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Pierre Demarty – sur la plage


( extrait  du livre    » le petit  garçon sur la plage »        ed  Verdier )

peinture: P Picasso  –  famille au bord de la mer


 

Ils gardent, comme lui, les yeux fixés sur la mer, ils ne tournent pas la tête vers lui pour le voir, déchiffrer son visage à cet instant, effrayés à l’idée d’y découvrir on ne sait quoi, quelque chose d’incompréhensible et d’interdit, de la tristesse,         de l’impuissance, des larmes peut-être, de voir ce qu’on ne peut ou ne veut pas voir d’un père,           jamais,     et que celui-ci aussi s’efforce, de toutes ses forces s’efforce de ne pas montrer.

Ils demeurent ainsi sans rien dire à regarder simplement la mer,             la mer et le ciel, en enfonçant leurs doigts dans le sable.

Et lui aussi, alors, fait ce geste, sans y penser, sans penser à rien, de plonger les mains dans le sable, remuer, écarter les doigts en dessous, puis les remonter à la surface, ne rien faire d’autre que ça, sentir le poids infinitésimal du sable sur les phalanges tendues, puis incliner la main, lentement, et regarder le sable couler, tomber en fine pluie, grain à grain, au fond du seau d’enfant posé entre ses jambes, et puis recommencer.

Plonger encore la main, chaque fois un peu plus profondément, serrer le poing dessous puis remonter, faire crisser le sable dans sa paume à pleines poignées maintenant et le laisser tomber dans le seau comme d’une clepsydre,          le remplir, soudain il fait ça, remplir un seau d’enfant avec du sable,               écouter le bruit que fait le sable en tombant, son souffle.
Et une fois le seau rempli, le renverser, vite,             d’un coup de poignet vif pour en
perdre le moins possible,                  emprisonner le sable dessous comme on capturerait un petit animal, appuyer dessus, tasser,               attendre un moment — magie — puis, du bout des doigts posés en ventouses sur le fond du seau,          très lentement, le soulever.

Pendant une seconde apparaît alors une petite tour de sable, au sommet dentelé d’imparfaites et naïves crénelures, mais le sable trop fin, cherché pas assez profondément, là où il est plus mouillé, sombre et dur, s’écoule aussitôt, s’écroule, et l’éphémère édifice se disperse entre ses jambes, à peine bâti il s’est effondré et il n’en reste plus rien, et alors il recommence.

Sous les yeux de ses deux garçons il recommence, reprend le sable, enfonce la main dedans et remonte, et remplit le seau encore, avec une sorte de détermination à présent, une cadence, une façon de faire.

Il sent sur lui les regards, incrédules et peut-être affligés, embarrassés, ou peut-être amusés, ou peut-être un peu inquiets, des deux enfants, mais il ne lève pas la tête et il continue, et eux ne disent rien, ils le regardent et bientôt, sans rien dire, eux aussi ils commencent à plonger les mains dans le sable, à les mêler aux siennes en dessous, à fouiller, à creuser, remuer, remplir, verser.

Ils se relèvent alors, tous les trois, d’un même élan concerté dans le silence, puis ils s’agenouillent en cercle autour du sable fouillé,          et à quatre pattes ils se mettent à travailler ensemble,                 à retrouver ces gestes que chacun enfant a faits et qui ne s’apprennent pas,                        plonger la main dans la terre pour en faire jaillir quelque chose, un château,            un château forcément,               puisque en vertu d’une très étrange loi immémoriale des hommes et des enfants,                   sans que personne n’y ait jamais trouvé rien à comprendre ni du reste à redire,
avec du sable c’est toujours des châteaux qu’on fait,                                et pas des arbres, pas des nuages, ni même des visages,                   et le leur, le château qu’ils font,                pour rien et sans même l’ avoir décidé,            comme ça,                         tour après tour, douve après douve, prend forme maintenant,                   ils y œuvrent, sérieux comme des enfants,              ils font ça ensemble, tous les trois,                   le père et les fils, ils construisent un château de sable.

Leurs bras, leurs épaules, leurs mains se frôlent, eux dont les corps, à cause de l’âge que commencent à avoir les garçons maintenant, ont si peu souvent l’occasion de se toucher désormais, leurs épaules roulent et leurs mains dansent et travaillent dans le sable, travaillent le sable, comme une pâte, sculptent, avancent et s’enfoncent, lèvent des murailles, forent des tunnels, ajoutent sans cesse des tours et c’est la guerre.

Le château grandit, se dresse et à force bientôt il est fini, c’est fini, et tous trois alors, une dernière fois, plongent les doigts dans le sable et se mettent à creuser, tournant autour de l’édifice, traçant à main nue, les doigts droits, serrés, tendus contre la résistance du sable, une tranchée, un cercle parfait tout autour de la construction, pour l’exhausser et la protéger de la mer, ou rendre plus facile au contraire sa destruction prochaine et inéluctable, inviter la mer à venir se glisser comme un poison dans cette veine de sable circulaire pour cerner le château et le rompre par en bas, par en dessous, le faire s’écrouler, s’affaisser, défaire ce qu’ils ont fait.

