Kenneth White – la porte de l’Ouest

L’échappée, ah – cette lueur bleu sombre
le long du fleuve puis
l’éclair d’ambre doré puis encore
la lueur bleu sombre tout le long du fleuve
( vieux rafiot noir là-bàs traînant
près d’un gros paquebot blanc )
et les nuages filant bas
au-dessus des vagues grises aux crêtes
écumantes ( ah cette courbe qui se brise ) et en haut
le vol noir des goélands
Puis les collines, fougères rousses entre-
mêlées et les ronces et les roses sauvages et
le houx rouge-sacré dans la neige
et les arbres dégoulinant de pluie –
marchant sur les chemins de glace bleue les
ruisseaux impétueux l’air mordant
et cette lumière d’une clarté folle
cette lumière abrupte angélique démentielle
qui fait surgir le monde dans sa nudité
réel toujours changeant clair-obscur perpétuel.
Des clefs pour compter les minutes – ( RC )

As-tu toutes les clefs pour compter les minutes,
les changer en années ?
Les heures sont de retour.
Ce sont peut-être les mêmes qui reviennent,
si, comme le pense Patti, il n’y a peut-être,
ni passé, ni futur. Juste un passage,
un éclairage, passant de l’ombre à la lumière,
ainsi le soleil, qui réapparaît
après s’être dissimulé derrière un nuage.
En chevauchant une parcelle de temps,
tu n’en perçois qu’une étincelle,
pas ce qui en est à l’origine,
ni sa courbe dans l’éternité.
Juste un soupir,
dont nous gardons un instant
le souvenir.
—
variation sur Mr Train ( écrit de Patti Smith )
La porte étroite – ( RC )
Tu ne regarderas plus sur mon épaule :
trop de larmes ont dévalé les pentes :
mon existence a suivi une courbe lente,
trop d’eau a coulé sous le saule.
J’ai refermé sur moi la porte étroite :
il n’y a plus de place à la lumière ;
ni aux infimes grains de poussière :
je sens déjà l’usure du temps avec ses grosses pattes.
Ma respiration se voile en suspends,
léger sursis à ma lourde peine,
au souffle ténu d’une légère haleine,
avant que se glace mon sang.
–
RC – août 2020
Vous ne vous imaginiez pas modèle – ( RC )
peinture : D Velasquez
Bien sûr, c’est un mystère
qui se construit petit à petit,
sous mes yeux ébahis.
Je vois la peinture se faire
L’ange poser ses ailes :
Vous êtes ainsi alanguie
Sommeillant sur le lit
Vous êtes celle
qui lentement se révèle
à la caresse des pinceaux :
suivent la courbe de votre dos
(vous ne vous imaginiez pas modèle )…
Du voyage au long cours,
le vent dans les voiles,
vous apparaissez sur la toile,
peinte avec amour.
Négligemment déposés,
vos habits en tas,
à côté de votre bras …
Dans une lumière bien dosée
vous apparaissez, rêveuse,
les mains sur vos hanches,
votre poitrine est blanche,
et comme lumineuse….
Vous êtes la lumière du soir .
Surgie dans le décor
( et l’or de votre corps
se reflète aussi dans un miroir ).
On ne vous imagine pas blonde ,
car la seule ombre au tableau
porte le flambeau
de l’origine du monde .
Il n’y a pas besoin d’être Courbet,
pour que le monde vous contemple :
la première entrée du temple
est sur la toile, posée sur le chevalet.
–
RC
– juill 2017
Richard Brautigan – les choses s’incurvent
Les choses s’incurvent lentement hors de vue
jusqu’à disparaître tout à fait.
Après ne reste plus
que la courbe.
Salah Al Hamdani – Centré
À genoux
Oui
à genoux dans la cruauté calme du jour
et cette absurdité sans limite
Marche, marche pauvre type
jusqu’à l’extrémité de l’ombre
et rejoins tes rêves
ensevelis sous la lenteur ridicule de leurs nuits
Laisse tes souvenirs à la traîne
l’éblouissement d’un quai désert
et au-delà
emprunte la courbe de ton exil
La gloire du couchant est là
sans écho
esseulée sur le lit de l’étranger
comme un appel de la falaise .
( extrait du recueil – « Rebâtir les jours « : ed Br Doucey )
Les mots s’en vont, comme bulles de savon. ( RC )
–
Les mots s’en vont
Comme bulles de savon,
Vois comme elles s’enfuient,
Et les mots aussi.
Tu étais là,…. tu étais elle,
Dans ma vision, bien réelle,
Les bras ouverts, la peau de pêche,
Ma plume hésitante, et l’encre qui sèche…
Les glaïeuls disposés dans le vase,
Je n’arrive pas à finir mes phrases,
Oui, – j’étais sans doute ébloui,
Après cette journée de pluie….
Hanté par ton souvenir..
– Comment pourrais-je l’écrire ?
Réfugié dans ces fleurs écarlates,
A la cambrure délicate.
Leur couleur en est saveur,
Et précipite les heures…
Les mots , toujours, s’en vont
Comme bulles de savon,
Ils forment des phrases plates,
Qui se heurtent entre elles et éclatent,
Et disparaissent sans bruit,
Quand ta vision me poursuit.
> Je ne pourrai jamais décrire,
La courbe de ton sourire…
–
RC – 18 octobre 2013
–
contre le jour – ( RC )
- –
peinture Jeffrey T Larson – -hanging-laundry-2009
- Une main devant les yeux
- Si je reçois le soleil de face-
- Il n’y a plus devant-
- que ce que je vois. En blanc
- Et une découpe. Une forme flottante
- Dont je ne perçois une présence,
- Un drap orange
- Il claque au vent,
- Avec tes pieds – pour de vrai-
- Et ta silhouette, qui suit,
- Les courbes des secousses,
- D’une brise douce.
- Il fera encore chaud aujourd’hui,
- Et, au cours des heures,
- Le linge suspendu plus loin,
- Portera sa découpe aussi,
- Dansante… en soustrayant les couleurs
- –
- Au sommeil du soir, qui attend.
- -RC- 21 octobre 2013
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Anonyme ( RC )
peinture: oeuvre de Peter Philipps 1963
–
Anonyme –
L’anonyme se confond avec les murs
Une brume flottante envahit la scène
Tout est opaque, les sons de portent pas
A plus de cinq mètres, et les tentatives
de distinguer , du brouillard, au-delà du rideau
Se heurtent à un voile dense et ouaté
C’est l’instant où la lumière est bue
Où, même la cloche de Big-Ben est « tue »
Où se tourne le film de toutes les terreurs
Et qui peut surgir alors ? C’est Jack the Ripper…
Je suis un anonyme, que rien ne distingue
Dans la foule, je suis gris,
et porte peut-être , un parapluie
Je suis en kaki, au milieu de la soldatesque
Matricule numéroté, élément casqué
Se fondant dans la masse, je suis l’automate
Sans sentiments, lisse et hors de l’ âge
Pas besoin de tenue de camouflage
Sans aucun avis, et rien ne dépasse
Je suis mon destin, celui de ma race
Ne maîtrisant rien, – et l’avenir m’embrasse
Flottant dans un fleuve, des petits points, des faces
Ne choisissant pas , la courbe , les trajectoires
Au p’tit bonheur la chance, et gardez bon espoir
De revoir un jour, un peu de lumière
Devenir quelqu’un , sortir de l’hier
–
RC – 24-mai -2012
–
Marie Bauthias – L’ombre des leurres ( extrait 02 )
au secret de l’écorce
nos prairies mangent d’orgueil
la couleur et l’attente
le vent qui cueille le rire dans les pleurs
la courbe des mots tendres assis
à notre oreille
l’avalanche des paumes
inscrite sous nos yeux
déjà le désordre furtif d’une peau
grandement amarré
la douce prière que le désir ne nous a pas rendue -…
Marie Bauthias
–
Isabelle Levesque – es-tu château ?

