Alejandro Oliveros – cartes

Nous sommes des habitants
sans rues ni places.
Les frontières de cette terre
ne correspondent pas
à nos cartes.
Les montagnes sont plus froides
mais moins hautes ;
les fleuves plus paisibles,
sans boas ni piranhas ;
il y a bien des plaines,
mais sans sécheresses mortelles,
et les mers sont bleues,
mais sans raisins sur les rameaux.
On ne nous trouvera pas
sur ces cartes ;
sur la rose des vents,
aucune fenêtre.
Nos rivages
se sont perdus, et avec eux
notre nord
et nos demeures.
Bernard Vidal – Zeus
Zeus

Zeus a dans ses mains tous les dés et toutes les cartes
S’il n’était le dieu suprême
Cela ne s’appellerait-il pas tricher
Zeus a créé le monde et l’humanité en six jours
Il a ouvert toutes les portes Il peut toutes les fermer
Pourquoi s’ennuyait-il au point qu’il ait besoin de régner
Tout puissant sur des êtres infimes
Quel est ce dieu suprême qui a besoin de créer
Quel est ce dieu suprême qui a besoin de repos
Et de tricher
Le poing crispé sur les cartes – ( RC )
–
Tu tiens dans tes mains
Les cartes des jours,
Et disposes des atouts,
Des as et des figures.
Je ne sais encore aujourd’hui,
Ce qui compose ton jeu.
Nous n’avons pas voyagé ensemble
Assez longtemps pour que je devine,
Quelles étaient ces cartes.
Serrées dans tes mains closes.
On y lisait peut-être mon destin.
Tu t’es endormie des années,
Et, mon bateau abordant d’autres rivages,
Tu t’es réveillée sans ton image,
Oubliée quelque part,
Par inadvertance.
C’est alors que , desserrant ton poing,
Toujours crispé sur les cartes,
Tu t’es aperçue
Qu’elles étaient blanches,
Et qu’elles ne parlaient plus d’avenir.
–
RC – sept 2014

peinture: Lukas Van Leyden
Nous sommes sans doute sortis de leur esprit – ( RC )
–
Une existence tourbillonne,
Et se tourne sur elle même,
En trajectoires,
Elles semblent diverger,
Mais restent parallèles,
Si habiter son propre corps,
Renvoit à plusieurs,
Et qu’il est difficile
De s’y retrouver,
De s’y réfléchir, même,
Comme penché sur un miroir,
Donnant un tout autre aspect,
Selon l’éclairage,
Le lieu,
Et le temps, habités.
Le défilé des images,
Penchées sur le passé,
Peut revenir sans cesse,
Si on le souhaite.
Il suffit de revenir
Quelques séquences en arrière,
Ou montrer le film à l’envers.
Les trajectoires parallèles,
Sont-elles les mêmes,
A travers des personnes semblables
Habitées par leur rôle ?
Chacun s’habille de la peau
De l’être qu’il incarne,
Conduit son propre fil,
Et arrive à se confondre,
Au coeur même de sa vie,
Avec le jeu, qui le poursuit.
Courts-circuits des apparences,
Echanges des existences,
Comédie et faux-semblants
A l’aspect changeant, caméléon,
Selon les habits,
Que l’acteur aura revêtus,
Le récit est mené,
Et s’interprète,
Tortueux, et modifié,
Avec la passion,
Elle-même mise en scène…
Superposant la fiction,
Et le drame,
Auquel on aura survécu…
Comme la vie traversière,
Parcourue de réminiscences,
Avec le part des choses,
Où se superposent,
Le jeu du comédien,
Grandiloquent,
Et celui de l’histoire personnelle,
Que l’on perçoit, translucide,
Du corps, et des années ,
Reconduites,
Où – le présent est aussi le passé.
Les cartes se rebattent,
Et apparaissent dans un ordre différent,
Mais ce sont les mêmes.
Si les frontières s’abolissent,
Entre le vécu et l’imaginaire,
Quand l’aujourd’hui,
Se dilue dans les transparences,
De ce qui fut…
Si ce qui a été n’est pas le pur produit,
De ce qu’on a rêvé,
Partageant encore, divers rôles.
Inventés par d’autres.
Les auteurs inventant constamment,
De nouvelles créatures,
Pour les besoins du récit.
Nous sommes sans doute,
Sortis de leur esprit
– encore que
Nous n’en soyons pas si sûrs,
Et on se croise soi-même
Aux détours de leur mémoire…
Et de la nôtre
–
RC – 10 décembre 2013
.
( en pensant à la pièce de Pirandello » six personnages en quête d’auteur «
… et au film de David Lynch » Inland Empire »
—
En-jeux ( RC )