Voilà,         c’est fini et ils se relèvent alors,         tous les trois,                    le père et les fils, ils regardent ça, le château de sable qu’ils ont construit ensemble tout à coup,      pour rien, et ce n’est pas un très beau château,            il est un peu fruste, mal balancé, inculte, et il n’a pas l’air bien solide non plus,                         la mousse acide de la mer n’en fera qu’une bouchée,             mais il est là pour l’instant et ils le regardent, tous les trois, avec le sentiment partagé en silence de quelque chose d’accompli, sans savoir quoi.

Ils le regardent et ils ne se regardent pas,         comme ils ne regarderont pas non plus la mer arriver et tout emporter, rompre,             le père prend les deux garçons par la main et ensemble ils s en vont, ils tournent le dos au château, à la plage, à la mer,         ils repassent par la dune pâle et le chemin aux aiguilles noires et collantes et ils rentrent, regagnent la maison,            constellés de sable des pieds à la tête,                    étincelants ; et quand on leur demandera, les autres, où est-ce qu’ils étaient passés, est-ce qu’ils ont vu heure,           et qu’est-ce qu’ils ont bien pu fiche pour se retrouver dans un état pareil, avec du sable partout, qu’ils mettent partout dans la maison,                  ils ne diront rien, ils ne parleront pas du château,                   qui est déjà un souvenir et un secret, entre eux, ils diront on a pris le chemin,                                          on est allé sur la plage, on a marché le long de la mer et jusqu’à la digue

et voilà, c’est tout,      on n’a pas vu le temps passer.

 

Le petit garçon sur la plage - Editions Verdier

en fait cet extrait n’est pas  représentatif  de la totalité  du récit, puisqu’il se réfère essentiellement à la  découverte de ce fils de migrants, découvert noyé , sur une plage )

Médias, Politiques : Aylan, et Maria? - Les Observateurs


Ivresse – (Susanne Derève) –


5
   Château de Corcelles – photo RC

                            

Vivrons nous

du souffle léger de Décembre

 

- pierre tendre et tuiles rondes  -

et des rameaux du grand hiver

rouges dans le bleu du ciel, 

 

de la promesse  des bourgeons    

sur le bois nu,  

du dernier sursaut de l’automne,                                                          

 

-  ivresse,     

de vin rosé , de vin jeune

et de pourpre,  de chais silencieux - 



de l’or paresseux  du jour,

un boisseau  d’ocres et de velours,

de verts  enluminés de pluie,

  

de  l’éclat  chancelant  du vitrail 

 et de l’offrande

de la nuit  miroitant  de l’averse,

une ville à nos pieds,

brouillée d’ombre et de vent, 


de nos mains jointes et refermées

innocemment

sur la fortune et le hasard,

comme on braconne  des rêves épars

sur les terres blondes  de l’été

 

avant que  ne l’emprisonnent

les neiges blanches de Janvier  










     

L’ép(r)ouvante – ( RC )


Image associée

peinture – Frida Kahlo

  Epouvante,
qu’il pleuve ou qu’il vente,
tu t’échappes des contes pour enfants,
et ris de toutes tes dents:
et si c’était une comptine,
on verrait luire tes canines  …

   Et encore, l’épouvante , chante
comme la cigale de La Fontaine,
mais trouves avec peine
l’hiver étant venu, ( air connu ),
où se loger dans les arbres dévêtus
que l’on sait trouver fort dépourvus.

        Voila qu’elle a caché la lumière,
et qu’elle effraie la bergère,
avec des histoires de loup,
ou à dormir debout :
on peut presque palper la peur,
distinguer au loin le château la Terreur.

        Pendant que tes pas s’égarent
tu erres dans les idées noires :
Si les arbres ont perdu leurs feuilles,
l’épouvante a répandu son deuil,
et les racines d’une forêt ingrate,
multiplient les croche-pattes .

        La fontaine s’est refermée,
oubliée dans les ronces et l’églantier :
les fées sont capturées
pieds et poings liées
prisonnières
au coeur de l’hiver.

  •      Les eaux obscures m’ont bu
    tu n’en as rien su :
    je me suis noyé
    dans l’eau glacée :
    mes yeux te regardent
    et ma peau est blafarde:

elle a pris les couleurs de la cendre
dans le long bain de décembre :
il m’a été ôté la joie :
nous n’irons plus au bois :
j’ai pris pour compagne l’épouvante ,
dans la forêt   –  – désormais je la hante.

         Mais les années s’étant écoulées,
et tu m’as désormais oublié:
tu as délaissé tes terreurs d’enfance :
la vie a pris une autre consistance,
elle t’emmène vers d’autres horizons,
( c’est maintenant une autre chanson ) .

        Tu as remisé toutes ces fadaises,
et t’en vas cueillir des fraises :
Cigale, cigale,         il te faut rechanter :
les lauriers des bois ont bien repoussé !
la fontaine est garnie de fleurs d’églantiers,
… tu en accroches une sur ton chemisier…

       Attention quand même aux épines :
elles sont restées assassines ! ,
voila qu’une fleur de sang grandit sur ta poitrine ,
alors… te revient en tête la comptine :
l’épouvante et la peur de mourir…
(     je me rappelle à ton bon souvenir… )


RC – mars 2018


Carles Duarte – l’abîme


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L’Abîme

Au-delà de la mer
– je peux sentir son vertige -,
il y a un abîme.

