Chemin forestier vers Saint Côme d’Olt ( Aveyron )
Parcourant la forêt, les troncs courbés font comme une harpe jouant une musique de lumière que personne n’entend. La futaie est profonde, et solitaire , personne ne m’entend chanter. J’écris sur la terre humide un poème, que personne ne lira, à part la lune qui se penche vers moi .
Je ne suis pas venu chanter, vous pouvez remporter votre guitare. Je ne suis pas non plus venu et je ne suis pas ici pour remplir mon dossier pour qu’on me canonise quand je mourrai. Je suis venu regarder mon visage dans les larmes qui marchent vers la mer, Le long du fleuve, et le nuage… et dans les larmes qui se cachent dans le puits, dans la nuit et dans le sang…
Je suis venu regarder mon visage dans toutes les larmes du monde, et puis aussi pour mettre une goutte de mercure, de pleurs, ne serait-ce qu’une goutte de mes pleurs dans la grande lune que fait ce miroir sans limites où ceux qui viennent me regardent et se reconnaissent. Je suis venu écouter encore une fois cette vieille sentence dans les ténèbres : Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front et la lumière à la douleur de tes yeux. Tes yeux sont les sources des pleurs et de la lumière.
» Tu n’as fait qu’écouter des chants tu n’as fait toi-même que chanter ; tu n’as pas écouté parler les hommes, et tu n’as pas parlé toi-même. «
Quels livres as-tu lus, en dehors de ceux qui conservent la voix des femmes et des choses irréelles ?
» Tu as chanté, mais tu n’as pas parlé, tu n’as pas interrogé le sens des choses et tu ne peux pas les connaître » disent les orateurs et les scribes qui rient de te voir magnifier le miracle quotidien de la mer et de l’azur.
Mais tu chantes toujours et t’étonnes en pensant à l’étrave qui cherche une route intracée sur l’eau étale et va vers des golfes inconnus.
Tu t’étonnes en suivant des yeux cet oiseau qui ne s’égare pas dans le désert du ciel et retrouve dans le vent les sentiers qui mènent à la forêt natale. Et les livres que tu écris bruiront de choses irréelles — irréelles à force de trop être, comme les songes.
Je me fiche de savoir qui je suis
fruit du hasard dont je ne sais rien
ou pierre parmi les pierres
qui fondent cette vie sous l’existence
Je suis et cela ne tient qu’à un fil
voilà ce que je sais et ce que je peux chanter
si vous m’écoutez vous dont la voix s’est éteinte
quand l’enfant est mort en vous
et autour de vous
Ce que je pense n’a aucune importance
pas plus que ce que vous pensez
aucune vision n’a de l’importance
aucun résultat de mes actions ni des vôtres
Si je chante c’est que vous chantez
et si ma voix ne porte pas
c’est que vous n’entendez plus rien
qui ne soit pas en accord avec ce que vous devenez
Ici on ne se concerte qu’à propos de questions religieuses
ou politiques ou artistiques
parce que ces éthiques sont le moyen de contrôler le temps
et par conséquent les intérêts et les dettes
Mais je n’ai que faire de vos convictions à la noix
de vos superstitions et de vos arts
Ce n’est pas ainsi que je conçois ce qui m’est donné
c’est-à-dire cette vie
à laquelle je veux donner le sens d’une existence
c’est-à-dire d’une œuvre
Pas de livre à mon chevet, pas de propre du temps
pour ramasser ce que la pensée ne sait pas comprendre
Pas de sens à prendre au lieu de le donner
Je ne suis pas cet homme !
Tout ce qui rentre dans un livre me révolte
Tout ce qui en échappe pour constituer une œuvre me fascine
Et c’est là toute la différence
Ce qui me distingue de vos systèmes contraignants
de votre manière de contraindre pour avoir raison
Vos crises ne sont en rien des révolutions
Vos choix ne parlent pas de ce qui m’accorde une certaine audience
Vos leçons de morale confinent à l’immobilité ou au conflit
selon que vos possessions fructifient
ou que vous êtes dépossédés par vos ennemis
Je n’ai pas d’ennemi ou je n’ai que des ennemis
Je ne possède rien qui flatte vos convictions, vos superstitions et vos arts
Je suis un instant et je ne suis pas le temps
Je pousse comme l’herbe mais je ne connais pas le soleil
Une chanson suffira à me ressembler
une chanson que je qualifierais d’analectique
car elle vous contient
comme elle m’expulse de ce monde
J’arrive en ami
et je pars sans souci
c’est comme une guérison
tant votre fréquentation m’a renseigné
sur l’état de vos intentions existentielles
Vous êtes des écoliers épris de dissertations
mais ni la somme de vos dissertations
ni la compilation de vos existences
ne forment le livre dont vous avez rêvé
pour donner un sens aux écrits qui l’ont perdu en route
Vous êtes la négligence et la paresse
qui me donnent la minutie et la rapidité
Minutie de l’objet
et rapidité de la forme à le donner
tel qu’il envisage les faits
qui m’appellent
Là je reconnais la complexité et la pensée
à la place de vos articles, de vos psaumes et de la poésie
à toutes les sauces
Mais je ne suis que l’auteur de cette chanson
Je n’ai pouvoir que de constater que je pousse comme une herbe
et que mon sort est celui de cette herbe
des milliers de fois recommencée pour que j’existe un instant à sa place
Il me vient à l’esprit
en me penchant encore sur ce détail
que je suis un peu cet enfant que j’ai cru mort depuis longtemps
et non pas un de ces prophètes cosmiques !
Certes il est mort de sa propre main
tué par lui-même
comme cela arrive sans cesse
pour que la maturité s’empare du pouvoir
Privé de futur
par son geste même
il ne représente que ce segment d’existence
comme le boulet qu’on attachait jadis à la cheville des forçats
un par un rejoignant la mer par le Passage des Tristes
Je sais sans pouvoir l’expliquer que son chant mineur
est le récit de sa courte existence
que son chant majeur représente sa voix possible
et qu’entre ces pratiques du chant
quelque chose ressemble à de la poésie
Je sais tout cela
et je le sais depuis longtemps
J’ai construit toute mon œuvre sur ces pilotis
fasciné par le vent et les marées
nourri d’horizon et de soleil
de lune quelquefois
quand le sommeil ne savait plus
par quel bout me prendre
Certes vous êtes les conservateurs de l’Humanité
et j’ai visité votre Conservatoire en toute tranquillité
car ce qu’on y retient par les basques
n’est que le reflet de ce que vous imposez à l’Histoire
Loin des sciences et de la philosophie
vous n’êtes que des doctrinaires, des superstitieux et des artistes
sans véritable expérience des choses et des faits
On ne peut pas vous aimer
C’est impossible
et je chante enfin cette mort de l’enfant
en toute connaissance de cause
Quand je serai mort
vous ne penserez plus à moi
-silence et absence-
un nom sur une marguerite d’os
que je ne serai plus là pour effeuiller.
Je t’aime un peu beaucoup
passionnément
brisez vos douces mains à soulever la dalle
soulevez la dalle car je suis là
je n’ai plus en guise de lèvres et d’yeux
qu’un peu de terre d’où jaillit le blé.
photo personnelle – Causse de Sauveterre
Eté ma grande saison
amour ma grande journée
et Vous
le seul rêve qui ait pu m’éveiller.
Je m’endors et je meurs.
Quand je serai mort
vous ne penserez plus à moi
avec moi mourra ma musique
et si des lèvres vives la chantent encore
ce seront-elles que vous aimerez.