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Sabine Péglion – tu ne répares pas – 01


 

 

 

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Tu ne répares pas          à peine peux-tu             au fil des

mots     broder quelque étincelle        sur la trame des jours

Que saisir   de l’instant           pour abolir la blessure

de ses lèvres             Son sourire déchiré  si prés

de la rupture                    Tu ne répares pas

Ton regard cherche          au–delà        à transpercer le

mur       s’accrocher au sien            pour trouver   un chemin

Tisse       tisse        sans illusions         les mots sur la page

Parler       chanter          assembler        peu importe

Tu inscris        fil à fil              la douleur qui se brise

Sur la trame       tendue de couleurs       tu reprises

au mieux              Tu sais bien que rien

n’occultera la trace          L’aiguille  se faufile

insère un arc en ciel

Pour quelle alliance         En quelle espérance

Tu ne répares pas              Les mailles du filet

que peuvent–elles retenir             avec ce trou béant

Habiles les mains    circulent           tentent de resserrer

le maillage           Pour quelle      miraculeuse  pêche

Partir   alors            ne plus revenir             traverser

l’horizon           N’est-ce pas disparaître             Sous la

vague         la barque            s’enroule           le filet dérive

dans le bleu du sillage               Tu ne répares pas

Tu ne répares pas      le linge    lacéré

Éphémère végétation        Tu navigues      au-dessus

des cordes balancées      bien au-delà      des haies

Laisse       sans regrets      la violence du vent

à travers     les   déchirures        vibrer         s’engouffrer

disperser les nuages          Tu ne répares pas

Tout n’est que cicatrice         sur la peau de la

terre         Tu sais que pour      semer      il te faudra

trouver la faille obscure           déposer       les graines

recueillies en ces mots          avec tant de patience

Accepter    d’arracher        au passage      quelques ronces

Voir      enfin       s’épanouir      ces bouquets espérés

Avoines folles   de lumière    dentelées       accrochées   à la pierre

Se courbant       s’inclinant         se relevant         sans cesse

Multipliant           au vent        les rares étincelles

Tu ne répares pas        Tu façonnes        Tu transformes

Tu recueilles     Tige à tige       Fil à fil          Maille à maille

Ces mots éparpillés           Quelque ariette oubliée

Cavatine légère        accrochant         dans ses yeux

un sourire         un plaisir        le désir d’exister

 

***

 


W Shakespeare – Que chaque fée vagabonde à travers cette maison.


illustration: Mark Ryden

 

 

Que chaque fée vagabonde à travers cette maison.
Nous irons au plus beau des lits nuptiaux
Et il sera par nous béni:
Et la lignée qui y sera créée
Sera heureuse à tout jamais.

Ainsi ces trois couples toujours
Seront fidèles en amour;
Et les flétrissures de la nature
Devront épargner leur progéniture.
Ni tache, bec-de-lièvre ou cicatrice,
Aucune des marques funestes
Que l’on redoute à la naissance,
Ne doit atteindre leurs enfants.

Que chaque fée vienne répandre
Cette rosée sacrée des champs,
Et qu’elle bénisse chaque chambre du palais
D’une douce paix,
Et que le maître en soit béni.

 

William Shakespeare, Le songe d’une nuit d’été –
édition bilingue (coll. Folio Théatre/Gallimard, 2003)
traduction de l’anglais par Jean-Michel Déprats


Philippe Delaveau – Jardin du Luxembourg ( 1 )


peinture  – François Gall                    –   landeaux  au jardin du Luxembourg

 

 

Ongles blessés de mes mains vous le savez

j’ai déchiffré les cicatrices de la ville

oreilles la voix du vent vous l’avez pressentie

aux cheveux sur nous en bataille

écorce de marronnier aussi sèche que lèvres

écorce muette et nos bouches muettes

quand il fait nuit la moindre étoile émeut

ou seulement le mot étoile à sa propre fenêtre

nuit contre jour – lune pâle soleil

où nous habitons croît l’obscurité

je me promène dans les rues de Paris

mes mains scrutent le secret des pierres

je me promène dans les rues de ma tête

les yeux clos pour atteindre au secret de vie

joue contre l’arbre et yeux debout

nous affrontons notre navigation

sable en vie roule sous le bruit des pieds

l’ombre à nos pas cèle un secret

et la nuit sur la ville doucement refermée

la ville obstinément et violemment fermée

Paris erre Paris gémit dans la mémoire

avec la voix des morts et la voix des vivants

qui plus a disparu – qui plus est vivant ?

