Mots suivant le chemin d’avant – ( RC )

montage Viki Olner
En avance sur le chemin d’après,
les mots dansent et se répondent.
Mais nul ne peut les saisir:
ils glissent comme grains de sable
accumulés par un souffle de vent.
Ils sont sans apprêt,
légers, pourtant
portés par l’écho,
plus légers que ces cailloux qu’on sème,
avec l’espoir qu’ils repoussent,
deviennent falaises ou montagnes.
Si les mots se répondent et s’assemblent
c’est d’abord qu’ils s’aiment
tout autant
que si on suivait le chemin d’avant.
ce texte est une « réponse » à un de ceux d’ Elisa Ka – ———février 2023
Paul-Armand Gette – Je suis où le bonheur m’a dit

photo Paul-Armand Gette
Je suis où le bonheur m’a dit,
dans cet effroi de trop où la
mort nous galope.
Je suis là ébahi, comme péché
par mon arête, mais je suis là conquis,
mercenaire adoubé aux fièvres convenues.
Désincarné vidé de tous mes doutes amis;
empaillé jusqu’aux yeux du foin des trouilles avides.
À l’aube d’être éteint non pas
vaincu ni même las, éteint
de la vie en-aller, ces mots
qui ne me disaient plus se turent et me tarirent.
Des ombres qu’un figuier matisse
chahutent sur le mur et agacent
le chien.
À l’extrême de l’autre, dans son dos d’avril,
se gaffe la peur que j’ai de lui.
Il y joute l’obscur où froncent
les soupirs et ramasse buté
ce que je crois cailloux.
Dans l’exact intervalle qui nous,
cet autre qui ne me, n’en revient
pas de moi.
Ainsi silence est dit et dit ainsi maudire.
Alors si las que long, un mot haut plus
que l’autre, des autres ainsi mourir.
Martine Cheval – marches

Les marches sur les routes du soleil,
la lumière qui penche elle aussi,
vers les cailloux de contes à ramasser
avant que de les raconter.
Les marches en montagne, dans les bois, les vallées,
celle de l’Ourika et Oulmès,
Oukaimeden, Besse, l’Atlas et tant d’autres…
Les haltes des cabanes à construire
et les fleurs en couronnes à la manière des Russes :
les filles en princesses des contes qu’elles lisaient,
les garçons en « homme fleurs » de l’Arabie du Sud.
–
extrait de « Jardins d’enfants »
Philippe Delaveau – marcher

Marcher parfois longtemps dans la prairie du vent.
Ses bottes malmènent les fleurs,
l’herbe aux rêves de voyage.
Puis le petit village près d’un bois.
L’harmonica d’une eau rapide qui se cache
pour voir le ciel et l’ombre, et les cailloux
entraînés de ferveur, sur leurs genoux qui brûlent.
Entendre alors la persuasion très tendre
et douce d’un oiseau qui solfie les mesures
d’une clairière. Deux fois peut-être. Puis se tait. Se dissout
dans la perfection pure et simple du silence.
J’apprivoise les cailloux – ( RC )

A force de marcher sur l’eau,
j’apprivoise les cailloux,
qui se font plus légers
dans l’éclat des reflets
et de l’eau pure :
maintenant elle a baissé,
je peux traverser la rivière
en équilibre sur le gué.
Ce galet plat,
je l’ai conservé :
c’est une semelle qui me va
adaptée à ma pointure,
je n’aurai plus qu’à y adapter
des sangles de cuir :
m’en faire une chaussure neuve
naviguer sur le fleuve,
que la rivière ira grossir.
Pour faire la paire
il faudra que je déniche
un autre caillou lisse
pour m’emporter dans les airs :
que les écrevisses me pardonnent
elles trouveront d’autres abris
et d’autres pierres…
Carl Norac – prière pour le soldat Kostrowitzky

la mort me suit parfois et je lui dis
patiente
je n’ai pas encore mis
de mots sous les cailloux
j’écris « je suis vivant »
tout en fermant les yeux
la mort me suit parfois et je lui dis
patiente
tous les matins je suis vieux mais les soirs
je m’enfante laisse-moi jouer un peu
dans la cour des grandes ombres
patiente ô sage mort
écoute si ténu
le bruit de l’encre bue
sur cette page
et puis dors
Sylvie-E. Saliceti – Je sais que le soleil tourne autour de la forêt

Montage RC
Je sais que le soleil tourne autour de la forêt
que la parole est nue
Je sais que la mort
brûle
Ni croix ni étoile sur le front des abeilles
Je sais les pieds déchaussés rythmant le sol
tendu en peau de scalp
et le totem des loups
et le feu des ancêtres dans le camp
immobile
Je sens la force
primitive des parfums boisés
Je sais qu’avant le rituel quand
le souffle s’éteint
les fumées se relèvent
pour se laver les mains
Qu’il faut un pas de danse en cercle
autour de l’arbre
Je connais les us de la lumière
Je sais que Dieu n’existe pas
La cérémonie
des vivants sous la terre Le bras
enterré de l’hommage
passe à travers la croûte de
boue pour attraper quoi ?
