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Ilarie Voronca – rien n’obscurcira la beauté du monde


Rien n’obscurcira la beauté de ce monde
Les pleurs peuvent inonder toute la vision. La souffrance
Peut enfoncer ses griffes dans ma gorge. Le regret,
L’amertume, peuvent élever leurs murailles de cendre,
La lâcheté, la haine, peuvent étendre leur nuit,
Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.

Nulle défaite ne m’a été épargnée. J’ai connu
Le goût amer de la séparation. Et l’oubli de l’ami
Et les veilles auprès du mourant. Et le retour
Vide du cimetière. Et le terrible regard de l’épouse
Abandonnée. Et l’âme enténébrée de l’étranger,
Mais rien n’obscurcira la beauté de ce monde.

Ah ! On voulait me mettre à l’épreuve, détourner
Mes yeux d’ici-bas. On se demandait : « Résistera-t-il ? »
Ce qui m’était cher m’était arraché. Et des voiles
Sombres, recouvraient les jardins à mon approche
La femme aimée tournait de loin sa face aveugle
Mais rien n’obscurcira la beauté de ce monde.

Je savais qu’en dessous il y avait des contours tendres,
La charrue dans le champ comme un soleil levant,
Félicité, rivière glacée, qui au printemps
S’éveille et les voix chantent dans le marbre
En haut des promontoires flotte le pavillon du vent
Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.

Allons ! Il faut tenir bon. Car on veut nous tromper,
Si l’on se donne au désarroi on est perdu.
Chaque tristesse est là pour couvrir un miracle.
Un rideau que l’on baisse sur le jour éclatant,
Rappelle-toi les douces rencontres, les serments,
Car rien n’obscurcira la beauté de ce monde.

Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
Il faudra jeter bas le masque de la douleur,
Et annoncer le temps de l’homme, la bonté,
Et les contrées du rire et de la quiétude.
Joyeux, nous .marcherons vers la dernière épreuve
Le front dans la clarté, libation de l’espoir.
Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.


photo Renaud Camus


Venise en hiver – ( RC )


voir site

As-tu encore des souvenirs
du film de Visconti ,
de Venise en hiver,
de la neige sur les gondoles
alignées sur les pontons de bois ?

Plutôt que des photographies,
tu en fis un carnet de voyage,
avec des traits subtils
les traces versatiles
de lavis poursuivant les nuages.

La ville est silencieuse
dans ses habits d’ocre rouge,
et des palais aux colonnes de marbre
penchés sur la lagune
comme à regret.

La Salute est en équilibre,
un peu effacée par la brume.
Elle a abandonné ses reflets
à la matité d’un hiver
couronnant les rives de gel.

Tout est immobile,
le silence est dans le cœur
de la terre et du ciel,
les pieds dans la vase et les flots
sans qu’on en voie les limites.

C’est un instant prélevé sur l’éternel,
où tout ce qui scintille
s’évanouit dès qu’on approche la main.
Tu nous décriras San Michele,
le cimetière en dehors de la ville

où les poètes
dans leur profond sommeil
ne sont pas dérangés par les touristes
venus pour le Carnaval ,
les vaporetti du Grand Canal.

Les peintres n’ont pas de mots
pour dire la beauté des lieux
traversés par les siècles
et la ville qui doucement sombre
dans le miroir les eaux.

RC

( texte en rapport avec l’ouvrage de dessins de Jean-Gilles Badaire  » Venise » )


les grands ifs – ( RC )


ifs de la place de l’église d’Hurigny

Regrettes-tu de n’être
pas immortel ?
Où tu pourrais côtoyer peut-être
au milieu des cieux
les demi-dieux ,
les voir de près
si tu décollais de terre
si , aussi, tu t’élances
au-dessus des cyprès

et redoubles de patience –

Les grands ifs
puisent leur sang
dans la terre…
ils ont le temps
de balayer la lumière,
de leur tête verte.

Leur règne est végétatif ,
leur vie est ouverte
à tous les temps
tous les dehors.
Ils ont bien autre chose à faire
que de t’écouter,
toi qui voulais leur parler
depuis le cimetière
et te lamentes sur ton sort…

Il est vrai que ta vie n’est pas parée d’ailes,
et ne possède qu’un court avenir …
mais qu’y faire ?