qui de vous disparaît qui infléchit le temps ?

je me perds dans les rues de Paris

mes yeux sont las mes paroles se perdent


Eric Vuillard – Qu’est-ce que c’est, un fleuve ?


photo: Jan-Joseph Stok

 

 

Qu’est-ce que c’est, un fleuve ? Un peu de boue et beaucoup d’eau.

De l’eau.

Cette chose qui coule.

Il y a, dans un fleuve, une multitude de vies et de morts, de chemins, une multitude de galets, de sable, de rochers, et tout ça se soutenant seul et formant une grande cicatrice où l’eau coule.

Et puis il y a les rives. Au-dessus de ce que nous sommes en secret, il y a les rives, où le fleuve quelquefois déborde, emportant tout ce qu’il peut, mais qui sont d’habitude libres, dans la lumière.

 

extrait de  « Congo »                         voir les  » notes  de lecture »


Déposer une petite lumière – ( RC )


 

image  Ernst Haeckel:  pollens

image           Ernst Haeckel: pollens

 

 

 

 

Il est un temps, où,
Apprendre à lire, s’accompagne,
De la parole, de celle des autres,
Mais aussi la porte ,     que l’on ouvre
A la sienne ,               sa propre voie(x).

Est ouvert alors l’espace,
Au bout des doigts,
Ceux qui tiennent la plume,
Ou le pinceau,
Ou le chant…

A dire ce que l’on sait,
….                          Ce que l’on ressent,
De ce qui nous modèle,       nous environne,
De l’effleurement       d’un regard,
De la marque         d’une cicatrice .

L’univers au bout des doigts,   touche les couleurs.
Elles sont aussi une rêverie,
Sur les touches d’ivoire       d’un piano…
Ainsi, nait,                         vulnérable,
Une mélodie hésitante,

Une peinture,       un récit,
Une empreinte de chair,
Un trait dansé   sur les nuages,
Ou reliant les étoiles,
Une parole aimante,

Aimée,        parcourue,
Que l’on veut donner,
En échange,               Déposer
Une petite lumière,
Ajoutée         au ciel nocturne.

RC  –  avril 2014
( en relation avec un écrit de Pierre Dhainaut)


Pierre Torreilles – Où je suis


photo perso: rochers en Margeride

photo perso: rochers en Margeride

 

 

Où je suis
——–
Ordre
de ce qu’ont tu

le grand désordre évanescent,
l’oubli déchiqueté d’une mémoire souveraine,
je suis le Décillant.

Chaque épave
, gravide,
laisse à mes doigts l’écho.
…je sculpte le silence
,parole improvisée,

la montagne sonore.

L ‘oiseau est ma ponctuation.

Voici
le grand ressac,
l’ absence écrite,

sur l’ épaule du jour
la terre,
en suspens, ô bannissement ressassé !
la volonté féconde et la ténèbre qui l’accueille

le feu
de quelque encerclement.

Sans ombre le déclin
à la merci de la rupture,
le corps
bleu
maintenant qui me voit.
S ‘entre-dévorent , .
éblouissant,
la lumière et la nuit dans la parole qui sommeille.

Viennent bientôt m’habiller l’aube,
ruse,
de ses mots éloignés le silence,

le corps de l’air.
De nulle écoute l’horizon
quand accoste ma résonance.
*
Le mot,
déjà reçu,
dans mes pas
, oublié,
oblique lame sinueuse
l’éclat…
de quel sentier,
livide cicatrice?
Vacille
le miroir le fleuve où s’est réfugiée la mer.

Soudain tari
le puits,
intime appui du jour
abrupte éclosion de ma bouche sonore.

