Autre printemps – ( Susanne Derève) –

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Autre printemps.
Les couleurs claquent, violentes, comme une toile
au vent,
le jaune racoleur du colza et le vert pimpant
des prairies : pas besoin de soleil.
Sous le bleu implacable du ciel, seul un fin nuage
de poussière, dans le sillage des engins,
vient troubler le parfait agencement des cultures :
la puante odeur du lisier.
Les pâles fleurs des églantiers portent déjà leur fin.
Les fruits rouges leur feront bientôt de sanglants haillons
dans les bosquets.
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Absente aux dahlias – ( RC )

Ô, mon absente,
je vais jeter un pont
entre ces temps
où les jours s’enfuient,
car je t’appelle,
et tu es toujours là:
le cœur ne bat pas
qu’à moitié,
et tu vois,
j’ai redonné de la vigueur
aux couleurs des dahlias,
qui fleurissaient notre jardin…
Ils renaissent à chaque fois
que le cycle de la vie s’embrase,
car tu habites toujours
quelque part, auprès de moi… !
Nature morte au verre, à l’orange et aux citrons – ( RC )

Grande joie de lumière
dans la toile rectangulaire
dès qu’on ouvre la porte :
une nappe plissée,
quelques fruits disposés,
un verre , et la musique du silence
en couleurs complémentaires :
c’est ce qu’on pense
être une nature morte…
Trois citrons aux ombres vertes,
attendent sur une assiette.
Aucun des fruits ne bouge,
personne ne les dérange
dans leur écrin rouge
voisin du verre à pied
où transparaît la valse des bleus
dans leur savant camaïeu.
Juste une orange isolée
dans le coin droit,
dépourvue de pesanteur
attend qu’on la mange.
Avant qu’on l’attrape
elle répercute un peu de couleur
sur le verre vide
dont la matière limpide
se dresse sur la nappe.
Le côté gauche est plus incertain:
il est probable
qu’on devine un coin de table :
– on a négligé le reste du festin
pour concentrer notre attention
sur la composition -,
les courbes qui se répondent
et les formes rondes
de la nature morte aux citrons.
RC – Août 22
le buffet des desserts de lune – ( RC )

Au buffet des couleurs
un peu de sirop d’érable,
parure des heures de la nuit
sucre de pastèque,
lueurs du rêve :
c’est la pleine lune,
le dessert
qui traverse la fenêtre
et rebondit sur la Rance,
même le soleil
caché de l’autre côté de la terre
ne l’a pas avalée,
malgré un solide appétit…
L’oeil éteint du gardien invisible – ( RC )

Je suis entré dans le palais désert,
les portes se sont ouvertes
sans que je les pousse,
un gardien invisible portait un masque :
un visiophone ouvert
sur l’indifférence…
J’étais seul dans un univers sans issue,
entouré de somptueux tableaux,
protégés par d’épais panneaux de verre.
Un sol de marbre lisse
renvoyait leur reflet.
Des sculptures aux gestes figés
tentaient de prendre leur envol,
mais le poids exagéré de la pierre
les maintenait au sol :
aucune n’avait de couleur.
Elles avaient dû la perdre
dans leur effort
pour s’échapper ainsi de l’espace clos,
où seule une lumière grisâtre
parvenait du plafond.
Mes pas , tournant sur eux-mêmes,
ont résonné
dans le dédale des salles,
Je me suis aperçu
qu’elles s’ouvraient sur celles
que j’avais déjà parcourues.
Je n’ai croisé aucun visiteur,
à qui j’aurais pu demander
la sortie.
J’ai fini par confondre
tous les tableaux,
toutes les couleurs,
sous l’oeil éteint
du gardien invisible :
pressentant que jamais,
je ne sortirais du palais…
Le coeur funambule – Ecchymoses

Sur les ecchymoses du jour
Perlent quelques gouttes de ciel
L’onguent du crépuscule
Brode un ourlet pourpre
Aux jupes élimées des vagues
Brindilles de mer
Le souffle du courant
Efface les taches de l’oubli
Sur les visages de l’eau
Toutes les teintes du vent
Accrochées aux ailes des mots
En friselis d’écume
Dansent aux marges des rochers
Le bavardage des algues
En strophes d’ombre et de lumière
Sème les graines des phrases
Au chant muet de nos lèvres
Face aux festins des couleurs
Nous habitons tout à la fois
Le paysage et son reflet
Le brasier montant aux joues de la lune
Dans le silence aiguisé du jusant
Les rouges gorges des braises du couchant
En rayons brûlants pénètrent lentement
Le ventre humide de l’océan
avec l’autorisation d’Olivier ( voir son site )
Haïku d’un crépuscule – ( RC )

au soleil qu’engloutissent les vagues ,
sombrent des couleurs du monde ,
lourds doigts de ténèbres
Paysage – ( Susanne Derève)