Toussaint – Susanne Derève –


Pierre Rochereau – cimetière de Léhon

.

Ne parle pas de chrysanthèmes

c’est Toussaint

Ne me parle pas des pierres

c’est cimetière

La mort est un jour sans fin

et la faim me tenaille de vivre

encore

A Toussaint autrefois

c’était toujours Dimanche

parmi les fleurs

Maman se serrait contre moi

j’étais la chaleur des corps ensevelis

contre le sien     un bouclier ardent

Je faisais face au poids charnel

du chagrin      aux servitudes de l’oubli

Nos pas crissaient dans les allées

et les fleurs immobiles taisaient

lentement  leurs couleurs

Moi, pendue à son bras  

spectateur  du tendre  passé

je ne voulais pas que s’étiole l’amour

Je priais qu’il dure toujours    

.

.    

                                                                           


Tsadur Berberian – au cimetière du quartier arménien


photo Massimo Ferrero

Quand je mourrai un jour, emmenez-moi dans le cimetière du quartier arménien
et en silence, rendez-moi à la patrie.
Car elle est sainte, pure, comme mon sel et le sang
Elle le gardera dans son sein jusqu’à sa mort.

Quand le cercueil descendra dans le trou glacial,
Semez de la terre sur le côté et laissez-la telle quelle.
Pas d’oraison, pas de prière, pas de cris d’angoisse,
mais mettez seulement une rose sur ma tombe pour me sourire en silence.

Parce que je n’ai jamais vu un sourire ou un mot ,
qu’il soit important, pour eux d’essayer d’apaiser ma douleur en silence.
Mais malgré ma bonté, j’ai reçu des flèches acérées.
Des flèches pointues, des agrafes, qui m’ont transpercé sans pitié.

Je ne veux pas qu’ils s’approchent de mon monticule,
Et avec des mots maquillés , me transpercent à nouveau.
Qu’ils me laissent partager ma douleur avec nos saints,
Qui sont tombés menottés pendant les jours sombres d’avril.

voir le site de poésie arménienne


Rituel – ( RC )


Dissection de l'appareil respiratoire du lapin - YouTube

 

Le poids de l’histoire
se referme dans un soir
où son corps s’offre au sacrifice,
bientôt, tas d’immondices.

Le prêtre accomplit sa fonction,
après quelques génuflexions
pointe son couteau
à la jonction des peaux .

Une rapide entaille,
une fontaine ruisselante,
( pendant que tout le monde chante ) ;
>        recueillons le sang avant qu’il ne caille…!

Elle a le temps d’ imaginer son cadavre
ouvert en son milieu,
révélant des secrets inavouables,
dans ce cimetière graisseux .

Quelques livres de chair,
qui se lisent à l’envers,
ouvert,         le sachet de viande animale
– un nu on ne peut plus intégral –

où tout apparaît à découvert:
les muscles et leurs attaches,
la viande qui se relâche
les cartilages bleutés, les os et les viscères.

Le rituel ne tolère        aucun remords
l’action s’est déroulée sans repentir,
            on pourra bientôt lire l’avenir
                                      à travers la mort !

Fi du corps et de ces éléments inutiles ! ;
——–>      il faut aller à l’essentiel,
c’est un instant de grâce subtile
     ( on bénit son âme montée au ciel ).

Célébrons la Puissance Divine !
que Sa volonté s’accomplisse !
soit béni aussi,    son sang         pour la fertilité
les récoltes abondantes,             et la fécondité !

D’habitude ce sont des animaux
sacrifiés pour la science :
là, elle a donné son corps en pleine conscience,
il n’est pas l’heure d’états d’âme sentimentaux…

Allons ! Allons !             le temps presse!
…        on attend que les suivants
arrivent ,                 modestes et resplendissants
( une dizaine suffira avant la Messe ! ).

RC- dec 2019


Objets trouvés – ( RC )


éclat d'obus

 

 

L’heure n’est pas à la lumière,
ce sont ces années amères
qui ne font qu’attendre
le corps en cendres .

On peut offrir à mes enfants
ce qu’on ne peut ensevelir
– ces drôles de « souvenirs » –
un éclat d’obus, quelques dents
éparpillées dans le champ
( qualifié d’honneur ) – cette aire
maintenant déserte, témoin d’une guerre
où se sont mêlés les sangs

comme les barbelés
les vies arrachées
que l’on retrouverait
si on le voulait ,
profondément enfouis dans la terre.
Elle recouvre l’amnésie des lendemains
où les restes humains
peuplent ce cimetière .

