W Shakespeare – Que chaque fée vagabonde à travers cette maison.
illustration: Mark Ryden
Que chaque fée vagabonde à travers cette maison.
Nous irons au plus beau des lits nuptiaux
Et il sera par nous béni:
Et la lignée qui y sera créée
Sera heureuse à tout jamais.
Ainsi ces trois couples toujours
Seront fidèles en amour;
Et les flétrissures de la nature
Devront épargner leur progéniture.
Ni tache, bec-de-lièvre ou cicatrice,
Aucune des marques funestes
Que l’on redoute à la naissance,
Ne doit atteindre leurs enfants.
Que chaque fée vienne répandre
Cette rosée sacrée des champs,
Et qu’elle bénisse chaque chambre du palais
D’une douce paix,
Et que le maître en soit béni.
William Shakespeare, Le songe d’une nuit d’été –
édition bilingue (coll. Folio Théatre/Gallimard, 2003)
traduction de l’anglais par Jean-Michel Déprats
Eric Vuillard – Qu’est-ce que c’est, un fleuve ?

photo: Jan-Joseph Stok
–
Qu’est-ce que c’est, un fleuve ? Un peu de boue et beaucoup d’eau.
De l’eau.
Cette chose qui coule.
Il y a, dans un fleuve, une multitude de vies et de morts, de chemins, une multitude de galets, de sable, de rochers, et tout ça se soutenant seul et formant une grande cicatrice où l’eau coule.
Et puis il y a les rives. Au-dessus de ce que nous sommes en secret, il y a les rives, où le fleuve quelquefois déborde, emportant tout ce qu’il peut, mais qui sont d’habitude libres, dans la lumière.
extrait de « Congo » voir les » notes de lecture »
Déposer une petite lumière – ( RC )
–
Il est un temps, où,
Apprendre à lire, s’accompagne,
De la parole, de celle des autres,
Mais aussi la porte , que l’on ouvre
A la sienne , sa propre voie(x).
Est ouvert alors l’espace,
Au bout des doigts,
Ceux qui tiennent la plume,
Ou le pinceau,
Ou le chant…
A dire ce que l’on sait,
…. Ce que l’on ressent,
De ce qui nous modèle, nous environne,
De l’effleurement d’un regard,
De la marque d’une cicatrice .
L’univers au bout des doigts, touche les couleurs.
Elles sont aussi une rêverie,
Sur les touches d’ivoire d’un piano…
Ainsi, nait, vulnérable,
Une mélodie hésitante,
Une peinture, un récit,
Une empreinte de chair,
Un trait dansé sur les nuages,
Ou reliant les étoiles,
Une parole aimante,
Aimée, parcourue,
Que l’on veut donner,
En échange, Déposer
Une petite lumière,
Ajoutée au ciel nocturne.
–
RC – avril 2014
( en relation avec un écrit de Pierre Dhainaut)
Pierre Torreilles – Où je suis
Où je suis
——–
Ordre
de ce qu’ont tu
le grand désordre évanescent,
l’oubli déchiqueté d’une mémoire souveraine,
je suis le Décillant.
Chaque épave
, gravide,
laisse à mes doigts l’écho.
…je sculpte le silence
,parole improvisée,
la montagne sonore.
L ‘oiseau est ma ponctuation.
Voici
le grand ressac,
l’ absence écrite,
sur l’ épaule du jour
la terre,
en suspens, ô bannissement ressassé !
la volonté féconde et la ténèbre qui l’accueille
le feu
de quelque encerclement.
Sans ombre le déclin
à la merci de la rupture,
le corps
bleu
maintenant qui me voit.
S ‘entre-dévorent , .
éblouissant,
la lumière et la nuit dans la parole qui sommeille.
Viennent bientôt m’habiller l’aube,
ruse,
de ses mots éloignés le silence,
le corps de l’air.
De nulle écoute l’horizon
quand accoste ma résonance.
*
Le mot,
déjà reçu,
dans mes pas
, oublié,
oblique lame sinueuse
l’éclat…
de quel sentier,
livide cicatrice?
Vacille
le miroir le fleuve où s’est réfugiée la mer.
Soudain tari
le puits,
intime appui du jour
abrupte éclosion de ma bouche sonore.
Quel fil descend
depuis l’ éther jusqu’en la terre,
s’étend au plus profond où séjourne l’éveil?
Du plus obscur survient l’imprononcé,
détrempé de lumière.
—
extrait de « Où se dressait le cyprès blanc » Gallimard 1992
–
Sylvia Plath – mort et compagnie

