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Cesare Pavèse – Rencontre


peinture Alan Lakin

Ces dures collines qui ont façonné mon corps
et qui ébranlent en lui autant de souvenirs,
m’ont fait entrevoir le prodige de cette femme
qui ne sait que je la vis sans réussir à la comprendre.

Un soir, je l’ai rencontrée : tache plus claire
sous les étoiles incertaines, dans la brume d’été.
Le parfum des collines flottait tout autour
plus profond que l’ombre et soudain une voix résonna
qu’on eût dit surgie de ces collines, voix plus nette
et plus âpre à la fois, une voix de saisons oubliées.

Quelquefois je la vois, elle vit devant mes yeux,
définie, immuable, tel un souvenir.
Jamais je n’ai pu la saisir : sa réalité
chaque fois m’échappe et m’emporte au loin.

Je ne sais si elle est belle. Elle est jeune entre les femmes :
lorsque je pense à elle, un lointain souvenir
d’une enfance vécue parmi ces collines, me surprend
tellement elle est jeune.

Elle ressemble au matin. Ses yeux me suggèrent
tous les ciels lointains de ces matins anciens.
Et son regard enferme un tenace dessein : la plus nette lumière
que sur ces collines l’aube ait jamais connue.

Je l’ai créée du fond de toutes les choses
qui me sont le plus chères sans réussir à la comprendre.

In Travailler fatigue, © Poésie/Gallimard, p.51


écrits confiés au vent – ( RC )


photo perso Causse Méjean – Lozère

Au long du chemin,
je vais pieds nus, sur la terre et le sable.
Je me nourris de peu,
ne compte pas mes pas,
et il arrive que je me pose
à l’ombre d’un pin .

Je trace avec un bâton
des lettres sur le sol
qui deviennent des mots ,
puis un chant
que personne n’entendra,
ou ne pourra lire.

Ou bien ce sera le vent,
les oiseaux
qui l’emportera,
avant que la pluie ne l’efface :
les mots seuls
ne pourront parler à ma place,

mais il vaut mieux
que je continue mon chemin,
suivi un temps par un chien .
Il voudrait me parler
et m’accompagner,
mais je ne peux le traduire .

A-t-il réussi de son côté,
à me lire ?
Voulait-il me guider
sur ma route à venir ?
Ce que me disaient ses yeux tendres,
je n’ai pu le comprendre…

A chaque terre traversée,
je pourrais apprendre une langue neuve
pour renaître, avec le peu que je sais
dans les mots d’autrui,
partager leur mémoire,
dans un petit écrit…

confié au vent.


Philippe Jaccottet – Accepter


Naomi Tydeman, Grey and Silver Marsh. Watercolour and gold leaf

       Naomi Tydeman – Grey and Silver Marsh. 

 

 

 

Accepter ne se peut

comprendre ne se peut

on ne peut pas vouloir accepter ni comprendre

 

On avance peu à peu

comme un colporteur

d’une aube à l’autre

 

 

 

Poésie 1946-1967

nrf     Poésie/ Gallimard

 

 

 

 


Thierry Metz – Je n’emporte rien


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Je n’emporte rien puisque tout tient dans l’intime et immense espace du regard.
Des instants de ciel sous les pas.

*
Tout ce que je pense n’a peut-être plus d’importance.

On dirait qu’il ne reste plus que les outils – que l’instrument.
Un instrument pour chercher.
Un instrument pour construire.
Mais je suis en direction de ce qu’il n’y a plus à comprendre, pour ainsi le comprendre, y laisser de l’écriture.

 

Extraits de Carnet d’Orphée, éd. Les Deux-Siciles, 2012


Sadegh Hedayat – je n’écris que pour mon ombre


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dessins          Ernest Pignon-Ernest

Je n’écris que pour mon ombre projetée par la lampe sur le mur ; il faut que je me fasse comprendre d’elle.


Benjamin Fondane – exode


marlene-dumas-05

peinture  Marlene Dumas    exposée  à la biennale  de Lyon:  photo perso

 

 

 

 

                                                 C’est à vous que je parle homme des antipodes, je parle d’homme à homme, avec le peu de moi qui demeure de l’homme avec le peu de voix qui me reste au gosier mon sang est sur les routes, puisse-t-il ne pas crier vengeance !

 

L’hallali est donné, les bêtes sont traquées,

laissez-moi vous parler avec ces mêmes mots

que nous eûmes en partage –

il reste peu d’intelligibles !

 

Quand une poussière entrait, ou bien un songe,

dans l’œil, cet œil pleurait un peu de sel.