RC –  janv  2020


Immortelles – Rendez-vous de Novembre ( SD/RC)


 

cimetière marin de Talmont sur Gironde Christian COULAIS
Chrysanthèmes – photo C. Coulais

 

 

Ce sont des fleurs glacées

qu’on offre par brassées                 

à des jardins de pierres

 

ces cimetières frileux                 

antichambres aux adieux

des drames ordinaires

 

ces fleurs que la Camarde

accueille goguenarde

au coin d’un marbre noir

 

qu’on abandonne au vent

au grésil aux tourments

d’un sombre purgatoire    

 

ce sont les fleurs perdues                                                         

des amours éperdues

hommages dérisoires                        

 

tendus comme des mains

aux souvenirs défunts

aux ponts de la mémoire

 

corolles sans parfum                                                                        

sans pétales et sans tain

que la lumière captive                                         

                                                        

d’un Novembre morose

habille  d’ors et de roses                                

tel un baiser de  givre   

 

une douleur éclose

au parterre  où reposent

dans l’étreinte du soir

 

ces blanches immortelles

des regrets éternels

comme des encensoirs                                       SD 02 2017

 

 

C’est le rendez-vous de novembre,
celui des rendez-vous manqués.

On dépose sur le marbre,
des brassées de chrysanthèmes

et parfois des roses
devant les stèles grises :

peut-être que les morts
comprennent le langage des fleurs

ou voudraient prolonger leur vie,
d’où la couleur s’enfuit.

Une offrande ultime:
D’autres se décomposent en résine.

Le jardin de pierres,
se rappelle des vivants d’hier

Les tombes sont des demeures de silence,
elles se fichent des assauts du lierre,

des allées de gravillons blancs,
comme des saisons sur la terre .

Pour se rafraîchir la mémoire,
on a gravé les patronymes :

Il y a comme un arbre généalogique,
qui se penche sur la famille,

des ancêtres
jusqu’aux lointaines cousines…

Tout cela bien aligné
dans les allées numérotées.

En ce qui me concerne
je ne serai pas locataire

d’un caveau six pieds sous terre…
et si tu viens un jour de novembre

tu pourras t’en retourner,
il y a longtemps que je serai parti en fumée :

je ne participe pas au décor :
pas de crime, pas de corps :

même la police, en automne
ne trouvera pas d’indices de notre homme :

si tu en cherches la raison , la clef est dans ce poème   (car j’ai toujours détesté les chrysanthèmes)…

RC    02 2018

 

 


Des pierres serrées les unes contre les autres – ( RC )


Civaux Nécropole mérv 06 bstr

photo perso 2019  – Nécropole de Civaux ( Vienne )

            Il y a ces pierres dressées,
serrées les unes contre les autres.
         Elles forment une barrière,
peut-être pour empêcher
les vivants de passer .

C’est la traversée des voyages,
           le temps s’est inversé,
les sarcophages se sont ouverts,
des corps en sont sortis,
illuminés.

C’est bien d’ici qu’un peuple
s’est souvenu de son histoire,
s’est reformé, a reconquis un bout de terre,
a confronté son sang
au retour de lumière.

C’est pourquoi ils n’avaient plus besoin,
                      de leur boîte en pierre .
Ils ont dressé les lourds couvercles
à la verticale
pour en interdire l’accès.

On ne sait ce qu’ils sont devenus.
Ils se sont mélangés aux vivants,
sans doute pour leur conter des choses,
– des histoires de métempsychose..
              > on a perdu leur trace .

C’est qu’ils se sont fondus dans la masse,
            portant un masque d’homme .
Pour ne pas nous effrayer,
           ils sont entrés dans la danse ;
chacun croit que c’est notre descendance.

Mais         ceux-ci sont éternels :
ayant trouvé moyen de remonter le temps,
ils ont signé notre acte de naissance
répandu un tout petit peu de sang
sur le sol et la poussière.

Plus personne ne les pleure
– ou ne leur apporte des fleurs –
         quelqu’un aurait oublié une auréole
         dans un tombeau de la nécropole
où elle luit faiblement.

