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Jean Tardieu – nuages


UN MOÏSE barbu qui naissait des nuages
tandis qu’au ras du sol j’écoutais étendu,
m’a demandé mon nom ma naissance et mon âge.
Ses blancs cheveux flottaient, sur la nuit répandus.
Or, comme épouvanté, je songeais à répondre,
voici que le Moïse, environné de sombres
lances, et transpercé par des flèches sans nombre,
mourut, devint cheval, puis chien, puis chevelure,
puis rideau s’entr’ouvrant sur l’abîme qui rit…
Brillant rieur du ciel, ta lance est douce et dure.
Ris de nous ! Tu nous vois, paysans amaigris,
labourer, pour semer, quand notre mort est mûre,
je ne sais dans quels champs, nos nerfs et nos esprits.
L’homme naît sous un astre et ne meurt nulle part ;
il naît ici, nommé, citoyen, riche ou non :
il meurt sans attributs, sans patrie et sans nom,
et, pieux, le tombeau simule un faux départ.
ô vous qui rechargez sur ma tête vos foudres,
blancs vaisseaux emportés vers quels deux vers quels ports
vous, Moïses barbus, corps de brume et de poudre
qui mourez l’un dans l’autre ainsi que des accords,
destins légers qu’un souffle a pu coudre et découdre,
nuages, saviez-vous le secret de ma mort ?

1926


Hugues Labrusse – L’indésirable


 

( – à Gaston Puel )

Détail de la façade ouest de l'église (XIIe s.) d'Aulnay-en-Saintonge (Charente-Maritime, France) 15216914856.jpg

sculptures –  Aulnay de Saintonge

Jour indivisé

Des pierres arrondissaient les angles.
Le soleil s’en allait.
Deux poutres reliées par une traverse.
Un chien hagard plonge dans les broussailles.
On n’arrache pas un sourire à l’écorce.

Lendemain

Dans la continuité de la masse, en guise de visage.
Le feu âpre transit le cône de marbre.
Tard, dans l’été,     la figure roule dans ta paume.
Son oubli fut le dernier souvenir qu’elle te laissa.

Surlendemain

Notre sœur à tête d’animal, notre peur encore muette et ses fleurs de terre
ses onguents de serpents, la saveur de sa lumière et de sa fatigue.
Ses mains ne remuaient pas encore.
Toujours plus tard
L’atrocité rêve à son écuelle en bois.
Du sommet de la montagne dévalent des étoiles épineuses.
Ton œil est de glace. Tu crains l’aiguille de métal qui te sert à coudre le ciel.
Laisse battre les volets.


Fromage de tête – ( RC )


peinture: Wosene Worke Kosrof

peinture:       Wosene Worke Kosrof

 

L’espace  tangue  dans ma tête.
S’il pleut encore des pierres …

J’hésite        entre la vie     et la survie.
La parole se découpe en une meule compacte.
Il me faut, pour l’ouvrir plutôt un scalpel,

Que le fil tranchant du fromager.
Extraire ce qu’il faut, juste pour avancer,
Encore quelques années .

Une fois que j’aurai tout consommé,
Tu pourras        me coudre la bouche,
Vendre le temps des étés, au plus offrant.

Je resterai quelque temps  tapi dans mon corps,
A cheval sur un souffle d’air,
Avant de l’offrir à la science.

On pourra  toujours graver mon nom quelque part,
Je serai déjà trop loin,            pour le déchiffrer.

RC –  oct  2014