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Juliette – Aller sans retour


Ce que j´oublierai c´est ma vie entière, 

La rue sous la pluie, le quartier désert,
La maison qui dort, mon père et ma mère
Et les gens autour noyés de misère
En partant d´ici
Pour quel paradis
Ou pour quel enfer?
J´oublierai mon nom, j´oublierai ma ville
J´oublierai même que je pars pour l´exil

Il faut du courage pour tout oublier
Sauf sa vieille valise et sa veste usée
Au fond de la poche un peu d´argent pour
Un ticket de train aller sans retour
Aller sans retour
J´oublierai cette heure où je crois mourir
Tous autour de moi se forcent à sourire
L´ami qui plaisante, celui qui soupire
J´oublierai que je ne sais pas mentir

Au bout du couloir
J´oublierai de croire
Que je vais revenir
J´oublierai, même si ce n´est pas facile,
D´oublier la porte qui donne sur l´exil

Il faut du courage pour tout oublier
Sauf sa vieille valise et sa veste usée
Au fond de sa poche un peu d´argent pour
Un ticket de train aller sans retour
Aller sans retour

Ce que j´oublierais… si j´étais l´un d´eux
Mais cette chanson n´est qu´un triste jeu
Et quand je les vois passer dans nos rues
Étranges étrangers, humanité nue
Et quoi qu´ils aient fui
La faim, le fusil,
Quoi qu´ils aient vendu,
Je ne pense qu´à ce bout de couloir
Une valise posée en guise de mémoire…


Pourquoi je dors dans le couloir – (RC )


 

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Je dors à même le sol,
dans le couloir de l’hôtel.

L’air a été meurtri de couches diffuses
de tabac froid.

J’imagine qu’il y a
derrière les portes de chambres,
des lumières falotes,
et une photo défraîchie
d’une baie, quelque part,
en méditerranée.

C’est étonnant comme les choses immobiles
traversent les années.
Si le bâtiment s’écroule,
et qu’on voie comme si une tronçonneuse
était passée au travers

il y aura de chambre en chambre,
ce papier peint identique
à rayures verticales,
ces photos de la baie,
et la trace en clair,         sur le mur

des armoires hautaines,
ayant déposé leur ombre,
puis qui ont basculé
avec les étages
avec une pluie de gravats.

Je dors à même le sol,
dans le couloir de l’hôtel.

Je n’ai pas voulu entrer
dans la chambre
que j’ai réservée ,
où l’on ne dort
que d’un sommeil anonyme.

Mais j’entends tous les bruits.
Mes voisins qui ronflent,
l’armoire noire qui baille
attendant le bon moment
pour libérer les serpents.

Ils ne vivent que la nuit
et répandent leur venin
obséquieux dans les rêves
de citadins de passage
qui traversent les voyageurs .

La ville coasse encore
sous l’effet de la brume
et des lampes à iode :
une atmosphère de fête
qui plaît aux rongeurs.

Ils grouillent de partout
pénètrent dans les moindres interstices
et prennent le pouvoir:
leurs reflets dans leurs yeux,
sont comme de petites lucioles

Ils sortent même des lambris,
renversent les brosses à dents
et dévorent les tapis.

Vous devez maintenant savoir
pourquoi je dors dans le couloir.


RC – janv 2019


Paul Farelier – La chambre est un lac de mémoire


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photographe non identifié

 

la chambre est un lac de mémoire
là où était le lit on n’ose pas marcher

c’était l’an dernier
les meubles
on revoit mal les meubles
vendus
ressuscites ailleurs dans .l’amnésie
de chaleurs nouvelles
mais la tenture
sale
inégalement indiscrète
le vieux destin y accroche
ses mains

près de l’interrupteur
où le couloir amorce
la contamination de l’ombre
et il y a tant de vent dehors
que l’allée déchire les basques du jardin
et tant de cris d’enfants dans l’escalier
qu’il va se dévisser

Paul FARELIER
« Syllepses n° 6 »
in « Poésie 1 » n» 75
(Éd. Saint-Germain-des-Prés)


Je viens de changer de planète – ( RC )


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Ça commence à l’ombre,
C’est un halètement que j’entends.
La croisée du destin me porte à explorer les choses.
Il n’y a pas d’ouverture visible.
Mais il faut chercher; il faut pousser,
engager sa tête dans un couloir.

Le mouvement est irrévocable.
Peut-être pressé d’arriver quelque part,
en tout cas pressé, par l’enveloppe souple,
qui se tend, un corps avide de délivrance.
Ou bien est-ce moi qui l’appelle ?
On ne sait pas où on va, ce qui nous attend.

