Dominique Le Buhan – l’histoire continue des saisons

peinture Arkhip Kuindzhi
Le gris du jour, de la nuit le clair-obscur
s’unissent en l’histoire continue des saisons :
au revers de l’action, c’est être patience
que d’éprouver des heures durant leur cours :
c’est attendre de l’objet l’ombre au soleil,
savoir qu’à ce moment la chair aura l’éclat —
c’est espérer de la flamme la crue des couleurs
liées à des textures perçues sans les toucher.
Ce feu sécrète en nous le ductile espace
par les jeux du bois sec et de la cendre —
et déjà la rose d’hiver donne le blanc,
blanc repris par fleurs qui percent la neige,
puis la tulipe à son tour est la fraîcheur,
la rose avive la brique et le bleu de l’ardoise,
enfin la pivoine de son rouge touche le vert —
et le bruit de nos mots est un murmure sonore.
–
extrait des « heures inégales » ed Fata Morgana
Sally Heliott – il neige toujours quelque part

Quand tu rencontreras le Soleil de Tabriz
comme ces deux mains
comme ces deux paumes
dont les mots calcinés échappent aux brûlures…
quand tu rencontreras le Soleil de Tabriz
l’hiver alors nous mordra la bouche
comme…
comme pour en vivre encore
le feu avant la cendre
la flamme et la lampe
plaine à la longue page
encore imberbe de doutes et de peurs
quand remplie de silence
on entend sa parole
Aurélia Lassaque – le rêve d’Eurydice

Nous creuserons de nouveaux sillons
que nous couvrirons de cendre.
Nous verrons mourir le vent qui charrie l’oubli.
J’aurai des pommes dans ma poche
volées à plus pauvre que moi.
Nous les pèlerons avec des épées.
Et avec les restes de nos rêves
Nous en bâtirons d’autres
Par delà les feux
Et la frontière du regard.
Face cachée – ( RC )

Faut-il que je me penche
sur mon passé
pour entamer le récit
à haute voix
des ombres portées
de la vie
dont j’atteins désormais
la face cachée ?
Je ne me retourne plus
que pour contempler
la couronne diffuse
des aurores boréales,
car le soleil
se tourne dans l’ombre.
Je consume lentement
le reste de mon existence
dont j’ai dépassé la moitié .
Les cigales chantent encore
mais elles sont en sursis
quand l’astre s’éteint.
Une lumière diffuse
m’accompagne
de l’autre côté de la planète.
Je t’y retrouverai peut-être
dans le dernier frémissement
de l’histoire qui s’achève.
Puis d’un bond,
je quitterai la terre,
ne laissant sur elle
qu’un petit tas de cendres,
pour entreprendre un grand voyage
parmi les étoiles….
Amina Saïd – Tous les présages sont faux

Tous les présages sont faux
ni les traces des oiseaux
ni la direction de leur vol
ne traduiront jamais la pensée des dieux
et sur l’autel de leur propre démesure
de longs couteaux de silence sacrifient nos passions
croyant partager le pain du monde
c’est ton corps que tu rompais
il s’en écoulait un peu de cendre
dont jalonner les sentiers orphelins
la vie est un voyage avec une mort à chaque escale
Une petite heure de calligraphie – ( RC )
Le plateau a ses reflets de rose
et d’orange.
Le soleil soupire de lassitude
avant de se coucher
derrière la ouate de nuages
aux dentelles dorées.
Le soir n’a pas encore
déposé sa cendre grise,
les arbres écrivent
pour une petite heure
leur calligraphie .
Jacques Ancet – l’heure de cendre
Ecoute-moi, simplement
sans cesser tes gestes quotidiens : écrire une lettre, faire chauffer la soupe, mettre le couvert, que sais-je
l’eau qui coule les bruits ne me gêneront pas : le tintement des cuillers, le froissement bleu des flammes du gaz, l’eau qui coule du robinet, et
même si tu ne comprends pas tout, si tu oublies de m’écouter, tant pis, tu seras là, encore un peu
je saurai qu’il me suffit presque de tendre la main pour sentir ta chaleur.
Mais les mots me suffisent l’espace de ta présence que je sens, même si je ne te vois pas avec la nuit
tout ce qui fait cet instant si différent des autres malgré l’angoisse – ou peut-être à cause d’elle transparence noire où brillerait chaque éclat de la vie
Laisse-moi m’approcher un peu plus, avec ces mots que je cherche
de longues heures nous séparent du matin. Traversons-les ensemble
J A 1980
Thomas Vinau – Quelque chose
Il y a quelque chose en lui
d’un enfant mort
qui se battrait
avec un vieux chat
Quelque chose de poussière et de cendre
de murmure et d’oubli.
il y a quelque chose en lui
qui chante
comme un Indien s’en va.