J’abrite mes regards
derrière mes paupières fatiguées.

Tandis que j’observe les vagues,
j’écoute le corps,
sa routine incessante
chaque fois que je respire.

Je suis ressorti dans la rue.
Je tente en vain d’y retrouver des images.
Je n’y reconnais pas cet enfant blond,
ni la cour pleine de lumière.

Il me reste, pourtant, des miettes bleues
et les visages des mes parents que j’imagine.

Je m’assieds sur le sable
pour refaire les châteaux d’autrefois,
pour me rappeler.

Au-delà de la porte de l’air,
de la lumière primordiale de cet après-midi,
d’une joie que je regrette,
l’océan transparent de l’oubli
me détruit.

 

Traduit par François-Michel Durazzo
Le centre du temps, Fédérop, 2007

L’abisme

L’albada és de cristall
i una Lluna de marbre
s’allunya pel ponent.
Dins els teus ulls
viu un silenci dens,
un fred precís
que ens pren la mà
i ens duu molt lentament
fins al llindar,
sense passat,
sense futur,
on tot és fet d’abisme.
T’abraço fort,
m’abraces,
vençuts per aquesta set,
per aquest dolor
que es torna inextingible.
Aprenc a abandonar-me.
La mar i jo
ja som només
la llàgrima.

Extrait de: El centre del temps
Edicions 62, 2003

François Corvol – Langue


 

A fortune teller  - diseur de bonne aventure - photographe non identifié

A fortune teller –  diseur de bonne aventure         – photographe non identifié

Les paroles persistaient et mes yeux, certainement moins
dans le vague, s’étaient repositionnés dans les siens, semblables
aux oiseaux qui vont, pour une raison que j’ignore
se poser sur un fil électrique au-dessus de ma tête
puis observent, gazouillent, manifestent leur présence
avant que le désir de se mouvoir n’émerge à nouveau.
Ils sont pressés de retourner librement dans le ciel.
Décontraction du château intérieur, fluctuations sereines et solides
des joies du dedans, lesquelles, s’exilant du royaume
laissaient échapper un rire innocent et sincère
attiré à soi comme un enfant qu’on extrait de son instinct de fuite.
Ceci ne m’importait guère
étant son visage caché, le langage secret que seul j’honorais
par lequel je m’évadais, avec l’espoir qu’elle me suive
et se détache d’elle-même.

 


Oiseau mécanique – ( RC )


 


On dit que tu as tout ce que tu veux
Et un oiseau mécanique merveilleux,
Aux ailes incrustées d’émeraude,
Chante à la place d’un vrai.

Ton oiseau est de couleur verte,
Il est au centre de tes richesses,
Tu ne regardes qu’elles;
Et ne me vois pas.

Tu es fasciné par son chant
Par les reflets des cristaux,
Toutes ces choses précieuses,
Dont l’abondance te cache l’univers.

> Le monde tel qu’il est
Est bien loin de toi;
Tu ne m’entends pas,
Mais seulement le chant de cet oiseau.

Dès que tu ouvres la boîte,
Inscrustée d’ivoire et de nacres
Que tu tournes la clef,
Attendant son tour de piste .

Mais un jour le ressort casse,
La belle mécanique se dérègle,
Le précieux automate reste figé,
Désormais inutile et grotesque.

Tu découvres soudain,
Qu’un vrai rossignol,
Se balance sur une branche,
Face à ta fenêtre.

Libre d’aller et venir,
Il attendait ton réveil,
Et que ton regard se pose sur la nature,
Où les ors et vermeils ne sont pas nécessaires.

On dit que tu as tout ce que tu veux,
Mais les biens matériels ,
Finissent par te masquer la vie.
Ouvre donc la fenêtre.

Il y a un ailleurs,
Qui s’étend loin autour
De ton château.
Tu m’y verras peut-être, maintenant.

Il suffit d’ouvrir ses yeux,
Et ses oreilles, aux rossignols,
Un coeur ouvert aussi
Au reste du monde.

– Librement inspiré du conte  » le rossignol et l’empereur » ( Andersen),
et de la chanson des « Fab Four »:  » And your bird can sing ».

 

 

RC- mai  2014

 


Histoire, as tu encore un royaume ? – ( RC )


Louis Philippe en poire –     caricature de Daumier

Histoire, as tu encore un royaume ?

Je ne me souviens plus des dates,

Des héros des gravures des manuels,

Clovis, Courtisanes en crinoline, Louis-Philippe en poire…

…   Est-ce grave ?

L’oubli tricote l’effacage de la mémoire,

On ne retient souvent que les mariages princiers,

Les heures de prestige – trompettes sonnantes,

Fêtes somptueuses et feux d’artifices,

Galerie des glaces et parquets cirés, – au château,

Les enfilades de pièces,

Inhabitées, ne sont plus que décor,

Un vernis où une peau d’apparence,

Ne soutient que l’absence,

Comme ces bois dévorés de termites.

Tout est brouillé,

Offert à la béance des jours.

Et le vide,

D’un bleu , aspirant la distance,

M’observe dans l’obscurité.

Pendant que les eaux lasses,

Continuent leur course sous les ponts.

