Journal d’un voyage, quand je tourne les pages – ( RC )

photo Virginie Gautier
Journal d’un voyage,
des deux pieds dans le sable – ,
( mais le soleil n’est pas le même
quand je tourne la page ):
je ne suis plus capable
d’en faire un poème,
parce que je ne suis plus là
pour te raconter le vent tiède
précédant l’orage :
deux mois ont passé déjà …
….Non, ce n’est pas de Suède
que je rapporte les images…
imagine plutôt la jungle proche:
elle s’accroche sur la moindre roche
et la photo n’en montre rien ;
pas un coquillage,
pas de varan pour témoin
dont je guetterais l’approche:
C’est par hasard, que j’ai trouvé égaré
un morceau de corail, et un tout petit bénitier,
au fond de ma poche !
–
voir « suite malaise » de Susanne

Ils ont croqué le jour – (Susanne Derève)
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Raoul Dufy – coquillages
Ils ont croqué le jour
de leurs quenottes blanches
et ri jusqu’au-dedans des nuits
Mais le matin leur va si bien
– les tartines beurrées et les fruits du matin –
et les frasques du jour roulant leur robe
de turquoise
l’air , la mer, le ciel , la conque grise
des nuages
Ont-ils jamais prêté l’oreille ?
De la paume des coquillages
nait le vent
l’espace infini du vent
bercé du blanc roulis des vagues
traçant ses roses de sable
jusqu’aux portes de l’océan
Eaux vives, routes de sel
Pressés, ils ont mordu le cœur orange
de midi
de leurs dents blanches
ils ont fini de dévorer la nuit
Prêteront-ils jamais l’oreille au murmure
des jours enfuis ?
Jacques Prévert – le sang
peinture V V Gogh – les champs rouges
—
Complainte de Vincent ! A Paul Éluard
Arles où roule le Rhône
Dans l’atroce lumière de midi
Un homme de phosphore et de sang
Pousse une obsédante plainte
Comme une femme qui fait son enfant
Et le linge devient rouge
Et l’homme s’enfuit en hurlant
Pourchassé par le soleil
Un soleil d’un jaune strident
Au bordel tout près du Rhône
L’homme arrive comme un roi mage .
Avec son absurde présent
Il a le regard bleu et doux
Le vrai regard lucide et fou
De ceux qui donnent tout à la vie
De ceux qui ne sont pas jaloux
Et montre à la pauvre enfant
Son oreille couchée dans le linge
Et elle pleure sans rien comprendre
Songeant à de tristes présages
Et regarde sans oser le prendre
L’affreux et tendre coquillage
Où les plaintes de l’amour mort
Et les voix inhumaines de l’art
Se mêlent aux murmures de la mer
Et vont mourir sur le carrelage
Dans la chambre où l’édredon rouge
D’un rouge soudain éclatant
Mélange ce rouge si rouge
Au sang bien plus rouge encore
De Vincent à demi mort
Et sage comme l’image même
e la misère et de l’amour
L’enfant nue toute seule sans âge
Regarde le pauvre Vincent
Foudroyé par son propre orage
Qui s’écroule sur le carreau
Couché dans son plus beau tableau
Et l’orage s’en va calmé indifférent
En roulant devant lui ses grands tonneaux de sang
L’éblouissant orage du génie de Vincent
Et Vincent reste là dormant rêvant râlant
Et le soleil au-dessus du bordel
Comme une orange folle dans un désert sans nom
Le soleil sur Arles
En hurlant tourne en rond.
Jacques PRÉVERT « Paroles »
Gisela Hemau – préparatifs
estampe: Raoul Ubac
–
Nous prendrons soin de tout ce qui nous manque, l’ébrieté de l’eau,
l’ensevelissement des ombres sous nos corps,
les actes de naissance et de mort piles en fond de coquillage.
Puis nous repartirons ensemble,
Ulysse en houle de premier sillage, haletant
pour que la gorge, trop longtemps coincée, redevienne sauvage.
Georges Séféris – Santorin 03
–
Penche-toi, si tu le peux, sur la mer obscure, oubliant
le son d’une flûte sur des pieds nus
qui parcourent ton sommeil dans l’autre vie, l’engloutie.
–
Sur ton dernier coquillage, écris, si tu le peux,
le jour, le nom, le lieu
et jette-le dans la mer, qu’il y disparaisse.
–
Bivalve – ( RC )
–
De la paire symétrique,
L’habit rigide du coquillage,
Désormais s’écarte,
Pour laisser les éléments le traverser,
Comme l’encre des chagrins :
Sables et algues,
Un tapis imbriqué,
Où des pieds malhabiles, la brisent .
