Thomas Vinau – Nos cheveux blanchiront avec nos yeux

Qu’est-ce que j’en fais moi de tout çà ?
Des fils de laine dans sa petite main. Des murmures
quand tu t’endors. De la chaleur sur les crépis.
Du givre blanc sur les pare-brise. Du brouillard qui
monte doucement. De la montagne de linge sale. Du trou
d’argent de la pleine lune. Du pigeon déchiqueté
par le chien. Du panache de l’écureuil. Des brindilles
fraîches dans mes mains. De trois roses jaunes
dans le jardin. De la prestance des bêtes dans les champs
glacés le matin. Des vignes oranges. Qu’est-ce que
j’en fais moi de tout çà ? Du miel qui colle sur la table.
De ta voix brisée par le froid. De ses mimiques quand
il s’endort. Des cheveux qui lui manquent derrière
la tête. Des grands projets de grands bonheurs.
Des petits rêves sur l’épaule. De l’avenue froide et trempée.
Qu’est-ce que j’en fais moi de tout çà ? De toute
cette boue, de tout cet or. De cette impression qui m’étreint
lorsque je me déshabille dans le couloir avant de vous
rejoindre dans le noir. De cette façon de marcher
sur la pointe des pieds. De mes gestes gauches.
De mon amour maladroit. De la roulette russe du temps.
De la fatigue et la colère. La joie béate et l’impuissance.
La peur de gâcher ou de perdre. Qu’est-ce que j’en fais
moi de tout çà ?
Quand résonne Septembre – (Susanne Derève)

Photo RC – Blés des Causses
Quand résonne Septembre
me revient
la chanson de la pluie sur les verrières
son bruit de verre pilé
celui du verre qu’on rassemble
enclos sous le voile léger
comme un rire étouffé éparpillant les cendres
de l’été
Verre brisé
Parfois les feuilles sèches des saules
avaient ce tintement cristallin en Juillet
et le vide du ciel l’étincelant reflet
Dans la pénombre à traquer la moindre trace
de fraîcheur chaque geste pesait
C’était un temps d’une infinie langueur
où l’on se contentait d’être dans la dérive lente
des heures sans que décline la fournaise
Même la nuit brûlait d’une insolente ardeur
Verre brisé le murmure des blés
dans l’ombre portée du vent
comme un frisson un long haussement d’épaule
un éclair de chaleur le plein chant de l’orage
croisant à l’horizon un crépitement bref
à peine une averse une sueur d’été
On attendait Septembre
la douce chanson de la pluie sur les verrières
son bruit de verre pilé
celui du verre qu’on rassemble
enclos sous le voile léger
un sanglot étouffé qui dispersait les cendres
de l’été
Jacques Ancet – l’heure de cendre
Ecoute-moi, simplement
sans cesser tes gestes quotidiens : écrire une lettre, faire chauffer la soupe, mettre le couvert, que sais-je
l’eau qui coule les bruits ne me gêneront pas : le tintement des cuillers, le froissement bleu des flammes du gaz, l’eau qui coule du robinet, et
même si tu ne comprends pas tout, si tu oublies de m’écouter, tant pis, tu seras là, encore un peu
je saurai qu’il me suffit presque de tendre la main pour sentir ta chaleur.
Mais les mots me suffisent l’espace de ta présence que je sens, même si je ne te vois pas avec la nuit
tout ce qui fait cet instant si différent des autres malgré l’angoisse – ou peut-être à cause d’elle transparence noire où brillerait chaque éclat de la vie
Laisse-moi m’approcher un peu plus, avec ces mots que je cherche
de longues heures nous séparent du matin. Traversons-les ensemble
J A 1980
Rien ne peut repousser la nuit – ( RC )
Elaine Sturtevant d’après Marcel Duchamp : » fresh widow »
–
Il y a cette fenêtre :
Les ténèbres s’y prélassent .
Peut-être est-ce le jour
qui ne peut rentrer :
Ma chambre, comme ma tête,
est close de rideaux noirs,
fermée sur sa blessure,
où se sont dissoutes les joies ,
que m’offrait ton visage
si loin dans le temps,
que je ne rappelle plus bien
—ni de son expression exacte,
—ni de la chaleur
qui m’envahissait .