            Personne ne l’a réclamée :
le cimetière est désaffecté .
           Si il y a parmi nous des anges,
            ils restent très discrets,
ne voulant pas qu’on les dérange….


RC – oct 2017

cf   nécropole de Civaux ( Vienne )cf   nécropole de Civaux ( Vienne )


La tombe de l’écrivain – ( RC )


Heiner Mueller Grave Berlin 3 2013 am-grab-von-heiner-mueller-a313f54e-7c62-4d32-beb5-b15dd0557757
provenance photo: philippocock.net

 

Il y aura un cube de grès rose,
dressé               en lisière des bois,
une borne, à priori des plus banales,
( qui n’est pas kilométrique  ).

En effet        on s’y repose,
aussi bien      on s’y assoit,
quoi de plus normal,
après la gymnastique.

Certains y laissent
quelques souvenirs,
de petits cailloux,
une canette de bière.

Les amoureux s’y pressent,
en mains et en soupirs .
C’est le lieu du rendez-vous,
plus que de la prière.

La mousse s’y incruste,
le lierre prolifère,
Pourtant ce volume  ne porte
pas de  date , mais des noms gravés.

Ce n’est         pas un buste,
Mais        une simple pierre,
posée de la sorte,
juste au bout de l’allée.

Entourée d’herbe verte,
et de pins qui penchent,
elle marquerait le dernier lit,
du célèbre écrivain :

une tombe offerte
comme           une page blanche
qui attendrait encore des écrits,
confiés              à d’autres mains .

Echappée de l’enclos
étroit du cimetière
on viendrait comme dans la supplique
de Brassens, y faire d’affectueuses révérences

Entre le ciel et l’eau
A moitié enfouie dans la terre
discrète                     et monolithique ,
prolongeant dans le temps, son acte de silence .

RC – fev 2016


Tout gravite sur l’immobile – ( RC )


www.lamontagne.fr - A la Une - AIGUEPERSE (63260) - François Lassere révolutionne l’art funéraire en proposant de personnaliser son cercueil:

voir  article de « la montagne »

—-

Chaque ville  a ses particularités..
Là,        tout  gravite  sur l’immobile,
Derrière des rubans noirs et argentés,
Un échantillonnage  complet d’urnes en file.

Ambiance propice à la concurrence  entre deuils,
Chacun vante la qualité des cercueils,
juxtaposés sur les  rayonnages,
quelquefois empilés, faute de place à l’étalage.

Leur confort capitonné,       – bien tentant
Le choix des étoffes, allant du cru :
– des couleurs intenses pour ceux qui ont vécu ..
(-  plus tendres pour les enfants)…

Et la place de s’y glisser,
sans être à l’étroit…
L’ergonomie étudiée:
Le tout doit être         de choix  :

Angles  subtilement vernis ;
Des bois veinés, les meilleurs
Des poignées aux  formes arrondies …
Un look confié aux meilleurs  designers…

Certaines de ces boîtes allongées,
possèdent une  fenêtre arrondie,telle
qu’au verre biseauté,
l’écho de la lueur des chandelles…

On peut y voir à travers
le visage du défunt ;        vérifier sa présence
C’est            un dernier témoin d’existence
avant qu’il n’occupe son dernier univers :

Un sombre caveau, bien ordonné
encadré  d’allées  gravillonnées,
et au dessus duquel prolifèrent
couronnes , bouquets et objets divers…:

Les plaques aux regrets sincères,
des signes affirmés d’appartenance religieuse
–   ( cocher la version pieuse ) …
>       Les boules de verre

où une rose en plastique
est maintenue prisonnière,
et brille sur la pierre,
à la gravure emphatique.

