Car c’est ta voix que j’ai reconnue – ( RC )

Dessin Victor Brauner
Le temps se dénoue
quand s’élance
le chant de l’oiseau .
Il m’est revenu,
chante pour moi
une mélodie neuve
qui , pourtant ,
ne m’est pas inconnue ;
c’est par ta voix
dans un arbre lointain
que s’effacent les doutes
pour la clarté la plus sereine.
Cet arbre est en moi
il étire ses branches
jusqu’à peut-être
te frôler.
Alors point n’aurai chagrin,
de ton corps disparu,
car c’est ta voix
que j’ai reconnue.
( variation » réponse » sur le poème 4 de 1854 d’Emily Dickinson )
Léonard de Vinci – tristesse

La tristesse ressemble au corbeau qui, quand il voit ses petits naître
blancs , part dans un grand chagrin, et les abandonne avec tristesse,
lamentation, et ne les nourrit pas jusqu’à ce qu’il en voit quelques-uns
avec des plumes noires.
( extrait des notes de L de Vinci sur les oiseaux )
une autre:
Le pinson doré est un oiseau dont on raconte que, lorsqu’il est
en présence d’une personne malade,
si l’homme malade est en train de mourir, l’oiseau détourne la tête
et ne le regarde jamais; mais si l’homme malade doit être sauvé
l’oiseau ne le perd jamais de vue mais il est
la cause de sa guérison.
C’est ainsi que c’est l’amour de la vertu. Il ne regarde jamais aucune chose vile ou
élémentaire, mais plutôt s’accroche toujours à des choses pures et vertueuses et
s’installe dans un cœur noble; comme le font les oiseaux dans les bois verts
sur les branches fleuries. Et cet Amour se montre plus dans l’adversité
que dans la prospérité; comme le fait la lumière, qui brille le plus là où l’endroit
est le plus sombre.
Béatrice Libert – les pierres et les mots

Les pierres et les mots remplissent notre vie
Les unes pour la fermer les autres pour l’ouvrir
Nous les semons devant nous
Sans pouvoir contre le chagrin et la nuit
Parfois certains d’entre eux
Soulèvent notre montagne intérieure
Remuent notre pauvre syllabaire
Où les mots défaits se recomposent
Où les pierres affligées se changent en sable
Où le vent malgré sa surdité
Ranime quelquefois un semblant de poésie

Pentti Holappa – Sacrement

Le pain de chaque jour et l’amour
sont notre chagrin. Notre soleil
ne féconde pas l’asphalte de nos champs,
goulet carrossable. Facile est difficile,
l’éternel s’oublie vite.
Et l’amour: jouissance le premier jour,
douleur le second, au troisième la solitude.
Le regard d’un passant qui brûle l’âme
répète ceci: l’amour passe sur la route,
goulet carrossable.
Aussi longtemps que la sueur sera salée,
les larmes cuisantes,
la faim de notre
corps sera vraie chaque jour
et sa peine comme sa jouissance s’égareront,
dévorées par les mites, et souillées
par la rouille.
Hala Mohammad – Le sourire qui n’a pas trouvé son chemin

Le sourire
Qui n’a pas trouvé son chemin vers mes lèvres
Les jours de bonheur,
Tel un vent silencieux
Telle une pierre tombale
Fend mon visage
Dans mon chagrin
Toussaint – Susanne Derève –

.
Ne parle pas de chrysanthèmes
c’est Toussaint
Ne me parle pas des pierres
c’est cimetière
La mort est un jour sans fin
et la faim me tenaille de vivre
encore
A Toussaint autrefois
c’était toujours Dimanche
parmi les fleurs
Maman se serrait contre moi
j’étais la chaleur des corps ensevelis
contre le sien un bouclier ardent
Je faisais face au poids charnel
du chagrin aux servitudes de l’oubli
Nos pas crissaient dans les allées
et les fleurs immobiles taisaient
lentement leurs couleurs
Moi, pendue à son bras
spectateur du tendre passé
je ne voulais pas que s’étiole l’amour
Je priais qu’il dure toujours
.
.
Wladyslaw Slzengel – loin ( conversation avec un enfant )