Des cerises juteuses
comme des nuages au-dessus
du linceul de ciel
Je sais la coutume
des morts Je sais que
Dieu existe
Sous les paupières
Dans le poing du charnier
les pierres de Lissinitchi sacrent
la lune sauvage
à la frontière de la chair
Laissez les corps du chagrin
et de la grandeur
là où les cailloux
tendent leurs lèvres
sous l’eau de pluie Le rythme
des gouttes vient
peu à peu J’attends
Que le vent couronne
le brasier au-dessous des branchages
Là où tournesols dans
leurs fleurs Là
où légendes et marchands
de Lublin
là où vieille langue dans
son chemin de ronde
Dieu a dû choisir entre
la bonté et la puissance
Je crois
que le soleil tourne autour
de la forêt
Là-bas le soleil roule sur
un chariot sans bouquet
où s’entassent les peaux
en parchemins
Les roues de la carriole tracent leurs
encres sur la neige
Deux lignes aussi droites que
les flèches du chamane
Je sais le rituel de la parole
le rituel de l’étoile
le rituel de l’écorce
trois tours de ciel
à Lissinitchi
extrait de « je compte l’écorce de mes mots » Rougerie 2013
Vêtement de glaise – ( RC )

–
S’il faut s’extraire de bourbiers,
en soulevant des plaques de ciment,
tu préfères leur densité
cernant les plaques de fonte,
en tenant ta joie
du bout des doigts.
Le ciel est si pesant,
et les pierres obtuses,
qu’un orage probable te colle au regard,
pendant que tu glisses
sur ton reflet.
Changeant, il se disperse aux premières gouttes,
plus loin la terre soupire,
de joie aussi, et c’est cette saveur amère
qui promet de nouvelles floraisons.
C’est là ton berceau,
cet habit spongieux
qui te ramène à tes origines,
lorsque tes yeux n’étaient pas ouverts.
Ton corps sans froidure
portait ce vêtement de glaise,
et tu engloutissais les nuits,
Maintenant que tu marches,
tu connais le poids exagéré du temps.
Tu récoltes sur le chemin
de petits cailloux,
avant que le vent recouvre de sable ton ombre,
et que du bourbier,
scintillent des éclats de strass et de mica,
Perrine Le Querrec – les nuages
extrait de » la Patagonie «
Les nuages
Quitter le rivage de terre et de cailloux, s’avancer vers
les nuages. D’un pied tâter la matière, y entrer d’une
jambe, d’un corps, d’un coup. Plonger dans la mer,
s’en recouvrir, crèvent les gouttes contre la peau nue,
les jambes s’alourdissent, les cheveux, la bouche pleine
déchirer les nuages. Un ciel d’eau sur les épaules,
disparaître.
Salah Al Hamdani – Lanceur de cailloux
À force d’espérer te revoir je vais reconquérir ton aube
Je vais ramasser les dattes gorgées de balles
et la main pleine
ne sacrifier à ta lumière
Aux nuits de l’exil
je vais jeter un pont de regrets sur le fleuve
et ensemencer les clos .
Claire Massart – Au matin
montage perso – à partir de peintures « surréalisantes…. »
Au matin, on entend le chantier de tous les oiseaux,
des tutoiements aigus, des ouvriers qui s’interpellent.
Suspendus comme des lampions, des moineaux
se chamaillent en vol.
Après le bégaiement des rêves, voici le corps des mots,
dans leur muselière de poussière.
Voici les grandes herbes dodelinant.
Pendant la journée, dans une peine qui s’épaissit,
c’est toute la mémoire des cailloux qui durcit.
Autochtone – ( RC )
Image :: création perso 2005
–
On peut s’égarer dans la forêt,
Si tu ne connais pas bien le chemin,
et tourner jusqu’au lendemain,
– On n’en connait pas bien les secrets .