Broyer le vide
le tordre comme un linge
J’en fais surgir des paysages que ne recouvre pas la mer
et qui pourtant moutonnent comme des vagues
à l’horizon
des verts profonds qui se chevauchent
et qu’au matin grise le gel
Une main y dessine pour moi le contour d’un chemin
l’herbe légère
Je lui dirai d’y ajouter quelques galets
pour changer le cours des rivières,
et la roue d’un moulin
y tissera les pleins arceaux du jour
ceux de magie et de lumière
où les heures s’étalent
Ainsi la couleur déposée sur la toile
en cerne les contours
Dans la république des oiseaux – ( RC )
montage RC
Il n’y a pas besoin de clé,
pour passer dans un autre monde:
Juste tourner la poignée de la fenêtre
pour marcher de plein pied dans l’espace.
Des traits se côtoient,
mais jamais ne s’enchevêtrent.
Les pépiements que j’écoute,
aussi , se superposent.
Je suis rentré dans la république des oiseaux,
( en fait dans un monde sonore
où se croisent les langages
de la nature ).
Quels que soient les plumages,
de bois, de cuivre
ou de simple roseaux
que le souffle entraîne.
Je voisine en musique un merle rieur,
une bécasse, et d’autres espèces
aux couleurs changeantes,
comme dans le catalogue de Messiaen.
Ces oiseaux sont de minuscules étoiles
qui animent le ciel tendu
à mes oreilles :
drap vivant de l’azur perpétué.
Il n’y a pas besoin de clé,
pour passer dans un autre monde:
il suffit , par exemple, d’écouter
Naïma , de Coltrane …
C’est comme une partition de liberté
où les notes filent à toute allure
comme ces hirondelles
dansant leur mélodie.
Qui la leur a apprise ?
Comment se fait-il qu’à chaque fois s’échappe
l’harmonie sans qu’on la rattrape,
quand le musicien improvise ?
Jean- Claude Pinson – le nom des bateaux
Je vais au port pour le drôle de plaisir
de lire les noms des bateaux
ils font comme un poème grandeur nature :
korrigan annaïg scrabic eldorado
canaille ajax cathy jabadao gavroche
liphidy malamok piano-piano
vers l’aventure…
poème écrit en couleurs très criardes
en croyant fermement à la magie du verbe
peut-être la même foi qu’avaient ceux
qui gravaient des signes énigmatiques
sur le granit des tumulus
poème tous les ans refait
d’une couche de peinture marine
il faut bien ça pour résister au temps
qu’on ne voit pas bien sûr
mais sans cesse il racle en sourdine
creusant comme la drague qui geint dans le bassin
poème guttural bercé le long des quais
à la fois d’avant-garde et naïf
à lire sans risquer le haut-le-cœur
ce n’est pas un poème où l’on pleure
sur son sort ou celui des travailleurs de la mer
poème endurci au contraire
par le sel des tempêtes…
La journée du peintre – ( RC )
peinture: P Cézanne — parc du château noir 1904
Je ne sais
quand les journées s’allongent :
je suis pieds et poings liés
à la chanson du pinceau,
et j’en oublie les heures,
jusqu’à ce que je plonge
dans l’oubli des choses,
ainsi mon ombre me devance
sur la toile ébauchée.
Et chante aussi la rivière
sous le pont de pierres…
J’ai confondu ce que j’ai peint
avec une journée d’été.
Je dépose la lumière par petites touches ,
qui se rassemblent contre l’obscurité.
Je marche dans une clairière
que j’ai inventée ,
je m’y égare un peu .
La futaie change soudain d’aspect
sous l’éclairage électrique .
Elle n’a plus cet attrait magique
des rideaux de feuilles .
Je continuerai demain
marchant dans sentes et chemins :
il y a des couleurs qui s’attardent
à la façon de feuilles d’automne
Elles sont aussi sur mes mains tachées ;
je vais aller me nettoyer
puisqu’une journée à peindre
vient de s’éteindre
sans bruit ,
remplacée progressivement par la nuit .
–
RC – juin 2019
Tubes, couleurs, palettes, tableaux – ( RC )
On n’imagine pas
comment les familles de pâtes
prisonnières
libèrent leurs couleurs
sur les palettes :
– arcs-en-ciel bousculés ,
petits tortillons calmes,
dans l’attente de la toile
où grésillent déjà des ocres
et les rouges.
On n’imagine pas non plus,
comment ces mêmes couleurs,
extraites des tubes,
– à la manière des bernard-l’hermite
sortant la tête de leur abri – ,
vont tout à coup envahir
les zones encore vierges ,
lutter contre d’autres,
ou s’y fondre
en chatoiements discrets.
C’est que chaque peintre
a son regard,
que la lumière provoque,
et bouscule .
De palettes identiques ,
la douceur des pinceaux,
la fureur des brosses
laissent des empreintes
chaque fois différentes
organisées en accords vibrants .
Tubes alignés dans l’attente,
les flacons de vernis sont en transe,
encore immobiles,
mais constatent que le peintre
les allient à l’ivresse des songes
ourlés d’essence de térébenthine ,
en couches opaques ou translucides.
Le tableau en est l’écran
où se concrétise sa vision
( et du même coup, la nôtre ).
–
RC – juin 2019
Claude Pélieu – Printemps rouge et noir