Conversation avec un enfant
Mille neuf cent quarante deux.
La mère et l’enfant.
Un atelier, un bloc…
L’enfant au visage de lys
La mère aux cheveux de lait
Dis moi mère, demande le petit,
que signifie : loin…
Loin, c’est au-delà des montagnes,
des forêts et des rivières…
Loin c’est les rails…
Loin, c’est un voyage en mer,
des bateaux et de grands espaces livides,
et des montagnes au soleil pourpre…
Loin, c’est des îles dorées
et le souffle des brises parfumées,
une verdure éclatante
et le sable doux et sec.
Mais comment expliquer à l’enfant
le sens du mot : loin…
quand il ignore ce qu’est une montagne,
ou à quoi ressemble une rivière…
et n’a pas comme sa mère… et n’a pas comme moi
ces images plein les yeux,
alors comment expliquer à l’enfant
le sens du mot : loin …
Loin, mon enfant chéri
(une larme frémit sur les cils)
loin, c’est comme de notre bloc
jusqu’au bloc Toebbens…
Et dis-moi maman chérie
que signifie : autrefois…
Autrefois, c’est une soirée en ville,
des lampes qui brillent, des néons…
C’est le calme d’un appartement tranquille et un poêle bien chaud
Autrefois, c’est des gâteaux de Ziemianska
autrefois, c’est un déjeuner avec la radio autrefois,
c’est chaque matin Notre Revue »’
et le soir le cinéma Palladium.
Autrefois, c’est un mois à la mer, autrefois,
c’est…des photos d’une excursion
et une photo d’un mariage sous le voile
et du pain blanc sans paille…
Mais comment expliquer à l’enfant
ce passé clair et glorieux
quand il n’en sait rien… absolument rien…
comment expliquer : autrefois …
Tu vois, mon enfant chéri, déjà triste et vieux,
autrefois, ça signifie quand autrefois…
ils ne nous rationnaient pas le miel
et dis-moi, maman, dis-moi
C’est quoi, ce que j’entends la nuit…
ces longs sifflements… au loin…
qu’est-ce qui siffle, et pour quoi faire….
Comment expliquer à l’enfant,
quel exemple quel motif prendre,
pour expliquer le sifflement nocturne
et lointain des locomotives…
comment expliquer les rails
et la longue route vers l’infini
la joie de filer en sleeping
dans des express fous.
Gares, signaux, aiguillages,
nouvelles villes, rues,
billets, correspondances, bagages,
journal, buffet et porteur.
Le miroitement de petites lumières la nuit
les trainées lilas des fumées.
Comment expliquer… et pour quoi faire,
qu’il y a encore un monde quelque part au loin ça,
veut dire, mon petit garçon,
toi qui tords tes doigts de chagrin,
que ça peut s’étendre plus loin que Toebbens…
et encore plus loin que le miel…
–
notice biographique sur l’auteur ( poète du ghetto de Varsovie )
Norge – Petit clairon
Petit clairon de modeste note
Tu t’égosilles dans le matin,
Dis-moi, petit clairon de parlote
Dis-moi pourquoi tu as du chagrin.
Dis-moi pourquoi, clairon de faubourg
Ton fa dièse a tant de détresse,
Dis-moi si c’est le nord qui te blesse
Ou si ton mal est un mal d’amour.
Petit museau musant grêle et froid,
Comment fais-tu pour chanter en berne
Et pour jeter de si peu de voix
Tant de clairon sur tant de caserne ?
Tu te plains trop dans la noire cour,
Petit clairon de petite race.
Dis-moi si c’est le nord qui te glace
Ou si ton mal est un mal d’amour ?
–
NORGE « Le Gros gibier » (Seghers)
Intermezzo
Patrick Aspe – Les rires sont des oiseaux de passage
Les rires sont des oiseaux de passage
la mémoire une éponge
la nuit une dissidente
tangue la vie des fuites lentes
mascarades sans limites
comme un filin d’acier au dessus du vide
je revois l’olivier des allées
la maison rose sous les cyprès
les grands peupliers jaunes d’octobre
précipice sans fond
sabordage des illusions
danse macabre aux sons des tamtams