Ou bien  ( selon les deniers ) ,
marquant la dernière volonté,
le granite luisant,  où se reflètent,
des cyprès,     les  crètes…

Les boutiques rivalisant  d’ingéniosité,
Proposent aussi    des produits recyclés,
( ayant accompagné  d’autres vies )
–   avec un souci affiché  d’écologie   –

Les cercueils les plus innovants,
comportent toutes options pouvant,
joindre la fantaisie et l’imaginable
un peu comme les  voitures  ( climatisables) :

Les dispositifs  d’aération
– télécommandés -,( mais sur option )
Le diffuseur « parfum subtil »;
Les roulettes  rétractiles,

Les suspensions hydrauliques,
Le profil aérodynamique,
Avec parfois des tiroirs,
Pour les petits objets de la mémoire…

On peut y glisser des voeux,
Ou des piécettes, facilitant,
c’est  sûr, le passage élégant
vers un au-delà heureux…

Toute  métempsychose souhaitée,
Peut  faire l’objet d’une médaille  animalière,
Que l’on dispose sur la bière,
dans un emplacement réservé ,

généralement  sur un côté vertical…
C’est  dire  que l’on n’oublie aucun détail,
chacun exerçant ses prières,
– et réservant son suaire…

Le décès est vécu comme une promesse,
Et on quitte la vie  avec allégresse ;
et puis … pour ces  circonstances;
On ne regarde pas à la dépense.

La mort ainsi mise en scène,
En vaut toujours la peine:
pour ces actions souterraines,
c’est pour l’éternité ( quand même ! )…

On ne va pas se faire prier
Pour se faire enterrer…
quel est votre avis ?
( ça n’arrive  qu’une  fois  dans sa vie !  )

–    enfin justement  quand  elle n’est plus là   –
ce que l’on nomme le trépas
après une  durée assassine…
ce qu’il faut pour alimenter les racines

et laisser le temps,
faire que les petits enfants,
n’aient plus  qu’en tête,
de devenir un jour squelette…

( se rappelant un jour les ancêtres,
dont l’âme flottante,      peut-être ,
veille  sur  le petit  quadrilatère,
de location,           au cimetière ).


RC

(  si ça  vous inspire )…  

je n’ai pas  dit  vous expire, notez bien…


Miguel Hernandez – Même si tu n’es pas là


 

photo  Francesco Borrelli

photo: Francesco Borrelli

 

MÊME SI TU N’ES PAS LÀ

Même si tu n’es pas là, mes yeux
de toi, de tout, sont remplis.
Tu n’es pas née à une seule aube,
à un seul couchant je ne suis pas mort.
Le monde est plein de toi
et nourri, le cimetière
de moi, par toutes les choses,
de tous les deux, par tout le peuple.
Dans les rues je vais laissant
quelque chose que je ramasse :
morceaux de ma vie
perdus depuis longtemps
Je suis libre dans l’agonie
et je me vois emprisonné
dans les seuils resplendissants,
resplendissants de naissances.
Tout est plein de moi :
de quelque chose qui est à toi et souvenir
perdu, mais retrouvé
quelques fois, quelques temps.
Temps qui reste derrière
résolument noir,
d’un rouge indélébile,
doré sur ton corps.
Tout est plein de toi,
transpercé de tes cheveux :
de quelque chose que je n’ai pas obtenu
et que je cherche entre tes os.

 

 

 

AUNQUE TU NO ESTAS

Aunque tú no estás, mis ojos
de ti, de todo, están llenos.
No has nacido sólo a un alba,
sólo a un ocaso no he muerto.
El mundo lleno de ti
y nutrido el cementerio
de mí, por todas las cosas,
de los dos, por todo el pueblo.
En las calles voy dejando
algo que voy recogiendo :
pedazos de vida mía
perdidos desde muy lejos.
Libre soy en la agonía
y encarcelado me veo
en los radiantes umbrales,
radiantes de nacimientos.
Todo está lleno de mí :
de algo que es tuyo y recuerdo
perdido, pero encontrado
alguna vez, algún tiempo.
Tiempo que se queda atrás
decididamente negro,
indeleblemente rojo,
dorado sobre tu cuerpo.
Todo está lleno de ti
traspasado de tu pelo :
de algo que no he conseguido
y que busco entre tus huesos.