gravure: Otto Dix Les joueurs de carte, 1920, , gravure N°4 sur 11.
–
A battre le carton,
Celui-là, protégé par les dieux,
Fera des envieux…
« Et qui c’est, le patron ? »
Les valets défilent,
Roi, et as de carreau,
Ou bien cartes de tarot,
Entre les doigts habiles,
Les piliers de hantise
Disent une histoire contée,
Dont je n’ai pas les clefs…
Penchent comme tour de Pise,
Je me vois comme Alice,
Face à la dame de pique,
Sévère et mélancolique.
Au destin qui se plisse,
Au gré de ces figures ,
Brûlant du trèfle ou du cœur,
Sous les mains des joueurs
Défilent les augures,
D’une aventure noire,
Les défis se lancent,
A étaler la puissance,
Aux prises de pouvoir.
Remplaçons les jeux
Par d’autres, géographiques,
Aux frontières politiques,
Etendus d’autres en-jeux
Jouer de l’arnaque,
Pour découper la plus belle part de gâteau
Aidé de fusils, chars,et couteaux
S’il faut passer à l’attaque…
Appétits aiguisés,
Chacun étend son territoire,
Des pays de l’or noir,
Aux châteaux des destins croisés.
Ou bien, sur un plateau d’échecs,
Où s’échangent les influences,
En toute indépendance
( Et qui sort son carnet de chèques ? )
A travers la planète,
C’est un drôle de tournoi,
Où bataille l’argent roi…
Trop beau pour être honnête.
Qu’on se le dise,
> Aux jeux des puissants,
Décompte des mille et des sangs, …..
C’est de notre vie, la mise.
– RC – 8 juillet et 18 juillet 2013
–
Ce texte fait référence au livre d’Italo Calvino, « le château des destins croisés »,
mais est aussi inspiré par le poème de Jules Supervielle « les figures » de Les amis inconnus – 1934
Miguel Veyrat – Cartes et épaves

