L’hiver court à sa perte – (Susanne Derève) –

Tu fais un état des lieux de l’hiver : les hâtifs chatons des aulnes en bordure des chemins, les prairies d’herbes sèches, d’autres brunes des premiers labours, un feu de bois mort au milieu des vergers, et sous le pâle soleil du jour l’or des lichens nimbant les rameaux nus des charmes, où courent étincelant dans la lumière tels des cheveux d’anges, les fils d'une invisible araignée. Déjà, l’ombre des Causses s’éploie sur la rivière, pierres vertes sous le friselis de l’eau, dans la course effrénée du courant, - rien du Lot indolent de l’été, cette fougue, ce bouillonnement de cascade sur les galets - et frôlant la surface, au bout des tiges roides, le renflement des bourgeons à peine formés lui aussi te souffle que l’hiver court à sa perte …
Marceline Desbordes- Valmore – le souvenir

peinture: Giorgio Morandi, nature morte 1936
Le souvenir
Son image, comme un songe,
Partout s’attache à mon sort;
Dans l’eau pure où je me plonge
Elle me poursuit encor
Je me livre en vain, tremblante,
à sa mobile fraîcheur,
L’image toujours brûlante
Se sauve au fond de mon coeur.
Pour respirer de ses charmes
Si je regarde les cieux,
Entre le ciel et mes larmes,
Elle voltige à mes yeux,
Plus tendre que le perfide,
Dont le volage désir
Fuit comme le flot limpide
Que ma main n’a pu saisir.
Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) –
–
Dylan Thomas – mon art morose.
–
Dans mon métier, mon art morose
exercé dans la nuit silencieuse
quand la lune seule fait rage
quand les amants sont étendus
avec toutes leurs douleurs dans les bras,
je travaille, à la lumière du chant,
non par ambition ou pour mon pain,
ni pour le semblant, ni par commerce
de charmes sur des scènes d’ivoire
mais pour le salaire ordinaire
du profond secret de leurs coeurs.
Ni pour le prétentieux,
ignorant la lune qui fait rage,
j’écris sur ces pages mouillées d’embrun,
ni pour les morts trop hauts avec leurs rossignols
et leurs psaumes mais pour les amants,
leurs bras enlaçant les chagrins du Temps,
qui n’accordent ni attention, ni salaire
ni éloge à mon métier, mon art morose.
***
Dylan Thomas (1914-1953) – Traduction d’Alain Suied
In My Craft or Sullen Art
By Dylan Thomas
Dylan Thomas, “In My Craft or Sullen Art”
–