Ne cherche pas à m’appeler, je suis déjà ailleurs… – ( RC )

photo R Koudelka
Dans les courbes de la nuit se cachent les pensées
les plus secrètes, là où je ne peux avoir accès,
car les lendemains ne connaissent pas de parole :
celles ci ne sont pas nées et le discours reste bouche bée,
n’émettant que des sons muets.
Si j’écris le chant, chacun y lit sa propre histoire,
les raisons de croire, et les chemins où ils s’égarent,
alors que déjà les lumières s’éteignent sur les jours passés,
brûlées par le sel, ensevelies sous les marches d’un temps,
où l’on n’espère plus de printemps .
Ne cherche pas à m’appeler, je suis déjà ailleurs.
RC – dec 2022
Courbes – (Susanne Derève) –

Le mot aussi rond qu’une bouche
naquit pour dire l’amour,
et le premier son fut amour,
rondeur de la lèvre charnue,
œil limpide,
prunelle palpitante où chutaient tour à tour
la lune pleine, le globe incandescent
du jour
Fille, fils , enfantement
et l’œuf diaphane de l’oiseau
sur l’arête du monde où le tenait ma main ,
ombrageuse prunelle, qui taisait l’effusion
des couleurs au seuil clair du matin,
la courbe douce du fruit sur la branche ,
sa pure circonférence
d’or et de feu – orange , chair étoilée du pitaya –
Le mot disait la joue charnue de l’ange
et le lait blanc des femmes , poitrines rondes ,
hanches grenues ,
disait tout ce qui fut et serait
que j’ai tu
de peur de m’en saisir ou de le profaner
L’aurai-je assez vécu pour le nommer ?
Max Pons – Eve
– Bas-relief , Autun , art roman – tentation d’Eve
–
ÈVE
Toi la première et la dernière
Je te recommence patiemment
Toi perdue et retrouvée
Détruite et reformée
Toujours la même
Me voici
Lucide et heureux
Devant cette glèbe
Cette argile fertile
Te pétrir
Te lisser
Te polir
Te reconnaître enfin
Te finir
Me voici
Devant ce val délicatement veiné
À la naissance d’un fleuve d’ombre et de feu
Estuaire au limon de vie
Devant ces meules lourdes de louanges
Cette fête de courbes
Ce langoureux
ballet
Paysage pour la grande faim
Du dehors et du dedans
Me voici
Après une longue errance
Aux confins de toute une flore
D’algues et de mousses
Depuis toujours je te connais
Inventée avant de te toucher
Faite pour que je te révèle
Ce que tu es
Reflet de fleur vive – ( RC )

photogramme: Moholy-Nagy
–
Regarde entre ses doigts,
Juste un espace,
Quelques fentes claires,
Où jouent des papillons de lumière.
Que fait-il de ses jours ?
Il dessine.
– Il dessine quoi ?
Juste ce qu’il voit, et imagine,
Ton propre reflet de fleur vive
Echappé aux heures,
Où se forment, sur ce carnet,
Ombres et traits.
Mais aussi entre ses doigts,
Glissent sur ton regard,
Nombre de ces gouttes,
Comme sur des feuilles lisses.,
D’autres courbes,
Qui se lisent entre les lignes.
Vont traverser ses yeux.
Il en surgit ton portrait.
–
RC- février 2014
La ligne s’est mise à chanter – ( RC )

dessin – Henri Matisse modèle de dos
–
Enroulée sur elle même,
La ligne s’est mise à chanter,
S’inscrire en spirales
Sortir de la page,
Partie au loin,
Echappée avec Klee,
En petits signes,
Appuyés sur la couleur
Pour y revenir,
Encore plus libre,
–
En arabesques,
Autour des odalisques.
–
Matisse,
Joue de ce qui s’ouvre,
Des bords des visages,
Le dessin y invente,
Un regard, un sourire,
Une calligraphie du corps,
– Il danse,
En quelques traits posés
Les échos de ses courbes,
Et s’offre sur l’espace.
–
RC- janvier 2014
–

Dessin-peinture: Paul Klee – la chapelle
Mémoire de grandes ailes blanches – ( RC )
–
A ne pas gagner l’ombre,
Et les étés enfuis,
Sur la longue plage du temps,
Je te suis,
Et te vois de loin,
Marcher toute seule, sous la pluie,
Il y a les îles,
Fouettées par les embruns,
Les perles d’eau salée sur ton visage,
Les galets luisants , glissant sous mes pas,
Et le vent qui t’accompagne,
Avec les odeurs du large.
De grands oiseaux blancs planent en tournant,
Et se rappellent des instants soleils,
Du sable épousant les courbes de ton corps,
Les coques des voiliers aux couleurs vives,
L’air vif, faisant claquer les voiles
Et empli du parfum des orangers.
Bien sûr la Normandie, au pied des falaises,
Est loin de l’Italie,
La lumière se dissimule derrière les nuages,
Comme le bonheur approché,
Mais reste à portée d’elles,
Si j’étais porté moi-même,
Par ces grandes ailes blanches.
–
RC – 12 septembre 2013
–
Gué de tes îles – ( RC )
–
Traverse l’espace,
le gué des îles,
jetées sur le hasard,
Léchées par l’aube,
– Elle s’épanouit –
Sous mes mains en corolle,
Les vagues les entourent,
Et je vais,
Nu parmi les encres sèches,
Avant de retourner à la boue, *
Equilibre instable sur ce gué,
Oiseau des augures ayant perdu
Ses ailes,
A parcourir,
Sous ton regard liquide,
Les chutes du silence.
A l’air ne manque,
Que le souffle inverse
Qui m’aspirerait,
Comme il me dépossède,
Douceur et violence,
Aux îles
Basculées,
Tes courbes entre mes mains…
–
RC – 8 août 2013
* ces deux vers sont de Dominique Sorrente, dans « enjambées fauves »
–
La Sainte-Victoire d’une blancheur plissée ( RC )

