolée noire
( c’est un homme)
sur le parvis d’une église
les pigeons noirs sont ses fidèles,
D’ailleurs, s’il les nourrit, comme Saint-François
la messe pourrait être dite dehors
– le temps s’y prête –
( nonchalant )
Déjà, les vélos sont de sortie,
Et de grosses autos noires.
C’est un matin à Catane,
ou un village de Sicile…
La panetteria vient d’ouvrir,
La manivelle et le rideau de tôle
dont le bruit répond aux cloches.
Le tourbillon du café dans ma tasse
Répond à sa cuiller,
Hommes portent chapeaux,
Femmes forment silhouettes,
Et s’affairent en noir,
Un ciel limpide s’étire
Et prépare la journée,
Dans ma bouche, le souvenir serré
Du café du matin,
Et des photos de Mario…
Je repose ma tasse.
RC – 8 septembre 2012 ( à partir de « lecture » de photos de Mario Giacomelli )

photographie: Mario Giacomelli
–
Richard Brautigan – 3 novembre

–
3 novembre
Me voilà assis dans un café
en train de boire un Coca.
Une mouche s’est endormie
sur la serviette en papier.
Il faut que je la réveille
pour essuyer mes lunettes.
Il y a une jolie fille
que j’ai envie de regarder.
.
Gouttes de sons (RC)
Aquarelle Pierre-Gilles
Quelques gouttes de sons
de la gamme basse
S’extraient du gros caisson
Et font vibrer ma tasse
Et le saxo se déhanche
Le rythme s’accélère
Les doigts courent sur le manche
en accords réverbères
La mélodie s’envole,
Volutes de vapeur s’infusent
Variations en mineur sol,
Que les projecteurs diffusent
Tournicotent et balisent
Basse et guitare mélangées
Beck et Tal improvisent
Rythmes et phrases orangées
C’était la couleur de sa robe
Devenue soudain soie – bleue
Et que la danse enrobe
Nouvel oiseau de feux
Du chapeau plat de Lester
En forme de tourte « pye »
Clamant, blues solitaire,
Mingus , et son « Goodbye »
Aux visages couleur-de-cigare
Perdus dans les ronds de fumée
Que, seuls, la musique réparent
A la saveur du café, exhumés.
Au gouttes de sons , en phase
Autour de la basse électrique
Montent d’autres phrases
En gerbes, couleurs prolifiques
Se séparent et culbutent
En tierces augmentées
Alors que le public exulte
En vagues, mouvementées
RC 11 fev 2012
–
Créé à l’évocation de « Goodbye Porkpye Hat », ( l’interprétation qu’en fait Jeff Beck, et Tal Wilkenfeld) — et plus généralement, des musiques de Charles Mingus
L‘interprétation du morceau ( par J Beck)… sur YouTube
— disponible sur l’album « Wired », et Beckology
et en s’éloignant de Mingus, vers une version plus rock, retrouver Tal Wilkenfeld et Jeff Beck en duo sur BlueWind, un peu « démo », mais toujours musical.