Mais je pressens que c’est le moment.
Jusqu’à ce que je perçoive le jour.
Une petite ouverture au bout d’un tunnel.
Et puis çà y est .. je suis dehors.
On ne s’en est même pas aperçu.
Juste saisi par le froid, et une lumière aveuglante.

Les poumons se gonflent malgré eux,
à la façon d’un airbag brutal.
Et c’est un choc.
Et c’est un cri, qui me propulse dans la vie,

sans transition.

Je viens de changer de planète .

RC – janv 2016


Jean-Claude Xuereb – Nadur


Balmes  Montbrun  chapelle- 003-t

photo perso – Ardèche

extrait de la  SUITE GOZITANE      (fragments)

NADUR

 
L’étranger qui voudrait pénétrer dans l’une de ces demeures n’aurait nul besoin d’en forcer la porte. Les clés reposent à l’extérieur sur la serrure de l’entrée. Les occupants trouveraient incongru que quelqu’un, mû par un réflexe précautionneux, les leur rapportât.

Ingénuité ou fatalisme ? Sans doute entendent-ils plutôt signifier qu’il demeurent fidèles à une tradition d’hospitalité, tout en invitant le passant, libre de s’en prévaloir, à n’en point abuser

Persistance de symboles au seuil de ces maisons dont un dauphin figure le heurtoir.
Et si la peur, qui ailleurs  arme  les verrous, n’avait d’autre effet que d’exacerber jusqu à l’effraction la hâte de posséder et le goût de détruire…

Au cours de notre quête d’introuvables registres, une porte entrouvre la pénombre sur un couloir au glacis de silence.
L’air raréfié retient ici la respiration d’êtres dont le corps étiolé ne doit guère plus peser que l’âme.

Ils nous détaillent leurs maux à voix basse.

Sur le marbre de la cheminée, statuettes et images pieuses se pressent autour de portraits surannés.
Deux veilleuses à la flamme ivre d’huile achèvent de se consumer au pied d’une madone Nous avons hâte d’aller boire à nouveau la brûlure du soleiL
D’autres façades ne nous retiennent pas : celles qui arborent, à l’effigie du kangourou, le luxe arrogant de fortunes  australiennes, dans l’étrange proportion d’un îlot à  un continent.

 

 


Vingt minutes d’arrêt à l’Estaque – ( RC )


 

pastel - Régine Chiesa

pastel – Régine Chiesa

Vingt minutes  d’arrêt  à l’Estaque  .
Des voyageurs, debout dans le couloir,
sont penchés aux  fenêtres,
d’autres  ont sorti de quoi boire .
Il  y a un peu de vent.
Les cigales grésillent.

J’ai sorti le cahier aux lignes fines,
quelques pastels, qui racontent le ciel
d’encre liquide,
l’alignement  des wagons d’un train de marchandises,

les pins qui s’inclinent, comme des flammes, à l’air marin.
Je les  rends  rose,
comme s’ils étaient  en barbe-à-papa .
Il y a quelque part un air de fête .

Je me livre, à ma  « petite sensation »
Des oiseaux  se disputent des miettes.
Les rails sont des traits lumineux
sous la pression du soleil.

Je n’ai pas le temps de trouver le temps long,
ni de pousser plus avant le dessin.
Le paysage  s’ébranle,  la gare est loin déjà ,
Je serai bientôt à Marseille .

RC  –  oct 2015


Abdellatif Laâbi – Quatre ans


Quatre ans

Cela fera bientôt quatre ans
on m’arracha à toi
à mes camarades
à mon peuple
on me ligota
bâillonna
banda les yeux
on interdit mes poèmes
mon nom
on m’exila dans un îlot
de béton et de rouille
on apposa un numéro
sur le dos de mon absence
on m’interdit
les livres que j’aime
les nouvelles
la musique
et pour te voir
un quart d’heure par semaine
à travers deux grilles séparées par un couloir
ils étaient encore là
buvant le sang de nos paroles
un chronomètre
à la place du cerveau

C’est encore loin le temps des cerises
et des mains chargées d’offrandes immédiates
le ciel ouvert au matin frais des libertés
la joie de dire
et la tristesse heureuse

C’est encore loin le temps des cerises
et des cités émerveillées de silence
à l’aurore fragile de nos amours
la fringale des rencontres
les rêves fous devenus tâches quotidiennes

C’est encore loin le temps des cerises
mais je le sens déjà
qui palpite et lève
tout chaud en germe
dans ma passion du futur.

