Anna Jouy – Journal sous étreinte 13

art: Ben Vautier; J’ai des trous de mémoire 1985
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rendez-vous devant le miroir. me rappelle plus qui je suis. comme un trou de mémoire. et devant personne. période amnésique, comme j’ai eu ma glacière, mes réchauffements de climat… une strate de sables de plus sur le tumulus.
il y avait quelqu’un là dessous? une enfant peut-être ou alors une vieille âme, que sais-je? on m’annonce des temps très solitaires. faire un diamant dans le cercueil, chier de la nacre autour des blessures, sceller d’ambre la mouche charognarde. tout cela demande de pratiquer la reptation intense, l’enroulement en coquille, le ratatinement quoi.
c’est pour cela sans doute que mes facultés mnésiques se font la malle. et que percevant cette image dans la glace, je me demande inquiète d’où viennent ou reviennent ces traits ?
la souffrance appartient à d’autres. ils la vivent. moi je me dépouille de mes sens, je les jette par- dessus bord ou les concasse jusqu’à l’obtention du caillou. me reste juste l’esprit. comme une manivelle qui tourne. tu penses trop.
Hugues Labrusse – Enjamber le ruisseau
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Enjamber le ruisseau
encore le chapitre d’un recueil
et signer d’un caillou
le passage où rien
ne dit mot .
Paru dans la revue « paysages-écrits »
Sylvie Fabre G – Corps subtil
Qui jugera du chemin ? Ton corps respire, une haleine l’entoure, l’autre est ce passant venu des lointains, retournant aux lointains.
Tu dois consentir, fraction du monde, multiplication des années et des êtres.
Quelle luminosité as-tu un jour connue pour ombrer la rencontre ? Tu te retournes, les traces sont là, derrière, devant, elles te précèdent toujours. Tu sens le sceau de lassitude, tes jambes tremblent quand la peur pose son caillou dans le ventre – étalon or. Sur son autel, une main presse l’attente. La parole reflue quand, jeté en pâture, solitaire, le corps s’étiole, les lèvres se pincent, il n’y a plus de pulpe autour des mots.
Qui jugera du chemin ? Les voies de l’incarnation ont mille possibles, nous empruntons toujours l’unique, impossible.
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Sylvie Fabre G., corps subtil – Editions L’Escampette, février 2009
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( Un texte que je dédie particulièrement à Arthemisia )
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Fernand Dumont – Il a neigé longtemps
Il a neigé longtemps
Il a neigé longtemps sur les tables de l’absence
où je grave ton nom avec un doigt de feu
en t’attendant
comme je suis seul à savoir t’attendre
immobile et désertique
jusqu’au milieu du siècle
s’il le faut
avec ce coeur de caillou noir
taillé pour ne jamais mourir
comme celui que j’ai trouvé un jour
dans le village où tu es née
Ce caillou taillé en amande
il y a si longtemps
qu’on ne peut même plus imaginer
qu’il y avait déjà des hommes
en ce-temps-là
dans le pays où tu es né
Je t’attendrai
avec ce coeur de pierre
et personne ne voudra me croire
quand j’annoncerai ton arrivée
au seul fait
que la neige de la table deviendra grise
et triste
comme la cendre des anciens jours
Fernand Dumont; « La région du coeur » poète surréaliste belge.
Claude Esteban – Le jour ne revient pas, dites-vous
pierres en spirale
Le jour ne revient pas, dites-vous,
mais seulement sa blessure,
le sang que laisse le soleil quand il s’effondre
au loin tous les corps oubliés veulent savoir
si quelque chose existe sous le sol, qui les rassemble,
une parcelle de substance ou rien que l’ombre,
immobile comme un caillou
peut-être que l’espoir
n’est qu’une entaille dans la chair
une étincelle sans futur dans la mémoire
ne dites pas, quand vous partez,
que c’est le jour qui meurt
Claude Esteban (1935-2006)

image art: Andy Goldsworthy - méandre
Claude Esteban – Suis-je
« Article » -poème extrait du blog « terre de femmes »
Suis-je
quelqu’un qui se regarde partir
et ne retrouve à ses côtés
que la poussière, ai-je perdu
la trace du soleil, une phrase
revient qui me servait jadis de guide
dès l’aube, je descends, je m’allonge
contre un caillou
le prodige
m’attendait là, ce jardin
que j’imaginais immense, les rires
d’une femme dans l’été
suis-je celui qui souhaite seulement
que son corps le quitte
et que les mots désertent le matin.
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