Quelque chose
de la bête qui fuit
de l’ironie d’un ciel
d’une petite brûlure
quelque chose
d’un méandre qui gonfle
d’un complot qui s’ourdit
D’une tempête perdue
dans les yeux d’une fille.
quelque chose de tendre
qui crie .
Comme se consument les heures – ( RC )
peinture: Paul Klee
—
S’il faut laisser passer les heures ;
ce sont des images fugitives,
elles se consument, comme du papier qui brûle,
et il n’en reste rien.
Même pas un peu de cendre.
Alors, justement , où est l’empreinte,
d’où peut naître la future lumière ?
Il faut que je la creuse,
que j’y dépose des paroles,
que je sème quelque chose
pour marquer ce qui passerait
pour un désert :
fertiliser le temps
d’un poème, avant que le jour ne s’éteigne .
Certains diront que je n’ai pas vécu pour rien.
–
RC avr 2017
Susanne Dereve – Offrande
nécropole rupestre – Abbaye de St Roman – Gard
De charogne ou de cendre le jour où Elle viendra
choisissez un bon bois de chêne, lisse au toucher, robuste et clair,
gardez-moi des vaines offrandes,
ces urnes que les us épandent en sombres paraboles abandonnées au vent,
aux rumeurs infécondes et sourdes du levant
et qu’un bras malhabile se devrait de répandre au-delà du silence
comme on boit le calice âcre de la souffrance
De charogne ou de cendre le jour où Elle viendra
choisissez un carré de terre,
de ce terreau qu’égrainera la pelle d’un ton clair
il faut du temps il faut des fleurs pour oublier
il faut ce marbre uni où poser des œillets
l’herme aux lueurs du soir est plus doux au malheur que ces brumes d’errance le vent a-t-il jamais séché les larmes de douleur
De cendre ou de poussière lorsque le temps viendra
choisissez un bon bois de chêne lisse au toucher, robuste et clair
et dans ce vieux pays de Rance enterrez-moi près de mon père.
–
suivi de ma « réponse »
Quel que soit le carré de terre,
que des pelles viendront blesser
la pierre ou le marbre,
l’ombre des cyprès,
les noeuds de leurs racines,
auprès de toi,
Quel que soit le vent,
qui répandra les cendres,
comme autant de paroles vaines,
et aussi les fleurs
qui meurent, de même,
dans leur vase,
Il y aura un temps pour oublier,
lorsque les mousses
auront reconquis la pierre gravée,
les pluies effacé les lettres :
– même la douleur
ne peut prétendre à l’éternité .
Que l’on enterre une princesse
avec ses bijoux,
et toutes ses parures,
ne la fait pas voyager plus vite
sur le bateau
de l’au-delà…
Ce qu’il en reste
après quelques siècles :
> quelques offrandes,
et des os blanchis
ne nous rendent pas sa parole
et le ton de sa voix.
A se dissoudre complètement
dans l’infini,
c’est encore modestie :
– On pourra dire « elle a été » -,
mais le temps du souvenir,
se porte seulement dans le coeur des vivants .
–
RC
:
Sirènes de Syrie – ( RC )
peinture S Dali
Plantés au sommet du toit
des oiseaux noirs
figés dans la cendre
interrogent les limites d’un monde
où le ciel manque aux disparus
La télé bégaie
des programmes identiques,
que personne ne regarde plus,
et la belle saison ne fleurit plus :
mutante, en couleurs acides,
sur-saturées.
Les girafes sont en feu,
coincées sur l’horizon,
encombré de flocons noirs,
du cri des sirènes métalliques.
Ce ne sont pas celles
qui charmaient les marins de l’Odyssée.
Ou bien la traversée du temps
a transformé la légende
en autant de paroles vénéneuses.
Malgré l’odeur persistante du chlore,
des araignées voraces
étirent leur toile,
et se nourrissent des corps brûlés
abandonnés dans les rues.
–
RC – avr 2017
Yannis Ritsos – Inévitable
photo: Lydia Roberts
Ils sont partis, l’un après l’autre.
Nous avons attendu.
Ils ne sont pas revenus.
Comment peut-on s’habituer à tant d’éloignement ?
