J’ai en mémoire le buffet noir qu’a peint Picasso, et qui me rappelle ce sévère piano droit, où l’on devait faire les gammes, faire courir les doigts sur un clavier qui restait froid ( et n’avait rien de tempéré ).
Faire que les mains parcourent les touches d’ivoire, prenant les blanches pour les noires, en suivant la Méthode Rose ( on n’espère pas encore devenir virtuose ) on imaginerait qu’elles dansent, chacune devant faire preuve d’indépendance dans le mouvement…
Mais je vois bien le tableau : montée sur le tabouret haut ma petite sœur, tes pieds ne touchant pas terre sous le regard sévère de ton professeur : encore et toujours faire ces gammes, alors que tu rêvais déjà d’amour : ( tout ce qu’il faut pour te rendre allergique à la musique ) : tu préférais le chant des oiseaux.
« Les oiseaux sur les peupliers de la plaine des notes dispersées, liquides, vagabondes.
Pourtant la symphonie d’un bel après-midi sous les violons des feuilles
qui tigrent d’ombre leurs arpèges. Pont de pierre bombé, contrebasse.
Altiers violons de verts. La partition repose
Avec la longue élévation de ses sillons jusqu’au sommet de la colline.
Les blanches s’envolent en lançant leurs cris de mer au retour du tracteur puis s’agglutinent, fouillant la terre avec la même obstination. Venues de l’océan, remontant les rivières.
«Semailles» serait le titre du morceau, avec les trilles d’un clavecin sous les doigts de Rameau.
Leçon d’automne et vieil ivoire rouillé, sombre.
Les deux claviers sous la dextérité de l’attaque joyeuse. »
photo perso: montagne du plateau de Lassithi ( Crète)… n’étant jamais allé au Liban… mais je suppose qu’il y a – dans la sécheressse, – des points communs
A la découverte ( en voletant cueillir du pollen ), l’abeille que je suis découvre « encres du monde », – de Claire-Lise
Se souvenir – du bruit du clair de lune, lorsque la nuit d’été se cogne à la montagne, et que traîne le vent, dans la bouche rocheuse des Monts Liban.
Se souvenir – d’un village escarpé, posé comme une larme au bord d’une paupière ; on y rencontre un grenadier, et des fleurs plus sonores qu’un clavier.
Se souvenir – de la vigne sous le figuier, des chênes gercés que Septembre abreuve, des fontaines et des muletiers, du soleil dissous dans les eaux du fleuve.
Se souvenir – du basilic et du pommier, du sirop de mûres et des amandiers.
Alors chaque fille était hirondelle, ses yeux remuaient, comme une nacelle, sur un bâton de coudrier.
Se souvenir – de l’ermite et du chevrier, des sentiers qui mènent au bout du nuage, du chant de l’Islam, des châteaux croisés, et des cloches folles, du mois de juillet.
Se souvenir – de chacun, de tous, du conteur, du mage, et du boulanger, des mots de la fête, de ceux des orages, de la mer qui brille comme une médaille, dans le paysage.
Se souvenir – d’un souvenir d’enfant, d’un secret royaume qui avait notre âge ; nous ne savions pas lire les présages, dans ces oiseaux morts au fond de leurs cages, sur les Monts Liban.