Tu peux te guider aux petits bruits
Les déplacements subtils
des yeux de la nuit
Le glissement des reptiles
qui te surveillent,
l’ombre taciturne,
éloignée du soleil,
les oiseaux nocturnes
cachés dans les frondaisons
mènent leur vie tranquille
comme sur une île
séparée de l’horizon.
Imagine-toi en Afrique
où les singes se répondent,
alors que tu vagabondes
dans un lieu typique
qui t’éloigne quelque peu
des sentiers balisés :
pas de Champs Elysées,
mais un autre milieu :
une jungle épaisse
qui s’auto-multiplie
et où jamais elle ne te laisse
faire un safari .
Tu vas tenter de te guider
avec ces bruits furtifs :
Voila ce que c’est de se balader
dans ce parcours évolutif.
Tu vas contourner de larges flaques d’eau,
des rochers de latérite
– des obstacles dans ta visite –
et toi, toujours sac à dos
Quand tout à coup, un bruit t’immobilise
et qui va grandissant :
C’est la démarche imprécise
d’un ce ces habitants :
On les nomme autochtones,
comparés à toi, l’étranger :
ce ne sont pas des hommes
qui portent le danger ,
mais de ces animaux
qui parcourent avec aisance
de grandes distances
par monts et par vaux :
En voila un à présent
qui écrase de grands végétaux
comme de vulgaires poireaux
en s’avançant nonchalament.
C’est un peu bizarre
cette rencontre inopinée ,
mais choisissant de se baigner
dans la première mare :
C’est une sorte de colosse gris
qui paraît immense
et tranquillement s’avance
sans forfanterie
Tu peux voir de trois-quart
l’animal et son curieux épiderme
maintenant au milieu des nénufars :
c’est un pachyderme
Un de ces géants
pas très discrets
mais qui connait bien la forêt :
tu pourras suivre en son temps
les traces qu’a laissées
négligeamment
le grand éléphant
dans son pas cadencé
pour retrouver en effet
avec les arbres aplatis,
rapidement la sortie
à la façon du petit Poucet
A la place des cailloux,
tu peux remercier ton baigneur
qui fut aussi ton sauveur
et tu rapportes une photo de lui, ( floue ).
–
RC – oct 2016
La tombe de l’écrivain – ( RC )
provenance photo: philippocock.net
Il y aura un cube de grès rose,
dressé en lisière des bois,
une borne, à priori des plus banales,
( qui n’est pas kilométrique ).
En effet on s’y repose,
aussi bien on s’y assoit,
quoi de plus normal,
après la gymnastique.
Certains y laissent
quelques souvenirs,
de petits cailloux,
une canette de bière.
Les amoureux s’y pressent,
en mains et en soupirs .
C’est le lieu du rendez-vous,
plus que de la prière.
La mousse s’y incruste,
le lierre prolifère,
Pourtant ce volume ne porte
pas de date , mais des noms gravés.
Ce n’est pas un buste,
Mais une simple pierre,
posée de la sorte,
juste au bout de l’allée.
Entourée d’herbe verte,
et de pins qui penchent,
elle marquerait le dernier lit,
du célèbre écrivain :
une tombe offerte
comme une page blanche
qui attendrait encore des écrits,
confiés à d’autres mains .
Echappée de l’enclos
étroit du cimetière
on viendrait comme dans la supplique
de Brassens, y faire d’affectueuses révérences
Entre le ciel et l’eau
A moitié enfouie dans la terre
discrète et monolithique ,
prolongeant dans le temps, son acte de silence .
–
RC – fev 2016
Digérer le désert – ( RC )
Comme ces animaux, dont l’apparence se coule dans le fond,
Tu habites le désert, et t’y confonds.
Femme des sables, tu n’espères que les courants,
Les vagues d’un océan de dunes, qui, lentement, se déplacent.
Tu te couches dans le sable, tu t’étends sur l’horizon,
dont rien n’arrête la fuite.
Tu regardes passer les caravanes, mesurant le temps,
dans leur progression lente.
Tes désirs sont une piste, aspirée dans un mirage .
Et cette piste, s’efface avec le vent .
Ainsi la vie s’étire, blanche, sous la lumière brûlante,
écrasant tout de son feu.
Et comme l’ombre est rare, juste celle de buissons épineux,
tu attends que le jour bascule, ne souhaitant rien .
Le violet de la nuit s’orne d’une lune interrogative .
Si tu jette des cailloux vers les étoiles, elles te les renvoient .
Tu peux les maudire, elles restent indifférentes à ton sort.
Elles contemplent d’autres pays.
Ceux dont tu n’as pas l’idée, enchaînée par la distance .