Ni montagnes, ni arbres, ni maisons,
ni gens du tout, et les noms oubliés,
et la cendre répandue jusque dans les pages vierges.
Seulement dans le champ sec aux ronces jaunes,
a poussé une rose comme par erreur. La nuit,
souviens-t’en quand tu regarderas au loin, vers le large,
les trois petits feux errants. Souviens-t’en.
O, triste, inconsolable clair de lune, garde-moi.
Karlovassi, 10. VII. 87
Catherine Pozzi – Vale
peinture aborigène: Clifford Possum 1997
–
La grande amour que vous m’aviez donnée
Le vent des jours a rompu ses rayons —
Où fut la flamme, où fut la destinée
Où nous étions, où par la main serrée
Nous nous tenions
Notre soleil, dont l’ardeur fut pensée
L’orbe pour nous de l’être sans second
Le second ciel d’une âme divisée
Le double exil où le double se fond
Son lieu pour vous apparaît cendre et crainte,
Vos yeux vers lui ne l’ont pas reconnu
L’astre enchanté qui portait hors d’atteinte
L’extrême instant de notre seule étreinte
Vers l’inconnu.
Mais le futur dont vous attendez vivre
Est moins présent que le bien disparu.
Toute vendange à la fin qu’il vous livre
Vous la boirez sans pouvoir être qu’ivre
Du vin perdu.
J’ai retrouvé le céleste et sauvage
Le paradis où l’angoisse est désir.
Le haut passé qui grandi d’âge en âge
Il est mon corps et sera mon partage
Après mourir.
Quand dans un corps ma délice oubliée
Où fut ton nom, prendra forme de cœur
Je revivrai notre grande journée,
Et cette amour que je t’avais donnée
Pour la douleur.
Del gran amor que tú me habías dado
El viento de los días los rayos destrozó —
Donde estuvo la llama, donde estuvo el destino
Donde estuvimos, donde, las manos enlazadas,
Juntos estábamos
Sol que fue nuestro, de ardiente pensamiento
Para nosotros orbe del ser sin semejante
Segundo cielo de un alma dividida
Exilio doble donde el doble se funde
Ceniza y miedo para ti representa
Su lugar, tus ojos no lo han reconocido
Astro encantado que con él se llevaba
De nuestro solo abrazo el alto instante
Hacia lo ignoto.
Pero el futuro del que vivir esperas
Menos presente está que el bien ausente
Toda vendimia que él al final te entregue
La beberás mientras te embriaga el
Vino perdido..
Volví a encontrar lo celeste y salvaje
El paraíso en que angustia es deseo
Alto pasado que con el tiempo crece
Es hoy mi cuerpo, mi posesión será
Tras el morir.
Cuando en un cuerpo mi delicia olvidada
En que estuvo tu nombre se vuelva corazón
Reviviré los días que fueron nuestro día
Y aquel amor que yo te había dado
Para el dolor.
Versión de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán
Jean Vasca – les lointains
En nous sont les lointains nos îles nos ailleurs
Patrouilleurs dans l’opaque à chercher l’entrouvert
Nous sillonnons sans fin les ténèbres intérieures
Pour déchiffrer l’énigme aux portes des mystères
En nous sont les lointains de brume et d’inconnu
Lorsque les horizons entonnent leur complainte
Tenter l’appareillage à voile que veux-tu
Vers une rive d’or encore jamais atteinte
En nous sont les lointains nos traces nos sillages
Les naufrages du cœur les songes en carène
Cathédrales englouties et palais des mirages
Là-bas vers les abysses ou la nuit nous entraîne
En nous sont les lointains dessous les cicatrices
Les plaies qui se referment et qui suintent encore
Des souvenirs perdus dans tous les interstices
Des ombres d’amours mortes à l’envers du décor
En nous sont les lointains c’est là notre impatience
A vouloir l’au-delà de tous nos quotidiens
C’est l’écho d’un accord majeur qui nous fiance
A cette terre humaine ses troubles lendemains
Ces lointains qui rougeoient sous la cendre de l’âge
Braises encore des révoltes en nous comme un regain
Et sous le poids du temps lourd de tous ses outrages
La rage encore de vivre et son feu mal éteint
Jean Vasca
Marc Exavier – L’espoir est un soleil impair
Lithographie: Georges Braque: soleil et lune II ( 1959)
( extrait des « chansons pour amadouer la mort)
L’espoir est un soleil impair
Un frisson volé aux miroirs
L’espoir est une ruche folle
Une ruée de clignements
Une rumeur aux gras de sel
Une marée mure de sang
L’espoir est un chemin aveugle
Un désespoir qui se recharge
Un écho qui choisit les mensonges
Un gisement de ciels
L’espoir est un fleuve qui rêve
Dans le soir fumant de la soif
L’espoir est une légende confuse
Où l’amertume fermente et soigne
Son goût de cendre et de tumeur
J’habite mes ossements
Cœur à chaos nageur soluble
Une erreur qui crée ses calculs
La vie est un soleil aveugle.