Quel fil descend
depuis l’ éther jusqu’en la terre,
s’étend au plus profond où séjourne l’éveil?
Du plus obscur survient l’imprononcé,
détrempé de lumière.

extrait de  « Où se dressait le cyprès blanc  »  Gallimard  1992

 


Sylvia Plath – mort et compagnie


photo:           Calcutta en ombres chinoises

Mort et compagnie

Deux, en fait ils sont deux.
Cela semble tout naturel maintenant –
l’un qui jamais ne regarde en haut, dont les yeux sont recouverts
et ramassés comme des balles comme Blake l’était
qui exhibait sa tâche comme sa marque de fabrique –
la cicatrice brûlante de l’eau,
la nudité
Vert-de-gris du condor.
Je suis une viande rouge. Son bec
frappe latéralement : je ne suis pas son encore.
Il me dit comment je photographie si mal

Il me dit comment tendrement
les bébés paraissent dans leurs glacières
à l’hôpital, une simple papillote sur le cou
puis les sons flûtent de leurs robes mortuaires ioniques
puis deux petits pieds.

Il ne sourit pas, il ne fume pas.
L’autre agit comme ses cheveux longs d’un salaud crédible
se masturbant avec éclat.
Il veut être aimé.

Je ne bouge pas.
Le gel fait une fleur,
la rosée fait une étoile,
Quelqu’un s’affaire pour cela.

art:         tableau de robes ( Anselm Kiefer )


Zbigniew Herbert – Un nuage rouge


Un nuage rouge de poussière
provoqua cet incendie –
le coucher de la ville
au-delà de l’horizon

il faut abattre
encore une cloison
encore un choral de brique
pour effacer la douloureuse cicatrice
entre l’œil et le souvenir

les ouvriers du matin
avec leur café au lait et leurs journaux bruissant
ont ranimé l’aube et la pluie
qui tinte dans les gouttières de l’air sans vie

avec un filin d’acier
dans un silence chargé
ils hissent le pavillon
d’un espace déblayé

le nuage de poussière rouge retombe
passage du désert

à la hauteur des étages disparus
ont surgi des fenêtres hors de leur cadre
quand s’effondrera
la dernière pente
le choral de brique tombera
rien ne ruine les rêves

de la ville qui fut
de la ville qui sera
qui n’est pas

 


Hasia – Quête aveugle


 

Figé

ton visage marqué

un instant se retire

au creux de la solitude

 

exilée

à l’obscur de ton corps

parmi traces et cicatrices

intenables
Défaite des étoiles

dans la nuit immobile

l’heure livre

ses béatitudes instantanées

 

tandis que le fleuve du temps

sculpte notre présent

sur le versant corrodé

des survivances
Au bord du monde

nos incertitudes

enfouies dans l’absence

occupent la noirceur de la vie

 

seul le silence intérieur

creuse cette brèche

qui nous retient

et nous sauve un peu

 

en cet abri

qu’est l’amour

en nous

 

–Hasia

( Hasia publie ses textes  dans  toutelapoesie…  voir ses écrits ici)


A. Bonois – Ta voix cueillie ce soir


montage perso 2011

 

Le calme à l’entour frise le parfait
Investit
Mon espace d’antinomies
Je renonce
À écouter haleter la nuit
Où est-ce toi
Qui murmure et se tait
Cette aubade de la pluie
Comment séparer le silence
De ta voix
Qui se mue en fleuve d’absence

Folie ma folie
En vain
Ton regard aux lointains
Scrute sa nostalgie
Ce temps est à la gravité
Quand l’allègre déraison
Se situe ailleurs
Où valsent les saisons
Et les lascives fleurs
Au milieu du passé…

Et voici que ta voix
Au bord de la mémoire
Rappelle à l’âme sa cicatrice
Ta voix migratrice
Qui se pose sur ma paupière
Venue d’un hier
Où dévale le présent
Dans l’étonnement
Un éternel prétexte de joie
Ta voix cueillie ce soir…

® A. Bonois.
La Fare-les-Oliviers,
le 16 juin 2012.