le cri vient du ventre friable et déchiqueté
attirances des bleus voilés d’or sur la mer qui balance
la forêt d’endort aux silences des pins
chagrin parfumé d’oranges
imaginons cette vague sur le sable doré
lancinante passion des mains qui passent sur ton dos l’huile frémissante
la colline des horizons
sables mouvants de l’enfance
mon chevalier foudroyé d’ignorance
dragon frissonnant de flammes
la lune échappe aux brouillards
élève toi élève toi vers les neiges des cimes mon cœur brisé
l’azur pur tourmente l’épée qui s’agite …
Novalis – O Mère, celui qui t’a vue
XIV
Sculpture Vierge à l’enfant, Musée Unterlinden Colmar
–
–
O Mère, celui qui t’a vue
pour toujours échappe à l’Enfer.
Il souffre d’être loin de toi,
il t’aime d’amour éternel,
et le souvenir de tes grâces
donne des ailes à son âme. (…)
Tu sais, ô Reine bien-aimée,
que je suis à toi tout entier.
N’ai-je pas, depuis tant d’années,
joui de tes faveurs secrètes ?
A peine éclos à la lumière,
j’ai bu le lait de ton sein bienheureux.
Mille fois tu m’es apparue ;
je t’adorais d’un cœur d’enfant ;
ton Enfant me tendait ses mains
pour mieux me reconnaître un jour.
Tu souriais avec tendresse,
tu m’embrassais — instants divins !
Il est bien loin, ce paradis.
A présent, le chagrin m’accable.
J’ai longtemps erré, triste et las.
T’ai-je donc si fort offensée ?
Humble comme un enfant, je m’attache à ta robe :
éveille-moi de ce rêve angoissant.
Si l’enfant seul peut voir ta face
et compter sur ton sûr appui,
délivre-moi des liens de l’âge,
fais de moi ton petit enfant.
L’amour et la foi de l’enfance
Depuis cet âge d’or restent vivants en moi.
NOVALIS « Cantiques »
Lucie Taïeb – Où est-il ?
–
ce soir, dans la maison d’avant, demander à S., qui prépare le repas : « et où est-il ? il ne dîne pas avec nous ? »le lui demander comme un enfant qui n’aurait pas voulu comprendre que son père ne reviendra pas.
Le lui demander comme l’adulte, saine d’esprit, que je suis, ne peut pas le faire, et il le faudrait pourtant, pouvoir se faire expliquer et redire qu’il ne reviendra pas, pouvoir pleurer encore cette absence, refuser de la comprendre, refuser d’écouter les explications, de chagrin hurler, se cogner la tête contre le mur de la cuisine, jusqu’à ce qu’elle saigne et tache le mur blanc, jusqu’à ce qu’elle s’ouvre comme une noix de coco et que le chagrin se déverse, répandant autour de la coquille brisée son odeur de délice rance.
le temps nous déplace, nous éloigne de chaque instant de notre vie et ramène pourtant, par l’entremise de la date, chaque jour qui nous marque, chaque année.
je pense à toi, en cet instant précis, tandis que S. déverse les coquillettes dans l’eau bouillante, je pense à toi, à plusieurs milliers de kilomètres d’ici, l’instant se ralentit, devient plus dense, presque douloureux par trop de lumière, je pense à toi, j’ai la certitude d’une union dans cette distance, je fantasme tes pensées aussi intensément tendues vers moi, j’imagine qu’en cet instant précis, tu es aussi proche de moi, en pensée, que je le suis de toi.
au même moment
je pense à toi, en cet instant précis, comme S. déverse les pâtes dans l’eau bouillante, je pense à toi, plusieurs milliers d’années auparavant, tu aurais été là, tu devrais être là, je fantasme encore si proche, ta présence, et je ne comprends pas que, malgré l’intensité de ma pensée, tu ne sois pas là, proche de moi, comme tu devrais l’être. je demande alors « où est-il ? », j’ai 20 ans, j’en ai 40, j’en ai 56 et c’est mon dernier âge, nous mourons jeunes dans la famille, je demande encore où il est, et plus personne
