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Un pont sur les rêves – ( RC )


photomontage RC – à partir de photos de G Pasquier ( Finistère )

C’est une voie étroite
qui s’élance
au milieu des flots.
Juste quelques récifs
battus par les embruns
la maintiennent .

Pour prolonger le jour,
sous le ciel étoilé,
il me faudra quelques signes,
ceux du zodiaque peut-être,
un horizon bleuté
pour me rapprocher des îles.

Je jetterai un pont,
quelques lignes sur les rêves,
transformerai le calvaire
en phare de lumière,
très loin d’ici
prêt à immobiliser les vagues.

Est-ce un morceau d’infini
ce ciel qui m’attend
décollé de la mer ?
emportant mon ombre portée
prête à se déchirer
sur les rochers.

Un havre de pierre se détache ,
vacille dans la tempête ,
mais avant qu’il ne sombre
il faut que je dessine
une rue sur l’océan
qui tiendra juste

en équilibre dans l’image
avant que je n’aborde
dans la réalité,
comme le château de sable
qu’efface,inlassablement,

la marée .



Yves Heurté – Magdala – 11


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peinture:  El Greco – Marie-Madeleine  en pénitence

 

La sentinelle se moquait :
« Ton amant couche au Golgotha.
Ne le réveille pas ».

Joie de nos guerres parfumées
plaisir de l’âme en tous les sens
montez à son calvaire !
Que sa souffrance saigne
à l’ivresse des souvenirs.

Ne m’oublie pas.
Toute beauté du monde
intacte est dans mes bras.


Leon Felipe – Le clown a la parole


peinture  P Picasso  : mort  du torero

peinture P Picasso : mort du torero

LE CLOWN A LA PAROLE

OFFRE  MARCHANDS !

Moi, Don Quichotte, Espagne,  je ne suis personne ici ,
Ici,
dans votre monde
je ne suis personne. Je le sais.
Entre nous ici,
ici, dans votre marché,
je ne suis plus personne.
Un jour, vous avez volé mon panache
et maintenant, vous avez caché mon épée.
Parmi vous
ici,
dans cette assemblée,
je ne suis plus personne.
Je ne suis pas la vertu. C’est vrai.
Mes mains sont rouges de sang fratricide
et dans mon histoire on trouve des passages ténébreux.
Mais le monde est un tunnel sans étoiles
et vous, des vendeurs d’ombres.
Le monde était simple et transparent ;
maintenant, il n’est plus qu’ombres,
ombres,
ombres…
Un marché d’ombres,
une bourse d’ombres.
Ici,
dans cette grande foire de ténèbres,
je ne suis pas le matin…
Mais je sais
-et c’est mon essence et mon orgueil,
mon éternel grelot et les plumes de mon panache-
je sais
que le firmament est plein de lumière,
de lumière
de lumière,
que c’est un marché de lumière,
que c’est une foire de lumière,
que la lumière est cotée avec du sang…
alors je lance cette offre aux étoiles :
« Pour une goutte de lumière,
tout le sang de l’Espagne :
celui de l’enfant,
celui du frère,
celui du père,
celui de la vierge,
celui des héros,
celui du criminel et celui du juge,
celui du poète,
celui du peuple et celui du Président…
De quoi avez-vous peur ?
Pourquoi ces grimaces, vendeurs d’ombres ?
Qui crie ?
Qui proteste ?
Qui a dit : Ah, non, c’est une mauvaise affaire ?
Marchands…
Il n’existe qu’un commerce !
Ici,
dans cet autre marché
dans cette autre grande Bourse
de signes et de desseins stellaires,
pour des torrents historiques de sang,
il n’existe qu’un commerce !
une seule transaction
et une monnaie… Le sang !
Moi je n’ai pas peur du sang qu’on verse.
Il est une fleur au monde
qui ne peut pousser que si on l’arrose de sang.
Le sang de l’homme est fait, non seulement pour faire
marcher son cœur,
mais aussi pour remplir les fleuves de la Terre,
les veines de la Terre
et faire marcher le cœur du monde.
Marchands…
Ecoutez cette annonce publique :
« Le destin de l’homme est en adjudication.
Regardez-le donc, accroché aux cieux
dans l’attente d’une offre… » Combien ? Combien ?
Combien, marchands ?… Combien pour le destin de
l’Homme ?
(Silence… pas une voix… ni un signe)… Seule,
l’Espagne fait un pas en avant et parle ainsi :
Me voici. Me voici de nouveau.
Ici. Seule. Seule, oui.
Seule et en croix. Espagne-Christ
-la lance de Caïn enfoncée dans les côtes-
seule et nue –deux soldats, à part et fous furieux, jouent
ma tunique aux dés-.
Seule et abandonnée –voyez comme le Préteur
se lave les mains-.
Et seule, oui, seule.
Seule
sur ce sol désertique que mon sang arrose à présent ;
seule
sur cette terre espagnole et planétaire ;
seule
sur ma steppe
et sous mon agonie…
seule
sur la clairière du Crâne
et seule sur mon calvaire…
seule
sur mon Histoire
de vent,
de sable
et de folie…
et seule,
sous les dieux et les astres…
j’élève cette offre jusqu’aux cieux :
Etoiles…
vous êtes la lumière.
La Terre, une grotte ténébreuse sans lanterne
et moi, rien que du sang,
du sang,
du sang,
du sang…
L’Espagne n’a pas d’autre monnaie…
Tout le sang de l’Espagne
pour une goutte de lumière !
Tout le sang de l’Espagne… pour le Destin de
l’Homme !

Barcelone, 18 mars 1938