 

 


Au dédale de l’obscur – ( RC )


dessin préhistorique: grotte de Niaux ( Ariège)

Au dédale  de l’obscur

C’est d’un lieu retiré,
La falaise vertigineuse
Marqué d’incidents géologiques
D’indices des géants
Ayant perdu leurs sabots
Lors des sauts de sept lieues,
Les vases de pierre
Sortant des ombrages

J’ai inventé, dans l’obscurité les signes
Au creux d’un dédale d’aventure
S’ouvrant  au pied des arbres
Une coquille, qu’habitaient les ours
Maintenant vide         – ou bien, qui sait ?
Magnifié d’orgues stalactites
Qui se créent en secret
Au coeur même  de la roche.

Le long des parois
Que nulle lumière n’atteint
Il faudrait ,               à tâtons
Ressentir de la pierre, le grain,
La pâte glissante de glaise
Jusqu’aux mains négatives,
Les tracés charbonneux des rennes
Et des boeufs couleurs  d’ocre
Qui ruent         toujours,    immobiles

Et les verticales des failles
S’élargissant peut-être en couloirs
Où se perdait un torrent.
En chutes bruyantes qui cascadent
Ou gouttes-à-gouttes lentes,
Si lentes qu’elles silencent
Dépôts des siècles, en patience,
Loin d’un dehors,dont on oublie le nom.

peinture: main préhistorique – négative,      grotte Cosquer  –  Bouches du Rhône

RC  –  10 août  2012


camisole ( RC )


Ouvre donc ces portes  , que le vent  s’engouffre

Qu’un peu d’air glisse  sur  ces carreaux lisses  !!

Que je sente  un peu du dehors  les bruits qui frappent  !!

Un peu au mur de la vie, celle qui est à l’écart…

 

Ouvrez donc un peu, que mon regard  franchisse

La salle, et les couloirs,  et les carreaux blancs encore,

Il y a trop de monde dans ma tête qui se heurtent à ces murs blancs.

 

A ce monde préservé, sans aménité.

C’est d’un neutre,  cette absence, en blanc,

Cette perte de fantaisie, de vie, de chaleur

 

C’est peut-être  tout ce blanc, pour mieux  repérer mes cris, la solitude  qui se blesse aux arrondis de chromes.

Qui se répercute aux fenêtres hautes, garnies de grillage fin,

pour l’oiseau en cage.

C’est aussi pour me maintenir là,

Sur place, immobile,  maintenue par des épingles  sur  un socle, comme les papillons.

 

Les échos des voix des infirmiers  me rendent plus atone que leurs piqûres, et les grands  couloirs.

Récurés journellement  à renfort de  désinfectant.

Drôle  de vie que celle, empêtrée dans  du blanc, du blues blanc plein les dents,

 

Et ma tête qui cogne, si loin de cet endroit, où seules les hirondelles  me font signe,

Rayant la fenêtre haute, à coup de liberté.

Isolée dans ma camisole.

 

 

RC  – 4  juillet  2012

 

 


Armando Ribeiro – un jour peut-être,je t’écrirai une lettre


peinture Gabriel Metsu : dame écrivant une lettre

Armando Ribeiro

Par Claire-Lise dans Printemps des poètes

Un jour, un jour peut-être
Je t’écrirai une lettre
Plume en sang sur feuille blanche
Souvenirs d’un vieux dimanche

J’attendais habillé d’espoir
Assis dans un petit couloir
La dame à la robe endimanchée
Aux cheveux finement bouclés
Qui me prendrait dans ses bras
Et me murmurerait tout bas
Je suis là maintenant
N’aie plus peur mon enfant

Et puis j’étouffais mes pleurs
En murmurant au fil des heures
Encore un peu et elle sera là
Encore un peu et elle viendra
Puis le soleil crèvera les nuages
L’oiseau s’en ira en voyage
Et je l’attendais enfant perdu
Je l’attendais puis c’est tout

Je l’attendais enfant sage
Rêvant de partir en voyage
L’entendre rire un petit peu
Voir le Tage et les bateaux
Sentir la douceur de son parfum
Et puis lui tenir la main
Pour oublier mes souffrances
Et ne plus mourir d’enfance

À l’écriture d’enfant oublié
À l’encre d’un silence blessé
Un jour tu sais, un jour peut-être
Que je t’écrirai une vieille lettre.