…. Il passa ainsi dans la Seine,

pourtant si familière aux touristes

Tant de cadavres…

Et l’histoire se répète ,

De la Saint-Barthélémy

A l’octobre noir des Algériens…

Comme justement l’eau se renouvelle,

Et passe                      en silence,

> La vertu des faits d’armes,

Porte , incrustée,        son revers de doutes,

De lâchetés,

Passées                   sous le filtre du silence.

Histoire, as tu encore un royaume ?

RC- 4 octobre 2013


Château les rêves , alphabets de pierre ( RC )


Résultat de recherche d'images pour "st julien du tournel"

photo:  St Julien du Tournel  –  au pied  du mont Lozère

 

Un château de rêve

Suspendu dans la brume

Navigue lentement

Lourd volatile au milieu des aigles

Alphabet de pierres

Assoiffées de l’onde

Les cristaux du poème.

Les peintures de Magritte

Chimériques

Echappées des rocs

Issues de l’esprit

Comme vagabondent

De l’âme et du monde

Mots en fantaisie.

Château des esprits

Vaisseau des écrits

Traversent les obstacles

Annulent les distances

Comme les ailes frôlent

De leurs plumes,            paroles,

Et les tours rondes   des songes.

peinture: René Magritte: le château des Pyrénnées

peinture: René Magritte: le château des Pyrénnées

Comment créer vraiment

Ce qui n’est pas encore

Et lui donner corps ?

Corps à penser, corps à rire,

Coeur à corps et à cris…

Même si c’est murmures

Aux furies du vent…

Château des écrits

D’édifices fragiles,

Cristaux de papier,

Traversent aussi le temps,

Espaces et nations,

Vertiges et vestiges,

Siècles et révolutions.

Une vue de l’esprit ?

Aux déserts,      mirages,

Qui persistent     et signent

En ouvrant paupières,

Même en coeur  de nuit noire,

….Au trente-sixième dessous,

Le rêve n’est pas dissous.

RC – 29 mai 2013

L’expression  « Alphabet de pierres »  est issue  d’un des poèmes  de Henri-Etienne Dayssol, auteur  de « Voxpoesi »,- plus exactement  l’expression « alphabets des pierres », nous rappelle-t-il… et qui anime le site poétique – du même nom…


Rituel de la lame et des voeux ( RC )


lieu aux  sacrifices  - voeux 5201.xnbak

-Bobo Diolasso, vallée sacrée (Dafra) .    Burkina FASO

 

 

A l’ombre d’un arbre dont je ne saurais dire
Ni le nom,                    ni le dessin des feuilles,
Cet homme,                             un être sans âge,
Presque nu,                                           immobile,
–                                            Et peut-être aveugle
Gisant, endormi, sous la voûte des feuillages,
Sur un gros bloc
A l’entrée d’une cathédrale de rochers.

Des lianes pendaient dans l’ombre végétale,
Et m’habituant à elle, je la perçus moins obscure,
>                      Accompagnée du frêle murmure,
D’une eau,                     s’écoulant , paresseuse,
De bassins                        en vasques naturelles.
Dans cette espère ce château creux,    inversé,
habité de relents lourds,    gras,      écoeurants,
Ne devant rien à la profusion végétale.

Il n’y avait      pas d’idole incrustées dans les parois,
>           Pas de sphinx de pierre, dans ce lieu reclus,
Isolé d’un ciel ,                       qui claque sous le soleil,
Mais un sol presqu’entièrement couvert de plumes,
Et progresser                       parmi le chaos rocheux,
N’était possible,                     qu’en foulant aux pieds
De multiples ossements
S’affaissant sous mon poids.

Peut-être étais-je habité par le non-savoir,
Enfui trop vite                de la lumière,
>                      Vers ces profondeurs
Où le ruissellement    d’une eau rare
S’associant     aux rituels millénaires
Où l’amour et le vivant,        meurent
Tranchés,     par la lame de l’officiant,
>     Le sang se mêlant à l’eau lente…

Peut-être,      n’ai-je pas dans l’esprit,
–                Celui de faire un voeu
Quand on lit l’avenir
Selon ,        que la bête sacrifiée
Prolonge ou non       son agonie
Sur le ventre               ou le dos,
Et ,         que se vide son corps
Palpitant encore, au milieu des pierres.

Mais ,                        l’homme endormi,
Au pied des carcasses suspendues,
>                   Et des toisons dépecées
Rêvait peut-être  de la vie qui s’enfuit,
Et du murmure indéfinissable,
–                    Des   dieux primitifs,
Offrant,          dans ce lieu reclus,
Des promesses    de prospérité.