Il ne reste que les pierres, où se concentre ta colère .
Juste le temps que tu digères le désert.
RC – oct 2015
Bill Herbert – Ghost
***
Fantôme
(Variation sur un thème par Matthew Sweeney)
Le fantôme qui ne connaît pas son chemin mais doit rentrer chez lui
trébuche dans le désert en traversant le jour
et cherche par des cols, dans le noir.
Il rassemble des cailloux comme des cartes pour repérer son passage
de l’autre côté de la grande steppe en hiver.
Il s’immerge lui-même dans des lacs pour ressentir
ce que ressentent les racines des bouleaux, il s’assied
dans le corps des moutons et des chèvres
dont le sang ne peut stopper le froid.
Il voyage de moustique en moustique dans
l’air gras de l’été,
il s’enveloppe dans les écorces tombées des arbres
comme le texte dans un livre pourri.
Il ne connaît que le Nord et du coup
il peut voyager dans la mauvaise direction pendant des mois.
Parfois il pense reconnaître l’aspect d’un peuplier
alors une grande terreur descend.
Il s’allonge avec les asticots et les excréments sous
une rangée de toilettes dans la Ville Couteau.
Il se souvient des visages vus sans avoir su que c’était pour
la dernière fois. Les souvenirs ont diminué
et doivent être comptés l’un après l’autre comme des perles :
le cliquet dans la gorge de la vieille femme,
l’odeur du papier journal bon marché dans
un aéroport maintenant sans nom,
la main qui tire nerveusement un rideau,
la pupille noire de l’enfant qui bat.
—
Ghost
(Variation on a theme by Matthew Sweeney)
The ghost which doesn’t know its way but must get home
stumbles in the desert through the day
and searches through the passes in the dark.
It gathers pebbles into maps to guess at its passage
across the great steppe in winter.
It immerses itself in lakes to feel
what the birch roots feel, it sits
in the bodies of sheep and goats
whose blood can’t halt the chill.
It travels from mosquito to mosquito in
the fat summer air,
it wraps itself up in fallen trees’ bark
like the text in a rotten book.
It only knows North and consequently
may be travelling in the wrong direction for months.
Sometimes it thinks it recognises
a configuration of poplars
and a great dread descends.
It lies with the maggots and the excrement beneath
a row of toilet stalls in Knife City.
It remembers faces seen with no thought that this was for
the last time. Memories are diminished
and must be counted out like beads:
the ratchet in the old woman’s throat,
the smell of cheap newsprint in
a now nameless airport,
the hand nervously gathering a curtain,
the baby’s black button blink.
–
traduction Roselyne Sibille
Abdallah Zrika – J’ai apporté le vin … les dattes
–
J’ai apporté le vin
sans la peau du verre
J’ai apporté les dattes
fraîchement cueillies d’un mamelon
Je suis venu à vous
Je ne suis pas venu
Et vous n’êtes pas venus à moi
Je suis ainsi
vif-argent
comme le courant de la volupté
Je vous ai apporté
le minaret
pour appeler d’en-bas à la prière
Puissent les morts m’entendre
Je suis venu à vous mort
pour que vous m’aimiez davantage
et que vous disiez de moi
tout ce qui m’agrée
J’ai apporté des fleurs
pour ceux d’entre vous
qui ont proclamé leur folie
Je suis venu fou
pour comprendre le fou
tordre ce qui est droit
comprendre le fleuve
le serpent
Fou
pour aimer les échelles
devenir sage
comme chacun voudrait que je sois
Je vous apporté des choses inestimables
Les petits cailloux avec lesquels je joue
Des formes
qui ne ressemblent qu’aux animaux imaginés
dans la volupté
Du parfum
pour ouvrir vos narines
à la sauvagerie du plaisir
De l’or
que je répands
chaque fois que j’atteins la jouissance
Et vous ô femmes
je vous ai apporté un bâton d’or
qui ravit la lumière de la vulve
J’ai apporté
plusieurs copies de moi-même
Aucune
ne ressemble à l’autre
J’ai apporté
des nombres impressionnants de moi-même
Aucun nombre ne ressemble à l’autre
J’ai apporté
la soif
pour les lèvres humides
…
extrait de « Bougies Noires « aux Éditions de la Différence
traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi
Paul Vincensini – Moi j’ai toujours peur du vent

photo J M P Salles
–
Moi j’ai toujours peur du vent
Me voici
Mes poches
Bourrées de cailloux
Pour rester avec vous et
Ne pas m’envoler dans les arbres.