photo perso; ombre de tour sur tour chateau de Saint-Saturnin sur Tartaronne, vers La Canourgue – 48 – 2008
es-tu château
ou l’ombre du silence (forme humaine)
as-tu soupirs de géant
milliers d’insectes en gorge râpeuse
respirant la terre
le géant ne sent rien respire
chaque souffle expire
une pierre
es-tu nuée sourde sur la proie (aucune chance)
tu virevoltes geste fou d’une courbe
ne s’arrête comme
encre en tache et page
loin du buvard flot noir apparu
surface couvre
es-tu quelque part en présence surprise
ou patte d’un bourdon
perdu dans la lutte
percer le corps sombre minéral
érode
la pierre grave le socle
enfonce
château dressé (faille en terre)
In Ossature du silence, © Les Deux-Siciles, 2012, p.13
–
–
Claude Minière – je reprends la main
………..je reprends la main
à la bonne vitesse
dans la courbe penché
sur la ligne du cercle
blanc sur noir
l’inconnu comme conscience
comme rail matériel et abstrait
comme écoutant le sol trembler
je reprends la main
à la limite de l’adhérence
le pneu soudain quittant la chair du bitume
perdant le contact, le fil
Je reprends la main
je me reprends par la main sur le tapis vert
de la vérité chorale des pâquerettes
du sang des coquelicots
–
Richard Brautigan – la courbe des choses oubliées
- sculpture: Ellsworth Kelly: Carré d’art Nîmes – photo personnelle – 2010
Les choses s’incurvent lentement hors de vue
jusqu’à disparaître tout à fait.
Après ne reste plus
que la courbe.
(Richard Brautigan)