–
On peut lire d’autres extraits ici…
Jacques Dupin – Romance aveugle
–
—
–
Je suis perdu dans le bois
dans la voix d’une étrangère
scabreuse et cassée comme si
une aiguille perçant la langue
habitait le cri perdu
coupe claire des images
musique en dessous déchirée
dans un emmêlement de sources
et de ronces tronçonnées
comme si j’étais sans voix
c’en est fait de la rivière
c’en est fini du sous-bois
les images sont recluses
sur le point de se détruire
avant de regagner sans hâte
la sauvagerie de la gorge
et les précipices du ciel
le caméléon nuptial
se détache de la question
c’en est fini de la rivière
c’en est fait de la chanson
l’écriture se désagrège
éclipse des feuilles d’angle
le rapt et le creusement
dont s’allège sur la langue
la profanation circulaire
d’un bout de bête blessée
la romance aveugle crie loin
que saisir d’elle à fleur et cendre
et dans l’approche de la peau
et qui le pourrait au bord
de l’horreur indifférenciée
[…]
François Corvol – Quelque chose – Visions of L.A.
VISIONS OF LA
Il est l’heure maintenant de dormir
ne disparais pas trop vite où je ne peux plus marcher
ne vas pas trop vite où mes pas ne vont plus
ma vie elle n’est rien qu’un peu de ces chansons infirmes
de la cendre soulevée sur nos chemins intérieurs
j’ai dressé mon amour dans cette déchirure
j’ai exhumé le diamant de ces rêves offensés
je suis comme les autres hommes les autres éphémères
qui vont partout se cogner chercher de la lumière
j’habite la nuit je n’ai que la nuit
pour me raconter ce que c’est que de rester en vie
aveugle incertain ignorant
je ne fais qu’errer de lueur en lueur
et lorsque je l’atteins je brûle comme chacun
Georges Séféris – Santorin 01

Dessin: Gregorio Prieto
–
Nous nous sommes retrouvés nus sur la pierre ponce
regardant les îles nées des flots,
regardant les îles rouges s’abîmer
dans leur sommeil, dans notre sommeil.
Nous nous sommes retrouvés nus, ici, inclinant
la balance vers l’injustice.
–
Talon de la vigueur, vouloir sans faille, amour lucide,
desseins qui mûrissent au soleil de midi,
voie du destin au bruit de la jeune paume frappant l’épaule ;
en ce pays qui s’est brisé, qui ne résiste plus,
en ce pays qui jadis fut le nôtre,
rouille et cendre, les îles s’engloutissent.
–
Du corps j’ai perdu l’empreinte – ( RC )

photo: Ivar Ivrig
–
Des brûlures noires,
Aux paroles tendues
Se consument encore
Dans un Styx immobile
Quand la pensée se fige,
Etranger à son propre corps,
Un pays natal, où s’oxyde
Une eau au goût,
Qu’on ne reconnaît plus .
Ou seulement le goût
De la cendre,
A regarder s’éloigner,
Toujours davantage,
La rive, les champs.
Ils ne sont plus que surfaces ocres,
Et les arbres une masse sombre,
Un crépuscule du désir,
Et les braises éteintes ;
( du corps j’ai perdu l’empreinte ) .
On y distingue même plus,
Les fleurs piétinées,
Le tout sera bientôt,
Recouvert par un rideau de fumée…
–
RC – 28 novembre 2013
–
Daniel Varoujan – La terre rouge
( poésie arménienne )
Sur ma table de travail, dans ce vase,
repose une poignée de terre prise
aux champs de mon pays…
C’est un cadeau, — celui qui me l’offrit
crut y serrer son cœur, mais ne pensa jamais
qu’il me donnait aussi le cœur de ses ancêtres.
Je la contemple… Et que de longues heures passées
dans le silence et la tristesse
à laisser mes yeux se river sur elle, la fertile,
au point que mes regards y voudraient pousser des racines.