—
Èiu t’aghju sempri a paùra di u ventu
Èccumi
I mè stacchi
Pieni à cutichja
Par stàmini cù vὸ è
Micca bullamini nantu à l’àrburi
A la surface, où le silence se fracasse – ( RC )
–
Le soleil rebondit,
Quelque part,
Après les brumes,
Et s’infiltre avec peine,
Au milieu des branches,
Encore vides.
Les feuilles naissantes,
Attendront encore,
L’explosion de l’ivresse
L’eau a son reflet , mat,
Mordue par la glace,
Tu peux te risquer, à sa surface ,
Où le silence se fracasse,
En ombres effilées,
Extraites des pliures du matin,
Quand l’heure stagne,
Sur les tiges frêles, prisonnières de l’étang.
Le verre cathédrale,
A déjà son réseau de fêlures,
Lézardes en ricochets
Certaines sont dûes,
Aux cailloux qu’on y a jetés,
Et qui sont restés posés,
Comme un défi aux fonds soyeux,
Où tout s’enfonce dans une vie secrète.
Tu serais comme une pierre,
Figé de froid,
Même sous ton lourd manteau,
Et seul le regard mobile,
Se verrait chercher sous l’épaisseur,
A peine translucide,
Sans vraiment le vouloir,
Des mouvements furtifs, mêlés de reflets.
Le nappage répandu en couches ,
Au long des nuits, allongées de gel ,
A jeté son pont
Au-dessus de l’eau.
> Elle est la vie,
Des carpes sombres la parcourent,
En arabesques capricieuses,
Ignorant le monde clos, du dessus.
–
RC – avril 2014
–
Cathy Garcia – Oeil de lune
OEIL DE LUNE
Velours noir,
Pierres brutes.
Encensoirs,
Douces flûtes.
Amours félins,
Juste émotion.
Contre le sein
L’édredon.
Le chat-huant
Dans la nuit.
Chuintement
De magie.
Les bras tendus
D’une vigne vierge,
Fée répandue
Sans nul visage.
Verte et souple,
Liane enchantée.
Geste ample
Garde le secret.
Cour d’étoiles
Et de gravier.
Cailloux pâles,
Maison d’été.
Jean Daive – Le monde est maintenant visible .
Le monde est maintenant visible
entre mers et montagnes.
Je marche entre les transparences
parmi les années
les fantômes
et le matricule de chacun.
Les pierres
les herbes sont enchantées.
Tout se couvre
jusqu’au néant
de pétroglyphes.
Je compte les mâts
penchés près du rivage.
À perte de vue, la prairie des cormorans
car chaque maison est un navire
qui se balance.
Plutôt le crime ou plutôt
la mort des amants ou
plutôt l’inceste du frère
et de la sœur ou ―
je prends le temps
de manger une orange.
Dans ces moitiés d’assiettes et
autres fragments trouvés
avec pierres taillées, dessinées ou peintes
masse de cailloux, graviers avec sable
mesurent un site
une ville que j’explore
avec l’énergie d’un oiseau.
.
Jean Daive, L’Énonciateur des extrêmes, Nous, 2012, pp. 39-40.
–
Lucien Suel – Sombre Ducasse 7 ( suivi de ma « réponse » ) – ( RC )
Sombre Ducasse (version justifiée) 7
si le point de départ vient à changer
aura-t-on le même point au final ceux
qui utilisent des bandes coulissantes
sur trois magnétophones n’anéantiront
plus le complexe comateux bande bande
bande blue stardust jack off moi j’ai
tout fait j’étouffais alors quel sera
le numéro silence silence silence ces
dispositions hétéroclites ces séances
particulières datent sans doute de 23
ans avant la dernière guerre nous les
détruirons les erreurs surtout celles
qui consistent à croire que les moins
grands sont les plus jeunes ou que le
plus grand est le plus vieux détruire
toute la hiérarchie serait saugrenu à
moins de placer les petits les moyens
les grands contre un mur de manière à
déclencher le feu des fusils à canons
sciés le sens de l’écriture a orienté
tout pour tous de manière ignoble les
maladresses ont été nombreuses il y a
eu trop de ça tout au long des années
des siècles à venir ceci n’allait pas
tout seul il faudra placer des garde-
fous plus rigides sur les limites des
manières de vivre aujourd’hui séparer
mettre à l’écart les cas gênants nous
avons trop peu de renseignements tous
nos souvenirs brillants de la seconde
guerre mondiale s’estompent déjà dans
les vents froids et foireux les vieux
partis au diable vos vers sont séchés
soumis à la question trop souvent ils
ne sont plus que d’anciens modèles de
voitures reproduits sur carte postale
—-
Le texte de Lucien Suel, extrait de « silos », est visible directement sur cette page…, l’auteur, en m’autorisant à republier son texte, me renvoit aussi à sa version 2, ici
Je ne suis pas là, je ne pourrai pas t’accompagner
dans la course, et découper le temps avec des
ciseaux,ainsi la musique se déroule, et les chevilles se coulent,
sans hiérarchie, sur la piste, il y a le parquet qui brille, les passages le frottement de la lumière,
et la musique de Coltrane, my favourite things, qui me rappelle, mais j’ai vérifié, c’était autre chose,
le film de Pierre Etaix,Yoyo… j’ai encore dans les yeux la fumée des usines qui rentre dans les cheminées, plutôt que d’en sortir, tu vois, j’ai sans doute égaré bien des souvenirs, en route, en semant trop de cailloux blancs – pour écouter le silence
je me suis un peu perdu, sur des chemins qui s’égarent.