Mark Rothko
J’aime le silence de la forêt
et les paysages inachevés
(Il paraît que nous sommes assurés
de notre défaite et de notre désintégration)
nos peurs barbouillées du sang de la nuit
ruptures brisures transmissions
sur le mur d’écrans les fournaises du monde
tout devient visible et les fleurs du silence
incendient nos yeux de rumeurs
merles rouge-gorge mésanges sont revenus
l’herbe du printemps imite le vol des mouettes
flammes bleues à travers les branches des érables
c’est la fin de l’hiver et par temps de pluie
les couleurs pleurent sans mémoire
Indigo Express
Paris – le livre à venir- 1986
Il y avait , sur le dessin – ( RC )
Brooklyn Street-art
–
Il y avait sur le dessin
des ombres, mais aussi des couleurs
qui sont venues habiller le mur.
A travers les grilles,
je le voyais
avec ses fleurs blanches et pourpres,
mais aussi le ciel plombé
d’un proche orage,
Il faisait ce contraste au bonheur
et aussi le mettait en valeur .
Il y avait ,
—– ( car un jour de colère,
quand le cœur se déchire,
j’ai voulu effacer les clématites
avec un chiffon et de l’essence ).
Quand le regard s’y pose,
on voit que tout a dégouliné :
Ce n’était pourtant pas suite à l’averse :
tout n’est pas complètement gommé:
je ne repars pas d’une toile vierge :
on devine bien des choses,
malgré le repentir
on y voit des restes de bonheur
que je n’ai pas pu
( ou pas voulu )
complètement effacer …
RC – août 2018
Yves Bonnefoy (La chambre, le jardin I)
Chuta Kimura, Midi Provence, 1975
Cette chambre, fermée
Depuis avant le temps. Les meubles, le sommeil
Se parlent à voix basse. La lumière
Tend sa main à travers les vitres. D’un bleu éteint
Le vase qui s’éveille sur la table.
Peintre, tu es le seul, ayant souvenir,
A pouvoir aujourd’hui entrer ici.
Tu sais qui a lissé, dans l’éternel,
Le désordre des draps, les recouvrant
D’étoffes dont se fanent les images.
Entre,
Te souffle le silence que tu es,
Entre avec ce rouge vineux, cet ocre jaune,
Ce bleu d’autres années,
Fais qu’ils prennent la main de la lumière,
Qu’ils la guident ! Ils lui montrent les quelques fleurs
Dans l’or des feuilles sèches.
A son doigt, comme sa mémoire, cet anneau.
Tu vas rester ici, jusqu’à ce soir. C’est plus,
Peindre, que rendre vie, c’est donner être,
Même si impalpable, presque invisible
Cette main qui dans l’ombre prend la tienne.
Ensemble encore (Poèmes pour Truphémus)
MERCVRE DE FRANCE
… d’un rêve en couleurs, comme un tableau de Chagall – ( RC )
peinture: Marc Chagall
Il y a trois chevaux courant dans le ciel,
ils marchent sur des nuages et boivent le vent .
Il y en a un vert, un rouge , un jaune.
Ils galopent au-dessus de la ville.
La tête à l’envers sur le quai de la gare,
les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ;
la galaxie est toute proche .
Tu pourrais presque toucher les étoiles.
C’est comme dans un tableau de Chagall .
Un violoniste joue sans partition
de vieux airs yiddish
avec un accordéoniste .
C’est un mouvement de danse
qui t’entraîne au-dessus des toits.
Cette mélodie t’appelle ….
… – d’un rêve en couleurs tu te rajoutes des ailes.
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RC – mars 2018
Une île de douleur – ( RC )
Une frêle île flottante,
une barque malmenée par les vagues
chargée jusqu’à ras bord
d’abandon et de douleur.
C’est une partie de pays
mise en quarantaine,
qui espère un jour
retrouver la terre ferme.
Epuisée des orages,
abandonnée par le soleil,
à chaque jour son naufrage
une barque prisonnière du destin
Comme un oiseau dans sa cage
livré aux éléments,
c’est une île fragile
sur la route de l’exil
La route de l’inconnu
juste derrière l’horizon :