RC –  26 janvier 2013

photo perso  -repos de l'officiant - Bobo Diolasso, vallée sacrée. Burkina FASO

photo perso                                                                                                                   -repos de l’officiant – Bobo Diolasso, vallée sacrée. Burkina FASO

 

 

A noter  qu’à Dafra, le cours d’eau se continue  en mares, où vivent d’énormes poissons chats ( silures), nourris avec les restes des animaux  sacrifiés:  voir photo de Brad 177:


Xavier Lainé – seule ta main


peinture - gravure:  Jean-Pierre Pincemin

peinture – gravure:      Jean-Pierre Pincemin    (probablement  la Jeune fille  et la mort)

-A  retrouver aussi, le blog de Xavier Lainé: Itinéraire des poètes...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alors, les paons ayant achevé leur roue
dans la cour du chateau pyromane
je cueillerai tes larmes sur tes joues de buées

Je dessinerai ton coeur dans la brume

Les broussailles avaleront nos pas

Un corbeau dans la plaine lancera son appel
nous tisserons les heures de toutes nos insoumissions

Nous serons libres apôtres d’un univers à construire
Nous en tisserons la toile invisible
Nos paumes se tendront au point cinétique de nos rencontres

Un rang de tic
deux rangs de tacs
nous tricoterons
mailles à l’endroit et à l’envers
une nouvelle histoire
fondue au creuset de l’avenir

Nous découvrirons une mine d’espérance
au filon où s’écoule la sève de nos coeurs battants

Epuisés d’ardeur
têtes posées à même la table
nous chercherons un vain repos

Seule ta main…

X L     – 21 mars 2010


Jorge Luis Borgès – Labyrinthe


 

photo: labyrinthe  de la cathédrale  d’ Amiens

 

 

LABYRINTHE

 

Il n’y a pas de porte. Tu y es
Et le château embrasse l’univers
Il ne contient ni avers ni revers
Ni mur extérieur ni centre secret.
N’attends pas de la rigueur du chemin
Qui, obstiné, bifurque dans un autre,
Qu’il ait une fin. De fer est ton destin
Comme ton juge. N’attends pas l’assaut
Du taureau qui est homme et dont, plurielle,
L’étrange forme est l’horreur du réseau
D’interminable pierre qui s’emmêle.
Il n’existe pas. N’attends rien. Ni cette
Bête au noir crépuscule qui te guette


Danilo Kis – le château illuminé de soleil


art: bijou celtique

LE CHÂTEAU ILLUMINÉ DE SOLEIL

Mandarine, la plus belle vache du village, s’est perdue.
Et lui, il doit la retrouver à tout prix, quitte à la chercher toute
la nuit. Monsieur Molnàr ne lui pardonnerait pas :
Mandarine est la meilleure vache de monsieur Molnàr. C’est pour ça
qu’il va devoir fouiller tout le bois, et même plus loin s’il le
faut. Il demandera à Virâg de prendre avec ses vaches celles
de monsieur Molnàr et de lui dire : « Mandarine s’est perdue.
On dirait qu’elle s’est envolée. » Et de lui dire aussi : « Andi
demande à monsieur Molnàr de ne pas se fâcher contre lui. Il
fera tout pour retrouver Mandarine, car il sait que Mandarine
est pleine et que c’est la meilleure vache du village. Mais
voilà, on dirait qu’elle s’est envolée. » Et de lui dire enfin :

« Andi vous fait dire que s’il ne retrouve pas Mandarine d’ici
demain matin, qu’on ne l’attende pas. Il s’en ira au bout du
monde, il ne reviendra plus jamais au village. Que monsieur
Molnàr ne se fâche pas. » Et qu’on dise à sa mère, madame
Sâm, de ne pas pleurer. « Andi est parti au bout du monde
parce qu’il a perdu Mandarine. » Mais qu’on le lui dise avec
précaution, autrement.sa mère pourrait mourir, sous le coup.
Il vaut donc mieux qu’on lui dise seulement : « Andi a perdu
Mandarine. Il ne reviendra pas avant de l’avoir retrouvée. »
Oui, c’est ce qu’il dira à Virâg. Lui, il a toujours aidé Viràg
quand il perdait une vache.

Mais qu’est-ce qu’il dira à monsieur Molnàr s’il retrouve
Mandarine et qu’il la ramène très tard, en pleine nuit,
comme la dernière fois? Il lui expliquera que Mandarine
broutait tout près des autres vaches, et que, tout à coup, elle
a disparu, comme si elle s’était envolée.

« C’est comme ça que tu gardes les vaches ? » lui dira
monsieur Molnàr. « Dis, c’est comme ça que tu gardes les
vaches ? Qu’est-ce que tu fabriques dans le bois, hein ? »

« Rien, monsieur Molnàr », répondra-t-il. « Je sais que
Mandarine est pleine et je ne la laisse pas s’éloigner des
autres vaches. Mais, voilà, on dirait qu’elle s’est envolée. »
C’est ce qu’il lui dira s’il la retrouve.

À cet instant, l’enfant crut entendre des branches craquer dans les fourrés et il s’arrêta, essoufflé.
« Mandarine ! Mandarine ! »
II tendit l’oreille en retenant sa respiration.
Il entendit au loin la trompe d’un berger. Il se rendit compte que

l’obscurité avait envahi la forêt et que bientôt il ne pourrait plus distinguer le chemin.

«Dingo, dit l’enfant, où est Mandarine? Dis, où est
Mandarine ? »

Le chien se tenait devant lui et le regardait, attentif.
« Dingo, qu’est-ce qu’on va faire? » dit l’enfant.
Pendant qu’il parlait au chien, il le regardait droit dans les yeux et le chien le comprenait. Il remua la queue et gémit en inclinant la tête.