pour me répondre
qu’il ne reviendra pas.
M2L – L’absence
photographe non identifié
Absence
Jardin fermé
Sur la terre inclinée
une amie suit
le mouvement de l’air.
Seul l’oiseau chante
le retour du jasmin
à l’horizon
du Soleil sur la terre.
Absence
senteur d’Orient
Au matin qui s’enfuit
les fleurs fanées
épousent le chagrin
d’un jardin oublié.
Le ciel ruisselle
mais les perles de pluie
ne valent pas
la douceur d’une main.
Murièle Modely – ( En ) quête
![]() photo Mahafsoun ( deviantart )
Je suis petite fille Je tombe Je suis coupable d’enfance Je dégringole Car je cherche un passé,
– Un texte qui peut être retrouvé dans le site « écrits vains », parmi 8 autres de M Modely
– |
Giacomo Leopardi – A la lune
O gracieuse lune, je me souviens qu’il y a maintenant un an,
je venais sur cette colline plein d’angoisse, te contempler,
et tu planais alors, comme tu fais à présent, au dessus de cette forêt que tu illumines tout entière.
Mais ton visage m’apparaissait nébuleux et tremblant à travers les larmes qui perlaient sous mes paupières,
car douloureuse était ma vie, et elle l’est encore et n’a pas changé, ô lune bien-aimée.
Et cependant j’aime à me souvenir et à calculer l’âge de ma douleur.
Oh ! comme il est doux, au temps de la jeunesse, quand la carrière à parcourir
est encore longue pour l’espérance et courte pour la mémoire, de se rappeler les choses passées,
encore qu’elles soient tristes et que le chagrin dure !
1819
Giacomo Leopardi – Le songe
* LE SONGE – *
C’était le matin, et à travers les volets fermés, par le balcon, le soleil glissait sa première blancheur dans ma chambre sombre, quand, au moment où le sommeil plus léger et plus doux voile les paupières, se dressa à mon côté et me regarda en face le fantôme de celle qui, la première, m’enseigna l’amour, et puis me laissa dans les larmes.
Elle ne me paraissait pas morte, mais triste, et telle que se montrent à nous les malheureux.
Elle approcha sa main de mon front et me dit avec un soupir :
Vis-tu, et gardes-tu quelque souvenir de moi?
— D’où viens-tu et comment es-tu venue, ô chère beauté? répondis-je.
Combien, ah ! combien je t’ai pleurée et te pleure encore ! Je ne croyais pas que tu dusses jamais le savoir, et cela rendait ma douleur plus inconsolable.
Mais vas-tu me quitter une seconde fois?
J’en ai grand’peur.
Maintenant, dis-moi, qu’advint-il ?
Es-tu bien celle d’autrefois?
Et qu’est-ce qui te consume intérieurement? •
— L’oubli embarrasse tes pensées et le sommeil les rend confuses, dit-elle.
Je suis morte, et il y a plusieurs lunes que tu m’as vue pour la dernière fois. »
— A, ces mots, une douleur immense m’oppressa jusqu’au fond de la poitrine.
Elle poursuivit : « Je me suis éteinte dans la fleur des années, alors que la vie est la plus douce, et avant l’âge où le cœur s’assure de la vanité de toute espérance humaine.
Le mortel qui souffre ne doit vivre que peu de temps pour en arriver à désirer celle qui le délivre de tout chagrin ;
mais l’approche de la mort est affreuse pour ceux qui sont jeunes, et c’est une cruelle destinée que celle de l’espérance qui va s’éteindre sous terre.
Il est inutile de savoir ce que la nature cache aux inexpérimentés de la vie,
Qui sait?
Ne voyons-nous pas souvent, en été, tomber les étoiles?
Il y a tant d’étoiles que c’est une petite perte si l’une ou l’autre vient à tomber, alors qu’il en reste des milliers.
Mais il n’y a que cette lune, au firmament, et personne ne l’a jamais vue tomber, si ce n’est en rêve.
(1819)
C’est le matin à Paris – ( RC )