Oui, j’aurais eu besoin de garde-fous, enfin, si on veut, si on parle de fous,
car justement, ce sont des voix d’hiver ( diverses), qui permettent de trouver la sienne,
les chemins de traverse, comment se repérer faire que sa voie soit la sienne et sa voix personnelle…
J’ai traversé des tableaux sépia , croisé Francis Bacon à Paris,
pianoté un peu, et caressé la lumière qui se posait sur mes toiles.
Les vers séchés ( comme les lombrics égarés après une forte pluie), composent mes poèmes,
que je triture volontiers, en sautillant à cloche pied, varier les appuis, les cases de la marelle
pour aboutir à la case « ciel », j’écoute les voix diverses, je m’enrichis de ta voix…
et finalement j’ai laissé tourner les bandes magnétiques, laissé les ciseaux à d’autres,
mon univers est de la couleur et de l’argenté.
Passent d’anciens modèles de voiture reproduits sur les magazines….
RC 14 décembre 2012
–
Luis Cernuda – La gloire du poète
La gloire du poète
Invocations (1934-1935)
La gloire du poète
Démon, ô toi mon frère, mon semblable,
Je t’ai vu pâlir, suspendu comme la lune du matin,
Caché sous un nuage dans le ciel,
Parmi les horribles montagnes,
Une flamme en guise de fleur derrière ta petite oreille tentatrice,
Et tu blasphémais plein d’un ignorant bonheur,
Pareil à un enfant quand il entonne sa prière,
Et tu te moquais, cruel, en contemplant ma lassitude de la terre.
Mais ce n’est pas à toi,
Mon amour devenu éternité,
À rire de ce rêve, de cette impuissance, de cette chute,
Car nous sommes étincelles d’un même feu
Et un même souffle nous a lancés sur les ondes ténébreuses
D’une étrange création, où les hommes
Se consument comme l’allumette en gravissant les pénibles années de leur vie.
Ta chair comme la mienne
Désire après l’eau et le soleil le frôlement de l’ombre ;
Notre parole cherche
Le jeune homme semblable à la branche fleurie
Qui courbe la grâce de son arôme et de sa couleur dans l’air tiède de mai ;
Notre regard, la mer monotone et diverse,
Habitée par le cri des oiseaux tristes dans l’orage,
Notre main de beaux vers à livrer au mépris des hommes.
Les hommes, tu les connais, toi mon frère;
Vois-les comme ils redressent leur couronne invisible
Tandis qu’ils s’effacent dans l’ombre avec leurs femmes au bras,
Fardeau d’inconsciente suffisance,
Portant à distance respectueuse de leur poitrine,
Tels des prêtres catholiques la forme de leur triste dieu,
Les enfants engendrés en ces quelques minutes dérobées au sommeil,
Pour les vouer à la promiscuité dans les lourdes ténèbres conjugales
De leurs tanières, amoncelées les unes sur les autres.
Vois-les perdus dans la nature,
Comme ils dépérissent parmi les gracieux châtaigniers ou les platanes taciturnes,
Comme ils lèvent le menton avec mesquinerie,
En sentant une peur obscure leur mordre les talons ;
Vois-les comme ils désertent leur travail au septième jour autorisé,
Tandis que la caisse, le comptoir, la clinique, l’étude, le bureau officiel
Laissent passer l’air et sa rumeur silencieuse dans leur espace solitaire.