« Si on ne retrouve pas bientôt Mandarine, on ne rentrera pas chez monsieur

Molnàr », continua l’enfant pour le chien qui courait devant lui en gémissant.

Ils suivaient un sentier étroit et broussailleux en direction du Chêne Royal.

« Et tu viendras avec moi, dit l’enfant. Monsieur Berki ne
se fâchera pas trop, si je t’emmène. Il sait que tu es avec moi
et que tu ne manqueras de rien. Imagine un peu que tu
m’abandonnes! Imagine qu’un beau jour tu rentres au
village et que tu aboies devant la maison. Ils diraient tous :

 » Visiblement, Andi ne reviendra plus.  » Bien sûr, ils ne le
diraient pas tout fort, devant maman et Anna. Mais ils le
penseraient tous, si un jour tu revenais seul au village. »
Le chien s’arrêta et flaira quelque chose.

« Mon Dieu, dit l’enfant, aidez-moi à retrouver Mandarine. »

Dingo gémit et l’enfant comprit qu’il s’agissait d’une piste
de lièvre ou d’une tanière de renard. Il pouvait à peine distinguer le chien qui traversait les fourrés en gémissant.

« C’est pour ça qu’on va partir ensemble, toi et moi. Car imagine que tu reviennes seul :

maman et Anna, monsieur Berki et tous les autres sont devant toi et ils te demandent
avec un air de reproche :  » Dingo, où est Andi ?  » Maman
verrait tout de suite à ta tête que je suis mort et elle
s’effondrerait, tandis qu’Anna s’arracherait les cheveux.
Monsieur Berki, notre cousin, les consolerait en disant :

 » Mais enfin, madame Sâm, ne soyez pas ridicule. Qui vous
dit, réfléchissez un peu, qu’il est arrivé un malheur à Andi ?
Dingo est revenu tout simplement parce qu’il a faim ou parce
que Andi l’a chassé.  » C’est ce que dirait monsieur Berki, sans
se fâcher, car il serait lui-même persuadé que je suis mort, ou
que j’ai été capturé par des bandits de grand chemin, ou
que les loups m’ont dévoré, ou encore que je suis prisonnier
de la fée des bois. Mais il ferait semblant de ne pas penser à
tout cela à cause de ma mère et d’Anna… Mais, au fond,
qu’est-ce qu’il penserait de toi, hein ? Devant tout le monde,
il ne te dirait rien, mais une fois seul avec toi, il te regarderait
avec mépris, peut-être même qu’il te cracherait au museau
pour m’avoir abandonné. Je sais bien que tu n’oserais jamais
le faire, mais j’en parle, comme ça. Tu te souviens de ce livre,
L’homme, le cheval, le chien, que j’ai lu l’automne dernier ? Tu
te souviens sûrement, je le lisais pendant qu’on gardait les
vaches le long de la Voie Romaine. Après, je l’ai raconté à
tout le monde, à Virâg, et à Latsi Tôt, et à Bêla Hermann, à
tout le monde. Eh bien, tu te souviens comme ils étaient
fidèles les uns aux autres ; rappelle-toi. Le Far West tout
entier ne pouvait rien contre eux… Et si les loups nous
attaquaient ? Tu peux tenir tête au moins à deux loups, non ?
Et moi ? A ton avis, combien de loups peuvent abattre Andi et
Dingo s’ils restent tous les deux dans la forêt ? Et si on est
capturé par des bandits de grand chemin ? Tu me déferas
mes liens pendant leur sommeil. Après, ce sera facile. Ils
seront endormis, et moi, j’attraperai un pistolet. Non, deux
pistolets. Un dans chaque main. Tu crois que je ne sais pas
tirer? Tu n’en doutes pas, j’espère. Et après, on les conduira
à la police. Tout le monde sera bien étonné et on nous
interrogera longuement. Puis ils feront venir maman et
madame Rigô, la maîtresse. Maman aura très peur, car

lorsqu’on l’appellera à la police, elle pensera qu’on m’a
retrouvé mort ou que j’ai commis un crime horrible. Mais ils
la féliciteront et ils lui diront que j’ai arrêté les brigands les
plus dangereux et les plus cruels, contre qui on avait lancé un
mandat d’arrêt, sans pouvoir les capturer depuis des années.
Puis ils lui donneront la récompense. Une énorme somme
d’argent. Il faudrait des jours et des jours pour la compter.
Mais une telle somme, on ne la donne pas aux enfants, même
s’ils ont désarmé les plus dangereux bandits de grand
chemin. Madame Rigô sera là pour compter l’argent, et
pour qu’on lui explique que, d’après la loi, elle doit rayer
toutes mes absences. Et le lendemain, à l’école, elle dira :

 » Andi, lève-toi.  » Latsi et Virâg croiront que la maîtresse va
me demander d’aller chercher au jardin les verges pour me
battre. Mais au lieu de cela, elle dira :  » Mes enfants, Andréas
Sâm, élève de notre école, a capturé la plus dangereuse
bande de brigands.  » Bien sûr, elle dira qu’il a été aidé par
son chien, appelé Dingo. Et Julia Szabô pleurera d’émotion,
à l’idée de ce qui aurait pu m’arriver. »

