Louky Bersianik – laisse moi t’approcher
photo Fashion is Dead Magazine
laisse-moi t’approcher
laisse-moi te toucher toute et te fragmenter par petites touches
laisse-moi ma plurielle de fond en comble te dévaster
trouver réunies au secret ma soif et mon ruisseau ma verdure
et ma faim lécher jusqu’au cœur notre vaste complot
laisse mon corps immobile entrer chez lui par les seuils incalculables
de ton corps inamovible laisse s’accomplir à l’infini vertigineux
du temps vertical cette opération-extase
Quelques indices de notre cécité – ( RC )
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C’est être debout sur le sol,
Regarder l’herbe ployer sous le vent,
Ecouter le bruit froissé
Des feuilles du marronnier,
Fatiguées de l’été,
Et dont la rouille
Sous les pas, roule….
Ainsi, le cours des choses,
Lié aux saisons …
Mais s’arrêtent-elles,
Là où se porte le regard ?
Le chant de la sève est silencieux,
Qu’elle se recroqueville dans le froid,
Ou au printemps, éclate de joie…
Sous le sol tout existe autrement.
Les rongeurs creusent leur univers,
Les graines attendent le bon moment
Pour bondir à l’air libre,
Et des racines traîtresses
Etendent leur complot de trame,
Comme si elles avaient le pouvoir
D’étendre leurs yeux ,
Au plus obscur de l’espace,
Perçant la densité de terre,
Jusque sous nos pieds,
– Et nous n’en savons rien – ,
Comme si une vie souterraine,
Se poursuivait à l’abri de l’air,
Une lutte infinitésimale,
Conjugaison de bactéries,
Radicelles, et alchimie de bois :
Quelques indices de notre cécité.
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RC août 2015
Vision nocturne – ( RC )
peinture H Füssli-
Le sommeil a ses reflets,
Le miroir en effet,
De l’armoire à glace,
Située en face
Me regarde dormir,
Et si je ne peux décrire,
La traversée des secrets,
Et les rêves de craie,
Se dessinent à grands traits,
Racines -pièges, sorties des forêts
Et l’invasion des limaces,
Ne tenant plus en place.
C’est à mon réveil,
Seulement, que le soleil,
Repousse les ombres,
– Que la nuit encombre…
… Quand elle revient , elle se penche,
Et au-dessus de moi, de ses formes blanches,
Sitôt la lumière éteinte,
Je retrouve l’étreinte
Des femmes sorties des nénufars,
Aux longs membres blafards…
Les pensées tanguent, parallèles,
Eléphants aux pattes grêles,
Aux parcours du dormeur,
Sous les draps, sa tiédeur…
Ou, au contraire, prisonniers de la glace
Les yeux ternis des rapaces
Le balancier régulateur,
Défiant la pesée des heures,
Où se joue le complot,
Extrait du tableau.
> Il n’y a plus de trêve,
Si l’absence s’empare du rêve.
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RC – 13 septembre 2013
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Vases sacrés de sacrifice ( RC )

photo Lukas Jackson, agence Reuters
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Enroulé autour d’une pierre,
Je possède la terre,
Et les ruisseaux plombent
Aux échancrures des combes,
Et la mer cravache d’écumes,
Sous des ciels d’enclume,
Quand l’horizon se déchire,
Il faut s’attendre au pire,
Le brasier ocre de cruauté,
Confisque l’éternité
Au soleil tacheté d’ombres épaisses,
– Cela vaut bien une messe –
S’étend le froid polaire,
Hérissé de tessons de verre,
Soudé de couches de glace…
Aucun été ne l’efface,
Pourtant, au plus profond,
Elle trépide et fond,
Fin de léthargie, fin de sieste,
Enfin, la planète proteste,
Et je sens sous mes mains des cascades,
Se ruant en cavalcades,
Et au passage des flots,
Se fomente un complot,
Protestations, murmures et révolte,
sous l’oppression, voila ce qu’on récolte…
Ainsi mijotent ruptures et schismes,
Fractures et séismes,
A des distances de là, les esclaves,
Se libèrent en ruées de lave,
Se frayant une route,
A travers la croûte,
Et puissamment jaillissent,
Du creux des abysses,
Eructent éruptions,
Spasmes et convulsions,
Les volcans s’ouvrent les veines,
Ejaculent en chaîne,
Vases sacrés de sacrifice,
Allumés, les feux d’artifice….
Le feu côtoie la glace,
Il faut qu’elle cède la place,
Elle ne peut plus attendre,
Sous un ciel de cendres,
La froidure libère ses eaux sarabande,
Et dentelle les contours d’Islande.
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RC – 25 août 2013
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