Et va le songe… Et je me dis
qu’il ne se peut que cette couleur rouge
soit enfantée des seules lois de la Nature,
mais comme un linge éponge des blessures,
de vie et de soleil qu’elle but les deux parts,
et qu’elle devint rouge, étant terre arménienne,
comme un élément pur que rien n’a préservé.
Peut-être en elle gronde encore le sourd frémissement
des vieilles gloires séculaires
et le feu des rudes sabots
dont le fracas couvrit un jour
des poudres chaudes des victoires
les dures armées d’Arménie?
Je dis: en elle brûle encore
la vive force originelle
qui souffle à souffle sut former
ma vie, la tienne, et sut donner
d’une main toute connaissante,
aux mêmes yeux noirs, avec la même âme,
une passion prise à l’Euphrate,
un cœur volontaire, bastion
de révolte et d’ardent amour.
En elle, en elle, une âme antique s’illumine,
une parcelle ailée de quelque vieux héros
si doucement mêlée aux pleurs naïves d’une vierge,
un atome de Haïg, une poussière d’Aram,
un regard profond d’Anania
tout scintillant encor d’un poudroiement d’étoiles.
Sur ma table revit encore une patrie,
— et de si loin venue cette patrie…—
qui, dans sa frémissante résurrection,
sous les espèces naturelles de la terre
me ressaisit l’âme aujourd’hui,
et comme à l’infini cette semence sidérale
au vaste de l’azur, toute gonflée de feu,
d’éclairs de douceurs me féconde.
Les cordes tremblent de mes nerfs…
Leur intense frisson fertilise bien plus
que le vent chaud de Mai le vif des terres.
Dans ma tête se fraient la route
d’autres souvenirs, des corps tout rougis
d’atroces blessures
comme de grandes lèvres de vengeance.
Ce peu de terre, cette poussière
gardée au cœur d’un amour si tendu
que mon âme un jour n’en pourrait,
si dans le vent elle trouvait
le reste de mon corps (devenu cendre,
cette poudre en exil d’Arménie, cette relique,
legs des aïeux qui savaient des victoires,
cette offrande rouge et ce talisman
serrée sur mon cœur de griffes secrètes,
vers le ciel, sur un livre,
quand vient cette heure précieuse
de l’amour et du sourire
à ce moment divin où se forme un poème,
cette terre me pousse aux larmes ou aux rugissements
sans que mon sang ne puisse s’en défendre,
et me pousse à armer mon poing
et de ce poing me tenir toute l’âme.
traduction : Luc-André Marcel
Michel Hubert – Captif d’un homme – La cendre
–
La cendre
blesse de froid
ses pluies les plus aveugles
sur ton masque d’absence
d’autres vies sans retour s’appuient de même au simulacre de ton corps dans ma parole tue
quelle aile blanche de l’enfance ne s’est au moins soudée une fois qu’une seconde même à mon embrasement ?
dans la mémoire la marée monte
monte de tout ce que j’ai pleuré
pour ton visage
pour tes lèvres arrachées
de mon souffle
os à nu
pour la grisaille sans larme
dans mes veux
hors la limite imperturbable
d’un tel visage humainement terrestre
L’ombre
l’ombre d’inaperçu délimite que trop sous l’aile blanche de l’irréel ce grand voile noir de mon regard qui s’épaissit aussi lentement dans l’appel fatidique du soir
Il ne suffit pas de la lumière en lentes coulées blanches limpides comme des bras
et ce possible retour
sans origine
qui serait ne plus rien dire
Bientôt j’aurai besoin de tes yeux à la ferveur éclair d’un poignard dans l’unité blanche de l’être
et qu’a l’école de ma nuit j’attends des eaux que cesse tout ressac de mort
extrait du recueil » Hypothèse de craie »
1983
Catherine Pozzi – Ave
Ave
Très haut amour, s’il se peut que je meure
Sans avoir su d’où je vous possédais,
En quel soleil était votre demeure
En quel passé votre temps, en quelle heure
Je vous aimais,
Très haut amour qui passez la mémoire,
Feu sans foyer dont j’ai fait tout mon jour,
En quel destin vous traciez mon histoire,
En quel sommeil se voyait votre gloire,
Ô mon séjour.