Ma blessure a saigné ,
puis le sang s’est retiré,
en marée descendante .
Je ne peux même plus ,
saisir la lumière :
mes veines sont sèches ;
rien ne peut repousser la nuit .
–
RC – juin 2017
Robert Creeley – Distance
photo: Tamsin
Distance
1
Comme j’avais
mal, de toi,
voyant la
lumière là, cette
forme qu’elle
fait.
Les corps
tombent, sont
tombés, ouverts.
Cette forme, n’est-ce pas,
est celle que
tu veux, chaleur
comme soleil
sur toi.
Mais quoi
est-ce toi, où,
se demandait-on, je
je me demandais
toujours. La
pensée même,
poussée, de forme
à peine naissante,
rien
sinon
en hésitant
d’un regard
après une image
de clarté
dans la poussière sur
une distance imprécise,
qui projette
un radiateur en
arêtes, brille,
la longueur longue
de la femme, le mouvement
de l’
enfant, sur elle,
leurs jambes
perçues derrière.
2
Les yeux,
les jours et
la photographie des formes,
les yeux
vides, mains
chères. Nous
marchons,
j’ai
le visage couvert
de poils
et d’âge, des
cheveux gris
puis blancs
de chaque côté
des joues. Descendre
de la
voiture au milieu
de tout ce monde,
où es
tu, suis-je heureux,
cette voiture est-elle
à moi. Une autre
vie vient à
la présence,
ici, tu
passes, à côté
de moi, abandonné, ma
propre chaleur
réprimée,
descendre
une voiture, les eaux
avançant, un
endroit comme
de grands
seins, le chaud et
l’humide qui progressent
s’éveillant
jusqu’au bord
du silence.
3
Se dégager de comme en amour, ou
amitié de
rencontre, « Heureux de vous
rencontrer — » Ces
rencontres, c’est
rencontrer
la rencontre (contre)
l’un et l’autre
le manque
de bien-être, le mal
aise du
cœur en
formes
particulières, s’éveille
contre un corps
comme une main enfoncée
entre les jambes
longues. Ce n’est
que la forme,
« Je ne connais pas
ton visage
mais ce qui pousse là,
les cheveux, malgré la fêlure,
la fente,
entre nous, je
connais,
c’est à moi — »
Qu’est-ce qu’ils m’ont fait,
qui sont-ils venant
vers moi
sur leurs pieds qui savent,
avec telle substance
de formes,
écartant la chair,
je rentre
chez moi,
avec mon rêve d’elle.
Robert Creeley
Traduit de l’américain par ]ean Daive
Luc Berimont – Si le jour est venu
sculptures: têtes ( art Maya )
Si le jour est venu dans un jet d’étendards
Le soir s’en est allé avec la proie de l’ombre
Mes frères, les humains, qui veillez sur le tard
Je n’ai connu de vous que l’amitié du pain.
Je penche mon visage à dormir sur ma main
J’entends gonfler des voix dans le gras des collines
Les piverts ont cloué des forêts de sapins
Le feu n’avait plus faim de mes arbres de verre
Une horloge battait à la tempe du temps.
Mes frères, les humains, qui veillez sur la terre
– Maraudeurs accoudés dans le verger des lampes –
Jetez-moi vos fruits d’or jusqu’au frais du matin
Couvrez-moi de vos cris, de soupe, de chaleur
Que je brave la peur, la lune et les feuillages.
LUC BERIMONT « Poésies complètes »
Gaston Miron – Une fin comme une autre
(ou une mort en poésie) Si tu savais comme je lutte de tout mon souffle contre la malédiction de bâtiments qui craquent telles ces forces de naufrage qui me hantent tel ce goût de l'être à se défaire que je crache et quoi dire que j'endure dans toute ma charpente ces années vides de la chaleur d'un autre corps je ne pourrai pas toujours, l'air que je respire est trop rare sans toi, un jour je ne pourrai plus ce jour sera la mort d'un homme de courage inutile venue avec un froid dur de cristaux dans ses membres mon amour, est-ce moi plus loin que toute la neige enlisé dans la faim, givré, yeux ouverts et brûlés
Renée Vivien – Lucidité
L’art délicat du vice occupe tes loisirs,
Et tu sais réveiller la chaleur des désirs
Auxquels ton corps perfide et souple se dérobe.