photo: Calcutta en ombres chinoises
Mort et compagnie
Deux, en fait ils sont deux.
Cela semble tout naturel maintenant –
l’un qui jamais ne regarde en haut, dont les yeux sont recouverts
et ramassés comme des balles comme Blake l’était
qui exhibait sa tâche comme sa marque de fabrique –
la cicatrice brûlante de l’eau,
la nudité
Vert-de-gris du condor.
Je suis une viande rouge. Son bec
frappe latéralement : je ne suis pas son encore.
Il me dit comment je photographie si mal
Il me dit comment tendrement
les bébés paraissent dans leurs glacières
à l’hôpital, une simple papillote sur le cou
puis les sons flûtent de leurs robes mortuaires ioniques
puis deux petits pieds.
Il ne sourit pas, il ne fume pas.
L’autre agit comme ses cheveux longs d’un salaud crédible
se masturbant avec éclat.
Il veut être aimé.
Je ne bouge pas.
Le gel fait une fleur,
la rosée fait une étoile,
Quelqu’un s’affaire pour cela.
–

art: tableau de robes ( Anselm Kiefer )
Zbigniew Herbert – Un nuage rouge

Un nuage rouge de poussière
provoqua cet incendie –
le coucher de la ville
au-delà de l’horizon
il faut abattre
encore une cloison
encore un choral de brique
pour effacer la douloureuse cicatrice
entre l’œil et le souvenir
les ouvriers du matin
avec leur café au lait et leurs journaux bruissant
ont ranimé l’aube et la pluie
qui tinte dans les gouttières de l’air sans vie
avec un filin d’acier
dans un silence chargé
ils hissent le pavillon
d’un espace déblayé
le nuage de poussière rouge retombe
passage du désert
à la hauteur des étages disparus
ont surgi des fenêtres hors de leur cadre
quand s’effondrera
la dernière pente
le choral de brique tombera
rien ne ruine les rêves
de la ville qui fut
de la ville qui sera
qui n’est pas
–
Hasia – Quête aveugle
Figé
ton visage marqué
un instant se retire
au creux de la solitude
exilée
à l’obscur de ton corps
parmi traces et cicatrices
intenables
Défaite des étoiles
dans la nuit immobile
l’heure livre
ses béatitudes instantanées
tandis que le fleuve du temps
sculpte notre présent
sur le versant corrodé
des survivances
Au bord du monde
nos incertitudes
enfouies dans l’absence
occupent la noirceur de la vie
seul le silence intérieur
creuse cette brèche
qui nous retient
et nous sauve un peu
en cet abri
qu’est l’amour
en nous
–Hasia
( Hasia publie ses textes dans toutelapoesie… voir ses écrits ici)
—
A. Bonois – Ta voix cueillie ce soir
Le calme à l’entour frise le parfait
Investit
Mon espace d’antinomies
Je renonce
À écouter haleter la nuit
Où est-ce toi
Qui murmure et se tait
Cette aubade de la pluie
Comment séparer le silence
De ta voix
Qui se mue en fleuve d’absence
Folie ma folie
En vain
Ton regard aux lointains
Scrute sa nostalgie
Ce temps est à la gravité
Quand l’allègre déraison
Se situe ailleurs
Où valsent les saisons
Et les lascives fleurs
Au milieu du passé…
Et voici que ta voix
Au bord de la mémoire
Rappelle à l’âme sa cicatrice
Ta voix migratrice
Qui se pose sur ma paupière
Venue d’un hier
Où dévale le présent
Dans l’étonnement
Un éternel prétexte de joie
Ta voix cueillie ce soir…
® A. Bonois.
La Fare-les-Oliviers,
le 16 juin 2012.
–