Cancionero y romancero de ausencias (1938-1942)

Avec la citation de  ce poète  espagnol,  dont on peut  trouver d’autres  textes  et leur  traduction sur le site « Fibrillations »...

je ne peux  m’empêcher de faire  le  rapprochement  avec mon propre texte , qui a un titre, et un esprit très approchant.  RC


Leopold Sédar Senghor – Prière de paix


Sculpture romane –     église de Ste Marie et St.David,   Kilpeck.          England

 

Voilà que le serpent de la haine lève la tête dans mon coeur, ce serpent que j’avais cru mort…
Tue-le, Seigneur, car il me faut poursuivre mon chemin, et je veux prier singulièrement pour la France.
Seigneur, parmi les nations blanches, place la France à la droite du Père.
Oh ! je sais bien qu’elle est aussi l’Europe, qu’elle m’a ravi mes enfants comme un brigand du Nord des bœufs, pour engraisser ses terres à cannes et coton, car la sueur nègre est fumier.
Qu’elle aussi a porté la mort et le canon dans mes villages bleus,
qu’elle a dressé les miens les uns contre les autres comme des chiens se disputant un os
Qu’elle a traité les résistants de bandits, et craché sur les têtes-aux-vastes-desseins.
Oui, Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques
Qui m’invite à sa table et me dit d’apporter mon pain, qui me donne de la main droite et de la main gauche enlève la moitié.
Oui, Seigneur, pardonne à la France qui hait les occupants et m’impose l’occupation si gravement
Qui ouvre des voies triomphales aux héros et traite ses Sénégalais en mercenaires, faisant d’eux les dogues noirs de l’Empire
Qui est la République et livre les pays aux Grands Concessionnaires
Et de ma Mésopotamie, de mon Congo, ils ont fait un grand cimetière sous le soleil blanc.

L.S. SENGHOR, Hosties Noires, 1948


Enzo Corman – précipitation


dessin perso: encre de chine

dessin perso: encre de chine

précipitation

il pleut je sais
de quoi ça parle flots de bile discours
fleuve il pleut des chiens des pierres des
discordes parole de flaque nom d’un chat
la pluie se noie dans un verre d’eau
à quand l’étincelle qui mettra le feu au lac
au temps des vinyles ne pleut qu’en face b
tout de façade notre accord sonne majeur franc et massif
élection de l’alter ego au suffrage unilatéral
il pleut des bouts de tout pour rien

mettons qu’il pleuve c’est à pleurer
pas si tu lis entre les lignes
voyons nous deux c’est pas seulement
le titre du torchon que lit ta mère en cachette de ton vieux
ça pleut dans l’hlm à verse et quand tu veux tu peux — la preuve par la vie
rongée par tous les bouts — ça fuit de partout mais tu es à l’âge
où on s’en fout pas vrai

tu t’la coules douce bébé la pluie fait des claquettes moi je suis
claqué la vie pleurniche qu’elle a pas l’temps
qu’elle a pas l’choix qu’elle a pas eu ce qu’y fallait pour en particulier comme
en général
le mode d’emploi est tombé dans le puits notre idylle est à l’eau
un et un font deux verres sales et une bouteille vide
un robinet qui goutte un roman qui renifle
d’amour et d’eau sale de l’eau dans le gaz
sombrons corps et biens dans le lac d’indifférence

l’immense majorité de l’humanité se baigne tous les jours dans le même fleuve
la coupe pleine de toute éternité
sommes liquidés dès l’amniotique trempés essorés
la vie est un torrent poissons dans les deux sens le saumon croise la truite
ne cherchez plus il n’y a ni début ni fin
je pleus tu pleus nous pleuvons ils pleurent
haut bas fragile mais c’est égal
éclats d’éclaboussures tout n’est qu’éclaboussure
la lune dans la flaque la flaque dans
la nuit le ciel le cimetière l’arrosoir abandonné
il pleut de la lune du glas des regrets éternels
cordes pleuvant et nœuds coulants
coupe pleine depuis toujours déjà
précipitations désamoureuses sur lit atmosphérique
cataracte tempête

liquidation


Czeslaw Milosz – Rien de plus


Jangarh Singh Shyam - Un paon

Rien de plus

…………

Si j’avais pu décrire comment les courtisanes vénitiennes


Avec un roseau taquinent un paon dans la cour


Et du brocart mordoré, des perles de leur ceinture,


Délivrent leurs seins lourds, si j’avais pu dépeindre


La trace rouge de la fermeture de la robe sur leur ventre


Tels que les voyait le timonier de la galère


Débarqué au matin avec son chargement d’or,


Et si, en même temps, j’avais pu trouver pour leurs os,


Au cimetière dont la mer huileuse lèche les portes,


Un mot les préservant mieux que l’unique peigne


Qui, dans la cendre sous une dalle, attend la lumière,



Alors je n’aurais jamais douté. De la matière friable


Que peut-on retenir ? Rien, si ce n’est la beauté.