L’animal marin,
Ne laisse de sa présence,
Qu’un crépuscule calcaire,
Où se réfugient les ombres :
Peu de mémoire ;
Peu de poids,
Sous la poussée du ressac,
Et la caresse du vent.
–
RC – avr 2015
Natha Boucheré – le Rêve Mutant

photo: lézard volant ( draco volans )
le Rêve Mutant
Protéger, porter le rêve, sans le questionner,
Garder intacts sa fibre et son tissage,
Le voile posé comme un reflet,
Est l’opercule,
Est la transpiration immobile de son mouvement de tresse,
L’attente d’une musique sacrée….
Le ressac des vagues rythme le profond va et vient de la récurrence de nos cycles,
Le nid se creuse, devient refuge
Puis devient coquillage sous l’assaut des marées ;
Son chant est une transcription de tout ce que le silence englobe,
Du respiré des choses
Dont nous avons voulu déflorer les mystères tandis que nous étions en train de perdre l’écoute viscérale…
Pourtant nous en avons gardé la trame, le grain, l’effleurement de la première spirale,
Elle feule, effiloche ses particules le long de nos parois….
Tapisse de son feutré toutes nos absences, nos bulles de mémoires reptiliennes
Approche,
Le murmure est là, il clapote ses vagues sous-jacentes
Internes, souterraines
Source pure
Source froide et si profonde,
De nos mystères autant que de nos fissures
Signer avec le pulsatile de nos marées intérieures…
Maintenir ce va et vient giratoire de fleur sauvage
Translation et contre sens, tous les vents emportés dans un cercle imparfait
Puisque en son cœur le centre sait s’absoudre de toute direction,
Son écho est un courant, un bouquet éclaté d’éclairs luminescents
Et enfin, l’âme se dilate, et,
Distendue, innervée à outrance
Dépose la signature,
Une éraflure, tracée à la pointe de la griffe,
Désossée par cet instant fragile… très vite, une gageure….
Pourtant, le grenat de la sève des hommes,
Quand la perle s’arrondit sur la pulpe de son index
Est un rubis brut,
Un joyau opiacé
L’œil du dragon me regarde….
La pupille arquée
…Je ne sais plus quand le rêve est venu me dire sa prophétie,
J’ai retiré l’opercule et j’ai plongé dans la vision de mes yeux fermés sur son méandre souterrain,
J’ai gouté le salé de mon sang,
Sa soudaine fraîcheur
Née de tous les jaillissements versés par les grands soleils bleus,
Les étoiles multiples,
Le lait du ciel,
J’ai eu le mal de mer, le mal de terre, le mal de vie,
Un besoin intense de me régurgiter dans le feu vorace.
Je sais que seuls l’eau vive, l’œuf du ventre
Et le cendré des dunes sous la lune
Sauront calmer ce déversé déferlement.
Je suis sortie de ma reptation,
J’ai mangé une poignée de sable roux,
Quelques reflets d’argent,
Deux nuages ocellés
Et j’ai regardé au-delà des trois montagnes vomies par les brumes,
Dans cette heure qui n’existe que dans la naissance de la première bulle
Celle qui se pose sur le seuil de la parole,
Percée par le souffle innocent de l’enfant nouveau né,
Et j’ai vu
Plus un mot n’est à dire quand tes ailes se déploient…
Et quand le rêve m’a bue,
Je n’étais déjà plus que son vol assouvi.
Cristina Campo – que la poésie comme prière
–
Moi je n’ai, vraiment, que la poésie comme prière – […]
Et quand la sentirai-je assez vraie (je ne dis pas pure, mais est-ce différent ?)
pour pouvoir la déposer sur cet autel
– dont je ne vois et ne verrai peut-être jamais les marches –
comme un panier de pignes vertes, un coquillage, une grappe ?
Chaque jour je suis de plus en plus persuadée que je n’ai pas d’autre rosaire,
d’autre épée, d’autre livre, d’autre cilice que cela.
Et je ne pars pas de l’amour de Dieu
– je suis dans le noir; pourtant je voudrais faire une chose
qui pour les autres semblera née dans la lumière.
Mais je dois me purifier,
vous n’avez aucune idée de mes péchés, je veux dire de mes crimes
–
En savoir plus sur http://www.paperblog.fr/3455248/cristina-campo-la-perfection-de-l-ange-par-zoe-balthus/#8Au7HJqyU63RXss6.99
–
Else Lasker-Schüler – Toi seul
TOI SEUL
Dans sa ceinture de nuages, Le ciel porte le croissant de lune.
Sous l’image en faucille , Je veux reposer dans ta main.
Toujours il me faut suivre la tempête, Je suis mer sans rivage.
Mais depuis que tu quêtes mes coquillages Mon coeur scintille.
Il repose tout au fond de moi, Ensorcelé.