II parlait tout haut. Hormis le chien, personne ne pouvait
l’entendre. Il faisait déjà sombre dans la forêt, seul au-dessus
des hautes branches apparaissait le ciel bleu nuit. L’enfant,
derrière le chien, traversait les fourrés, protégeant son visage
de ses mains. De ses pieds nus, il foulait la mousse et les
feuilles mortes, écrasant au passage le bois sec qui craquait
sous ses pas. II parlait tout haut, car la forêt s’était mise à
frémir de mille rumeurs et l’enfant avait l’impression d’être
à jamais perdu. Il n’entendait plus nulle part la voix des
bergers, les meuglements lointains des vaches s’étaient tus
depuis longtemps. Maintenant, Viràg avait sûrement rentré
les vaches de monsieur Molnàr et il lui avait probablement
raconté ce qui lui était passé par la tête, car ils n’avaient pas
eu le temps de se mettre d’accord. Il lui aura sûrement
raconté le pire, le traître. Comme il l’avait trahi l’année
passée, lorsque lui, Andi, avait monté Chocolatine. Monsieur
Molnàr l’avait su et il l’avait menacé de le renvoyer.

Ce Virâg aurait sûrement la bonne idée de tout raconter : qu’ils
gardaient les vaches dans le Bois du Comte, qu’ils avaient
fait un feu et que lui, Andi, leur avait raconté à tous Le
Capitaine de la Cloche d’Argent. Ensuite, lorsqu’ils avaient

voulu rassembler les vaches, car le soleil commençait à
descendre et les bergers de Baksa et de Csesztreg étaient déjà
rentrés, Andi avait remarqué qu’il manquait Mandarine. Et
maintenant monsieur Molnàr allait sûrement demander à
Virâg depuis combien de temps Andi n’avait pas regardé où
étaient les vaches. Et ce balourd de Virâg, ce Tsigane, il était
capable de lui raconter comment ce jour-là ils s’étaient mis
d’accord, Bêla Hermann, dit « B », et lui, Andi, pour que
« B » lui garde ses vaches, ou plutôt celles de monsieur
Molnàr : ainsi Andi pourrait terminer Le Capitaine de la
Cloche d’Argent et le leur raconter. Et voilà, Virâg allait tout
dévoiler. Quand « B » lui avait dit qu’il avait perdu Mandarine,

Andi s’était contenté d’envoyer le chien à sa recherche et avait continué sa lecture là où il l’avait arrêtée : au moment où la Métisse entrait dans la cabine du bateau et déclarait à
Alexandre Hywenth qu’elle allait s’empoisonner, par jalousie. Elle tenait une petite pilule blanche au creux de la main et ses yeux brillaient de l’éclat de la mer Caspienne…

« Et qu’est-ce qu’on ferait », dit l’enfant tout haut, en
s’adressant au chien dont il suivait les gémissements presque
à l’aveuglette, « qu’est-ce qu’on ferait si la fée des bois nous
ensorcelait ? Tu vois, c’est bien que tu sois avec moi. D’après
ce que je sais, ni les fées des bois ni les sorcières n’ont le
pouvoir d’ensorceler les chiens. Aussi, dès qu’on apercevra le
château, tu resteras en arrière, pour observer ce qui se passe.
Ne t’étonne pas, nous pouvons tomber d’un instant à l’autre
sur ce château. Mais surtout, n’aie pas peur. Si c’est un beau
château ancien, comme celui du Comte, derrière le Chêne
Royal, et s’il est illuminé, ce sera le château de la fée des bois.
Tu penses que je vais m’enfuir? Pas du tout. Peut-être que
c est elle qui a emmené Mandarine pour que je vienne la
chercher et que je tombe dans ses filets. Lorsque je l’apercevrai,

je ferai semblant de ne pas savoir que c’est la fée des
bois. Je lui dirai simplement bonjour, poliment, et je lui
demanderai :  » Mademoiselle n’aurait-elle pas aperçu une
vache pleine, couleur de mandarine ? » Ce à quoi, ne t’étonne
pas, elle se contentera de sourire, pour me séduire. Puis elle
s éloignera vers le château, comme si elle était intimidée. Tu
sais comment je la reconnaîtrai sans faute ? Elle sera tout en
blanc, comme vêtue de soie, ou plutôt de quelque chose d’encore plus léger et plus transparent. Car les fées sont toujours habillées en blanc. Je ferai comme si je ne remarquais rien,

je la remercierai bien et je continuerai mon
chemin, si je le peux. Si je me réveille, ce n’était qu’un rêve.
Si je ne me réveille pas et si je ne peux pas m’en aller, cela
veut dire que je suis ensorcelé. Je resterai alors chez elle
quelque temps, et il ne faudra pas te fâcher. Tu rentreras au
village et tu essayeras d’expliquer à ma mère et à monsieur
Berki que je ne suis pas mort — qu’une fée m’a ensorcelé.
Qu’ils ne s’inquiètent pas. Je resterai là-bas une année, peut-
être deux. Et tu sais, Dingo, c’est très dangereux. On y risque
sa tête. Personne n’en est jamais revenu. Ou bien parce qu’ils
s’y plaisaient tellement qu’ils avaient effacé tout autre
souvenir de leur mémoire, ou bien parce qu’ils ont été
châtiés. Mais moi, je m’enfuirai. Je suis malin. Je ne sais pas
encore comment, mais je m’enfuirai. À cause de maman. Elle
saura que je ne suis pas mort, et elle m’attendra. Mais toi,
Dingo, surtout n’aie pas peur quand tu verras le château tout
illuminé. »

II fit soudain plus clair. Devant eux, la forêt semblait

embrasée par un incendie. L’enfant et le chien s’arrêtèrent
un instant.