photo: Jerôme Dumoux: voir son site
Le matin arrive sur la ville qui dort,
On devine juste le clocher de la cathédrale,
Qui dépasse d’entre les nuées pâles,
Tout est indistinct encore,
Les rues sont encore couvertes de sommeil
Avant la dissipation des brumes matinales…
Les trottoirs présentent leur côté sale
En attendant la traversée du soleil,
Il peine à trouver son chemin,
( C’est, il est vrai, un grand voyage ),
Pour finalement s’immiscer d’entre les nuages,
Et réduire les gris comme peau de chagrin.
En répandant l’alphabet des couleurs,
De l’or liquide, en cascades,
Eclaboussant les façades,
S’éveillant au fil des heures.
La nuit s’est faite oublier,
Sa main pesante s’est retirée,
On peut voir, de nouveau, éparpillés ,
Des éclats clairs, sur mes souliers.
Tout ce qui est blanc m’éblouit,
La lumière multiplie ses taches,
La journée est en ordre de marche…
L’odeur des croissants frais me ravit.
C’est le matin à Paris.
–
RC – mars 2014
Alain Borne – Dors ma petite fille

photo Tina Modotti
Dors ma petite fille
tandis que des couteaux ensemencent d’argent
l’horizon qu’ils meurtrissent
c’est dans si longtemps qu’il faudra mourir
la vie descend vers la mer de son sable insensible
Dors contre mon cœur fleur de mon émoi.
Laisse-moi parler de ma vie
il est tard chez moi, ma petite aube
il faudrait une horloge folle pour sonner mes heures
un jaquemart d’enfer.
C’en est fini de la jeunesse où l’amour est sans réponse ces mains qui chassent tes
cheveux contre la douceur
du vent ces lèvres de chanson et ce cœur qui t’apaise sont ceux d’un homme de la honte
Laisse-moi parler de ce pays où l’on va vêtu de fourrures où règne un froid étrange et des
gestes légendaires
Tu le vois luire comme un nord de neige grise
C’est là-bas que j’ai vécu entre le meurtre et le remords
c’est là-bas que nous irons poussés par
Dieu et par le sang et je te recevrai
parmi les autres loups comme une louve
Dors dans le soleil et dans ta chair fragile
personne encore n’attelle le traîneau
le moujik s’enivre à l’auberge des âges
et les chevaux sont encore libres au-delà de la terre
Mais je sais que le
Vieux malgré sa longue ivresse construira la voiture de ses mains ironiques et qu’il fera
pleuvoir une pluie de lassos sur le rêve de ces montures
Je vois déjà son ombre immense, je la connais
il vient pour toi, il prend mesure
comme pour ton léger cercueil
et fait claquer son fouet dans l’air illusoire
où naîtra l’attelage
Ton innocence peut dormir sur la blessure de mon
cœur les lys poussent le long des mares et leur blancheur se
retrouve sur l’eau sale devenue miroir
Hélas j’écoute dans sa prison mûrir ton sang rien ne me retiendra de délivrer son cours
quand ta pudeur dépaysée des landes épellera les brûlures de la vie
Dors petite aube, dans le murmure de mon chagrin
la vie est douce, la mort est loin
et les chemins vont sous les fleurs vers un
Dieu qui sourit aux prières des vierges
L’huile de la vie ne descend pas encore consacrer ta chair d’un sacrement maudit et je
puis te ravir de légendes en poudre plus réelles pour toi que l’histoire de demain
–
Alain Borne
–