Et quand une épine mauvaise égratignait ma peau,

il y coulait un sang aussi rouge que le vôtre !

Certes, tout comme vous j’étais cruel, j’avais

soif de tendresse, de puissance,

d’or, de plaisir et de douleur.

Tout comme vous j’étais méchant et angoissé

solide dans la paix, ivre dans la victoire,

et titubant, hagard, à l’heure de l’échec !

 

 

Oui, j’ai été un homme comme les autres hommes,

nourri de pain, de rêve, de désespoir. Eh oui,

j’ai aimé, j’ai pleuré, j’ai haï, j’ai souffert,

j’ai acheté des fleurs et je n’ai pas toujours

payé mon terme. Le dimanche j’allais à la campagne

pêcher, sous l’œil de Dieu, des poissons irréels,

je me baignais dans la rivière

qui chantait dans les joncs et je mangeais des frites

le soir. Après, après, je rentrais me coucher

fatigué, le cœur las et plein de solitude,

plein de pitié pour moi, plein de pitié pour l’homme,

cherchant, cherchant en vain sur un ventre de femme

cette paix impossible que nous avions perdue

naguère, dans un grand verger où fleurissait

au centre, l’arbre de la vie…

 

J’ai lu comme vous tous les journaux tous les bouquins,

et je n’ai rien compris au monde

et je n’ai rien compris à l’homme,

bien qu’il me soit souvent arrivé d’affirmer

le contraire.

 

Et quand la mort, la mort est venue, peut-être ai-je prétendu savoir ce qu’elle était mais vrai, je puis vous le dire à cette heure, elle est entrée toute en mes yeux étonnés, étonnés de si peu comprendre – avez-vous mieux compris que moi ?

 

 

Et pourtant, non !

je n’étais pas un homme comme vous.

Vous n’êtes pas nés sur les routes,

personne n’a jeté à l’égout vos petits

comme des chats encore sans yeux,

vous n’avez pas erré de cité en cité

traqués par les polices,

vous n’avez pas connu les désastres à l’aube,

les wagons de bestiaux

et le sanglot amer de l’humiliation,

accusés d’un délit que vous n’avez pas fait,

d’un meurtre dont il manque encore le cadavre,

changeant de nom et de visage,

pour ne pas emporter un nom qu’on a hué

un visage qui avait servi à tout le monde

de crachoir !

 

Un jour viendra, sans doute, quand le poème lu

se trouvera devant vos yeux. Il ne demande

rien ! Oubliez-le, oubliez-le ! Ce n’est

qu’un cri, qu’on ne peut pas mettre dans un poème

parfait, avais-je donc le temps de le finir ?

Mais quand vous foulerez ce bouquet d’orties

qui avait été moi, dans un autre siècle,

en une histoire qui vous sera périmée,

souvenez-vous seulement que j’étais innocent

et que, tout comme vous, mortels de ce jour-là,

j’avais eu, moi aussi, un visage marqué

par la colère, par la pitié et la joie,

 

un visage d’homme, tout simplement.

 

(L’exode 1942)

 


Ryan Adams – J’ai juste peur d’être aimé


I don’t know

what I was thinking

I guess I just got sad

for a while

I was just afraid of being loved

and feeling good

being listened to listening

understanding

and being understood

Ryan Adams   just be understood

Je ne sais pas

ce que je pensais

Je suppose que je deviens triste

pendant un moment

J’ai juste peur d’être aimé

et de me sentir bien

d’être écouté ,écouter

comprendre

et être compris

 

Ryan Adams


Vers des mots d’une autre langue – ( RC )


 

travail de Daniella Spinat

 

Vers des mots d’une autre langue, le silence résonne,
Des mots  lui donnent suite ,comme
Happés de l’intérieur, ils restent submergés,

Et en attendant qu’ils se retournent,
Et prennent leur envol, il y a toujours un temps,
Une distance.

Elle mesure leur poids, toujours considérable,
Ce qu’il faut de temps, pour prolonger leur sens,
Et peut-être les comprendre.

RC- décembre  2013

Issu d’une parole  d’Alain Veinstein:

 »
Après un silence, un mot ne donne suite à la phrase qu’une faible part de lui-même. »


Giorgio Bassani- il faut mourir une fois au moins


L

photo: montage perso

 Le jardin des Finzi-Contini de Giorgio Bassani

 

Dans la vie, si l’on veut comprendre, comprendre vraiment ce que sont les choses de ce monde, il faut mourir une fois au moins.
Et alors, étant donné que c’est la loi, mieux vaut mourir jeune, quand on a encore beaucoup de temps devant soi pour se relever et ressusciter…