ancienne carte maritime région de Hyères
Cartes et épaves
Et si vous dessinez une carte de votre propre
corps, sentez comment elle s’intègre
avec l’univers de votre mot. Et aussi
les îles s’obtiendront
seulement par des fleuves de sang
qui ont inondé les forêts, les prairies
et les cieux. La proue toujours
dans l’inconnu que vous dirigez
sans avoir besoin de sextant
ou autres instruments.
Mais aucun retour, le capitaine.
Les statues ne seront jamais
de sitôt de retour vers la scène
ou les plages, dans la mesure où
progresse, étrangement éclairé,
le mot sur le corps
à la lumière de la raison ,qui n’est pas détruite.
Mais qui sait? Presque personne maintenant
ne sait ensuite
relier les épaves ensemble.
Mapas y pecios
Y si trazas el mapa de tu propio
cuerpo, sentirás cómo coincide
con el universo de tu palabra. Y también
que a las ínsulas se llega
solamente por los ríos de la sangre
que anega las selvas, las praderas
y los cielos. Proa siempre
hacia lo incierto que tú configuras
sin precisar de sextante ni instrumentos.
Pero no hay regreso, capitán. Atrás
quedan las estatuas que nunca
o pronto volverán a la arena
por las playas -en la medida
que progrese, extrañamente encendida,
la palabra sobre el cuerpo
en la luz de la razón que no naufraga.
Mas ¿quién podrá saberlo? Casi nadie ahora
junta pecios para después leerlos
–
Brouillent les cartes ( RC )
- peinture: G de la Tour: détail du « tricheur à l’as de carreau »
–
Brasser les cartes
Couper et distribuer
Chacun fait avec et poursuit son jeu
Avec , ou sans atouts, selon,
S’embrouillent les neurones,
Je ne distingue plus les figures,
Qui du valet, qui de la reine de pique
Celle qui s’appelle Rachel ou Arthémis
Rien ne laisse deviner l’issue du jeu
A voir les mains des autres qui tremblent
Le front qui sue
Et les chemises ouvertes … le pastis renversé
Robert, se lève, heurtant de l’épaule gauche
Les cadres des portes,après quelques verres,
Poker et stratégie
….de la partie ? où navigue la vie ?
– full aux as, impair et passe
– tierces et quartes,
Se brouillent les cartes…
– soirée entre amis –
–
–
RC- 7 février 2013
–
Lamelles immobiles ( RC )
–
Immobile dans l’image,
Epinglé dans le ciel,
Au théâtre des objets,
L’oiseau n’est pas réel…
Dessin de son passage,
Une portion de trajet,
Le bout d’une ligne,
Un instant de grâce,
Et peut-être le signe,
Le reflet dans une flaque
D’un ange qui passe
Et qu’à peine on remarque…
———–
Voyageurs en émotion lente
Le passager du jour
Succède à celui
D’une lourde obscurité
Et s’étonne encore
Que les choses en sommeil
Se révèlent au lendemain,
Cousines, ou bien semblables
A la même place
Et jouent à la permanence,
Même si l’atmosphère, leur peint des habits
De brume et de lumière.
Il y a des instants fugitifs
Qui modifient les contours,
Ajoutent des touches de couleur
Et désignent autrement
– La cathédrale de Rouen – que l’on croyait connaître
Quand s’élancent, immobiles
Les dentelles gothiques
A travers les siècles .
Mais, même plus modestes
Les images les plus offertes,
Qu’on voit sur les présentoirs,
Se trouvent reproduites
Presque à l’identique
Sur les cartes postales.
Les vues générales,
Prises du promontoire
En couleurs ou en gris pâle,
Sont des moments d’histoire .
Le décompte des heures,
Les transformations ( et petites différences)
A identifier – au jeu des sept erreurs-
D’un village de Provence …
En prenant la photo
Le passager du jour
Prélève, une fraction de seconde
Une infime portion du temps,
Et un peu de lumière
Comme une prise de sang
Aspirant le visible du monde,
Une piqûre éphémère,
Où se précipite, hâtif
Le paysage, en périmètre limité
A l’intérieur de l’objectif,
… un instant d’éternité.
–
RC – 13 novembre 2012
– texte auquel j’ai trouvé un écho, dans le blog de « le vent qui souffle »
Interfaces
La photographie n’était que le reflet arbitraire d’un instant arraché à la fosse béante du temps, et ne livrerait pas d’autre secret que cette fixité étrange et ce témoignage troublant d’une vie abolie mais qui avait existé. Ce n’était qu’une trace, aussi bouleversante que les empreintes de mains retrouvées dans les grottes préhistoriques. Elle continuerait pourtant, avec déraison,
parce que cette vie retournée au néant continuait de l’émouvoir, à scruter la profondeur de ce regard, à suivre le mouvement de ces lèvres qui essaient avec peine d’esquisser un sourire, à interroger ce front trop grand sous les cheveux relevés, à examiner cette broche dorée qui rehausse le corsage sombre, à s’émerveiller devant le col de dentelle fine fabriqué par des mains délicates.
Sa mémoire avait conservé des milliers d’images plus récentes, en mouvement comme dans un film. Ces images-là, douloureuses, s’enfonçaient peu à peu dans les couches inférieures de la conscience, accompagnées d’une sorte de sentinelle chargée de les veiller, de les protéger contre l’oubli définitif, mais aussi et peut-être surtout d’empêcher la souffrance d’une remontée à l’air libre…
Une sorte de filtre magique ne laissait passer que les formes simplifiées ou mythiques du souvenir. Il n’était pas impossible de croire que ces formes pourraient revivre de la même façon que les vestiges d’une civilisation disparue, avec le recul et la passion des archéologues, la passion préservant l’émotion, le recul faisant barrage à la douleur. Il devenait possible également de croire que ces empreintes de vie laissées par une morte rétabliraient un passage avec elle, la « encore vivante ».
Et tous ces signes, il fallait désormais les déchiffrer, les décrypter, les interpréter comme des indices sur son propre destin, contenu dans la forme ronde de ce petit miroir de poche, cruellement figé et glacé côté pile, insaisissable comme l’eau courante, imprévisible, inquiétant, effrayant comme un torrent dévastateur, côté face.