Je reconnais les cavaliers de l’Apocalypse – ( RC )

enluminure : vue de la partie supérieure d’une des pages du manuscrit du Beatus de Liébana – Codex de Ferdinand Ier et doña Sancha – Espagne – (art roman, date soumise à caution ) la totalité peut être vue à cette page
Tiens je les connais ceux-là,
les cavaliers de l’ Apocalypse
sur fond orangé.
Il n’arrêtent pas de courir de ci, de là,
se croisent mais ne se regardent pas,
même les jours de totale éclipse.
C’est comme deux équipes qui se rencontrent:
qu’il faut reconnaître sur le terrain :
c’est ainsi que le peintre nous les montre:
à chacune sa couleur et son fond de teint !
Le maillot jaune du Tour de France
avant que chacun s’élance,
le maillot à rayures
conforme aux Ecritures !
Pour l’instant tout est à peu près normal
même si les chevaux ont l’haleine un peu chargée:
de leur gueule quelques flammes et de la fumée,
mais leur queue porte des êtres plus que pâles
qu’on aurait imaginés plutôt noirs ou roses…
Ils semblent tenus par un cordon ombilical
et ont tendance à préférer l’horizontale:
c’est quand même une drôle de chose:
on se sait pas qui va l’emporter:
chacun a ses supporters
pour semer la panique sur la terre
d’ailleurs sous le cheval noir, on voit un petit pied
qui s’enfonce de façon irrémédiable
dans le bas de la page:
c’est sans doute un présage
car le choc semble inévitable
du fait que les bêtes ont maintenant les pattes croisées
( je suis sûr que vous ne l’aviez pas observé ! )…
je prévois bientôt la fin du combat !
Et que deviendront alors les innocents blancs
que l’on a privé de leur sang ?
Il est encore temps de miser sur l’espoir
contre le cheval noir !
Non, ce n’est pas votre cas ?
dans mille ans il sera trop tard
pour me faire signe
on aura interdit les paris en ligne
dans les versets de la Bible
et les imprécations qui s’égarent
ça c’était prévisible !
–
C’est le vent d’été … – ( RC )
peinture : Alexander Brook
C’est le vent d’été
qui a couché les blés ,
un silence s’est fait parmi les bruits :
c’est bientôt la pluie
qui va nourrir la terre,
celle qui désaltère,
et que l’on attend
depuis si longtemps :
Pendant que le ciel oscille :
l’orage plante ses faucilles
concentre ses flèches
rebondit sur la terre sèche.
Il éparpille les jours torrides,
remplit les poitrines vides,
gonfle les ruisseaux,
cherche dans les rocs des échos,
qu’il trouve jusque dans ta voix :
cette soif insatiable que rien ne combat :
la vie est revenue d’une longue absence
Elle remercie la providence,
envisage un nouvel avenir :
je vois tes seins s’épanouir,
l’herbe reverdir,
et le désert refleurir…
J’ai beaucoup appris de tes paysages,
de l’attente et des passages,
des courbes de tendresse
où le temps paresse
de tes frissons secrets
et des lits défaits
où se courbe la rivière,
où se love la lumière :
Après l’orage et le calme revenu,
au silence dévêtu,
la chair embrasée,
enfin apaisée…
–
RC – avr 2019
Cathy Garcia – Sol y tierra
le vent
entre chien et loup
la lune cachée
dans le haut tilleul
la douceur
léger frisson
imperceptible
sortilège
les démons de gouttières
miment le combat
quatre ombres
apparaissent
disparaissent
froissent les herbes
le val de mes seins
invite à la balade
et ma pensée va à l’homme.
mais dieu siffle mon âme
comme on siffle un chien
et mon âme danse
une joie
soûle d’espace
solitaire
sol y tierra
et le vent aussi
et le vent.
Armand Robin – poème pour adultes ( XV )
XV
Il y a les gens à bout de force,
Il y a les gens de la ville de « Neuve-Usine »
Qui jamais ne sont allés au théâtre,
Il y a des pommiers polonais aux fruits inaccessibles aux enfants,
Il y a des enfants rendus malades par des médecins vicieux,
Il y a des garçons acculés au mensonge,
Il y a des jeunes filles acculées au mensonge,
Il y a des vieilles chassées de leur logement par de tout jeunes gens,
Il y a des épuisés mourant de caillots au cœur,
Il y a des calomniés, couverts de crachats,
Il y a des gens dévalisés dans les rues
Par de banals bandits pour qui on cherche une définition légale,
Il y a des gens qui attendent des paperasses,
Il y a des gens qui attendent la justice,
Il y a des gens qui attendent longtemps.
Nous réclamons ici, sur terre,
Pour l’humanité harassée,
Des clefs qui aillent avec les serrures,
Des logis pauvres mais avec fenêtres,
Des murs sans moisissure,
Le droit de haïr les paperasses,
De tendres claires heures humaines,
Le retour au logis sans danger d’être tué
Et la séparation toute simple entre ce qui est dit et ce qui est fait.
Nous réclamons ici, sur terre
(Terre pour laquelle nous nous sommes jetés en gage
Et pour qui des millions dans les combats sont tombés),
Nous réclamons les feux de la vérité, le blé de la liberté,
L’esprit en flamme,
Oui, l’esprit en flamme,
Nous le réclamons tous les jours,
Nous nous plaignons à partir du Parti.
(Armand Robin) (1955)
Roger Bodart -Le Chevalier à la charrette.
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( extrait du Chevalier à la charrette.)
… Pour les uns, je fus curé.
Pour les autres, je fus le diable.
Je suis l’homme las d’errer
Dans un grand pays de sable.
J’ai perdu beaucoup de temps ;
Pour gagner maigre pécule,
Fait dix métiers ridicules ;
Rêver me semblait tentant.
J’ai connu des monastères,
Eu des amis francs-maçons,
Dieu, pour moi, voulant sur terre
Chacun juste à sa façon.
Au temps de l’exode amer,
J’ai possédé trois arpents
Quatre rats et un serpent,
Au canal d’entre-deux-mers.
J’ai vu Paris envahir ;
J’ai vu chez moi la police
Et quelques amis mourir
Dans le verger des supplices.
De ces nuits et de ces jours,
Il me reste un grand amour
Pour les choses d’ici-bas ;
Je n’ai livré nul combat ;
J’ai laissé passer la haine,
Saluant toujours très bas
Celui qui ne m’aimait pas
J’aime toute âme humaine.
Je me suis souvent trompé
J’ai commis des choses troubles,
Plus que nul autre étant double.
Parfois j’ai trouvé la paix.
Quels sont ceux qui m’ont compris ?
Deux ou trois passants peut-être.
Une table, une fenêtre,
Le pain qu’on broie : c’est le Christ.
A beaucoup je dis pardon
D’être passé sur leur porte
Sans avoir reçu leur don.
L’âme fait souvent la morte.
Et moi-même, me connais-je ?
Ai-je été ce qu’il fallait ?
Tant de mauvais sortilèges
Ont fait de moi leur valet.
Qu’ai-je aimé? Qu’ai-je souffert ?
Ce sont là choses secrêtes.
Ne croyant guère à l’Enfer,
Au grand rêve je m’apprête.
Une femme est près de moi
Depuis que je suis un homme
Nous nouerons encore nos doigts
Quand nous ferons le grand somme.
Près de moi sont deux enfants
Que notre douceur défend.
Pour m’avoir donné ceci
Mon Dieu, je vous dis merci.
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Roger Bodart. « Le Chevalier à la charrette ».
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