René de Obaldia – berceuse de l’enfant qui ne veut pas grandir

Mon petit frère a le bourdon
Et ma petite sœur bourdonne.
L’âne du ciel broute un chardon :
Une vieille étoile d’automne.
Papa est mort depuis longtemps
Dans une guerre expéditive.
Maman s’en va par tous les temps
Rejoindre un monsieur de Tananarive.
Dormez, dormez, grandes personnes.
Le volet claque, la nuit vient.
C’est toujours la même heure qui sonne
Priez pour mon ange gardien !
Je serre mon harmonica
Contre mon cœur et sa brûlure.
Je suis le dernier des Incas
Et le premier de ma nature.
La nuit, bientôt, va m’étourdir
Je respire à petites doses.
Dormez, dormez, grandes personnes.
Le volet claque, la nuit vient.
C’est toujours la même heure qui sonne
Priez pour mon ange gardien !
Ah ! que je reste tout petit,
Déjà trop grand pour tant de larmes !
Une seule étoile suffit
A désarmer tous les gendarmes.
Maman est avec le Monsieur
Qui ne se couche qu’aux aurores.
Je vais compter jusqu’à cent deux
Je vais attendre, attendre encore…
Dormez, dormez, grandes personnes.
Le volet claque, la nuit vient.
C’est toujours la même heure qui sonne
Priez pour mon ange gardien !
Il explorait des cavernes
Et des mondes subalternes.
Federico Garcia-Lorca – chanson de l’oranger stérile
peinture Gisele Gautreau
–
Bûcheron.
Coupe moi de mon ombre,
Libère-moi du tourment
de me voir sans fruit.
Pourquoi suis-je né parmi les miroirs?
La journée fait des cercles autour de moi,
et la nuit me copie
dans toutes ses étoiles.
Je veux vivre sans me voir.
Et je vais rêver que les fourmis
et des bavures des chardons sont
mes feuilles et mes oiseaux.
— traduit de la version anglaise suivante par RC:
Song of the Barren Orange Tree
Woodcutter.
Cut my shadow from me.
Free me from the torment
of seeing myself without fruit.
Why was I born among mirrors?
The day walks in circles around me,
and the night copies me
in all its stars.
I want to live without seeing myself.
And I will dream that ants
and thistle burrs are my
leaves and my birds.
Woodcutter.
Cut my shadow from me.
Free me from the torment
of seeing myself without fruit.
« Song of the Barren Orange Tree »
–
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Jean Sénac – chardon de douleur
–
Au fond de chaque amour des cancrelats sommeillent.
Sont-ce des cancrelats, mon coeur, ou des abeilles ?
Et lentement, tandis qu’en amande les yeux
S’éternisent, dans le désir, le bruit soigneux
De la noire légion dévore nos oreilles.
Rien n’y fait, nos soupirs ni nos gémissements
Ni le lin délirant dont nous vêtons nos contes,
Rien, et quand la beauté nous attache et nous ment
Les cancrelats sont là qui nous troublent et montent
Avec notre bonheur et son double, la honte.[…]
Si chanter mon amour c’est aimer ma patrie,
Je suis un combattant qui ne se renie pas.
Je porte au coeur son nom comme un bouquet d’orties,
Je partage son lit et marche de son pas.
Sur les plages l’été camoufle la misère,
Et tant d’estomacs creux que le soleil bronza
Dans la ville le soir entrelace au lierre
Le chardon de douleur, cet unique repas. […]
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