Écoute-les vomir d’interminables phrases
Aromatisées de facile violence,
Réclamant un abri pour l’enfant enchaîné sous le divin soleil,
Une boisson tiède, qui épargne de son velours
Le climat de leur gosier,
Que pourrait meurtrir le froid excessif de l’eau naturelle.
Écoute leurs préceptes de marbre
Sur l’utilité, la norme, le beau ;
Écoute-les dicter leur loi au monde, délimiter l’amour, fixer un canon à l’inexprimable
beauté,
Tout en charmant leurs sens de haut-parleurs délirants ;
Contemple leurs étranges cerveaux
Appliqués à dresser, fils après fils, un difficile château de sable
Qui d’un front livide et torve puisse nier la paix resplendissante des étoiles.
Tels sont, mon frère,
Les êtres auprès de qui je meurs solitaire,
Fantômes d’où surgira un jour
L’érudit solennel, oracle de ces mots, les miens, devant des élèves étrangers,
Gagnant ainsi la renommée,
Plus une petite maison de campagne dans les inquiétantes montagnes proches de la
capitale ;
Pendant que toi, caché sous la brume irisée,
Tu caresses les boucles de ta chevelure
Et contemples d’en haut, d’un air distrait,
ce monde sale où le poète étouffe.
Tu sais pourtant que ma voix est la tienne,
Que mon amour est le tien ;
Laisse, oh, laisse pour une longue nuit
Glisser ton corps chaud et obscur,
Léger comme un fouet,
Sous le mien, momie d’ennui enfouie dans une tombe anonyme,
Et que tes baisers, cette source intarissable,
Versent en moi la fièvre d’une passion à mort entre nous deux ;
Car je suis las du vain labeur des mots,
Comme l’enfant est las des doux petits cailloux
Qu’il jette dans le lac pour voir son calme frissonner
Et le reflet d’une grande aile mystérieuse.
Il est l’heure à présent, il est grand temps
Que tes mains cèdent à ma vie
L’amer poignard convoité du poète;
Que tu le plonges d’un seul coup précis
Dans cette poitrine sonore et vibrante, pareille à un luth,
Où la mort elle seule,
La mort elle seule,
Peut faire résonner la mélodie promise.
Luis Cernuda
(Traductions inédites de Jacques Ancet)

photo: Matt Black travailleurs immigrés Fresno, California
Pierre Silvain – les chiens du vent
–
Sous la poussière il retrouve
L’ardoise d’enfance fêlée
Avec les griffures intactes
Proclamant sa détresse d’être
Celui qui toujours demeure
Au seuil du monde déchiffrable
Dans l’attente d’une aveuglante
Révélation ou d’un anéantissement
Rien n’a changé
Tout continue de se refuser
Là derrière
Lueur tremblante et louche
Au fond de la nuit d’encre
C’est la fenêtre du logis
De l’ogre perdu dans les bois
Vers quoi conduisant la fratrie
Résolu même sans
Les cailloux en poche
Poucet avance
–
Pierre Silvain est un auteur que j’apprécie beaucoup notamment dans ses livres – contes philosophiques – publiés chez Mercure de France:
Zacharie Blue,
Le Grand Théâtre,
La promenade en barque
– Les Eoliennes,
– La Dame d’Elché… ( célèbre sculpture, qui a fait l’objet d’une reprise – dans l’imaginaire ibérique, par l’artiste Manolo Valdès, cité dans cet article )
il a été ensuite été publié par de nombreux éditeurs, et notamment les éditions Verdier
j’avais été en contact personnel avec lui, et il appréciait beaucoup ma façon de peindre…, c’est l’occasion ici de lui rendre un autre hommage.
—
ce poème, que je viens de découvrir offre d’étranges similitudes à celui que j’ai écrit et publié il y a fort peu de temps: « le monde des possibles »
–
Brigitte Tosi – Avant le dernier jour

peinture: Jerome Bosch: le jardin des délices ( détail )
Au jour d’avant le dernier jour
Il y aura toutes ces heures
Volées aux ombres du silence
Et tous ces mots étreints
À la force des mains
La vie sera veuve
Fauve le miel rouillé
Au dernier jour d’avant la nuit
Il y aura tous ces poèmes
Gravés à l’ombre des cailloux
Comme un bouquet d’adieux
Aux limites du monde
La vie sera seule
Pauvre le ciel oublié
Et l’oubli
tatoué
Aux herbes rases de nos chairs.
—
Taire le silence ( RC )
Si j’apprends à taire le silence
En jetant quelques cailloux dans l’eau
Alors, la surface remue, et se souvient
En cercles concentriques, des éclaboussures
Et des gestes ténus,
Qui repoussent quelques secondes la léthargie,
En laissant , une place à la vie.
