Colombes – (Susanne Derève) –

Laisse une porte entr'ouverte sur le passé là où ma voix se brise je veux encore chanter J'ai remisé au grenier les lits les draps les vêtements d'enfants les mols édredons de percale les colombes ont pris leur envol oiseaux des terres lointaines cygnes cigognes aigrettes blanches leurs plumes ont l'étincelante pâleur des avalanches et leur voyage l'aridité des terres brûlées
extrait de : Suite malaise : voyage Malaisie- Singapour ( Septembre Octobre 2022)
(voir partage de Susanne)
Paul Gravillon – la tristesse et le jour se ressemblent

Un visage accroché à des algues
un balcon troué par une bombe
des paupières de violettes
des Joues de crépuscule
des yeux d’orient
perles noires dans un jour glauque
tournées vers le futur
illisibles
tous les genres se mélangent
les classes les races
les femmes se donnent et restent vierges
tout le monde est pardonné
la tristesse et la joie se ressemblent
tout se poursuit
plus rien n’importe
la femme cancéreuse se caresse le sein
les grands hommes ne meurent plus
ils remplissent les rues
faire l’amour c’est faire son salut
la main de parkinson
sème l’or à tous vents
les tigresses ont la caresse facile
et les biches sont sanglées comme des femmes
leur tresse comme une loutre endormie sur l’épaule
fatiguée de tant de pays
leur nudité ne se vend plus
elles entrent à l’académie des beaux-arts
les rois hydrocéphales
se couvrent le front d’une feuille d’or
et les princesses aztèques
les yeux brouillés de sable
sont à genoux et prient entre leurs cuisses
déjà la nuit
a mis ses doigts sur leur joue gauche
déjà se cambre leur jeunesse ‘
et le vieil homme a revêtu
son pyjama d’agonisant
près de sa main s’arrête
la fille aux yeux de lit
aux cuisses aspirantes
ou bien selon les jours
la viergeronnette en madras bleu
dont le pied effleure l’ordure
et dont la chair
sent le pain chaud
mais l’homme se meurt et d’autres baisent
voici la fin et le commencement
les sphinx dans le vent
ont perdu leurs cheveux
II y a aussi des combats dans le ciel
souvent volent des débris d’anges
lumineux ou funèbres
tandis que le vent crie en silence
et que brillent
les cuirasses du soleil
les cavaleries de dentelles fuient
au ralenti
sur le silex du ciel
croisées par les corbeaux qu’attire
l’immense tache rousse
qui sourd à l’horizon
alors les éventails verts
constellés de cris d’oiseaux
éventent les colombes
échauffées par le sang
il pleut tant de lumière
sur les coffrets de bijoux de l,a terre
que toutes les portes
restent closes
Le ciel se ressoude, la mémoire s’en va … – ( RC )

