Mario Benedetti – seul comme ce porte-manteau

Moi aussi seul comme ce porte-manteau,
comme sont les tables, comme est la planche à repasser.
Murs et rambardes, le fauteuil, la cheminée.
Brûle le feu incendiant le jardin tout entier,
tout le pré, les bois, tous les printemps.
Tersa morte, (extraits)
Milan, Mondadori, 2010
Denis Scheubel – bateau sans mat

On a brûlé les mats
Dans les cheminées
Du bateau
Faut dire qu’il faisait froid
On nous a dit
« C’est pas malin
Sans mat
Quand le vent revient «
Et nous drapés
Dans les voiles
On avait chaud
On était beaux,
On se sentait la force
De nager
S’il fallait
Quitter le raffiot
Qui dérivait.
–
Jean Guéhenno – l’orange de Noël
.
Noël, dans mon enfance, c’était le JOUR ou on me donnait une orange et c’était un grand événement
Sous la forme de cette pomme d’or, parfaite et brillante, ]e pensais tenir dans mes mains le bonheur du monde
Je regardais ma belle orange , ma mère la tirait de son papier de soie ,
tous deux, nous en admirions la grosseur, la rondeur, l’éclat ,
]e prenais dans le buffet un de ces beaux verres a pied en cristal qu’on achetait alors dans les foires Je le renversais, le mettais à droite, au bout de la cheminée, et ma mère posait dessus la belle orange
Pendant des mois, elle nous assurait par ses belles couleurs, que le bonheur et la beauté étaient de ce monde
Quelquefois, je la palpais, Je la tâtais
II m’arrivait d’insinuer qu’elle serait bientôt mûre
— Attendons encore ! répondait ma mère,
quand nous l’aurons mangée, qu’est-ce qui nous restera ! ( )
Jean GUÉHENNO « Changer la vie » (ed Grasset et Fasquelle)
Ecrits des cendres – ( RC )

image – Anselm Kiefer – livre… extrait de « the books of Anselm Kiefer »
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Point d’atouts de cartes,
D’une page, les taches,
Devenue brouillon, ça fâche,
Que d’une main j’écarte
L’écriture s’ensommeille,
Point de phrases ne rattrapent,
Sur la page , le stylo dérape,
C’est direction corbeille…
Mon roman ne veut pas se terminer,
Comme on dit » à l’eau de rose « ,
Les chapitres se décomposent,
Dans un autodafé de cheminée…
Aux flammes, et la fumée,
Tourbillonnent les mots,
Et les paroles en trop,
Autour du foyer, allumé.
Il n’y a plus rien à prendre,
S’éparpillent, points et virgules,
Les belles lettres et les majuscules
Se sont réduites en cendres.
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RC – 21juin et 3 juillet 2013
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( incitation: « La page et moi » de JoBougon…)
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Marie-Ange Sébasti – Redresser les Méandres — suivi de ma « réponse »

photo: Anne Heine
Souvent, je tentais de redresser les méandres, d’élargir les défilés, de faire de ce passage une belle ligne droite entre des vignes bleues.
Mais ne fallait-il pas d’abord s’entendre avec la falaise, abandonner un instant la vallée pour s’engouffrer dans l’étroite cheminée, escalader tous les vertiges jusqu’aux confins des gris établir bientôt un nouveau cadastre, mesurer de très haut des parcelles discrètes, de longues propriétés littorales, les audacieux aplats des champs les écarts qui n’échappent jamais au feu ?
Sans mentir, je pouvais encore évaluer le périmètre du patchwork des rêves, déceler leurs accolades et leurs brouilles,
me détourner longtemps aussi de ce territoire morcelé en remplaçant tous les murs mitoyens par des lignes de fuites.
Pourtant, malgré la faille, le bleu toujours,s’instaurait, me rattrapait.
Marie-Ange Sébasti
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Elevé dans les airs, la prose du territoire distribue des lignes,des passages,
là où les failles sur place, imposent des détours.
Escalader tous les vertiges, peut-être ,mais au grand effort de laisser derrière soi la pesanteur, celle des roches et de son propre corps.
J’ai aimé la cartographie, comme un dessin aimable, qui s’étale, fantaisie de patchwork des bois gris, et parcelles arables. La limite imposée par la falaise, permet de distribuer quelques accès rares, lorsqu’un affaissement rend le chemin possible.
Oui, bien sûr, réconcilier les deux bords des espaces, en tirant droit, le fil de la rivière, et gommer les méandres.
( Si la terre était à modeler.)
Mais elle est matière, mais elle colle aux bottes, mais elle transpire les mousses, et se charge de buis et de chênes centenaires….
Mais elle est corps,lourde,brune, grise, fauve, justement comme un animal endormi, étalé là, entre les rocs…
Elle domine,…ravagée d’érosion, ou portée en tectoniques, striée de ruisseaux, cherchant la pente la plus rapide…
Inerte, même bousculée de puissants tracteurs , mais vivante, à l’assaut du printemps.
Les hauts plateaux sont reliés, aux vallées par leurs différences, justement,– leurs accolades et leurs brouilles, –, pourtant elles se réconcilient avec leurs passages,
…de toute façon, il faut vivre avec ce qui est… les murailles à contourner , en lieu et place de lignes de fuite sans consistance, les parcelles exigües, suivant si possible le parcours du soleil…
qui ne doivent rien aux lignes tracées sur le papier,mais à l’effort des hommes , pour se marier au mieux aux pentes, et extraire de quoi y survivre.
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En lien avec « feuilleter le recueil des causses »

la Sure — falaises Nord du Vercors (Vercors Nord, Engins, Isère – photographe non précisé site http://www.sentier-nature.com/
et (rappel) cet excellent écrit de Pierre Bergounioux, qui affirme que « le monde existe »…
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migrations ( RC )
Il y a des oiseaux qui se posent sur le champ
Et qu’éparpille un peu de vent;
Comme il ondule les blés dressés
Sous sa main tiède, caressés.
Il y a les oiseaux qui se suivent dans l’attente
En formations serrées, à la fin de l’été,
Et qui dessinent des nuées mouvantes,
Comme le sable poussé par les vagues de la marée.
Aussi semblables que les grains voisins,
Et pourtant différents, comme les messages
Dont ils portent les nouvelles, en passage
Migrations , des ailleurs lointains.
Les familles des cigognes, qui bâtissent leurs nids
Sur les cheminées de Lithuanie
Viennent peut-être reprendre leur place,
Fidèles, aux sommets de celles d’Alsace
C’est au dessus de la Pologne
Que passent les cigognes,
Malgré les aventures du vol, et des longs kilomètres,
On pourrait les identifier, peut-être,
Chacune à sa patte, une bague de fiançailles
A célébrer du pays, les retrouvailles.
RC – 29 Juillet 2012