Peut-être mon amour est-il le monde
Il bat
Et ne cherche que toi seul –
Comment donc t’appeler ,
NUR DICH
Der Himmel trägt im Wolkengürtel Den gebogenen Mond.
Unter dem Sichelbild Will ich in deiner Hand ruhn.
Immer muss ich wie der Sturm will, Bin ein Meer ohne Strand.
Aber seit du meine Muscheln suchst, Leuchtet mein Herz.
Das liegt auf meinem Grund Verzaubert.
Vielleicht ist mein Herz die Welt,
Pocht –
Und sucht nur noch dich –
Wie soll ich dich rufen ?
–
Cathy Garcia – Le septième sens

pantin surréaliste auteur Marcel Caram, autres oeuvres visibles sur flickR
Le septième sens
L’âme nue, coquillage brisé
Dans un mouchoir de peau.
Une algue violette
Au cœur du ruisseau,
Un trou dans le four à vie !
L’air d’un rire, sa note, son parfum,
Puis la coupe noire, vin du pirate,
Les fards du défunt.
Mains sur le corps
Mirage !
L’île, clé du silence,
La valse des innocents
Accrochés aux nuages.
Caractères de loups tendres,
Des lunes
Trop pleines d’attendre,
Trouver où ranger
La toile et le venin !
Le chant de l’oiseau dans la neige,
L’enfant rouge avale un rasoir.
La traînée sombre du cortège,
Le port défendu de l’espoir.
Peut-être un dernier vol ivre
Vers la dent de l’Eden,
Pour jeter têtes vives
Les bourreaux dans l’aven !
-.CATHY GARCIA
Sylvia Plath – Lady Lazarus
Sylvia Plath, poétesse « suicidaire », comme l’évoque ce texte, fait l’objet d’une réhabilitation méritée, l’article de « esprit nomades », détaille son parcours… et offre d’ailleurs une traduction différente de ce qui est montré ci-desssous.
Elle est l’auteur de » Cloches de détresse »
–
Dame Lazare (Lady Lazarus, 1962)
–
Et j’ai recommencé
Tous les dix ans
J’y reviens –
Un miracle vivant, ma peau
Luisante comme un abat-jour nazi;
Mon pied droit, c’est
Un presse-papier,
Mon visage, une fine
Toile juive,
Arrache ce linge
O mon ennemi.
Suis-je bien terrifiante? –
Le nez, les orbites, la denture parfaite?
L’haleine en un jour
Perdra toute son aigreur.
Bientôt, bientôt la chair
Sera
Chez elle chez moi
En moi, jeune femme souriante.
Je n’ai que trente ans
Et comme les chats, j’ai neuf fois pour mourir.
C’est la troisième fois.
Quelle dérision
Que de vouloir abolir chaque décade.
Ces millions de filaments!
La foule croquant des noisettes
Se bouscule pour les voir
Me déballer pieds et poings –
C’est le grand strip-tease.
Messieurs, mesdames
Voilà mes mains
Mes genoux.
Je n’ai que la peau sur les os
Et pourtant, je suis la même femme identique à moi-même.
La première fois, j’avais dix ans.
C’était un accident.
La seconde fois, je voulais vraiment en finir
Ne plus jamais en revenir.
Je me suis refermée
Comme un coquillage.
On a dû appeler, appeler
Et m’arracher les vers comme des perles gluantes.
Mourir
Est un art, comme tout le reste.
Je le fais exceptionnellement bien.
Je le fais et c’est l’enfer.
Je le fais et c’est la vérité.
C’est le retour
Le retour théâtral en plein jour
Au même endroit, au même visage, au même cri
Amusé et brutal :
« Un miracle! »
Qui me terrasse.
Il faut payer
Pour scruter mes cicatrices, payer
Pour entendre mon cœur –
Il bat vraiment bien.
Il faut payer et payer gros
Pour un mot, un contact
Ou un peu de sang
Une mèche de cheveux, un bout de ma robe.
Tiens tiens Herr Doktor
Ah tiens, Herr ennemi.
Je suis votre grand’œuvre,
Je suis votre trésor,
Le beau bébé d’or pur
Qui fond en un seul cri.
Je roule et je brûle.
Mais bien sûr que j’y crois à votre grand tourment.
Cendres, cendres –
Vous fouillez et vous remuez.
De la chair, de l’os, rien de rien –
Si! Un morceau de savon,
Une alliance,
Une dent en or.
Herr Dieu, Herr Lucifer
Prenez garde.
Oui, prenez garde.
Je sors de mes cendres
Avec mes cheveux rouges
Et je dévore les hommes comme l’air.
—
23-29 Octobre 1962
Sylvia Plath (1932-1963) –