Aussi doivent nous suffire les fleurs des cerisiers


Et les chrysanthèmes et la pleine lune.



Czeslaw Milosz

Voir aussi par rapport au texte  de Milosz  la belle  création  de Manouchka  ( à la hauteur des mots)…  voir ici

 

Quant à moi,  sur la peinture  de van Gogh j’ajoute ceci:

En chemin vers l’été

La voûte d’Azur  de Vincent

Offre ses dons fleuris d’amandiers

 

RC  4- avril 2012

peinture: V Van Gogh, branches d'amandiers en fleurs


Maryline Desbiolles – la rue du cimetière


 

peinture: Andy Pankhurst

 

 

 

 

je prends la rue du cimetière
pour ce seul pan de mur avec les cyprès qui dépassent
ce seul mur de seules pierres blanches
qui troue les immeubles de sa lumières horizontale

la ville à nouveau
s’est élargie on respire
juste quelques plaques de neige très grise la neige m’a laissée sans
voix
je parle pourtant de ce que je vois mais mieux sans doute de ce que
je vois tous les jours comme si à force
de m’y cogner je creusais
en moi-même  au lieu de n’être qu’éblouie

j’arrive pas j’arrive
pas à m’arrêter vais dans tous les sens galope suis pressée galope
me  laissant entraîner comme une pierre par son propre poids et
même
peut-être redoutant de m’arrêter
redoutant
de ne plus traverser le vide seulement traverser le vide
mais de le recevoir tout d’un coup
en entier sur la figure

Je ferme les yeux le plus profond possible je n’ai pas moins d’agitation simplement
elle est plus au fond elle me fait presque
mal ainsi resserrée
en boule sous la cendre
je lave du linge à l’eau froide ça me remet du frais à l’âme

MARYLINE  DESBIOLLES

extrait de la revue ENTAILLES n°22

 


Valerie Rouzeau – pas revoir – B


photo perso; coucou au vallon du Villaret – Lozere – printemps 2011

 

 

Une fourmi à ma chaussure je la regarde comme elle danse
sur le lacet sans avoir peur.

Elle sera tombée d’herbes folles ou de mon bouquet de coucous qui lourdit mesure que j’avance.
Je quitte la pompe et je la souffle elle a une si petite vie noire.
Elle m’aurait chatouillé les pieds peut-être fait rire toute seule
sur la route du cimetière comme si c’était moi comme si c’était elle.


Hans Christoph Buch – Savane Zombi


Hans Christoph Buch

 

un extrait ( début) de son texte  SAVANE ZOMBI, paru au « Serpent à Plumes) revue: n° 15 – Printemps 1992

 

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« Il n’est pas mort, il dort ; il ne dort pas, il est mort. »

(Épitaphe anonyme)

 

HAÏTI, J’AI RENCONTRÉ MA MORT. La mort est un travesti ; son visage est maquillé en noir et blanc et il porte un frac noir avec une veste blanche sous laquelle se dessinent des seins de femme, un chapeau melon et de brillants souliers vernis à la mode du siècle dernier.

Entre les doigts de sa main droite où des bagues étincellent, il fait tournoyer une canne tandis que de la main gauche il ôte son chapeau, un sourire découvrant ses dents, pour saluer les participants du cortège de carnaval ;

 

 

peinture : F de Goya l'enterrement de 1793

tambour-major il défile à leur tête sous un calicot portant l’inscription : « Le peuple s’amuse trop ! » *, suivi par gardiens du cimetière et fossoyeurs qui, avec des pelles et des seaux vides,. font une musique à vous fracasser les oreilles. Son nom est le Baron Samedi et il est le seigneur de cette folle agitation, un roi sur le royaume duquel le soleil se lève et se couche sans relâche, car en Haïti le carnaval ne connaît pas de trêve, fête bruyante où, en guise de caramels et de confettis, pleuvent le sang et l’excrément, et au point culminant de laquelle la mort enceinte accouche, sous les applaudissements du public, d’une foule de  morts minuscules, jusqu’à ce qu’une averse tropicale

 

emporte les ordures dans l’égout afin que puisse recommencer la ronde de mort et de naissance.

 

 

 

peinture : Francesco Del Cairo