Empire de la douleur,
le ciel a perdu ses couleurs.
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RC – oct 2016
–
d’après Louis Aragon » Quarante »
Je perçois de nouvelles esquisses – ( RC )
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Je danse contre le feu,
et l’être se découpe en contre-jour,
parfois bu de fumées .
Dans la musique, se fondent
les arpèges, le violon,
le sel et la neige.
Je suis une ombre
jetée face à la lumière,
un tourbillon qui s’oublie
et distribue un corps en bribes .
L’oeil a du mal à en fixer
ses mouvements .
Le rythme les dissout,
ou peut-être je redistribue
les cartes, je change le jeu
et les couleurs :
je me suspends à l’invisible,
en modèle une autre existence .
Les traits ne se superposent
pas aux anciens,
On doute de ses traces ,
on se demande quelles sont
les vérités : Elles s’effacent .
Je perçois de nouvelles esquisses.
–
RC
Dilution – ( RC )
peinture: Helen Frankenthaler
Ici l’ailleurs peut se diluer .
Les couleurs sont pâles :
Les idées ont pris de l’embonpoint .
On les cherche,
comme on le ferait pour la direction du vent ;
Il faut mouiller son doigt pour le savoir.
Ceux qui écrivent préfèreront l’encre :
mais le plongeant dans l’encrier ,
ils le sortiront sec .
La pâleur atteint même l’écriture .
–
RC – juill 2017
Une sculpture fragile ,une chemise de nuit, et un nuage de dentelles – ( RC )
peinture: Anselm Kiefer
–
Sur le socle, une sculpture fragile ,
une chemise de nuit, et un nuage de dentelles.
Elle protège ton corps, hautement inflammable .
Ceci a à voir avec la magie :
tu repousses la pénombre,
celle des fumées, qui ont fini – autodafés –
par fermer le monde d’un couvercle.
Le bitume se fendille, la terre ouvre des crevasses.
Elle a soif.
Les gens ont des robes de béton,
et des voiles noirs
qui pèsent autant que s’effacent les couleurs.
Ils essaient de sauver quelques objets,
ce qu’ils ont pu emporter
sur une charette.
Ils m’ont pris pour l’un des leurs,
car j’avais sous le bras
ton portrait inventé,
dans une chemise de nuit,
et un nuage de dentelles.
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RC – mai 2017
Alda Merini – j’ai besoin de poésie
photo: Julie Blackmon ( hommage à Balthus : Olive & Market street )
Je n’ai pas besoin d’argent.
J’ai besoin de sentiments,
de mots, de mots choisis avec soin,
de fleurs comme des pensées,
de roses comme des présences,
de rêves perchés dans les arbres,
de chansons qui fassent danser les statues,
d’étoiles qui murmurent à l’oreille des amants.
J’ai besoin de poésie,
cette magie qui allège le poids des mots,
qui réveille les émotions et donne des couleurs nouvelles.
Alda Merini
Balthus: le passage du commerce St André
Henry Miller – Vin
C’est un vin qui glisse comme du verre fondu,
et qui coule dans les veines comme un feu fluide, lourd et rouge,
dilatant le coeur et l’esprit. On se sent à la fois lourd et léger ;
leste comme l’antilope et pourtant incapable de bouger.
La langue rompt les amarres, le palais s’épaissit agréablement,
les mains décrivent des gestes larges et lâches, de ceux qu’on aimerait tirer
d’un crayon gras et tendre. On aimerait peindre tout à la sanguine ou au rouge pompéien,
avec de grandes éclaboussures de fusain et de noir de fumée.
Les objets s’élargissent et se brouillent, les couleurs sont plus vraies et plus vives,
comme pour le myope quand il ôte ses verres.
Mais par-dessus tout, c’est un vin qui réchauffe le cœur.
Henry MILLER « Le Colosse de Maroussi » (Ed. du Chêne, 1948)
Les couleurs se cachent, par-devers moi – ( RC )
–
Les couleurs se cachent, par-devers moi…
Il faut que je les révèle, que je plaide en leur faveur.