Allons nous asseoir sur les dunes,
de là, nous verrons en rêve
se lever les rideaux de brume
déchirer des morceaux de ciel;
il y aura peut-être les colombes,
qui survoleront les palais,
pour se réfugier dans les tilleuls,
ou bien ce sera le soir,
à l’heure où le soleil tire sa révérence.
Rappelle-toi de ces oiseaux
courant, sautillant sur la plage,
ignorant les hommes
le vent, les herbes sauvages.
( Nous aurons contourné
ce bunker renversé,
qui lentement s’enfonce
dans le passé ),
comme ce château de sable…
Y aura-t-il des lendemains
à l’histoire enchantée
où tout passé s’efface ?
Le ciel se reforme,
se ressoude, la mémoire s’en va :
la ville ne laissera pas de trace.
Seuls, quelques gravats
seront poussés par le ressac
et la marée .
Natasha Kanapé Fontaine – Réserve II
peinture: T C Cannon
Ecoutez le monde
s’effondrer
ponts de béton
routes d’asphalte
Aho pour la joie
Aho pour l’amour
Surgit la femme
poings serrés
vers la lumière
Voici que migrent
les peuples sans terres
nous récrirons la guerre
fable unique
Qui peut gagner sur le mensonge
construire un empire de vainqueurs
et le croire sans limites
Ce qui empoisonne
ne méritera pas de vivre
ce qui blesse ne méritera pas le clan
cinq cents ans plus tard
sept générations après
Tous ces châssis pour barrer les routes
tous ces murs érigés entre les nations
tous ces bateaux d’esclaves
ces bourreaux n’auront eu raison de rien
Si j’étais ce pigeon qui vomit
sur les hommes de bronze
fausses idoles carnassiers ivres
se tâtant le pectoral gauche
avec la main droite
lavée par les colombes
Qui d’autre est capable
de provoquer l’amnésie
octroyer la carence
à ceux qu’il gouverne
Qui d’autre sait appeler union
ce qui est discorde
pour s’arracher le premier
pour s’arracher le meilleur
des confins de toutes les colonies
qui d’autre sait appeler croissance
ce qui est régression
construction
ce qui est destruction
les peuplades pillées à bon escient
au nom du roi et de la reine
au nom du peuple qui meurt de faim
à Paris
à Londres
à Rome
à New York
à Dubaï
à Los Angeles
à Dakar
au nom du peuple
qui se bâtit par douzaine
à Fort-de-France
à Port-au-Prince
à La Havane
à Caracas
à Santiago
à Buenos Aires
Aho pour la joie
Aho pour l’amour
Qui d’autre sait nommer le mensonge
pour le voiler
La ville persiste en moi
assise sur l’avenue des Charognards
je guette l’allégresse
la haine qui me pousse à hurler
Je guette le nom des ruelles
de la grande mer
qui laisse passer les pauvres
à l’abri des vautours
La guerre est en moi comme partout.
–
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Paul-Jean Toulet – en Arles
En Arles
–
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd ;
Parle tout bas, si c’est d’amour,
Au bord des tombes.
Salvatore Quasimodo – Chevaux de la lune et des volcans

peinture: Giorgio de Chirico 1928
–
CHEVAUX DE LA LUNE ET DES VOLCANS
à ma fille
Îles que j’ai habitées
vertes sur des mers immobiles.
D’algues sèches et de fossiles marins
les plages où galopent fous d’amour
les chevaux de la lune et des volcans.
Au moment des secousses,
les feuilles, les grues assaillent l’air :
dans la lumière des alluvions
brillent des ciels chargés ouverts aux astres ;
les colombes s’envolent
des épaules nues des enfants.
Ici finit la terre :
avec de la sueur et du sang
je me construis une prison.
Pour toi je devrais me jeter
aux pieds des puissants,
adoucir mon cœur de brigand.
Mais traqué par les hommes
je suis encore en plein dans l’éclair,
enfant aux mains ouvertes,
aux rives des arbres et des fleuves :
ici l’anatomie féconde de l’oranger grec
pour les noces des dieux.
—
CAVALLI DI LUNA E DI VULCANI
al la figlia
Isole che ho abitato
verdi su mari immobili.
D’alghe arse, di fossili marini
le spiagge ove corrono in amore
cavalli di luna e di vulcani.
Nel tempo delle frane,
le foglie, le gru assalgono l’aria :
in lume d’alluvione splendono
cieli densi aperti agli stellati ;
le colombe volano
dalle spalle nude dei fanciulli.
Qui finita è la terra :
con fatica e con sangue
mi faccio una prigione.
Per te dovrò gettarmi
ai piedi dei potenti,
addolcire il mio cuore di predone.
Ma cacciato dagli uomini,
nel fulmine di luce ancora giaccio
infante a mani aperte,
a rive d’alberi e fiumi:
ivi la latomia d’arancio greco
feconda per gli imenei dei numi.
–
Lory Bedikian – Par delà la bouche
Lory Bedikian: Beyond the mouth
Click here for the audio clip Beyond the mouth read by the author Lory Bedikian.
On the back of every tongue in my family
there is a dove that lives and dies.
At night when my aunts and uncles sleep
the birds comb their feathers, sharpen beaks.
They are carriers, not only of the olive
branch, but the rest of our histories too.
As from the ark, we came in twos
with tired eyes from Lebanon, Syria,
the outskirts of Armenia and anywhere
where safety said its final prayers and died.
Like every simile ever written, the doves
or our tongues are tired and misread.
Dinners begin with mounds of bread, piled
dialogues between the older men.
Near our dark throats, the quiet
birds lurk to watch meals descend,
take phrases that didn’t reach
the truth and spin them into nests.
Now and then, we spit them out in shapes
of seeds, olive pits, or spines of fish.
The men never watch what enters past
the teeth, what leaves their moving lips,
and the doves know this. The women shut
their mouths when they don’t approve
of the squawking laughs. There is a saying
(or at least there should be) that if one doesn’t
believe what is said or true, they can ask
the dove on the back of the tongue
and it will chirp the ugliness or the pitted
truth, of how we choke on what we hide.
“Beyond the mouth” was first published in Timberline.
—————-
Par delà la bouche
Derrière chaque langue dans ma famille
Il y a une colombe qui vit et meurt.
La nuit, lorsque dorment mes oncles et tantes
Les oiseaux lissent leurs pennes, aiguisent leurs becs.
Les messagers, non seulement du rameau
D’olivier, mais aussi de ce qui reste de nos histoires.
Telle cette arche, où à deux nous sommes venus
Les yeux las, du Liban, de Syrie,
Des lointaines contrées d’Arménie et partout
Où la sécurité a dit ses dernières prières et a disparu.
Comme toute comparaison déjà écrite, les colombes
ou nos langues sont lasses et faussées.
Les dîners commencent par des monceaux de pain, des piles
De dialogues qu’échangent les anciens.
Près de nos gorges sombres, en silence
Les oiseaux sont tapis pour voir tomber la nourriture,
S’emparer des expressions hors d’atteinte de
La vérité, les tissant pour en faire des nids.
De temps à autre, nous les crachons en forme
De graines, de noyaux d’olives ou d’arêtes de poisson.
Les hommes ne voient jamais ce qui passe au-delà
Des dents, ce qui s’éloigne de leurs lèvres mouvantes,
Et les colombes savent cela. Les femmes ferment
La bouche lorsqu’elles désapprouvent
Les rires braillards. Un dicton
(du moins, il devrait exister) dit que si l’on ne
croit pas ce qui est dit ou vrai, ils peuvent demander
à la colombe derrière la langue
alors elle gazouillera la laideur ou la vérité
trouée, comment nous étouffons ce que nous cachons.
–