L’odeur du lit se mêle aux parfums de ta robe.
Ton charme blond ressemble à la fadeur du miel.
Tu n’aimes que le faux et l’artificiel,
La musique des mots et des murmures mièvres.
Ton baiser se détourne et glisse sur les lèvres.
Tes yeux sont des hivers pâlement étoilés.
Les deuils suivent tes pas en mornes défilés.
Ton geste est un reflet, ta parole est une ombre.
Ton corps s’est amolli sous des baisers sans nombre,
Et ton âme est flétrie et ton corps est usé.
Languissant et lascif, ton frôlement rusé
Ignore la beauté loyale de l’étreinte.
Tu mens comme l’on aime, et, sous ta douceur feinte,
On sent le rampement du reptile attentif.
Au fond de l’ombre, elle une mer sans récif,
Les tombeaux sont encor moins impurs que ta couche…
O Femme ! Je le sais, mais j’ai soif de ta bouche !
_ (Études et préludes, 1901)
Raymond Abelio – Seuls les faibles me demandent encore ma chaleur
–
–
Seuls les faibles me demandent encore ma chaleur.
Ils veulent s’y assoupir. Mais ils se trompent sur moi, ils me prennent pour l’enfant que j’ai été.
Je n’ai plus de chaleur disponible, je la change toute.
Éternels voleurs d’énergie, enfants adultérins de Prométhée, profanateurs du feu dont ils ne dérobent que la fumée charbonneuse !
J’appelle forts ceux qui ne me demandent rien, mêlant à la mienne leur lumière, qui est la même.
–
-
Ma dernière mémoire, Raymond Abellio, éd. Gallimard, 1971, t. I, partie Un faubourg de Toulouse, 1907-1927
Thomas Pontillo – ce qu’a dit la beauté
–
extrait final de » ce qu’a dit la beauté »
Les étoiles s’attardent, la chambre
respire dans la chaleur
d’un été nocturne,
tu te réveilles, le lit défait
nos rêves et nos vies.
Tu soulèves le poids de ton corps comblé d’images
et parle à mon visage
puis mon regard, puis ma bouche
et enfin dis ces mot de pudeur :
que la beauté à jamais perdure dans nos mains…
–
par rapport à Andrew Wyeth, on peut également parcourir ce texte perso
Jean Vasca – Juste une idée blonde

photo Janet Strayer
« Juste une idée blonde, une abeille
qui butinerait le soleil dans la tête
des gens qui passent quand tout grince,
quand tout grimace…
Juste un peu de chaleur humaine. »
Jean Vasca
L’été est trop grand pour moi- ( RC )
–
Une étendue jaune, se cuit dans la langueur de l’été,
Le temps s’étire aux journées allongées,
De l’aube au couchant
L’esprit flottant, entre soleil et son reflet
L’été est trop grand pour moi,
Et mes habits flottent tout autour,
Il n’y a de printemps que toi, mais
La solitude se glisse, entre la peau et la chaleur.
Et même les humeurs étoilées de la nuit.
–
RC 14 mars 2013
–
–
Ara Babaian – l’autre visage

photo: pbgalerie
Ara Babaian: The Other Face
Today I am thinking of The tender arms of history. Not the bloody pogroms or the conquerors. Today I am thinking of A village woman Baking bread, Bread so soft that I Want to rest my head Against its flesh And let its heat Warm me.
L’autre visage
Aujourd’hui, je pense
Aux bras tendres de l’histoire.
Non pas aux pogroms sanglants ou aux conquérants.
Aujourd’hui, je pense
A une femme du village
La cuisson du pain,
Pain si doux que je
Souhaiterais poser ma tête
Contre sa chair
Et que sa chaleur
Me réchauffe.
–
Ara Babaian, est un auteur arménien, que l’on peut retrouver ( et quelques textes ont des traductions en français) sur le site de poésie arménienne, ici.