« On a retrouvé ta Mandarine, dit Viràg. Ce sont les
bergers de Baksa qui l’ont ramenée. Ils l’ont reconnue. »

Au milieu de la clairière, dans l’éclat du couchant, se tenait
Mandarine, écarlate comme une cerise.

« C’est la plus belle vache du village, dit l’enfant, c’est pour
ça qu’ils l’ont reconnue. »

II regretta tout à coup qu’on ait retrouvé la vache. Il pensa
que Viràg pourrait quand même tout raconter à monsieur
Molnàr. Et lui, il serait peut-être resté dans le château trois
années entières.


Isabelle Levesque – es-tu château ?


photo perso; ombre de tour sur tour chateau de Saint-Saturnin sur Tartaronne, vers La Canourgue – 48  – 2008

 

 

 

es-tu château
ou l’ombre du silence (forme humaine)

as-tu soupirs de géant
milliers d’insectes en gorge râpeuse
respirant la terre
le géant ne sent rien respire
chaque souffle expire
une pierre

es-tu nuée sourde sur la proie (aucune chance)
tu virevoltes geste fou d’une courbe
ne s’arrête comme
encre en tache et page
loin du buvard flot noir apparu
surface couvre

es-tu quelque part en présence surprise
ou patte d’un bourdon
perdu dans la lutte

percer le corps sombre minéral
érode
la pierre grave le socle
enfonce
château dressé (faille en terre)

In Ossature du silence, © Les Deux-Siciles, 2012, p.13

 

 


Automne du manoir – (RC)


--

 

 

 

 

C’est l’automne au manoir, et ses vitres troublées.

Le rendez-vous des fantômes  et leur vie moulée

Dans les interstices  des boiseries du château

Les tissus étanches  d’araignées pensives

 

Voiles pendantes, de temps  étirés

Aux tains  ternis des miroirs piquetés

Et des lattes vermoulues, qui cèdent sous les pieds

Mais pas ceux des spectres, toujours attentifs

 

A rapporter les légendes  à mademoiselle la hulotte

Qui manifeste son intérêt en secouant ses ailes

Et qu’approuve toujours un nuage de poussière

Grisaillant un peu plus les livrées des laquais

 

Suspendues  dans l’office, seulement rafraîchies

Par  la pluie  qui s’infiltre à travers la toiture effeuillée

Et  la porte dégondée, qui baille au passage

Sur les malles ouvertes  aux  cuirs affaissés.

 

——–Négligence coupable du personnel de service

Qui a laissé se voûter, la splendeur des pourpoints olive

Les perruques  poudrées d’une  époque , sans plus avoir

Sur la glace, de la cheminée de style, un humble reflet.

 

Le  parc  à l’ordonnancement  sarcastique

Et symétrique , les allées encombrées  de ronces

A  fini  par renoncer aux mathématiques

Clos par sa haute  grille,       – et scellé par le temps.

 

 

 

RC  11 avril 2012

 


Nadia Tueni – En montagne libanaise


photo perso: montagne du plateau de Lassithi ( Crète)…     n’étant jamais allé au Liban… mais je suppose qu’il y a – dans la sécheressse, – des points communs

A la découverte  ( en voletant  cueillir  du pollen ), l’abeille  que je suis  découvre « encres du monde », – de Claire-Lise

dont j’extrais ce  beau texte

En montagne libanaise, un poème de Nadia TUENI (Liban)

———

Se souvenir – du bruit du clair de lune,
lorsque la nuit d’été se cogne à la montagne,
et que traîne le vent,
dans la bouche rocheuse des Monts Liban.

Se souvenir – d’un village escarpé,
posé comme une larme au bord d’une paupière ;
on y rencontre un grenadier,
et des fleurs plus sonores
qu’un clavier.

Se souvenir – de la vigne sous le figuier,
des chênes gercés que Septembre abreuve,
des fontaines et des muletiers,
du soleil dissous dans les eaux du fleuve.

Se souvenir – du basilic et du pommier,
du sirop de mûres et des amandiers.

Alors chaque fille était hirondelle,
ses yeux remuaient, comme une nacelle,
sur un bâton de coudrier.

Se souvenir – de l’ermite et du chevrier,
des sentiers qui mènent au bout du nuage,
du chant de l’Islam, des châteaux croisés,
et des cloches folles, du mois de juillet.

Se souvenir – de chacun, de tous,
du conteur, du mage, et du boulanger,
des mots de la fête, de ceux des orages,
de la mer qui brille comme une médaille,
dans le paysage.

Se souvenir – d’un souvenir d’enfant,
d’un secret royaume qui avait notre âge ;
nous ne savions pas lire les présages,
dans ces oiseaux morts au fond de leurs cages,
sur les Monts Liban.