Elles ont besoin de se déposer, d’un peu de temps,
Et d’une volonté qui trace à ma place,
Sur la toile, les plus grands desseins.
Il n’ a que les yeux d’aveugle, pour ne pas voir ;
Les images y seraient présages,
Et le silence une cage où se recueillent,
Les idées qui m’emportent ailleurs ,
( sont-elles encore les miennes ? )
Une torture douce, délivrée de blessures,
Où j’y murmure seul, les cris,
Et l’amour des vivants, un pinceau à la main,
Là , où se confrontent les recoins d’ombre,
Et révélations de lumière .
Je les absorbe et les restitue.
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RC – nov 2014
L’irrésistible avancée des couleurs – ( RC )
–
–
Quand un bleu-gris
Affronte l’outre-mer ,
Bascule sur la rive sauvage
Un plafond fragmenté.
Il fleurit de baies pourpres,
Menace de s’effondrer
En hexagones irréguliers,
Disposés selon une dynamique
Echappant à celle des saisons.
On dirait presque la chaussée de géants
Dont les colonnes donneraient leurs sceptres
A l’irrésistible avancée des couleurs ;
D’abord imperceptibles,
Puis se nourrissant d’elles-mêmes ,
Occupant toute la surface…
Juste quelques interstices
Laissent supposer comment
Respire le fond : un ciel
Avant que les nuances de rouge
N’explosent et retombent
Comme feux d’artifices,
Sur la toile.
–
RC
Armand Robin – poème pour adulte ( XIV )
–
XIV
Ils ont invectivé les routiniers, Ils ont instruit les routiniers,
Ils ont éclairé les routiniers, Ils ont fait honte aux routiniers,
Ils ont appelé à l’aide la littérature, Putain cinq fois centenaire Qu’il faudrait éduquer, Qu’on devrait éduquer :
— Dis, le routinier est-il un ennemi?
— Non, le routinier n’est pas un ennemi. Il faut instruire le routinier,
Il faut éclairer le routinier, Il faut faire honte au routinier, Il faut convaincre le routinier, il faut éduquer.
Ils ont changé tous les hommes en nourrices. J’ai entendu un rapport raisonnable :
« S’il n’y a pas convenablement échelonnés
Des stimulants économiques,
Il n’y aura pas de progrès technique. »
Voilà des mots de marxistes,
Voilà « la connaissance des lois du réel »,
Voilà la fin du monde des rêves.
Il n’y aura pas de littérature sur les routiniers ;
Il y aura de la littérature sur les tracas des techniciens,
Sur les soucis dont on accable tout le monde.
Et mon poème, le voici nu
Avant que le rendent velu
Les douleurs, les couleurs, les odeurs de ce pays.
–
(Armand Robin) (1955)
Aliette Audra – N’envoyez pas de lettres
–
N’envoyez pas de lettres
N’envoyez plus de lettres, seulement des feuilles
D’arbres, que le soleil détache ou le vent cueille
Ou l’automne abat et dépose entre vos mains.
Je ne les recevrai jamais le lendemain,
Mais j’ai depuis toujours l’habitude d’attendre
Et mon cœur, de veiller, n’en sera pas moins tendre.
Vous ne pourrez, c’est vrai, rien écrire dessus,
Cependant je lirai comme si j’avais su
Les paroles que vous formulez dans votre âme
Tant vos rêves pour moi ont l’éclat de la flamme.
Choisissez les couleurs suivant le ton des jours ;
Que la feuille soit fraîche si le ciel est lourd,
Et d’un vert bien profond si le ciel est trop pâle.
Qu’elle soit de chêne et blonde comme le hâle
Au front d’un bel enfant, quand s’achève l’été,
Et lorsque vient Novembre, afin de refléter
Ce qu’il ensevelit et ce qu’il remémore
Veuillez me cueillir une feuille au sycomore.
(Mais qu’elle soit de hêtre, d’aulne ou d’olivier,
que m’importe après tout pourvu que vous viviez !)
Et si, dans le futur, un jour Dieu vous propose
Par hasard le bonheur, pour me dire la chose
Envoyez simplement une feuille de rose.
Aliette Audra
(Paris, 1897 – Lausanne, 1962)