Corinne Freygefond – le féminin

Ma gorge avale un cortège De bagages vides Portés par des femmes Toutes de noir vêtues Je devine en strates La voix de celle Par qui la vie m’a été donnée Je l’entends crier en moi-même Un cri Privé de matière Hérité du silence séculaire Je voudrais donner ma bouche A un arbre un oiseau une pierre issu du site de l'auteure
Simon Brest – les fossiles

A chaque équinoxe, vers les parloirs des capitales,
les voitures au point mort dansent et copulent.
Une puissance souterraine monte au matin des soupiraux.
Le brouillard d’un autre brouillard se charge.
La fête des ferrailles ravive l’espérance permanente des objets.
Pour quelques jours les foules, un peu plus courbées,
subiront l’impalpable chape qui englue.
On finira par désigner pour la cérémonie rituelle
quelques impénitentes.
Elles seront tramées à la grue par-delà des remblais.
Si d’insolence le rire d’un enfant
traverse le flot d’un cortège, il suffira d’ouvrir
les vannes des autoroutes
et l’imaginaire diurne reprendra ses droits.
Sous le soleil subjugué rugissent les carrosseries rutilantes.
La robotique des archanges, parquée sous la pénombre des hangars,
défèque pour le grand ordre de l’industrie.
Deux fois l’an seulement la bride est lâchée
quand les saisons basculent.
Mais pour chaque capitale de parade,
en exemplaire unique au fond de l’avenue de Thèbes,
l’avenir est préservé.
Veillés par des arbres en statue,
les dieux, dans le soir, digèrent et rêvent.
extrait des « chroniques du trente février »
Alain Borne – Étonner l’espace
On avait fauché dans les fleurs hautes et les herbes une tranchée où marchèrent les enfants, vêtus de blanc, agitant les encensoirs.
Les encensoirs touchaient un coquelicot, le fanaient, puis, revenant, couraient sus à une abeille, à un bourdon, touchaient un œillet des champs, repartaient en sens inverse effleurer une tige. Tant d’odeurs se mêlaient, du sol, du foin frais, des fleurs, de l’encens, du soleil.
De loin le cortège étincelait et fumait, surhumain, floraison en marche, passagère, silencieuse.
Un ogre aurait pu, aurait dû, égorger ces enfants, livrer leur sang exprès ; teindre la terre, étonner l’espace d’un grand crime. Pas d’ogre.
Mais un Dieu, très lent, cruel, hagard, décidé, écrasant ses vendanges, souillant ses sources, plein de sommeil et d’envie.
Il laissa fondre le cortège, sa pestilence aux aguets, bien sûr de vaincre.
Alain BORNE « Demain la nuit sera parfaite »(éd. Rougerie)