Mon geste n’est plus là, mais seulement sa trace
Comme lorsque je passe un doigt distrait
Sur la couche de poussière recouvrant le buffet.
J’apprends à lire, les instants fugitifs,
Le murmure de l’histoire, et l’invisible est crédible
Les brioches dorées, le zeste des parfums,
Le sillage d’un regard, au détour d’un reflet,
Le souffle des choses, agitant les feuillets
Les chapitres du bonheur, que révèle
Un pinceau de lumière à travers les nuées
Eloignées des étoiles, et dénuées
De l’ombre – qui fait l’importance.
Si j’apprends à taire le silence,
C’est pour mieux traduire
Une langue d’avant qui te ressemble
La prolongation d’une grâce
Que n’offrent ni les mots
Ni la parole rhétorique,
Les doigts ouverts de l’invisible
Quand ils te dessinent à mes yeux:
Une veine qui palpite à ton front,
Et la courbe d’une hanche…
J’apprends à lire, les instants fugitifs,
A rassembler les indices,
Peut-être à inventer,
A rajouter des brillances
Et des couleurs de voix,
Imiter rivières et cascades,
Et l’ombre des collines
Qui dessine des courbes
Sur le désir de l’instant
Que les lèvres promettent.
RC – 6 octobre 2012 ( évocation d’une démarche créative… je pensais à la photographie )
–
Gertrud Kolmar – Des tourments se dressent sur mon chemin

penture: Chaïm Soutine – vue de Céret
–
je le sais
des tourments se dressent sur mon chemin que je dois prendre
la détresse se dresse sur le chemin que je dois prendre
la mort se dresse sur le chemin que je dois prendre
des plaintes se dressent sur le chemin que je dois prendre
et chaque borne kilométrique a des langues
et tous les petits cailloux crient
crient la douleur – là où une jeune fille sombre en râles,
en fuite, abandonnée, fatiguée et malade,
la détresse se dresse sur le chemin que je dois prendre
la mort se dresse sur le chemin que je dois prendre
et je leur crie dessus !
fille folle dans la honte et la douleur :
des milliers passent devant moi
des milliers viennent vers moi.
Je serai la cent millième
mes lèvres sur une bouche étrangère ;
et meurt une femme comme un chien galeux –
cela te fait-il peur ? non.
mon cœur bat dans une poitrine étrangère
rie mon œil, car tu devras pleurer
et tu ne pleures pas tout seul
la détresse se dresse sur le chemin que je dois prendre
la mort se dresse sur le chemin que je dois prendre
chagrin et plainte, gris tourment ;
tout cela je le sais
et pourtant j’avance sur le chemin.
–
(« Gedichte 1917 » enthalten in « Frühe Gedichte » 1917-22) traduction personnelle
Gertrud Kolmar
–
Sa parole est d’or ( RC)
Si je voulais me lancer dans la politique
J’aurais à parler en public
Tenir des propos de comptoir
Et donner dans l’oratoire…
Si je voulais me lancer dans la politique
Un métier bien sympathique
Il faut d’adord mettre son grain de sel,
Et puis tirer les ficelles…
Faire du bagoût à l’italienne,
Monté sur une estrade, comme Démosthène
La bouche de cailloux si pleine,
Qu’au début, on l’entend à peine.
Mais à force de s’entraîner,
Force discours rondement menés
Avec sa voix de stentor,
On dira que sa parole est d’or.
Les politiques et l’oratoire
Disent « Votez pour moi, ce soir »
Ce sera une bonne initiative
(pour les législatives)
Nous avons besoin de vos voix
Pour créer de nouvelles lois !!
Votez pour moi, c’est le bon choix !!
( et vive le Roi !)
Ne reculant devant aucun bon mot
A dénoncer le vrai du faux
En en tirer des phrases, avantage
Phrases dont nous sommes otages.
Dans la nation, les jeux d’alliances
Se font et se défont (pour le bonheur de la France)
L’orateur n’est pas taciturne
Et nous conduira aux urnes
Les promesses électorales
C’est surtout jouer de l’oral
Les paroles s’envolent les écrits restent
Ou bien il faudrait qu’on les leste.
A l’art oratoire, la conviction,
Rime avec soumission
Aux jeux du pouvoir
« Allez vous faire voir »
On pourrait même lancer des paris
Et deviner la première tromperie…
Vous verrez que rien ne presse
Pour transformer en concret, les promesses …
RC 2 juin 2012