Quand je serai pour moi—même perdue
Et divisée à l’abîme infini,
Infiniment, quand je serai rompue,
Quand le présent dont je suis revêtue
Aura trahi,
Par l’univers en mille corps brisée,
De mille instants non rassemblés encor,
De cendre aux cieux jusqu’au néant vannée,
Vous referez pour une étrange année
Un seul trésor
Vous referez mon nom et mon image
De mille corps emportés par le jour,
Vive unité sans nom et sans visage,
Cœur de l’esprit, ô centre du mirage
Très haut amour.
….
Catherine Pozzi (1882-1934)
–
Vases sacrés de sacrifice ( RC )

photo Lukas Jackson, agence Reuters
–
Enroulé autour d’une pierre,
Je possède la terre,
Et les ruisseaux plombent
Aux échancrures des combes,
Et la mer cravache d’écumes,
Sous des ciels d’enclume,
Quand l’horizon se déchire,
Il faut s’attendre au pire,
Le brasier ocre de cruauté,
Confisque l’éternité
Au soleil tacheté d’ombres épaisses,
– Cela vaut bien une messe –
S’étend le froid polaire,
Hérissé de tessons de verre,
Soudé de couches de glace…
Aucun été ne l’efface,
Pourtant, au plus profond,
Elle trépide et fond,
Fin de léthargie, fin de sieste,
Enfin, la planète proteste,
Et je sens sous mes mains des cascades,
Se ruant en cavalcades,
Et au passage des flots,
Se fomente un complot,
Protestations, murmures et révolte,
sous l’oppression, voila ce qu’on récolte…
Ainsi mijotent ruptures et schismes,
Fractures et séismes,
A des distances de là, les esclaves,
Se libèrent en ruées de lave,
Se frayant une route,
A travers la croûte,
Et puissamment jaillissent,
Du creux des abysses,
Eructent éruptions,
Spasmes et convulsions,
Les volcans s’ouvrent les veines,
Ejaculent en chaîne,
Vases sacrés de sacrifice,
Allumés, les feux d’artifice….
Le feu côtoie la glace,
Il faut qu’elle cède la place,
Elle ne peut plus attendre,
Sous un ciel de cendres,
La froidure libère ses eaux sarabande,
Et dentelle les contours d’Islande.
–
RC – 25 août 2013
–
Neige sur le dos de pierres – (RC )
–
Le dos de pierres
Courbé dessous
Le tas de cendres,
Et puis l’été,
Et puis la colline,
Vautrée sous le passage de l’orage.
Demeurent, parmi les restes de murs,
De la petite ruine,
Les éclats d’ardoise,
Que le feu a révélés…
Les mauvaises herbes, en tas,
Agressives,
Avaient pris possession des lieux,
Et les orties, étaient chez elles.
Sur le dos de pierres, de la voûte écroulée,
– C’était il y a longtemps,
. Et déjà le feu,
. La rumeur de la guerre,
Les maisons abandonnées,
A l’étrange été de neige sale,
Une neige de cendre,
Qui recouvrit
Aussi,
La table bleue,
> Elle n’avait pas sa place,
Sur la charrette…
–
RC – 18 août 2013
–
Ph.Marvejols – Préboréales
–
Préboréale
Il fait chaud et la terre est alors sans blés mûrs
Les fleurs se tapissent sans ombre et les oiseaux
Picorent l’orange du vent. A l’aurore du monde les fumerolles
S’accrochent à l’air, passent les arbres et s’envolent
Les carbones s’accouplent sous l’azur
Et dans l’immensité de jours géants
Et sans encor nymphées ni paysages
La terre veut promettre des beautés éternelles.
Le paradis n’est pas encore sûr.
A pente de volcan et sous la nuée la pouzzolane retient
La promesse d’une herbe sage pour de non-encore vaches
Sans doute de brunes basses et cornues Salers.
Elles iront leur nonchalance, ignorant les chiens.
Entre les genêts garance elles prendront les traverses
Et les bipèdes causeurs qu’elles gardent retourneront à leur tâche.
Déjà un héron nous regarde.
Le pire n’est pas encore mûr. Au loin la neige se tasse en silence
Et ne songe à protéger le blanc de son cœur de ces ombres lointaines
Dont la cendre grise descend lentement au rythme de siècles à venir :
Sans salir ce cristal ni sans être là, une nuée de bipèdes
Sature et sur son infini passage dépose l’Adn de son mal.
Dans l’herbe gelée venait de glisser
Pour elle
La première larme des hommes.
P. Marvejols dont d’autres créations sont à découvrir sur son site
–

photo: Christian Giusti – Vaches à l’estive, hautes terres du Cézallier
–
08.02.13