Philippe Delaveau – marcher

Marcher parfois longtemps dans la prairie du vent.
Ses bottes malmènent les fleurs,
l’herbe aux rêves de voyage.
Puis le petit village près d’un bois.
L’harmonica d’une eau rapide qui se cache
pour voir le ciel et l’ombre, et les cailloux
entraînés de ferveur, sur leurs genoux qui brûlent.
Entendre alors la persuasion très tendre
et douce d’un oiseau qui solfie les mesures
d’une clairière. Deux fois peut-être. Puis se tait. Se dissout
dans la perfection pure et simple du silence.
Luis Cardoza Y Aragon – Cité natale
CITE NATALE ( Guatemala-la-Vieille )

Le grincement d’un grillon ouvre une porte
sur un ciel de conte de fées.
Tu surgis, les chemins creusent ton lit, navigable Solitude.
Le temps n’existe pas; être… Tout est déjà !
Jours d’un autre monde. Ciel sans rêve : paupières
Nuits comme d’obscurs bâillements, immobiles…
au centre de toutes les heures, indélébiles, infinies, et mûres.
Toi, malhabile, sur un trapèze
accroché à un jour et à une nuit
très hauts, profonds et sans maître,
te balançant largement, lentement,
ruminant tes monologues de fumée.
Car tu n’es que l’écho
de ton ombre sans corps,
écho de lumière, ombre de voix, très loin.
Quand atteindras-tu la surface
de la terre, du ciel ou de la mer,
depuis cette route où tu vas, nocturne,
vers le soleil de limbes innocents
qui t’attend, mais oublié déjà,
debout, endormi comme un phare,
en quelle péninsule d’ombre ?
Distance parallèle au regard :
rafales d’infini, ailes coupées,
coups de vent dans les rues.
Haut zénith parvenant de l’autre côté
en criant : « Oui » dans les paratonnerres.
Nadir, tourbillon de routes nocturnes,
porte voix de tombe hurlant : « Non ».
Toi, au milieu, comme une marguerite
de « jamais plus », perdue en tes oracles.
Tu clignotes parfois : jours, nuits…
Tu t’oublies… Soudain, cinq,
vingt jours ensemble, comme un éboulement ;
trois, quatre nuits télescopées
avec une étrange violence obscure.
Un songe de méduses et de cristaux
de part en part traversent les miroirs :
on sait de quoi sont faits
les chants des oiseaux,
ceux de l’eau, occultes et diaphanes.
On entend grandir les ongles de tes morts,
jaillir tes sources qui portent
en dansant un temps d’or sans arête
et sans valeur ;
tes jours évanouis sur des coussins
de douceur et d’ennui,
et mes cris qui brésillaient
avec une lente et croissante résonance
d’arcades et de coupoles.
Ne bouge pas, le vent pleurerait.
Ne respire pas, ton équilibre
d’arentelle se briserait
Ainsi, telle qu’en mon souvenir,
qui te reconnaîtrait ?
Ange des orties et des lys,
ne bouge pas, car je t’aime ainsi :
lunaire, mentale, intacte,
égale à toi-même en ma mémoire,
plus que toi-même.
Demeure dure, exacte et taciturne,
avec mon enfance de platine et de brouillard,
sur ta clairière de terre éboulée…
LUIS CARDOZA Y ARAGON. (Fragments) Version de F. Verhesen.
L C Y A: né au Guatemala en 1902.
El Sonâmbulo – Pequena Sinfoma del Nuevo Mundo – Poesia (1948).
La journée du peintre – ( RC )
peinture: P Cézanne — parc du château noir 1904
Je ne sais
quand les journées s’allongent :
je suis pieds et poings liés
à la chanson du pinceau,
et j’en oublie les heures,
jusqu’à ce que je plonge
dans l’oubli des choses,
ainsi mon ombre me devance
sur la toile ébauchée.
Et chante aussi la rivière
sous le pont de pierres…
J’ai confondu ce que j’ai peint
avec une journée d’été.
Je dépose la lumière par petites touches ,
qui se rassemblent contre l’obscurité.
Je marche dans une clairière
que j’ai inventée ,
je m’y égare un peu .
La futaie change soudain d’aspect
sous l’éclairage électrique .
Elle n’a plus cet attrait magique
des rideaux de feuilles .
Je continuerai demain
marchant dans sentes et chemins :
il y a des couleurs qui s’attardent
à la façon de feuilles d’automne
Elles sont aussi sur mes mains tachées ;
je vais aller me nettoyer
puisqu’une journée à peindre
vient de s’éteindre
sans bruit ,
remplacée progressivement par la nuit .
–
RC – juin 2019
Jean-Pierre Schlunegger – Clairière des noces (extr)
photo Lydia Roberts
Je dis: lumière,
et je vois bouger de tremblantes verdures.
Je dis: lac,
et les vagues dansent à l’unisson.
Je dis: feuille,
et je sens tes lèvres sur ma bouche.
Je dis: flamme,
et tu viens, ardente comme un buisson.
Je dis: rose,
et je vois la nuit qui s’ouvre à l’aube.
Je dis: terre,
un sommeil aveugle, un chant profond.
Je dis: amour,
comme on dit tendre giroflée.
Je dis: femme,
et déjà c’est l’écho de ton nom.
Ciels amnésiques – ( RC )
photo nb provenance flickR auteur inconnu
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Quel regard oubliera
les ciels amnésiques
oublieux des brillances
Et du partage de la lumière ?