peinture: Jan Jansz van de Velde III – nature morte avec verre de bière
–
Le parfum,
confident de la lumière,
S’attache aux volumes des objets,
Et ceux-ci résonnent d’accords particuliers,
Posés de touches de couleur,
Frottées et qui se recouvrent,
Selon l’aube de nos regards,
Et d’abord celui du peintre.
…. une présence extraite à leur mystère,
Par un rayon de lumière,
Posée sur les cuivres,
Et les transparences des verres,
Jouant discrètement leurs feux d’artifice,
Parmi les fruits disposés là,
Presque par hasard,
Offerts au sanctuaire de leur fraîcheur,
L’écho des pommes et des oranges,
Juxtaposant leurs courbes,
A la Sainte-Victoire d’une blancheur plissée,
Crayeuse et silencieuse,
Nappe soumise
Aux ombres ovales du compotier.
–
RC – 28 juin 2013

peinture: P Cezanne , nature morte aux pommes et compotier 1899. Musée du Jeu de Paume Paris
–
Au sommeil, l’abandon (RC )
Dessin P Picasso
–
Au sommeil l’abandon
Les bras de Morphée
Seront-ils assez longs ?
Et, si c’est long, cet abandon
Si c’est vite, ce sommeil arrivé
Si c’est long, long la nuit
A te regarder dormir
Et puis peut-être rire
Au creux de tes rêves
Lovée dans tes courbes
Tu fais les plus beaux Modi
Epousant plis et plis
Courbes et volutes
Cheveux répandus
Pesanteur oubliée
Le rythme régulier
Du tiède qui , de souffle
Soulève ta poitrine
Le bras léger sur le mien
Où que tu sois dans l’oubli
Le temps d’aborder le jour
……..L’ absence…….
Je veux te regarder dormir
–
RC – novembre 2010
–
Taire le silence ( RC )
Si j’apprends à taire le silence
En jetant quelques cailloux dans l’eau
Alors, la surface remue, et se souvient
En cercles concentriques, des éclaboussures
Et des gestes ténus,
Qui repoussent quelques secondes la léthargie,
En laissant , une place à la vie.
Mon geste n’est plus là, mais seulement sa trace
Comme lorsque je passe un doigt distrait
Sur la couche de poussière recouvrant le buffet.
J’apprends à lire, les instants fugitifs,
Le murmure de l’histoire, et l’invisible est crédible
Les brioches dorées, le zeste des parfums,
Le sillage d’un regard, au détour d’un reflet,
Le souffle des choses, agitant les feuillets
Les chapitres du bonheur, que révèle
Un pinceau de lumière à travers les nuées
Eloignées des étoiles, et dénuées
De l’ombre – qui fait l’importance.
Si j’apprends à taire le silence,
C’est pour mieux traduire
Une langue d’avant qui te ressemble
La prolongation d’une grâce
Que n’offrent ni les mots
Ni la parole rhétorique,
Les doigts ouverts de l’invisible
Quand ils te dessinent à mes yeux:
Une veine qui palpite à ton front,
Et la courbe d’une hanche…
J’apprends à lire, les instants fugitifs,
A rassembler les indices,
Peut-être à inventer,
A rajouter des brillances
Et des couleurs de voix,
Imiter rivières et cascades,
Et l’ombre des collines
Qui dessine des courbes
Sur le désir de l’instant
Que les lèvres promettent.
RC – 6 octobre 2012 ( évocation d’une démarche créative… je pensais à la photographie )
–
Fin d’hiver à Valensole (RC)
plateau de Valensole, lavandes en hiver photo Thierry WeBer-
Partis de montées raides, en vallons tièdes
Une légion de points, se succèdent
Alignés en portées – courbes musicales
D’accord gris-tendre de boules végétales –
Lignes striant la terre de Provence
Rythme et tonalités douces, naissance,
D’un parfum rampant , au mistral, la légende
De nets horizons , aux étendues de lavande
Bien avant, qu’un mauve soutenu, vienne incendier
La parure argentée des champs d’amandier,
——Evidemment proche du ciel, plus que du sol
Le plateau, suspendu, de Valensole.
Corps fleur, une rose (RC)
–
Si c’est une toile blanche
Qui attend en silence
Que le pinceau s’élance
Au dessin de tes hanches
Alors sur ce modèle
Corps et délits
Je le forme et le plie
Et pourrais ajouter des ailes
En appelle « l’inspiration »
Le bras, je vais le déplacer
La main, je vais l’effacer
Et puis , varier la position
–
Tes courbes opposées
Enlacées de lumière
Sans plus de frontières
Allonges , du corps reposé
Modelée de sculpture
Mon geste te compose
Corps fleur, une rose
De créature, nouvelle parure
Et c’est ainsi que tu nais
Calligraphie, déliés et pleins
Arabesques de tes seins,
Sur la page du carnet …
–
Le soleil en courbes ( RC)
—
s’il faut se hisser par degrés
Quitter la vallée ensoleillée
Perdue dans le passé
C’est rejoindre en genêts
De printemps de mai
Le soleil qui épouse
Les courbes en pelouse
Des lointains ombreux
Contre les monts orageux