photo Tina Modotti
–
Marcel Proust – Ephémère efficacité du chagrin

Dessin; V Van Gogh: femme pleurant
Soyons reconnaissants aux personnes qui nous donnent du bonheur, elles sont les charmants jardiniers par qui nos âmes sont fleuries.
Mais soyons plus reconnaissants aux femmes méchantes ou seulement indifférentes, aux amis cruels qui nous ont causé du chagrin.
Ils ont dévasté notre coeur, aujourd’hui jonché de débris méconnaissables, ils ont déraciné les troncs et mutilé les plus délicates branches, comme un vent désolé, mais qui sema quelques bons grains pour une moisson incertaine.
En brisant tous les petits bonheurs qui nous cachaient notre grande misère, en faisant de notre coeur un nu préau mélancolique, ils nous ont permis de le contempler enfin et de le juger. Les pièces tristes nous font un bien semblable ; aussi faut-il les tenir pour bien supérieures aux gaies, qui trompent notre faim au lieu de l’assouvir :
le pain qui doit nous nourrir est amer.
Dans la vie heureuse, les destinées de nos semblables ne nous apparaissent pas dans leur réalité, que l’intérêt les masque ou que le désir les transfigure.
Mais dans le détachement que donne la souffrance, dans la vie, et le sentiment de la beauté douloureuse, au théâtre, les destinées des autres hommes et la nôtre même font entendre enfin à notre âme attentive l’éternelle parole inentendue de devoir et de vérité.
L’oeuvre triste d’un artiste véritable nous parle avec cet accent de ceux qui ont souffert, qui forcent tout homme qui a souffert à laisser là tout le reste et à écouter.
Hélas ! ce que le sentiment apporta, ce capricieux le remporte et la tristesse plus haute que la gaieté n’est pas durable comme la vertu.
Nous avons oublié ce matin la tragédie qui hier soir nous éleva si haut que nous considérions notre vie dans son ensemble et dans sa réalité avec une pitié clairvoyante et sincère. Dans un an peut-être, nous serons consolés de la trahison d’une femme, de la mort d’un ami.
Le vent, au milieu de ce bris de rêves, de cette jonchée de bonheurs flétris a semé le bon grain sous une ondée de larmes, mais elles sécheront trop vite pour qu’il puisse gêner.-
Henri Bauchau – la règle
La règle
Avec mes pierres carrées
Je t’enfermerai dans une œuvre
Car tu es coureur de chagrins
Et la règle est d’apprendre à rire
Homme
Avant de mourir.
–
In La main et l’esprit – Autour de la vision poétique
d’Henry Bauchau et d’Almert Palma, Éd.D’Art
–
Wyslava Szymborska – coup de foudre
–
Je n’en veux pas au printemps
d’être venu à nouveau.
Je ne lui tiens pas rigueur
de remplir comme chaque année
ses obligations.
Je comprends que mon chagrin
n’arrêtera pas la verdure.
Et le brin d’herbe s’il hésite un instant,
c’est sur le souffle du vent.
Je ne souffre pas trop de voir
que les aulnes au bord de l’eau
ont de quoi bruire à nouveau.
Je prends bonne note du fait
que- comme si tu étais toujours là –
le bord d’un certain étang
est resté aussi beau que naguère.
Je ne garde nulle rancune
a la vue, pour la vue de la baie
par le soleil éblouie.
Je parviens même à imaginer
Les deux, mais pas nous du tout,
assis en ce moment même
sur le tronc du bouleau abattu.
Je respecte leur droit absolu
au chuchotement et au rire
et au silence du bonheur.
J’irais même jusqu’à penser
que c’est l’amour qui les lie,
et qu’il la serre contre lui
de son bras tout à fait vivant.
Quelque chose de nouveau, très oiseau,
bourdonne dans les roseaux.
De tout mon coeur je souhaite
Qu’iils puissent tous deux l’entendre.
Je n’exige aucun amendement
des vagues qui s’abattent sur la rive,
ni aux vives, ni aux lascives
et qui n’obéissent pas à ma loi.
Je ne demande rien de rien
à l’étang près de la forêt,
qu’il soit émeraude
qu’il soit saphyr,
qu’il soit même charbon.
Une seule chose je refuse.
Revenir à tous ces endroits.
A ce privilège de présence-
Je renonce par la présente .
Je t’ai tellement vécu,
et peut être juste ce qu’il faut,
pour pouvoir y penser de loin.
Recueil « Je ne sais quelles gens » traduit du polonais par Piotr Kaminski.
–
Edith de Cornulier – Atone
Almasoror ( l’âme soeur) si j’ai bien lu... est un site que je qualifierai de « multi-disciplinaire », … il y a une foule de liens, et d’articles , et en patience il va me falloir, du temps pour en avoir une petite idée…
mais je me suis dirigé de suite vers la section « poésie », où des photographies sont « accompagnées », ici de textes de Edith de Cornulier-Lucinère, – voir son blog perso –
qu’elle abrège sous E CL…
j’ai navigué sur quelques uns et tout ce que j’ai lu a capté mon attention, voici d’un d’entre eux:
ATONE
–
Ma voix coule dans le soir
Mais mon cœur demeure aphone
Je respire dans ce bar
Des vapeurs d’alcool atone
Nous traversons les saisons
Main dans la main bien trop sages
Je n’observe à l’horizon
Aucun feu, aucun mirage
La vie et ses expériences,
Je les traverse en apnée
Puisque aucune délivrance
Ne nous est jamais donnée
Mais ce soir, dans la lumière
Du bar où flotte un suspense,
Ce soir je veux le salaire
Des années d’obéissance.
Que les lois et la morale
S’effacent de mon karma ;
De se courber sous leur pâle
Mensonge, mon crâne est las.
Dans ce corps où tout s’éteint
Pour jamais n’être fécond,
Que la passion prenne enfin,
S’il reste des braises au fond.
Que le désir se rallume,
Qu’il fasse briller mes yeux,
Pour qu’ils se désaccoutument
De leur rideau vertueux.
J’en appelle aux dieux païens
Ceux qui boivent et ceux qui chantent,
Qu’ils déchargent mon destin
De la ration, de l’attente.
J’en appelle même au stupre,
Si lui seul peut délivrer
Du convenable sans sucre
Un cadavre articulé.
Et toi, frère et faux-amour,
Co-victime et co-coupable,
Vas-tu taire pour toujours
L’hypocrisie impalpable ?
Nous traversons les saisons
Main dans la main bien trop sages
Et rien dans notre prison
Ne présage un grand orage.
Mais ma voix coule ce soir,
Et mon cœur te téléphone,
Je respire dans le bar
Des instances qui frissonnent.
Et si tu ne réponds pas,
Si rien en toi ne s’éveille,
Parce que mon cœur est las
Des jours aux autres pareils,
Tu prendras tout seul le train,
Et dans la nuit qui appelle,
Coupable de ton chagrin,
Je chercherai l’étincelle.
–