–
Le monde des possibles – (RC )
le monde des possibles
–
Je chuchote sur la voix basse
Des secrets, que l’on confie entre amis
C’est un peu la peau de l’enfance
Qui brûle , – de l’inaccompli
Grand est le corps , de l’inconnu
Qui nous parle , l’avenir
C’est un monde de tous les possibles
Où nous risquons nos premiers pas
Une forêt profonde où l’on s’enfonce seul
J’emporte quelques pierres dans mes poches
C’est pour retrouver mon chemin,
Mais, on ne va jamais en arrière
Je voyage avec l’espoir muet ..
Il y a parait-il une clairière
Bien au – delà des légendes
Que je pourrai confier aux enfants.
Je ne l’ai pas rencontrée
Et continue à marcher
Sur ce chemin si étroit
Qui ne va pas tout droit.
Pourtant j’ai senti une chaleur,
Comme dans ce jeu
Où çà chauffe ou tiédit
Si l’on approche la réponse
Ou si on s’en éloigne…. c’est donc
Peut-être la bonne direction, celle
Qu’ils appellent « trouver sa voie »
….. elle était en moi.
RC – 22 octobre 2012
–
dans le même esprit on peut lire le poème de Pierre Silvain « les chiens du vent »
–
Kiril Kadiski – Par là les siècles sont entrés dans nos jours.
Peinture: Emil Nolde
Par là les siècles sont entrés
dans nos jours… Quelque chose de miraculeux au loin :
la lune pourpre frissonne et court à travers des nuages déchirés,
mais de ses branches sèches un peuplier l’attrape –
coquelicot déchiqueté qui flamboie
au milieu du blé par une chaleur sombre et immobile…
Silence partout. Enfin tu vas rentrer.
Pendant longtemps tu resteras éveillé, les paupières lourdes.
Dehors, le couchant dégouline sur la vitre humide. Déjà vide,
la boule de verre qui roule à l’horizon jette ses reflets dorés.
Encore un jour de passé. Mais qui s’en est aperçu ?
Kiril Kadiski
Jules Supervielle -Le forçat innocent
–
Solitude au grand coeur encombré par des glaces,
Comment me pourrais-tu donner cette chaleur
Qui te manque et dont le regret nous embarrasse
Et vient nous faire peur?
Va-t’en, nous ne saurions rien faire l’un de l’autre,
Nous pourrions tout au plus échanger nos glaçons
Et rester un moment à les regarder fondre
Sous la sombre chaleur qui consume nos fronts.
Jules Supervielle
–
Rabah Belamri – Poésie mise à nu
Rabah Belamri, dont j’ai cité plusieurs passages de son émouvant recueil, « l’Olivier boit son ombre », rend hommage à un autre auteur algérien; Abdelmadjid Kaouah
C’est une poésie de la mise à nu,
vibrante de douleur, de refus, de désir
et d’espoir.
Chaque poète a néanmoins élaboré
son propre langage
pour saper l’ordre de la mutilation
et nommer les horizons possibles.
Nous sommes dans « le verbe en chaleur».
Rabah BELAMRI
Jacques Prévert – Alicante

peinture: Paul Sérusier, nature morte dans l'atelier
les » Icare » d’Alice ( de rêves d’écriture)
Alice dans son blog http://revesetecrituresdalice.over-blog.com/
nous offre ses variations sur le mythe d’Icare...
La chute d’Icare
A l’approche du soleil rougeoyant
Les battements désordonnés de tes ailes
Apportent le froid dans ton cœur, du vide annoncé
Proche des flots noirs
Se désarticule ton corps vulnérable
Tes bras se tendent vers l’éternité.
–
Alice
———
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Vendredi 19 février 2010
L’envol d’Icare
La Terre quittée, à l’ombre des bras-ailés
Se tend ton corps fragile vers le ciel azuré
Loin du flamboiement mortel
Une douce chaleur attise ta quête de liberté
Les lents battements d’ailes grisent
Ce voyage vers l’éther
Alice
voir aussi l’article précédent ( sur Apollon et sa concurrence à Icare)…
Pour Juliette En Résonnance : L’envol d’Icare
–