Contre le ciel – (Susanne Derève) –

Le Cénaret Lozère en Causses – René Chabrière
La lumière, aussi incisive que la réverbération du soleil sur la neige. Contre le ciel se hisse la montagne, près du plafond de verre, l'azur des anges. Ainsi était hier, le Causse aujourd'hui est aveugle, obscurci de nuages et la brume entraîne le jour dans sa chute, comme nous avons chuté dans l'automne au retour de voyage.
.
Appelle-moi encore – (Susanne Derève) –

Contre un tas de bois mort, brise indolente, abri silencieux, voix. Voix qui m’appelle a fait fuir le lézard et la mésange. N’épelle pas mon nom usé. La terre porte un mirage d’eaux neuves, de printemps. Des chevaux captifs renversent le fil acéré des enclos. Les drailles à l’horizon cheminent vers le ciel, et franchi le ciel vers l’échine argentée du vent, le pelage ras des Causses hérissé de lavandes, l’étrangeté des pierres dressées. Déjà, le soir s’enferre au creux des combes, l’ombre violette des futaies se déploie et s’allonge, tout ce que le jour portait de douceur et de fièvre bascule puis se fige dans le premier battement d’aile de la nuit. Appelle-moi encore, et je te rejoindrai.
L’hiver court à sa perte – (Susanne Derève) –

.
Tu fais un état des lieux de l’hiver :
les hâtifs chatons des aulnes,
les prairies d’herbes sèches,
d’autres, brunes des premiers labours,
un feu de bois mort au milieu des vergers,
et sous le pâle soleil du jour
l’or des lichens nimbant les rameaux nus
des charmes,
où courent étincelant dans la lumière
tels des cheveux d’anges, les fils d’une invisible
araignée
Déjà, l’ombre du Causse
s’éploie sur la rivière,
pierres vertes sous le friselis de l’eau,
dans la course effrénée du courant,
– rien du Lot indolent de l’été, cette fougue,
ce bouillonnement de cascade sur les galets –
et frôlant la surface, au bout des tiges roides,
le renflement des bourgeons à peine formés
te souffle : l’hiver court à sa perte …
.
.
Instantané des jours heureux – (Susanne Derève)

Par-dessus mon épaule
ce n’est pas le premier soleil du matin
ni les cloches du Dimanche à la volée
du ciel mais vos rires d’enfants
qui me rejoignent
Instantané des jours heureux,
caresses, joue contre joue,
soie des baisers, jeux du réveil,
vos cils brodés de sommeil,
la dent de lait sous l’oreiller, petit chicot
qu’ourlait une goutte vermeille,
– en souris de minuit j’y déposais l’obole
qui tinterait matin dans votre poing fermé –
Et tandis que s’épuise la pourpre des automnes,
court le film lumineux des années plus pur
que la griffe blanche du gel sur les prairies ,
le miroir chancelant des lavognes,
et les tendres nuages ,
dans la maille bleutée du jour,
qui cognent doucement à la porte des rêves
en oiseaux ivres à la saison d’amour
Partout des pierres – Susanne Derève –

.
Partout des pierres,
hors et dedans l’eau,
dans le fil des ruisseaux et le lit des rivières,
aux berges lentes des chenaux,
abimées dans de sombres reflets d’émeraude
où serpentent doucement les nuages
comme de blancs bateaux qu’y jetterait le ciel
.
Des pierres écrasées de soleil
comblant les grandes drailles désertes de l’été
éraillant le ventre des Causses
parmi les lavandes, les blés,
les roues de lumière des carlines
.
Tapies dans la profondeur des sous-bois,
– les sombres sapinières , l’aile légère
des grands hêtres –
.
Schistes parcheminés, marnes grises,
et le vertigineux calcaire érodé par les fleuves
où l’œil abasourdi chancelle
.
Causses – (Susanne Derève)-

.
Ondulant à perte de vue dans la lumière,
les courbes blondes des prairies
griffées de la pierre grise du calcaire,
le sillon brun des labours
et les vertes dolines
.
où le vent frais balaie la chaleur de midi,
berce dans les sous-bois les strates accumulées
d’anciens automnes.
.
Résonne de loin en loin
l’écho d’un pas,
le craquement assourdi du bois mort …
.
Soleil.
Le long dimanche de fiançailles
d’une fin d’été
avant les noces blanches d’hiver.
.
On se prend à rêver de chemins effacés,
de villages engloutis sous la neige,
du tintement des pelles sur les seuils,
de ciels de cire ponctués de fumées grises,
.
comme si l’oubli n’était en toute saison
le cœur de ce pays, son âme claire
sa terre promise
.
Cacophonie – (Susanne Derève)

–
Cacophonie de chants d’oiseaux :
ce matin comme chaque matin ils occupent tout l’espace sonore
se répondant d’arbre en arbre , de gouttière en gouttière :
rougequeue, mésange, fauvette
et le vol affairé des hirondelles picorant miettes et rameaux
–
Le va et vient obstiné des fourmis sous la fenêtre que je déjoue
d’une brindille comme on dévie le cours d’un ruisseau
–
Vient l’heure où le lézard furtif , pointant son oeil inquiet
rejoint les pierres chaudes , se risque à laper d’une langue hâtive
une flaque déposée par la nuit.
–
Tandis que le concert des oiseaux s’apaise ,
c’est un long bourdonnement qui monte dans la chaleur :
le chant de basson des insectes saturant le silence.
–
Au sol l’ombre chemine . Heures indolentes ,
les jours ne passent pas ici , ils nous charrient
comme un long fleuve érodant monts et vallées,
à l’échelle d’un temps démesuré
qui polit doucement causses et dolines ,
croque le calcaire d’une dent gargantuesque
sous nos yeux de petits poucets .
–