Mahmoud Darwich – Blocus pour les panégyriques de la mer

Mer et mur ( Acre – Israël)
BLOCUS POUR PANÉGYRIQUES DE LA MER
S’envolent les colombes
S’envolent les colombes
Se posent les colombes
Prépare-moi la terre, que je me repose
Car je t’aime jusqu’à l’épuisement
Ton matin est un fruit offert aux chansons
Et ce soir est d’or
Nous nous appartenons lorsque l’ombre rejoint son ombre dans le marbre
Je ressemble à moi-même lorsque je me suspends
Au cou qui ne s’abandonne qu’aux étreintes des nuages
Tu es l’air se dénudant devant moi comme les larmes du raisin
L’origine de l’espèce des vagues quand elles s’agrippent au rivage
Et s’expatrient
Je t’aime, toi le commencement de mon âme, toi la fin
S’envolent les colombes
Se posent les colombes
Mon aimé et moi sommes deux voix en une seule lèvre
Moi, j’appartiens à mon aimé et mon aimé est à son étoile errante
Nous entrons dans le rêve mais il s’attarde pour se dérober à notre vue
Et quand mon aimé s’endort je me réveille pour protéger la rêve de ce qu’il voit
J’éloigne de lui les nuits qui ont passé avant notre rencontre
De mes propres mains je choisis nos jours
Comme il m’a choisi la rose de la table
Dors, ô mon aimé
Que la voix des murs monte à mes genoux
Dors, mon aimé
Que je descende en toi et sauve ton rêve d’une épine envieuse
Dors, mon aimé
Sur toi les tresses de ma chevelure. Sur toi la paix
(…)
J’ai vu le pont
L’Andalousie de l’amour et du sixième sens
Sur une larme désespérée
Elle lui a remis son cœur
Et a dit : l’amour me coûte ce que je n’aime pas
Il me coûte mon amour
Puis la lune s’est endormie
Sur une bague qui se brisait
Et les colombes se sont envolées
L’obscurité s’est posée
Sur le pont et les amants
S’envolent les colombes
S’envolent les colombes
Mahmoud Darwich