Quel cœur ne regretterait pas l’émotion de la palette délaissée
D’ un peintre au baroque monochrome
Qui n’aurait de symphonie
Qu’un gris ayant éteint toutes les couleurs
En dehors des saisons,
En dehors d’un avenir de lumière et fulgurance
Si aujourd’hui est semblable à demain…?
Comment continuer, à clore les yeux et l’âme
Sans l’exhaltation des possibles
Qui portent ce pas et le suivant *
La nuit juste avant la clairière
Vers de meilleurs lendemains?
RC 8 juin 2012
* ( ce pas et le suivant, est la titre d’un ouvrage de Pierre Bergounioux).
– sur l’incitation du regard sur l’automne, de H Soris-
–
Marie Hurtrel, dont je viens de visiter les écrits, , nous communique un de ses textes, qui présente quelques affintés…
L’ivre livre
Il y avait trois mots qui voulaient se perdre
entre un ciel inutile
et la terre roulant ses étreintes
Comme revient une hirondelle
quand le vent se lève sur l’horizon
c’est parce que j’ai vu tes sommets sous les nuages
que son vol couche la saison
Et dans le lit des doutes se relie la route
près de là-bas
par ce sol qui m’enterre à m’attendre
la route au désert
et la source entre ses pages
c’est un livre qui attend
D’une terre un ancrage
il y a demain de là
une ode rouge entre les veines
et mon sang sans arrimage
au silence recompose la voie
–
© Marie Hurtrel
Une Réponse
les fenêtres ouvertes ( RC )
Il est un temps clément
Et l’herbe pousse
La vie sautille et bruisse,
Hier, il pleuvait à verse
Les fleurs, comme il se doit, fleurissent
Le vert rampe et progresse.
En forêt ,il menace les clairières
Et recouvre les pierres du jardin,rue et bien verte
Au soleil, l’éternuement
Et les fenêtres ouvertes…
Le souvenir n’est plus, du raide hier
Le jour se lève, parfumé du matin.
Je prends avec toi, les chemins de traverse
Que le temps oublie , le temps d’une rencontre
Qui s’étire avec toi, comme une caresse
Je peux vivre, et me passer de montre,
Un dialogue sans paroles,
Il y a quelque part, ton visage qui rit
Et le coeur farandole,
Qui tangue et s’y inscrit.
Sans détour, comme une voie directe
Où les animaux endormis
Pactisent avec les insectes
Et s’en font des amis
La mouche noire a décrit une belle spirale
Avant de se poser sur le beurre,
Sur l’assiette à côté du journal,
… même pas peur…
Le lézard a sorti ses habits de parade
En restant agrippé au mur, l’oeil en veille
Et reste immobile sans tenter l’escalade,
En se frottant de soleil…
–
RC
–
Clairière de Varsovie ( RC )
photo « tout le monde il est beau « . Varsovie
–
La ville bourdonnante, aux façades serrées
Les unes contre les autres
Le flux régulier des voitures et autobus
Déroule son ruban quotidien,
Aux rues et avenues, qu’investit aujourd’hui
La coulée du soleil.
Mais comme dans l’image,
Un découpage, – un collage ?
Tout à coup se dessine
Une surface noire
Qui dessine, la traînée de nuages
Qu’on avait oubliés.
On entend toujours, mais plus loin ,
Les voix de la ville
Qui font tout à coup cercle,
Comme les arbres autour de la clairière
A la musique d’un piano
Qui dit Chopin, à Varsovie.
–
RC 9 décembre 2012
Le monde des possibles – (RC )
le monde des possibles
–
Je chuchote sur la voix basse
Des secrets, que l’on confie entre amis
C’est un peu la peau de l’enfance
Qui brûle , – de l’inaccompli
Grand est le corps , de l’inconnu
Qui nous parle , l’avenir
C’est un monde de tous les possibles
Où nous risquons nos premiers pas
Une forêt profonde où l’on s’enfonce seul
J’emporte quelques pierres dans mes poches
C’est pour retrouver mon chemin,
Mais, on ne va jamais en arrière
Je voyage avec l’espoir muet ..
Il y a parait-il une clairière
Bien au – delà des légendes
Que je pourrai confier aux enfants.
Je ne l’ai pas rencontrée
Et continue à marcher
Sur ce chemin si étroit
Qui ne va pas tout droit.
Pourtant j’ai senti une chaleur,
Comme dans ce jeu
Où çà chauffe ou tiédit
Si l’on approche la réponse
Ou si on s’en éloigne…. c’est donc
Peut-être la bonne direction, celle
Qu’ils appellent « trouver sa voie »
….. elle était en moi.
RC – 22 octobre 2012
–
dans le même esprit on peut lire le poème de Pierre Silvain « les chiens du vent »
–
Christine Clairmont – le pays
Le pays que je préfère
Est à l’intérieur de moi
La montagne des chimères
Plantée d’arbres à pourquoi.
Il faut tracer un chemin
Dans un bois impénétrable
Sous l’écorce du destin
Chercher le sens de la fable.
Trouver l’harmonie du Temps
Dans les branches du mélèze
Pour que la peine d’antan
Au vif du printemps se taise.
Découvrir sous la fougère
La pervenche aux yeux d’enfant
Qui dans le feu de la guerre
Gardait son contentement.
Aboutir dans la clairière
Où dort l’étang du futur
Tandis que la pensée mère
Monte sans frein vers l’Azur.
Christine Clairmont. « Sur un air d’éternité » 1986
–
Très beau poème pour cette symphonie en gris .